2.1 - Le cadre socio-économique
2.2 - La population et les centres urbains
2.3 - Les infrastructures de transport
2.4 - Les flux des produits agricoles et horticoles
2.5 - Questions
La période 1973-1996 est caractérisée par un déclin continu de léconomie zaïroise et du niveau de vie de la population. Ce déclin est le résultat des chocs subis par léconomie suite à la détérioration de la situation interne et/ou externe. Les déséquilibres internes trouvent leur origine dans la détérioration des infrastructures de base, la vétusté des équipements et appareils de production, le manque de capitaux et la faiblesse à la fois de lappareil institutionnel et des ressources humaines nécessaires à la gestion tant administrative que financière du pays. Certaines décisions de politique économique et notamment des projets trop ambitieux et des mesures de zaïrianisation (nationalisation) ont aggravé ces déséquilibres. En outre, la multiplication des interventions des pouvoirs publics a considérablement gêné le fonctionnement de certaines unités de production. Les déséquilibres externes ont été amorcés en 1973 à la fin du boom enregistré sur le marché des matières premières et surtout du cuivre, après le premier choc pétrolier de 1973 suivi de celui de 1979, et de la guerre en Angola qui a rendu inopérant le chemin de fer de Benguela. Cest également en 1974 que la zaïrianisation est intervenue, rompant les circuits de distribution et le tissu économique et commercial. Cest ainsi que lendettement est devenu le passage obligatoire pour sapprovisionner en biens et services et en capitaux frais en provenance de lextérieur (Goossens et al., 1992). Cette dette sestimait à un peu plus de huit milliards de dollars, soit près de 125% du Produit Intérieur Brut à la fin des années 80 (Kalonji, 1990).
Pendant la période 1965-1990, le pays est devenu de plus en plus dépendant de quelques produits pour ses recettes en devises, à savoir le cuivre, le cobalt, les diamants et le café. Le cuivre et le cobalt sont produits par la compagnie détat Gécamines, qui se situe dans la région du Shaba et qui rencontre de grandes difficultés suite au non-renouvellement et/ou manque de maintenance de son équipement (Maton, 1991). La production de 1991 a été estimée à la moitié de celle de 1959, année précédant lindépendance. En 1993-1995, la production du cuivre a presque cessé. Certaines exportations agricoles traditionnelles sont devenues non compétitives (coton, huile de palme), mais le café a gagné en importance. Le secteur manufacturier du Zaïre transforme des matières premières dorigine locale ou importées. Faute de compétitivité et de stabilité économique, très peu dexportations sont réalisées. Cest surtout le secteur informel dextraction des diamants qui fait vivre le pays actuellement à un niveau économique très bas.
Depuis 1982, le libéralisme économique concerté est la pierre angulaire de lorganisation du système économique. Dans cette optique le rôle de lEtat se limite à fournir les infrastructures économiques et institutionnelles de base. Le secteur privé doit donc jouer un rôle prépondérant dans le développement économique du pays. Le Zaïre poursuit un programme dajustement structurel depuis 1983, mais ce programme a été interrompu à plusieurs reprises. La difficulté à maîtriser les équilibres macroéconomiques et à stabiliser léconomie fait que finalement il ny a guère eu dajustement structurel au Zaïre.
La situation économique et financière du Zaïre depuis 1991 est marquée par une forte détérioration des équilibres fondamentaux se caractérisant par une augmentation rapide du financement monétaire du Trésor, un niveau élevé de linflation, une dépréciation rapide du zaïre-monnaie, un ralentissement accentué de lactivité productive et une réduction des exportations. Suite à linstabilité sociale et aux pillages de 1991 et 1992, beaucoup dentreprises formelles ont cessé leurs activités, les investisseurs ont quitté le pays et les ouvriers ont perdu leur emploi formel. Limportance croissante du secteur informel est due à la disparition du secteur formel.
Actuellement, toute lattention est orientée vers un changement politique dans le sens dune plus grande démocratisation des institutions et de la gestion de lEtat. La base économique du pays de laquelle dépendent les recettes gouvernementales et lapport en devises sest amoindri. Suite au non-paiement des salaires dans ladministration, celle-ci ne fonctionne guère. LEtat a cessé de fonctionner, ce qui a un impact néfaste sur les soins de santé, lenseignement, ladministration, létat des infrastructures de transport, la justice, la stabilité de la monnaie, les centres de recherche (agricole et autres), les infrastructures de communication, la coopération internationale au développement, la sécurité sociale, etc. Il est impossible pour le secteur informel de remplacer lEtat dans la plupart de ces domaines.
Il est évident quavec une telle évolution macroéconomique, le nombre de familles qui se trouvent dans une situation dinsécurité alimentaire a augmenté de façon exponentielle. Les soins de santé, lenseignement et la nourriture de base ne sont plus une certitude, et les risques généraux de survie ont augmenté. Un cadre macroéconomique sain et stable pourrait davantage améliorer la performance du secteur vivrier par une croissance économique durable, une stimulation de lépargne et de linvestissement, et la maintenance et lextension des infrastructures économiques essentielles. Il est évident que dans la situation actuelle, les ménages ont changé leur comportement en tant que consommateurs, employeurs, entrepreneurs, membres de la société civile, etc.
En ce qui concerne le système de commercialisation et de distribution des vivres, la situation macroéconomique est largement impliquée:
En 1990, près de 40% de la population du Zaïre vivait dans les zones urbaines (définies comme des agglomérations dau moins 5 000 habitants) (Shapiro, 1990). La population totale du Zaïre saccroît denviron 3,1% par an. La population urbaine est passée de 3,4 millions en 1960 à plus de 12 millions en 1985, ce qui représente un taux annuel daccroissement de 5,3%. La disparité de croissance des populations urbaine et rurale a augmenté dans les dernières années; de 1975 à 1984, la population urbaine a augmenté de 7% contre 1,2% pour la population rurale. Lexode rural qui caractérise le Zaïre peut être attribué en partie à la situation sociale généralement médiocre des zones rurales. Vers la fin des années 80, 5% de la population rurale avait accès à leau potable et 15% seulement disposait de services locaux de santé. Les services denseignement étaient inexistants ou dune qualité inférieure dans de nombreuses zones rurales. Ces cinq dernières années, la situation sest considérablement dégradée.
Lexode rural se fait surtout sentir au niveau des actifs agricoles masculins. Les femmes sont plus représentées dans le groupe de 15 à 55 ans. A titre dexemple, le taux de masculinité (pourcentage dhommes par rapport aux femmes) est de 88% dans la région du Bas-Zaïre et de 79% dans la région du Bandundu. Les hommes âgés de plus de 55 ans par contre, sont plus nombreux que les femmes du même âge. Une comparaison avec la structure de la population de la ville de Kinshasa révèle que dans la capitale la situation est inversée. Les hommes âgés de 15 à 55 ans sont nettement plus nombreux que les femmes de la même catégorie dâge (Institut National de la Statistique, 1989). Le rapport de masculinité y est de 108%.
Capitale depuis 1923, la ville de Kinshasa a attiré dannée en année de nouvelles populations. En 1889, la ville naissante sétendait sur 115 ha pour 5 000 habitants. Vers 1919, 14 000 habitants occupaient une superficie de 650 ha. En 1960, 5 500 ha à caractère urbain supportaient une population de 400 000 habitants. En un siècle, la population, sur le site actuel, est passée de 30 000 à plus de 3 millions dhabitants. Les estimations de la population actuelle varient entre 3,5 et 5 millions dhabitants. La pression démographique a créé dimmenses besoins en matière dhabitat, déquipements publics et de produits alimentaires. Si lon accepte une croissance de 6% jusquen 1995, et ensuite de 5% - hypothèse raisonnable quoiquarbitraire - il y aura 7,3 millions de Kinois en lan 2000. Si cette population continue à occuper lespace avec des densités doccupation identiques à celles de 1982, il y aura alors 58 400 ha (584 km2) de surface bâtie.
La population est caractérisée par une pyramide des âges typique dun pays en développement: 46% de la population rurale a moins de 15 ans, 9% a plus de 55 ans et 45% de la population rurale entre 15 et 55 ans peut être considérée comme active. Le coefficient enfants à charge, qui est le pourcentage denfants âgés de moins de 15 ans par rapport aux adultes appartenant au groupe économiquement productif de 15 à 55 ans, est de 1,02. Le Zaïre compte environ un adulte en âge de travailler par enfant âgé de moins de 15 ans. Un pays industriel dispose généralement de deux à trois adultes en âge de travailler pour chaque enfant à charge. A mesure quun pays se développe sur le plan social et économique, un coefficient élevé denfants à charge affaiblit davantage les ressources des ménages et risque aussi daffecter les relatifs programmes de développement du pays. Dans un pays où le nombre denfants à charge est considérable, une part disproportionnée des ressources publiques et privées doit être consacrée aux besoins des jeunes (soins de santé, éducation, etc.). Cest pourquoi une réduction notable du coefficient denfants à charge permettrait de libérer des montants non négligeables pouvant être investis dans dautres secteurs de développement (The Futures Group, 1985).
Suite à la croissance de la population nationale denviron 3% par an, la production des vivres doit nécessairement saccroître du même pourcentage. Lexode rural et la croissance des centres urbains de 5 à 7% par an aboutissent à une pression énorme sur le système de commercialisation et de distribution des vivres: chaque année, 5 à 7% de plus doit être commercialisé afin de maintenir un statu quo. Chaque année, plus de marchés et autres infrastructures de commercialisation sont nécessaires. La demande de produits agricoles pour le marché de Kinshasa est largement ressentie dans les régions du Bandundu et du Bas-Zaïre: respectivement 65 et 58% des ménages de ces régions déclarent que la destination finale de leurs produits est Kinshasa. Actuellement, il y a une croissance des activités horticoles dans les centres urbains en raison de la détérioration des infrastructures de transport et des citadins qui essaient de valoriser leur capital humain, cest-à-dire la main-doeuvre et une connaissance de lagriculture.
Les trois grands axes interrégionaux au Zaïre sont la route goudronnée Matadi - Kinshasa - Kikwit (à louest du pays), le fleuve Zaïre et ses affluents (axe nord-sud), et le train Lubumbashi - Ilebo (sud-est).
Au Zaïre, linfrastructure de transport a continué sa tendance générale à la détérioration, malgré la mise en place du Service National des Routes de Desserte Agricole, les efforts de réhabilitation de lOffice des Routes et de lONATRA (Office National des Transports), la mobilisation de ressources financières plus importantes et la mise en place de nouvelles procédures de gestion. La pénurie des moyens de transport est surtout matérielle: manque de routes, de pistes, de camions et de bateaux. La plupart des routes, surtout celles de lintérieur du pays, nont plus de route que le nom. Les facteurs principaux qui ont contribué à cette dégradation sont: le climat politico-économique instable, le non-respect de la législation sur la charge utile et les vitesses autorisées, labsence dun système de drainage et dun système dentretien efficaces. Bref, la cause profonde est lincapacité de mobiliser, de gérer et de canaliser effectivement les ressources financières de manière suffisante pour la remise en état fonctionnel de linfrastructure économique et pour sa maintenance.
Depuis 1991, il y a une dégradation accélérée de la situation. Etant donné la crise profonde de lEtat, il ny a actuellement presque plus dentretien des routes. Les axes cruciaux pour lapprovisionnement de Kinshasa, tels que les routes Kinshasa - Matadi (direction Bas-Zaïre) et Kinshasa - Kikwit (direction Bandundu) sont en très mauvais état. Seuls les camions de brousse passent encore.
Il est clair que le gouvernement zaïrois, qui dispose de faibles ressources, ne peut pas revêtir et entretenir toutes les infrastructures de transport. Il est surtout important quen milieu rural, les goulots détranglement, tels que les ponts, les bacs, etc., restent en bon état. Les bailleurs de fonds ont donc ici un rôle à jouer.
Limpact de la détérioration des infrastructures de transport sur lapprovisionnement en nourriture de la ville de Kinshasa et la sécurité alimentaire est le suivant:
Le système national de commercialisation des vivres au Zaïre peut être subdivisé en six sous-systèmes (voir figure 1), entre lesquels il y a généralement très peu dinteraction en raison des distances et dun manque daxes de transport.
En premier lieu, il y a la ville de Kinshasa (voir figure 2), principal centre de consommation, et les régions du Bandundu et du Bas-Zaïre, principales zones de production (voir figure 3). Ce système se situe autour de la route Matadi (Bas-Zaïre) - Kinshasa - Kikwit (Bandundu). A Kinshasa, lhorticulture périurbaine prime. Loffre de manioc, de maïs et darachides provient des fermes traditionnelles des régions du Bandundu (par la route et par bateau), du Bas-Zaïre (par la route) et en moindre mesure de lEquateur et du Haut-Zaïre. Les céréales pour la fabrication du pain sont importées. Loffre de légumes dans la ville de Kinshasa provient principalement dun grand nombre de petites fermes de subsistance dans la région du Bas-Zaïre, des entreprises maraîchères de la ceinture verte de la ville. La viande bovine provient des grands élevages du Bas-Zaïre et du Bandundu. Le problème de transport en ville est important en raison du manque de transports publics. Le Bas-Zaïre approvisionne traditionnellement la capitale, ainsi que les villes locales, telles que Matadi, Boma, Mbanza-Ngungu, en fruits et légumes. La plupart des fruits et des légumes, destinés au marché de Kinshasa, sont transportés par camion, par la route Matadi - Kinshasa. Les quantités arrivant par train sont minimes. Actuellement, la route Matadi - Kinshasa est en mauvais état, ce qui est fort défavorable au transport des produits périssables à partir des zones éloignées, et ce qui a causé la disparition partielle des activités horticoles dans les zones de Songololo et de Mbanza-Ngungu. Dans la région du Bandundu, lagriculture est hautement traditionnelle et concerne principalement les produits vivriers. La cueillette de fruits et de feuilles de manioc, et la production extensive de petites quantités doignons, de tomates, de pili-pili et de légumes-feuilles prédominent. Lhorticulture périurbaine est dominée par une production de légumes-feuilles, et destinée à lautoconsommation. Les petites quantités de légumes, surtout des feuilles de manioc, et des fruits (notamment bananes et ananas) sont acheminées vers Kinshasa sur le fleuve Zaïre et par la route Kinshasa - Kikwit.
Figure 1: Carte administrative du Zaïre
Figure 2: Carte administrative de la ville de Kinshasa
Figure 3: Cartes avec les zones administratives des régions du Bandundu et du Bas-Zaïre
En second lieu, les régions de lEquateur et du Haut-Zaïre, où lagriculture est hautement traditionnelle et concerne surtout les produits vivriers. Le maïs, le manioc, le haricot coloré, la banane plantain et dautres fruits de la forêt sont acheminés vers Kinshasa sur le fleuve Zaïre. A lexception de la ville de Kisangani, il nexiste que de petits centres urbains. En ce qui concerne lhorticulture, la cueillette des fruits et des feuilles de manioc, et la production extensive de petites quantités doignons, de tomates, de pili-pili et de légumes-feuilles sont les plus importantes. Ensuite, il y a lhorticulture périurbaine, dominée par une production de légumes-feuilles, et destinée à lautoconsommation.
En troisième lieu, les régions du Kasaï, où la production agricole concerne surtout le manioc et le maïs. Il existe une très petite production horticole locale en milieux urbain et périurbain, comparable à celle du Bandundu, et une commercialisation orientée vers les centres urbains locaux: Mbuyi-Mayi, Kananga, Tshikapa. Ensuite, il y a le développement récent des activités horticoles aux alentours de Gandajika, dont les produits sont surtout vendus à Mbuyi-Mayi. Les interactions avec les autres régions sont peu nombreuses.
En quatrième lieu, la région du Shaba, avec des flux de produits (surtout manioc et maïs) qui sorientent dabord vers la ville de Lubumbashi, et en moindre mesure vers Kolwezi et Likasi. Les zones de production se situent principalement dans le nord et au centre du Shaba, à partir dune production périurbaine. Des importations de maïs, de riz, de fruits, doignons et de pommes de terre, ainsi que des intrants agricoles, proviennent de la Zambie et de lAfrique du Sud. A lexception du transport de maïs, par rail, au Kasaï, les interactions avec les autres régions sont peu nombreuses.
En cinquième lieu, il y a la région du Kivu, important producteur traditionnel de légumes (carottes, choux blancs, poireaux, oignons, pommes de terre, etc.). Les légumes sont surtout vendus dans les centres urbains locaux et transportés par avion vers Kinshasa et Lubumbashi. Les systèmes horticoles sont relativement intensifs et ont un avantage comparatif, à savoir le climat et laltitude. Récemment, la production horticole a été perturbée par le grand nombre de réfugiés ruandais. Actuellement, il ny a guère de trafic vers Kinshasa et les autres villes zaïroises.
Les principales évolutions des dernières années et des années à venir sont:
1. Quel est limpact dune détérioration de la situation socio-économique au niveau national sur le système de commercialisation des vivres?
2. Quel est limpact de la croissance de la population et de lexode rural sur le système de commercialisation et de distribution des vivres?
3. Quel est limpact dune détérioration des infrastructures de transport sur lorganisation spatiale de la production agricole?
4. De quelle façon la situation macroéconomique influence-t-elle le fonctionnement du système de commercialisation des vivres?
5. Pourquoi le secteur informel de commercialisation remplace-t-il de plus en plus le secteur formel?