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I.   INTRODUCTION

On sait que les droits d'usage territoriaux dans les pêcheries (DUTP) existent depuis des siècles. Traditionnellement, ils sont apparus (et dans certains cas se maintiennent encore) là où existent certaines conditions permettant d'acquérir et de protéger relativement facilement des droits exclusifs. Des droits de propriété sont depuis longtemps exercés sur des ressources sédentaires telles que les huîtres, les moules et les algues marines. Sergius Orata élevait des huîtres dans le lac Lucrin au début de l'Empire romain (Bolitho, 1961). Des eaux douces fermées (étangs, lacs et plaines d'inondation) font également l'objet de droits d'usage exclusifs depuis des siècles.

Toutefois, des DUTP se sont également établis dans des zones ou dans des situations où la facilité d'acquisition et de protection de droits exclusifs n'est pas évidente. C'est ainsi qu'ils sont exercés dans des zones maritimes telles que les lagunes, les bordures des plages et les récifs coralliens. Et, plus récemment, on a assisté à l'établissement de DUTP - légalement ou illégalement - en association avec l'utilisation de dispoitifs de concentration des poissons et autres techniques nouvelles ou commençant à se répandre.

A mesure que l'on s'intéresse davantage aux aspects culturels et à l'organisation des communautés de pêcheurs, on se rend compte que certaines formes de DUTP sont plus répandues qu'on ne le pensait auparavant dans les pêcheries maritimes, soient-elles modernes ou traditionnelles. Une liste (incomplète) des types de pêcheries et techniques de pêche qui font appel à ou autorisent l'exercice de droits territoriaux exclusifs donne une idée de l'étendue et de la variété des DUTP dans les pêcheries maritimes, qu'il s'agisse d'élevage ou de pêche par capture: bancs d'huîtres et de palourdes; lits d'algues; élevages sur radeaux; dispositifs de concentration des poissons, aussi bien flottants (payaos) que fixés sur le fond tels que les récifs artificiels; pêche à la senne de plage; viviers et nasses; pêche au filet fixe; pièges installés sur le fond, tels que casiers à homards et abris à poulpes; récifs coralliens; pêcheries lagunaires; pièges à poissons installés aux embouchures des cours d'eau pour la capture d'espèces anadromes telles que le saumon; enfin, DUTP d'un type moins formel, tels que les divisions territoriales tacitement observées par quelques grandes pêches commerciales.

Ces modes d'“occupation des eaux marines” retiennent de plus en plus l'attention et cela pour diverses raisons, dont deux sont particulièrement importantes du point de vue de l'aménagement des pêcheries.

La première est qu'ils revêtent un intérêt considérable du point de vue de l'efficience des opérations de pêche. L'importance fondamentale du concept de “propriétaire exclusif” comme moyen d'éviter les conséquences préjudiciables du libre accès aux ressources communes est depuis longtemps reconnue (Scott, 1955). Mais avant l'adoption générale du concept de zone économique exclusive (la ZEE - qui est en elle-même une forme de DUTP), les occasions d'appliquer dans la pratique la notion de “propriétaire exclusif” sont restées limitées et n'ont guère retenu l'intérêt.

La deuxième raison est que des DUTP localisés semblent offir un bon moyen d'améliorer (ou de maintenir) les conditions de vie des communautés d'artisans-pêcheurs dans les pays en développement. Il apparaît de plus en plus clairement que ces communautés qui asurent une importante partie de la production de poisson des pays en développement, se trouvent dans un marasme aussi persistant que largement répandu, et qu'en général, elles n'ont pas réagi aux tentatives de type conventionnel qui ont été faites pour accroître leur bienêtre. Cela tient en grande partie au fait que les ressources sont exploitées sous le régime de la propriété commune. Le contrôle communautaire des moyens de production, grâce à l'exercice de DUTP localisés, pourrait apporter une importante contribution aux efforts déployés pour améliorer le sort des pêcheurs. Mais il y a un corollaire tout aussi important. Si des DUTP localisés se développaient de manière autonome, sans contrôle satisfaisant par la communauté, il risquerait de se créer une classe de “suzerains”, ce qui pourrait avoir pour effet d'aggraver la situation des artisans-pêcheurs.

Tout cela explique qu'un nombre croissant d'études, effectuées en particulier par des anthropologues et des sociologues (Cordell, à paraître), soient actuellement consacrées aux systèmes traditionnels d'occupation des eaux marines. Mais des formes modernes de DUTP localisés commencent également à se faire jour et elles doivent aussi retenir l'attention. Dans les deux cas, il s'agit d'examiner de quelle manière des DUTP localisés peuvent être utilisés ou adoptés pour attendre les objectifs économiques et sociaux. Le présent document représente une tentative préliminaire pour aborder un aspect de cette question, à savoir la détermination des conditions naturelles et sociales qui facilitent ou empêchent l'acquisition et la protection de droits d'usage exclusifs localisés dans les pêcheries. Il examine pour commencer les distinctions entre “propriété” et “droits d'usage exclusifs” ainsi qu'entre “DUTP généralisés et DUTP localisés”. Puis, en vue de reconnaître quelles sont les conditions propres à favoriser la création de DUTP localisés, il examine quelques-unes des forces et des facteurs qui ont joué en faveur du libre accès caractéristique de la propriété commune. Diverses conditions naturelles et sociales influençant l'acquisition de droits d'usage sont analysées en vue de déterminer les possibilités de créer, de réétablir ou de protéger des DUTP localisés. Pour conclure, le document décrit brièvement les différences entre les objectifs d'efficience et les objectifs d'équité, et il indique quelques-une des perspectives que des DUTP localisés peuvent offrir du point de vue des objectifs d'équité, ainsi que les dangers correspondants.


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