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DEUXIEME PARTIE
ETUDES DE CAS

Introduction

Les principes écologiques qui sont à la base des méthodes d'aménagement des forêts naturelles et qui ont été brièvement examinés dans la première partie sont connus depuis longtemps. Les mêmes principes, en particulier la manipulation du couvert forestier en relation avec la régénération et la croissance, constituent les éléments d'une grande diversité de régimes d'aménagement et de traitements sylvicoles, depuis la méthode des coupes progressives en bandes jusqu' au traitement en futaie jardinée. Les facteurs qui déterminent la réussite, notamment lorsqu' on cherche à passer d'une expérimentation à petite échelle ou de réalisations pilotes à l'aménagement de forêts entières, sont fondamentalement les forces économiques, sociales et politiques qui conditionnent la capacité d'agir de l'aménagiste, notamment la valeur de son information de base et sa liberté d'action pour interpréter et appliquer les principes écologiques.

De même, l'incidence des systèmes génétiques et de la structure génétique sur la conservation de la variation intraspécifique est suffisamment établie, même si l'on manque presque totalement d'une connaissance détaillée de leur expression dans chaque espèce. Une activité essentielle de toute stratégie de conservation des ressources génétiques sera le rassemblement de cette information, en ce qui concerne tant les modes de distribution de la variation dans l'aire de l'espèce que les systèmes d'accouplement, mécanismes de dispersion des semences, etc. entrant en jeu à l'intérieur des populations. Le nombre et la variété quasi illimités des recherches nécessaires pour couvrir toutes les essences d'intérêt économique actuel ou potentiel exigent une définition rigoureuse des objectifs et des priorités pour chaque massif forestier ou unité d'aménagement, en accord avec la Stratégie national de conservation des ressources génétiques forestières.

Sous les deux aspects de l'aménagement et de la conservation, chaque pays, et dans une certaine mesure chaque forêt, a un caractère unique. Le choix de la stratégie à adopter dépendra tout autant des forces socio-économiques qui entourent la forêt, et des politiques nationales de mise en valeur des terres et de développement tant dans le secteur forestier que dans les autres secteurs, que des principes scientifiques fondamentaux de l'aménagement et de la conservation. Les facteurs déterminants seront notamment l'importance relative des forêts pour l'exportation de bois et pour les besoins des communautés locales, leur étendue et leur répartition par rapport à la densité de population et à la demande de terres, l'importance de leur influence sur le milieu local et régional, la valeur nationale et mondiale de leurs ressources génétiques en ce qui concerne tant les essences économiques principales que la diversité biologique en général, et la nature et l'échelle des menaces qui pèsent sur des écosystèmes, des espèces, des populations génétiquement distinctes et des gènes présentant un grand intérêt.

Les trois études de cas qui suivent ont été choisies pour illustrer les principes définis dans la première partie de cette publication, dans trois situations contrastées, et la manière dont l'aménagement forestier, et plus récemment la conservation génétique, sont abordés dans chaque pays. Le point de départ dans les trois cas apparaît comme étant des considérations de politique nationale et d'utilisation des terres, mais la nature et l'importance relative des activités en cours, et les conséquences pour les actions et les recherches futures, varient grandement entre eux. La base idéale pour l'élaboration d'une stratégie nationale de conservation des ressources génétiques forestières est une étude générale du secteur forestier dans ses rapports avec les autres secteurs, et l'élaboration d'un plan d'action forestier national. C'est effectivement le cas au Ghana, qui a été l'un des tout premiers pays à s'engager dans l'élaboration d'un plan national dans le cadre du Programme d'action forestier tropical (voir par exemple FAO, 1985b).

L'étude de cas du Ghana illustre de nombreux aspects du problème commun de l'harmonisation de la conservation des ressources génétiques avec la mise en valeur des ressources immédiatement utilisables. Le bois est un élément important de l'économie du Ghana, et les forêts jouent un rôle important pour la protection de l'environnement et le maintien de la production agricole. En même temps la pression démographique croissante entraîne une demande accrue des communautés riveraines des forêts sur des ressources qui s'amenuisent. Les ressources en bois des essences économiques principales sont réduites dans certains cas à un niveau critique. Les mesures prises par le gouvernement en réponse à cette situation ont fourni les informations de base pour de nouvelles politiques et stratégies qui sont maintenant mises en oeuvre. La conservation des ressources génétiques forestières y est considérée comme étant largement conditionnée par une action nationale visant à diversifier la gestion tant du secteur forestier que de celui de l'industrie forestière, cette action dépendant elle-même des conditions du commerce international. En raison de sa portée générale, cette étude a été traitée en détail, afin d'illustrer la diversité et l'interdépendance des actions.

A l'opposé, l'étude de cas du Brésil est centrée sur une seule grande région du pays, dans laquelle le biome forestier et ses ressources génétiques sont encore dans une large mesure intacts. En conséquence on peut y envisager des programmes intégrés de conservation et de mise en valeur, comportant une coordination des actions dans les aires protégées et dans les forêts de production, et un aménagement forestier polyvalent, avec la participation de la population locale. Les principaux problèmes à surmonter se rapportent à l'échelle de l'action nécessaire, et à la complexité de la coordination de programmes mettant en jeu un grand nombre de services administratifs, et un nombre encore plus grand sans doute d'organismes techniques et scientifiques qui produiront une masse considérable de données en vue d'élaborer ce qui devra être une stratégie cohérente unique pour la région.

L'étude de cas de l'Inde se concentre encore davantage sur une zone unique de forêt naturelle. A l'opposé de la plupart des autres pays tropicaux, la forêt y a fait l'objet d'une protection et d'un aménagement méthodiques depuis plus de 100 ans, mais à l'heure actuelle, par suite de la pression démographique, on estime que la survie des écosystèmes naturels et de populations viables des essences importantes est conditionnée par une approche nouvelle et plus active de la mise en valeur intégrée des ressources forestières, avec la participation des communautés vivant en forêt et alentour. Cette approche, et les prospections et recherches scientifiques nécessaires comme base de stratégies efficaces de conservation, constituent des éléments essentiels dans les trois études de cas.

Ces trois études de cas illustrent le principe nouveau selon lequel la conservation d'une diversité génétique de valeur dépend d'une plus grande diversité dans la conception de l'aménagement forestier, s'adaptant dans chaque cas particulier à la diversité des écosystèmes, des essences forestières et de la demande qui s'exerce sur la forêt. Elles démontrent d'autre part la nécessité universelle de rassembler et interpréter rapidement et efficacement l'information essentielle sur la composition et la dynamique des forêts, en tant que base de méthodes plus précises d'aménagement forestier compatibles avec les préoccupations de conservation génétique.

En complément de ces trois études, l'étude de cas sur Cordia alliodora présentée en Annexe 1 décrit des études détaillées entreprises sur la biologie et le “fonctionnement” d'une essence d'importance économique actuelle, afin d'illustrer les besoins d'information à cet égard et l'utilisation des données recueillies dans l'élaboration ou l'affinage de stratégies de conservation génétique.

GHANA

6.1 L'économie

Le secteur forestier du Ghana occupe la troisième place dans les recettes d'exportation du pays après le cacao et les minerais; il représente 5 à 6 pour cent du produit intérieur brut (PIB), et emploie environ 70 000 personnes (Asabere, 1987). En 1987, il a fourni 11,4 pour cent des recettes totales d'exportation, loin derrière le cacao (60 pour cent). Cependant, le bois est considéré comme jouant un rôle clef dans l'économie du pays (Frimpong-Mensah, 1989). Les forêts couvrent 11,3 millions d'hectares, soit 48 pour cent du territoire national (Ghartey, 1990), et outre qu'elles répondent à tous les besoins de bois d'oeuvre du pays elles assurent 75 pour cent de ses besoins d'énergie. La population du Ghana est de 14 millions d'habitants, avec un taux de croissance démographique estimé à 3 pour cent par an, et une densité de population variant entre 17 et plus de 150 habitants/km2, pour une moyenne de 63 (WRI, 1990). Avec un PNB de 390 dollars E.-U. par habitant, c'est un pays à faible revenu, largement tributaire du secteur agricole.

La zone de forêt dense, qui représente en gros un tiers du pays, renferme les deux tiers de la population. La forêt elle-même, qui au début du siècle couvrait pratiquement la totalité des 8,2 millions d'hectares de la zone, s'est réduite à 1,7 million d'hectares. La principale cause de déboisement est la demande de terres agricoles, et le maintien d'un domaine national de forêts classées, face à cette conversion massive, est dans une très large mesure le résultat de politiques avisées de mise en valeur. Toutefois il reste relativement peu de forêt en dehors des forêts classées, et avec une population qui double tous les 22 ans et qui atteindra 37 millions de personnes en 2025 (WRI, 1990), les surfaces de cultures agricoles continuent de s'accroître.

6.2 L'environnement

Le rôle de protection des forêts a été reconnu dés le départ, notamment leur influence sur le climat local et sur l'hydrologie, ainsi que la dépendance des principales cultures agricoles, en particulier le cacao, vis-à-vis du maintien du couvert forestier (Gent, 1929, dans FAO, 1985a). Alors que la préoccupation principale portait sur les activités agricoles dans la zone de forêt, on reconnaît maintenant davantage l'influence de la forêt tropicale humide sur les zones de savane du nord, qui couvrent 66 pour cent du territoire national. On y distingue quatre types de végétation, de plus en plus secs, des zones de savanes secondaires et de savanes sud-guinéennes au sud aux savanes nord-guinéennes et aux savanes soudaniennes. La pluviométrie annuelle varie entre 800 et 1 200 mm, mais elle montre une tendance à la diminution sur les 30 dernières années, se traduisant notamment par la longueur et la sévérité de la saison sèche et par le caractère incertain et capricieux des pluies. Etant donné que les principaux vents porteurs de pluie soufflent du sud-ouest, repoussant les vents très secs du nord-est (harmattan), la pluviométrie des zones de savanes est influencée par l'état de la végétation dans le sud du pays, et en particulier du couvert forestier qui par son évapotranspiration sert de relais pour les précipitations qui se produisent plus au nord. Bien que les données dont on dispose pour l'Afrique occidentale soient moins complètes, on pense que la situation est comparable à celle de l'Amazonie brésilienne en ce qui concerne le rapport entre la forêt et le cycle hydrologique (Salati, 1987). Le déboisement croissant dans la partie nord du pays, associé aux feux de brousse annuels, a déjà entraîné une dégradation écologique importante, et la pression démographique croissante aggravera à coup sûr le problème. L'éventualité d'un réchauffement du climat mondial est une raison de plus pour maintenir le plus possible l'effet stabilisateur du couvert forestier subsistant.

6.3 Diversité

La flore de forêt dense, ligneuse et herbacée, montre une variation clinale d'ouest en est du pays sur une distance de 300 kilomètres, avec un climat de plus en plus sec et des changements dans les types de sols (Whitmore, 1990).

Les affinités biogéographiques du Ghana sont guinéo-congolaises au sud-ouest, soudaniennes au nord, avec la coupure importante de la zone de forêt dense que constitue la “lacune du Dahomey” à l'est, séparant dans une certaine mesure les forêts de Haute-Guinée de celles de Basse-Guinée. Bien que les forêts du Ghana soient moins riches en biodiversité ou endémisme en comparaison par exemple de celles du Cameroun, on y a recensé plus de 2 100 espèces végétales (Hall et Swaine, 1981), comprenant 680 espèces d'arbres (Hawthorn, 1990a).

6.4 Aménagement en vue de la production ligneuse

A la suite d'une première étude de reconnaissance du secteur forestier effectuée en 1908, suivant la promulgation de la Timber Protection Ordinance l'année précédente, la mise en réserve de certaines zones de forêt fut proposée mais se heurta à l'opposition des chefs locaux (FAO, 1985a; Asabere, 1987). Malgré tout, en 1939 environ 1,6 million d'hectares avaient été constitués en réserves dans la zone de forêt dense, cartographiés, délimités et classés au titre de la Forest Ordinance. Environ 70 pour cent sont des forêts de production, qui assureront les approvisionnements futurs de bois, étant donné que les forêts non classées subsistant encore ne se maintiendront vraisemblablement pas en tant que productrices de bois au-delà de la fin du siècle. Le reste du domaine forestier permanent est affecté à des buts de protection, une certaine proportion étant constituée de forêts artificielles. Il existe 13 réserves de faune, couvrant au total près de 1,2 million d'hectares, dont quatre dans la zone de forêt et neuf dans la zone de savane. Dans la zone de forêt dense, les aires réservées strictement à des fins de protection sont celles qui sont le plus inaccessibles et qui sont difficilement exploitables (Tufuor, 1990a), et par conséquent elles ne sont pas forcément représentatives de la gamme de communautés végétales de cette zone.

La zone de forêt tropicale, qui est la principale source de bois d'oeuvre, montre une large gamme de variation dans les communautés végétales, qui ont été groupées en quatre grands types écologiques: la forêt ombrophile sempervirente (association Cynometra - Lophira - Tarrietia), la forêt humide sempervirente, la forêt humide semi-décidue, et la forêt sèche semi-décidue (Hall et Swaine, 1981).

Trois méthodes principales d'aménagement ont été appliquées au cours des 40 à 50 années écoulées: le Tropical Shelterwood System (TSS), les plantations d'enrichissement, et le Modified Selection System (MSS), mode de traitement en futaie jardinée qui a été introduit en 1956 et a été le plus employé dans la plus grande partie de la zone, en particulier dans les forêts humides semi-décidues, jusqu'à 1970. Les principales caractéristiques du MSS sont une cartographie des peuplements recensant tous les arbres “d'intérêt économique” de plus de 7 pieds (210 cm) de circonférence, et des coupes de jardinage à une rotation de 25 ans. La possibilité était réglée par contenance, les circonférences limites d'abattage étant fixées par catégories d'essences. L'abattage se faisait à partir des cartes des peuplements, en commençant par les plus gros arbres et en descendant jusqu'à ce que le volume prescrit ait été réalisé. Toutefois l'abattage des arbres au-dessous de la circonférence minimale n'était jamais autorisé, même s'il s'avérait qu'il n'y avait pas suffisamment d'arbres au-dessus de cette circonférence limite pour parvenir au volume prescrit. En outre il était stipulé que les arbres laissés sur pied devaient être bien répartis sur toute la surface de la parcelle en coupe, de telle sorte que dans certains cas un arbre nettement au-dessus de la taille limite pouvait être laissé sur pied parce qu'étant le seul dans ce secteur de la coupe (Asabere, 1987). Ce système relativement simple de contrôle, bien que fondé sur des données incomplètes sur la dynamique de la forêt, était assez cohérent et écologiquement valable.

Vers la fin des années 60, la rotation des coupes fixée à 25 ans fit l'objet de critiques de plus en plus vives de la part des concessionnaires forestiers, qui l'estimaient trop longue et conduisant à l'accumulation d'arbres surâgés susceptibles de pourrir sur pied. En conséquence il fut décidé en 1970 d'autoriser l'abattage de tous les arbres marchands de plus de 3,4 m ou 2,1 m de circonférence (selon la catégorie d'essences), et de ramener la rotation des coupes à 15 ans. L'hypothèse que tous les arbres au-dessus de ces dimensions étaient surâgés n'était basée sur aucune étude systématique, et il s'avéra par la suite que les arbres des plus hautes classes de dimensions, avec des circonférences de 3,4 à 4,0 m, étaient loin d'être surâgés. Plutôt que de réduire les pertes de bois, il s'avère que l'application en bloc de coupes de récupération sur l'ensemble de la forêt, sans considération de l'état des peuplements, a favorisé le gaspillage, de nombreuses grumes étant laissées à pourrir en forêt (Asabere, 1987).

Il était inévitable que la plus forte intensité et la plus grande fréquence des coupes, concentrées sur quelques essences favorites et enlevant la totalité des plus grands arbres - dont auparavant on laissait certains sur pied - aient à la longue un effet dysgénique croissant sur les populations. En même temps la tendance à accroître la taille des trouées par suite de l'abattage de tous les grands arbres d'essences marchandes, sans souci de leur emplacement ou de leur groupement, conduit obligatoirement à des changements structurels plus importants, et à une évolution plus marquée de la composition spécifique vers les essences pionnières, avec un risque accru d'envahissement par les lianes. Il y avait dès lors un impact défavorable prévisible tant sur les ressources génétiques des essences exploitées que sur la diversité d'ensemble, à mesure que ces prescriptions étaient appliquées de manière généralisée.

A partir du milieu des années 70 et jusqu'au début des années 80, le secteur forestier a connu une récession marquée, tant dans les volumes de grumes produits que dans la valeur totale des exportations de bois. Les causes en étaient les problèmes économiques généraux, en rapport avec la surévaluation de la monnaie (cedi), ainsi que le mauvais état des équipements d'exploitation, de transport et de sciage, le manque de pièces de rechange, l'insuffisance des investissements en routes et autres infrastructures, et la pénurie de fonds du Service forestier. A partir de 1983, une série de réformes macro-économiques et sectorielles, suivies d'un regain d'investissements en équipements et infrastructures, grâce à une assistance multilatérale et bilatérale, amenèrent une reprise progressive de la production de grumes et des recettes d'exportation qui, à la fin de 1987, étaient revenues à un niveau appréciable (Frimpong-Mensah, 1989).

Avec la reprise des coupes en vue de l'exportation et des activités de transformation des bois, il y avait un danger que l'exploitation intensive prenne le pas sur les préoccupations d'aménagement durable, axé sur la recherche du rendement soutenu. Le lancement en 1985 du Plan d'action forestier tropical (PAFT) donna une impulsion à l'idée d'études sectorielles conjointes, avec l'assistance de plusieurs organismes donateurs et, en mai 1986, une étude PAFT fut lancée au Ghana, conduite par la Banque mondiale avec la collaboration et l'assistance directes de la FAO, de l'ACDI (Canada) et de l'ODA (Royaume-Uni). Après étude, préparation, évaluation et négociation, un Projet d'aménagement des ressources forestières démarra en mars 1989 avec un financement de la Banque mondiale, du Danemark et du Royaume-Uni. Ce projet fournit au Gouvernement du Ghana l'occasion d'entreprendre un examen complet du secteur forestier, en reliant les objectifs de conservation et de production et en y associant d'autres considérations d'orientation.

6.5 Politique forestière: production et conservation

La politique forestière de 1948 fournissait une large base pour les objectifs tant de production que de conservation, si on l'interprétait dans cet esprit. Elle mentionnait explicitement la gestion du domaine forestier permanent, la protection de l'environnement, l'aménagement en vue du rendement soutenu, la recherche notamment en matière d'écologie et de sylviculture, l'éducation du public, la formation du personnel et la mise en valeur rationnelle des terres (Kese, 1989). La législation en vigueur - principalement Forests Ordinance (1927) et règlements connexes concernant les réserves forestières; Concessions Act (1962); Timber Operations Decree (1972); Forest Protection Decree (1974); Trees and Timber Decree (1974); Timber Industry and Ghana Timber Marketing Board Amendment Decree (1977), ainsi que certaines dispositions du Décret sur la politique d'investissement - a fourni une base appropriée pour l'application de cette politique. La réussite de la politique originelle de classement de forêts a été révélée de manière frappante par les images de Landsat montrant les limites nettement tranchées des réserves forestières qui, en règle générale, avaient été respectées et contrastaient avec le déboisement alentour (Hawthorn, 1989). La révision de la Politique forestière nationale, achevée début 1992, a encore renforcé les dispositions d'ordre écologique se rapportant aux ressources en sols et en eau, et insistant sur la conservation de la flore, de la faune et de la diversité biologique, et sur le rendement soutenu à rechercher pour les produits non ligneux aussi bien que pour le bois. Cela impliquait d'accorder l'attention voulue à la conservation in situ des ressources génétiques.

Parallèlement aux préoccupations accrues pour l'environnement et la diversité biologique, la demande de terres cultivables s'accroît de la part de populations en expansion. Il est indispensable de mettre en oeuvre des politiques intersectorielles révisées et renforcées, et des stratégies sectorielles appropriées, pour parvenir à concilier les demandes contradictoires de production et de conservation. Grut (1989), à partir d'une étude du secteur forestier au Ghana et en Guinée, a montré que si l'on analyse la situation du seul point de vue de la production ligneuse, la solution la plus rentable est d'exploiter en une seule fois tous les bois marchands - c'est-à-dire bien au-dessous des limites minimales de diamètre fixées par l'aménagement. Les calculs utilisés pour parvenir à cette conclusion ne prenaient pas en considération la valeur importante, mais généralement non marchande, des produits forestiers autres que le bois, ni les effets nuisibles sur la structure, l'écologie et la composition spécifique de la forêt qui pourraient en résulter.

6.6 Produits forestiers autres que le bois (“menus produits”)

Le rôle des produits forestiers autres que le bois est d'importance décisive pour la conservation à long terme des ressources forestières et de leur diversité génétique. Une étude détaillée entreprise dans le cadre du Projet d'aménagement des ressources forestières au Ghana (Falconer, 1991) montre que ces “menus produits” constituent le principal lien entre les forêts classées et les communautés riveraines. Cette étude a révélé l'importance d'une grande diversité de produits pour l'alimentation humaine, la pharmacopée, les matériaux de construction, les ustensiles ménagers et outils agricoles, le combustible, l'alimentation du bétail, et l'ampleur des activités commerciales et artisanales qu'ils alimentent. Pour les matériaux de construction les principales qualités recherchées sont la durabilité et la résistance aux attaques d'insectes, en particulier pour les pièces de charpente principales. Ces qualités sont généralement associées à des bois durs de forte densité, que l'on trouve dans les essences à croissance lente (qui ne sont en général pas des essences pionnières). De nombreux chefs et anciens de villages liaient naturellement fortement la valeur de la forêt à la récolte traditionnelle de matériaux pour la construction de leurs cases.

Il est apparu également que les forêts sont très prisées pour les médicaments qu'elles fournissent. Toutes les personnes interrogées lors de l'étude utilisent des plantes médicinales, et 80 pour cent d'entre elles à l'exclusion d'autres médicaments. La plupart des plantes médicinales d'usage courant sont récoltées autour du village et dans les jachères forestières, plutôt qu'en forêt. Néanmoins celle-ci est considérée par la majorité des personnes interrogées comme une importante source de médicaments.

Pour de nombreux ménages, la récolte, le traitement et la commercialisation des produits forestiers constituent une importante source complémentaire de revenus, notamment en morte-saison agricole ou en cas de besoin pressant d'argent. Pour certains d'entre eux les menus produits forestiers constituent la principale source de revenus, soit directement soit comme source de matériaux pour la confection d'outils et de matières premières utilisées dans des activités de transformation au dehors.

Les forêts sont la principale source de menus produits commercialisés dans la région; cependant, en certains endroits et pour certains produits, les jachères constituent d'importantes sources d'approvisionnement. Dans de nombreuses communautés les habitants déclarent que l'extension des défrichements en vue de l'agriculture, les feux de brousse plus fréquents et la dégradation des jachères (forêt secondaire) ont appauvri les ressources de menus produits, de sorte que les récolteurs et les transformateurs doivent se rabattre sur les réserves forestières. Pour de nombreux produits, tels que la viande de brousse, l'étude a révélé l'importance des surfaces en jachère comme sources d'approvisionnement. La dégradation des forêts secondaires est considérée par de nombreuses communautés comme un grave problème, et de plus en plus de forêts restant classées sont sans doute appelées à devenir d'importantes sources de menus produits.

Un aménagement souple, susceptible de répondre tant aux besoins locaux qu'à ceux de l'industrie du bois, offre les meilleures perspectives de sécurité à long terme pour une large gamme d'espèces ligneuses et herbacées. Il y a aussi place pour la propagation et la culture de certaines espèces dans les zones tampons entourant la forêt, et à condition que les semences ou matériels clonaux soient prélevés sur les populations locales en forêt, ce pourra être un mode acceptable de conservation in situ des espèces concernées.

6.7 Systèmes de taxation forestière

Un problème majeur pour la conservation et l'aménagement dans de nombreux pays est le niveau manifestement trop bas des revenus tirés des forêts tropicales naturelles (Mergen et Vincent, 1987) par rapport à leur valeur réelle évidente (Leslie, 1987). La cause en est souvent l'impuissance à prélever des recettes normales par la taxation des bois (Repetto et Gillis, 1988). Grut (1989) le montre clairement dans le cas du Ghana: aussi bien le montant fixé pour les droits de coupe que celui des recettes effectivement perçues sont jusqu'à présent extrêmement bas. Malgré le très bas prix des bois sur pied demandé, les recettes ne représentent qu'un sixième des sommes dues (Grut, 1989). On avait déjà reconnu ce très bas niveau des taxes forestières au Ghana, et la nécessité de les relever fortement, en particulier pour les essences marchandes les plus précieuses (FAO, 1985a). Des hausses importantes ont maintenant été apportćes, et d'autres doivent suivre. En supposant que cela soit fait et que les redevances de prix des bois sur pied soient portées en 1994 à environ 10 pour cent de la moyenne pondérée de la valeur FOB des exportations de grumes, et que le taux de recouvrement des taxes soit à la même date de 50 pour cent, les recettes devraient être suffisantes pour couvrir non seulement le coût de l'aménagement des forêts de production, mais la totalité des dépenses du Service forestier (Grut, 1989).

La taille et la durée des concessions forestières sont des facteurs essentiels pour déterminer l'intérêt du concessionnaire à l'aménagement de la forêt, et sa capacité de le réaliser. Le morcellement des concessions au Ghana a fait l'objet de critiques antérieures (Asabere, 1987), et des suggestions présentées dans le cadre du Projet d'aménagement des ressources forestières de fixer la taille minimale à 10 000 hectares, et la durée à 50 ans, sont actuellement étudiées par les autorités étatiques. Parallèlement, on examine la possibilité de faire jouer davantage les lois du marché dans l'attribution des concessions, d'en tirer le meilleur prix possible, et de relever le loyer des concessions. Ce dernier point pourrait avoir une influence particulière vis-à-vis des objectifs de conservation, notamment de conservation in situ des ressources génétiques. On a suggéré par exemple de fixer un taux plus élevé de loyer des concessions déterminé à l'aide d'une formule faisant intervenir les valeurs FOB pondérées, moins les coûts d'abattage, d'extraction, etc. et un bénéfice normal. Le concessionnaire pourrait par la suite solliciter le remboursement d'une partie des redevances payées en fonction des frais engagés dans des travaux d'aménagement et de conservation. Ces derniers apparaîtraient alors au concessionnaire comme une source possible de revenus (Grut, 1990). Ces réformes de niveau et de collecte de taxes forestières pourraient avoir également pour effet d'améliorer les rendements et réduire les pertes de bois tant en forêt que lors de la transformation industrielle (Asabere, 1987; Chachu, 1989). Le Gouvernement du Ghana a constitué un comité spécial chargé d'évaluer les mesures propres à améliorer la gestion forestière et la productivité de l'industrie du bois; il aura pour tâche de réviser la taille et autres aspects des concessions forestières.

Le Ghana avait précédemment fixé des redevances différentielles pour 50 essences. La nouvelle taxation actuellement mise en place comportera des hausses bien plus importantes pour les essences les plus recherchées et qui sont par suite en danger de disparaître que pour celles qui sont actuellement délaissées. Cela aura une incidence importante sur la conservation des ressources génétiques des principales essences commerciales. Toutefois une telle action ne saurait être efficace si elle était isolée; en effet, de nombreuses essences secondaires ont une durabilité naturelle plus faible et requièrent par conséquent un soin particulier pour assurer que les grumes ne restent pas sur le parterre de coupe et que leur bois fasse l'objet d'un séchage et de traitements de préservation appropriés. On pourra assurer des débouchés plus rémunérateurs pour ces essences secondaires grâce à leur transformation locale (Asabere, 1987; Ofosu-Asiedu et Ampong, 1990; Parant, 1990), pour laquelle des investissements en équipements, infrastructures et formation pourront être nécessaires. Le Ghana encourage une transformation plus poussée des bois, et la part des exportations de grumes dans le total des volumes exportés est tombée de 63 pour cent en 1988 à 53 pour cent en 1989 et 42 pour cent en 1990. Cependant, en 1989, moins de 6 pour cent en valeur des exportations de produits forestiers du Ghana avaient subi une transformation allant au-delà de bois débités séchés à l'air (OIBT, 1990).

La promotion de l'exploitation d'essences secondaires entraîne par ailleurs des considérations importantes d'aménagement et de sylviculture, ainsi que des préoccupations écologiques, que nous examinerons ci-dessous. Cependant, les résultats de l'inventaire forestier effectué indiquent clairement la nécessité d'une exploitation durable maximale des essences secondaires actuellement délaissées, tout en réduisant la pression sur les peuplements et les ressources génétiques des essences principales. Cette constatation est en accord avec l'idée nouvellement admise que la commodité d'exploitation et la demande de l'industrie ne doivent pas être les seuls critères de l'aménagement forestier (Chachu, 1989), mais que les redevances d'abattage, les limites de dimensions et autres mesures de contrôle doivent traduire les différences écologiques entre essences du point de vue de la régénération et de la croissance, tout autant que la valeur finale des bois (Hawthorn, 1990b). On a de nombreux témoignages du caractère éphémère de classifications fondées uniquement sur l'acceptation des marchés et l'estimation du prix des bois.

6.8 Inventaire forestier

Le premier recensement des ressources forestières du Ghana fut effectué en 1908, et le premier Inventaire forestier national date de 1947, et porte sur 1 290 miles carrés (334 000 ha) de forêt (Logan, 1947). Cet inventaire et ceux qui l'ont suivi entre 1952 et 1973 s'intéressaient surtout aux essences marchandes à l'époque, dont seulement 26 essences principales étaient reconnues, en comparaison de 334 “essences secondaires” (FAO, 1985a). En 1985, un nouvel Inventaire forestier national fut démarré, principalement aussi pour fournir une estimation du volume total de grumes marchandes, en raison de la crainte que la demande d'une industrie forestière rénovée n'excède la possibilité en rendement soutenu de la forêt. Cependant, on y avait inclus des objectifs plus larges, en vue de fournir l'information nécessaire pour l'aménagement forestier et d'évaluer la productivité biologique et la situation écologique de la forêt, en incluant la collecte de données sur les produits forestiers autres que le bois et sur les plantes herbacées et la faune (Adlard, 1990).

Pour répondre à l'objectif principal, il fut procédé à un échantillonnage aléatoire stratifié sur 546 000 hectares dans 43 réserves forestières. La stratification s'appuyait sur la prospection écologique et la classification de Hall et Swaine (1981). Outre les mesures de diamètres pour l'estimation des volumes, l'inventaire comportait une appréciation de la forme et de la qualité des arbres, ainsi qu'une classification des cimes, des observations sur l'exploitation forestière, les feux, etc. Environ 420 essences furent recensées, et groupées en trois classes en fonction de leur acceptation sur les marchés, de leur taille et de leur abondance:

Classe I:Essences exportées du Ghana au moins une fois dans la période 1973–1988, comprenant toutes les essences principales plus certaines essences secondaires faisant l'objet d'une promotion active en vue de leur exportation (total 66 essences).
Classe II:Essences atteignant 70 cm de diamètre (taille marchande) et présentes à raison d'au moins l arbre par km2, mais n'ayant jusque là pas été exportées (total 58 essences).
Classe III:Toutes autres essences, non considérées comme ayant un potentiel de production ligneuse.

Toutes les données ont été enregistrées sur ordinateur, et elles constituent une importante base de données sur la présence et la répartition des essences (Wong, 1989).

Le volume brut total de bois sur pied de dimension exploitable a été estimé à 102 millions de m3 pour l'ensemble du pays, composés surtout d'essences de Classe I. Cependant la majeure partie de ce volume s'est avérée être constituée par les essences les moins recherchées, tandis que le volume des essences marchandes traditionnelles est très limité et constitué essentiellement d'une essence, Triplochiton scleroxylon (Obeche), qui bien que faisant l'objet d'une demande constante n'a pas une valeur propre très élevée. Il apparaît que l'exploitation actuelle de la plupart des principales essences marchandes excède de loin la possibilité en rendement soutenu et que les ressources actuelles d'arbres de dimension exploitable seront rapidement épuisées. Les méliacées de valeur (Entandrophragma angolense, E. cylindricum, E. utile, Khaya grandifoliola, K. ivorensis, K. anthotheca) ainsi que l'Iroko (Chlorophora excelsa) seront sans doute épuisés d'ici 20 à 30 ans au rythme actuel d'abattage. Parmi les essences les plus précieuses, on estime que les réserves d'Afrormosia (Pericopsis elata) n'iront pas au-delà de 3 ans ou même moins (Alder, 1989). Le calcul de la durée de vie des ressources ne peut être qu'approximatif; il consiste à diviser les ressources existantes par le prélèvement annuel, et si ce dernier s'accroissait la durée de vie serait encore diminuée.

La conclusion est évidente: l'avenir de l'industrie du bois au Ghana est conditionné par un changement rapide et important vers la mise sur le marché d'essences actuellement sous-utilisées de la Classe I. Cela pourrait se réaliser par la promotion de 10 à 15 pour cent sans doute des quelque 50 essences à présent sous-exploitées, en s'appuyant surtout sur celles qui sont bien représentées en forêt, tout en poursuivant l'exploitation de Chlorophora excelsa. Si l'on y parvient tout en exerçant un contrôle efficace pour limiter l'abattage des essences principales à la possibilité réelle, afin de permettre à leurs populations de se reconstituer entre deux passages de coupe, il n'y a pas de raison pour que les ressources génétiques de ces essences soient menacées à long terme. Toutefois leur existence future dépendra évidemment d'une action positive à cet égard.

Les données sur la croissance, en vue de l'estimation des taux d'accroissement, ont été fournies par des mesures portant sur environ 11 000 arbres dans 256 parcelles d'échantillonnage permanentes. L'élaboration d'un modèle de simulation de croissance pour les forêts du Ghana (GHAFOSIM) est en cours (Alder, 1989; 1990), et elle sera aidée par l'accumulation progressive de données provenant d'un nombre considérablement accru de parcelles d'échantillonnage permanentes, dans lesquelles tous les arbres de toutes essences de plus de 10 cm de diamètre sont mesurés, ce qui fournira une connaissance bien plus complète de la dynamique de la forêt. Il est évident que l'on ne peut appliquer une stratégie d'aménagement unique de manière satisfaisante à toutes les forêts, mais que pour lier efficacement production et conservation il faudra prendre des décisions distinctes pour l'aménagement de chaque réserve ou concession forestière, dans le cadre général de la diversité génétique de l'ensemble des forêts.

6.9 Fixation de priorités

La conservation des essences principales d'intérêt économique est évidemment une priorité élevée, et il apparaît qu'elle sera conditionnée par le développement de débouchés pour les essences à présent peu utilisées. Cependant la conservation de la variation intraspécifique de ces essences est également une préoccupation majeure, et elle comporte le maintien de populations viables de provenances génétiquement distinctes. En l'absence de preuves directes de différences entre provenances fournies par des essais de terrain ou des études d'isoenzymes, le meilleur guide est sans doute l'examen de la variation des conditions écologiques. Celle-ci peut être déterminée directement à partir des variables écologiques, ou indirectement par la répartition de la végétation. La manière dont la variation au niveau de la population pour chaque espèce reflète le modèle de variation dans l'ensemble de la communauté végétale est évidente dans de nombreux cas (Okafor, 1975; Hall et Swaine, 1981). Cette hypothèse est reconnue dans la prospection botanique effectuée en association avec l'Inventaire forestier national en cours (Hawthorn, 1991).

L'objet de cette prospection botanique est d'élaborer une base de données informatique sur la distribution des plantes vasculaires dans les forêts du Ghana, ce qui fournira une définition claire des variations floristiques importantes dans chacune des zones forestières reconnues par Hall et Swaine (1981). On révélera ainsi les modes de variation intraspécifique au niveau local et national, et la relation entre eux, ce qui aidera à définir des stratégies pour la conservation des espèces végétales d'intérêt économique.

La prospection accorde une attention particulière à la répartition des plantes et des arbres rares, pour aider directement à leur conservation. Elle reconnaît l'intérêt de combiner les informations taxonomiques, écologiques et chorologiques en vue de fixer des priorités pour la conservation de zones choisies. Une analyse préliminaire (Hawthorn, 1991) a défini trois ensembles de conditions dans lesquelles on a le plus de chances de rencontrer des plantes rares. L'un d'eux concerne les espèces de forêt sèche des plaines côtières. Cette “forêt sèche d'Afrique occidentale” se trouve maintenant sur une aire très limitée, et certaines de ses espèces sont inconnues ailleurs à l'exception de populations en Afrique orientale, tandis que d'autres sont endémiques du Ghana.

Il faut accorder une attention particulière également aux forêts de la zone de forêt de la zone de forêt sèche semi-décidue, soumises aux feux de brousse, où les espèces forestières sont particulièrement menacées. Le danger du feu pour les ressources génétiques est particulièrement aigu là où la population d'arbres semenciers se trouve très réduite et où les années de semence sont peu fréquentes, et où un feu suivant une chute de graines ou l'installation de semis peut être catastrophique. Ce pourra être le cas de Pericopsis elata, en particulier à la limite de son aire.

L'étude botanique élabore d'autre part un système de notation objective pour le classement des espèces végétales en fonction de la priorité de leur conservation. Ce classement aidera au choix des zones, par exemple au sein de forêts de production, où l'aménagement forestier devra particulièrement tenir compte de l'importance et de la nature des objectifs de conservation. La classification s'appuiera essentiellement sur l'information concernant la répartition des espèces d'après les études antérieures de Hall et Swaine (1981), ainsi que sur les observations plus générales de la Flore d'Afrique occidentale tropicale pour une vue d'ensemble, les abondantes collections des herbiers de Legon et de Kew (Royal Botanic Gardens), et les nouvelles données fournies par l'étude botanique. On aura ainsi une base qui permettra de mettre en évidence les “points chauds génétiques” dans les forêts du Ghana, en ce qui concerne les écosystèmes, espèces et ressources génétiques devant faire l'objet de conservation.

Dans la plupart des catégories de ce classement on trouve divers degrés de rareté, tant à l'intérieur du Ghana qu'à l'échelle des régions plus vastes de la Haute Guinée - dans laquelle la contribution de la flore ghanéenne est sans doute la plus importante -, de l'Afrique occidentale et de l'ensemble de l'Afrique. Cependant, du point de vue de la conservation in situ des ressources génétiques d'espèces d'intérêt économique connu, on reconnaît une catégorie distincte, qui renferme des espèces pouvant être plus ou moins communes mais fortement exploitées, et exigeant une attention et un contrôle individuel, notamment en ce qui concerne la conservation de leur variation intraspécifique. Cette catégorie groupe toutes les essences de bois d'oeuvre intensivement exploitées, les rotangs et d'autres espèces d'intérêt économique connu (exemple: Thaumatococcus daniellii, source d'agents adoucissants et autres composés organiques susceptibles d'être commercialisés). Dans cette classification, certaines espèces sont marquées d'une “étoile rouge” si, comme c'est le cas des essences à bois d'oeuvre très recherchées, une proportion importante des arbres adultes sont soumis à une forte pression du fait de l'exploitation forestière (par exemple, celles indiquées plus haut comme ayant une courte durée de vie de leurs ressources); il peut aussi être indiqué de repérer la présence d'une essence dans la forêt afin de conserver des provenances déterminées.

Un résultat pratique supplémentaire immédiat de l'étude botanique sera un rapport sur l'état actuel des aires protégées existantes et du degré de protection permis par les réserves forestières de production, avec des recommandations concernant l'aménagement forestier dans ces dernières, en particulier dans les zones sensibles et celles d'intérêt biologique exceptionnel. Cette information aidera à l'élaboration d'approches intégrées propres à concilier les objectifs de production et de conservation, dans le cadre des Unités d'aménagement forestier actuellement mises en place.

6.10 Aménagement et exploitation

Le Modified Selection System, brièvement décrit plus haut, a apparemment réussi à maintenir des niveaux satisfaisants de production ligneuse mais aux dépens du matériel sur pied d'essences principales d'intérêt économique. Les données fournies par l'inventaire en cours et le réseau renforcé de parcelles d'échantillonnage permanentes permettront à l'avenir d'élaborer des plans d'aménagement détaillés et souples séparément pour chaque unité d'aménagement (réserve forestière ou grande concession), en utilisant les modèles de simulation qui seront fournis par la poursuite du travail entrepris (GHAFOSIM). Une telle approche, susceptible d'incorporer l'information fournie par la prospection botanique et par les études écologiques sur la régénération en relation avec l'intensité, la répartition et les méthodes d'exploitation, offre les meilleures perspectives d'association de la conservation génétique avec la production, au plan tant local que national. Les possibilités d'intégration effective des objectifs de conservation et de production dans les plans d'aménagement ont été renforcées par l'introduction des Unités d'aménagement forestier (Forest Management Units ou FMU), qui regroupent les réserves de production existantes en unités de l'ordre de 50 000 hectares. Chaque FMU fera l'objet d'un plan d'aménagement, incorporant les recommandations sur la conservation de la diversité biologique et des ressources génétiques issues de l'étude botanique.

A titre de mesure transitoire, on a fixé une durée de la rotation des coupes de 40 ans, et des comptages et plans de toutes les parcelles sont entrepris en vue de déterminer la possibilité réalisable. Celle-ci est calculée pour chaque essence dans chaque parcelle par une formule simple qui prend en compte le nombre d'arbres au-dessus de la dimension minimale d'abattage, et ceux de la classe de diamètre immédiatement au-dessous qui formeront le prochain peuplement principal, en admettant un pourcentage de 30 pour cent d'arbres mûrs laissés sur pied, et de 20 pour cent de mortalité dans le peuplement résiduel à exploiter à la rotation suivante (Ghartey, 1990). A condition qu'un contrôle strict soit exercé pour prévenir les dommages inutiles aux préexistants et assurer de bonnes conditions de régénération (voir ci-dessous), et qu'un nombre suffisant de semenciers des essences économiquement importantes soient laissés sur pied là où il faut, ce régime transitoire devrait être suffisamment prudent pour éviter une nouvelle dégradation des ressources génétiques de la forêt. Cela dépendra toutefois d'une action de promotion des essences secondaires, afin de maintenir un niveau acceptable de production ligneuse tout en conservant les ressources génétiques subsistantes des essences les plus précieuses et les plus raréfiées.

En novembre 1990, les autorités ghanéennes imposèrent une taxe dite “d'amélioration forestière” (“Forest Improvement Levy”) sur les grumes exportées de six essences, complétant les interdictions d'exportation déjà en place pour 19 autres essences, dont les méliacées de haute valeur. Cette taxe a pour but de conserver les essences concernées, et de fournir des grumes pour l'industrie de transformation locale (OIBT, 1991). Le succès de ces mesures et des actions de promotion des essences secondaires aura une incidence majeure sur les possibilités d'aménagement futur.

Il faudra aussi prendre en considération, dans l'élaboration des plans d'aménagement, l'incidence d'une exploitation plus intensive sur les ressources génétiques d'essences actuellement sous-utilisées, pour chaque réserve forestière et unité d'aménagement. Cependant, l'inventaire montre que dans l'ensemble plus de 40 pour cent des volumes potentiellement exploitables d'essences de la Classe I (c'est-à-dire celles qui sont exportées peu ou prou) sont constitués par quatre essences qui restent abondantes en forêt (Ghartey, 1989). Une stratégie fondée sur la promotion de ces essences jusqu'à la limite de la possibilité annuelle réalisable, avec une contribution moindre de certaines autres essences à présent délaissées, devrait être compatible avec une gestion plus équilibrée de toutes les ressources génétiques de la forêt, pourvu que des conditions satisfaisantes soient maintenues pour la régénération.

6.11 Régénération et sylviculture

L'introduction du TSS (Tropical Shelterwood System) en 1946 représentait une tentative d'influer sur la régénération des essences relativement peu désirables par une manipulation du couvert et des opérations de dégagement, mais cette méthode fut jugée infructueuse et abandonnée au milieu des années soixante. Depuis lors, à part des tentatives de régénération artificielle par les plantations d'enrichissement, les tentatives visant à influer sur le peuplement principal par des interventions sylvicoles dans le cadre du MSS (Modified Selection System) avaient pour objet de favoriser les jeunes arbres de la classe de circonférence de 1 à 5 pieds (30 à 150 cm) par des éclaircies d'amélioration (Asabere, 1987). Néanmoins, du point de vue de l'aménagement à long terme et de la conservation des ressources génétiques des essences principales d'intérêt économique, une connaissance des effets de l'exploitation sur la composition spécifique de la régénération est essentielle.

En association avec l'Inventaire forestier national, des études de la régénération furent entreprises sur des surfaces voisines de forêt exploitée et non exploitée dans la forêt classée de Bia South (Hawthorn, 1990b), afin d'évaluer les divers effets de l'exploitation sur la structure de la régénération des essences forestières. Un objectif secondaire était de décrire l'état de l'ensemble de la végétation après le passage de la coupe, afin d'avoir une idée générale du milieu biotique dans lequel se développent les jeunes arbres. Etant donné que la forêt n'avait jamais été exploitée auparavant, et que la seule restriction intervenant dans la coupe était le respect de la circonférence minimale d'abattage, l'intensité de la coupe a été très forte dans certaines parcelles. Cependant, cet effet se limitait surtout aux essences les plus recherchées telles que Khaya ivorensis et Entandrophragma utile, tandis que de grands arbres d'essences moins recherchées étaient laissés sur pied. La coupe avait été faite dans les trois années précédant l'étude.

Les principales subdivisions des “groupes écologiques” d'essences reconnues se situaient entre les essences pionnières véritables et les pionnières de sous-étage (petits arbres et arbustes) d'une part, et entre les essences de lumière non pionnières et les essences d'ombre d'autre part, bien qu'il fût reconnu que ces divisions sont des distinctions arbitraires dans un continuum de préférences des essences. Le rapport d'étude (Hawthorn, 1990b) est détaillé et révèle une situation complexe. Néanmoins, quelques conclusions claires ont pu être tirées relativement aux effets d'une régénération précoce par semis, par exemple:

  1. La diversité spécifique d'ensemble a peu de chances d'être altérée dans un sens défavorable par une exploitation bien contrôlée, cependant on peut prévoir que l'équilibre entre les essences sera modifié à moins que des mesures spéciales ne soient prises pour l'éviter. La tendance sera à une raréfaction des régénérations de certaines essences de valeur (non pionnières), telles qu'Entandrophragma spp et Khaya spp, et à une plus grande abondance relative d'autres essences, telles que par exemple Triplochiton scleroxylon et Terminalia spp.

  2. De grandes trouées dans le couvert montrent une régénération très médiocre des essences recherchées et une faible diversité spécifique.

  3. La régénération de la plupart des essences à bois d'oeuvre, en particulier des essences non pionnières, exige le maintien de semenciers régulièrement disséminés dans la forêt, par exemple sous la forme de bouquets non exploités à l'intérieur des parcelles exploitées.

  4. Les petites trouées et les pistes de débardage contribuent à accroître la diversité spécifique d'ensemble.

On peut en conséquence énoncer quelques règles générales précises: contrôle strict des coupes, maintien de la largeur des routes et de la surface des aires de chargement au minimum nécessaire, éviter la création de larges trouées dans le couvert, assurer le maintien de semenciers régulièrement répartis à travers la forêt. Afin d'éviter les dommages à la régénération, les coupes doivent être limitées dans le temps à un seul passage de courte durée. Avec de telles dispositions il paraît y avoir peu de danger d'une perte soudaine de ressources génétiques des principales essences d'intérêt économique, et de bonnes chances de conserver un degré élevé de diversité spécifique au moins d'une large gamme d'essences de Classe I.

La menace la plus grave pour les ressources génétiques est sans aucun doute le feu, et les études faites à ce sujet permettent de penser que l'exploitation, en particulier dans les types de forêt les plus secs, rend la forêt plus sujette aux incendies (Hawthorn, 1989). Les recommandations concernant le contrôle de l'intensité des coupes sont donc encore plus importantes dans les zones sujettes aux feux de brousse.

Les résultats de ces études sont utiles et encourageants, cependant il sera nécessaire de rassembler des données plus complètes et plus détaillées à partir de l'ensemble accru de parcelles d'échantillonnage permanentes, qui pourraient aussi servir de support à des études plus détaillées sur la dynamique des populations, les systèmes et les agents de pollinisation et de dispersion des graines, et autres processus écologiques (Adlard, 1990). Ces études pourront fournir une base scientifique pour des interventions sylvicoles futures visant à influer sur la régénération et le développement de populations choisies en maintenant des degrés élevés de diversité génétique.

6.12 Biologie de la reproduction

Si l'on peut obtenir bien des informations utiles à partir d'observations phénologiques méthodiques, il est fortement recommandé d'entreprendre des études plus détaillées et plus systématiques des essences clefs telles qu'Entandrophragma spp, Khaya spp, Milicia excelsa, Pericopsis elata, qui exigent une action urgente pour conserver leurs populations. Des données sur la biologie de la reproduction, utilisées conjointement avec des informations sur la répartition des essences et les modes de variation dans chaque essence, pourront aider à déterminer l'emplacement d'aires de conservation in situ de même que des stratégies d'échantillonnage pour une conservation complémentaire ex situ. Les principes à appliquer en l'occurrence sont résumés par exemple dans Bawa et Krugman (1991). Leur application est également illustrée dans l'étude de cas sur la biologie de la reproduction et la génétique de Cordia alliodora, en Annexe 1.

6.13 Intégration et sécurité

L'élaboration de bases de données associées à l'inventaire forestier et à la prospection botanique fournissent un cadre pour élaborer un aménagement intégré des ressources génétiques, dans les aires de protection intégrale comme dans les forêts de production. Elles fournissent aussi la base nécessaire pour suivre l'évolution future de la forêt sous l'influence des régimes de coupes et d'aménagement prescrits. Il faudra toutefois que des décisions soient prises à haut niveau pour déterminer l'équilibre à établir entre exploitation forestière et conservation de la diversité biologique, afin d'assurer que le compromis nécessaire entre coûts financiers à court terme de la conservation (notamment revenus auxquels on aura pu renoncer) et les bénéfices sociaux, économiques et écologiques à long terme soit réglé dans l'intérêt de la nation, en faisant appel au besoin à une assistance internationale. Cette dernière sera vraisemblablement nécessaire en particulier pour permettre les changements indispensables dans le commerce international des bois, en s'affranchissant dans une large mesure de la dépendance actuelle vis-à-vis d'un petit nombre d'essences principales dont les ressources sont en voie de disparition grâce à la promotion d'essences secondaires, avec une transformation locale accrue et l'exportation d'éléments préfabriqués et de produits finis. Les actions à entreprendre dans ce domaine du commerce international, alliées aux investissements visant à accroître les capacités matérielles et humaines locales, détermineront la viabilité d'aménagements forestiers associant production soutenue et conservation des ressources génétiques.

BRESIL: LES FORETS D'AMAZONIE

Le bassin de l'Amazone renferme le plus vaste massif forestier du monde, dont environ 60 pour cent, soit quelque 350 millions d'hectares, sont situés au Brésil (Dubois, 1991). Environ 280 millions d'hectares sont constitués de forêts fermées pouvant produire des bois d'oeuvre et d'industrie (FAO, 1981). En même temps, ces forêts sont certainement les plus riches du monde en diversité biologique, et elles comprennent une large gamme de types de forêt. La contribution possible des forêts de production à la conservation de cette diversité biologique et des ressources génétiques forestières est par conséquent très importante.

Selon Cochrane et Sanchez (1982), environ 93 pour cent des sols du bassin de l'Amazone présentent de graves déficiences en éléments fertilisants, et bien que la moitié sans doute des sols de cette région aient de bonnes caractéristiques physiques et puissent supporter une agriculture ou un pâturage permanent moyennant des apports suffisants d'éléments nutritifs et une gestion prudente, ils sont susceptibles de se dégrader rapidement après défrichement de la forêt existante. En outre certaines études ont indiqué l'interdépendance entre le cycle hydrologique local et le couvert forestier (Salati, 1987), et on a émis l'opinion que, pour sauvegarder le climat local et régional jusqu'à ce que cette relation soit mieux connue, environ 80 pour cent de la région devraient être maintenus sous couvert forestier.

En dépit d'une immigration récente en Amazonie à partir d'autres régions du Brésil, la densité de population y reste faible, et plus de 40 pour cent de la population du Brésil est concentrée sur 10 pour cent du territoire national dans le sud-est du pays. Néanmoins les pressions s'accroîtront inévitablement sur les terres actuellement boisées de l'Amazonie, et il est essentiel de définir des systèmes stables de mise en valeur des terres qui soient compatibles avec le maintien nécessaire d'un couvert forestier sur de vastes surfaces en raison de son influence sur les conditions de milieu. Il est encore possible de mettre en place des modes d'utilisation des terres qui assurent un aménagement durable optimal des forêts naturelles tout en conservant la riche diversité biologique de la région. Cela exigera une planification et une mise en valeur intégrées des aires protégées et des forêts de production, ces deux modes d'utilisation des terres contribuant à leur manière aux objectifs de conservation et de mise en valeur.

7.1 Cadre juridique

La Loi forestière de 1965 prévoit la création de réserves pour des objectifs tant de protection que de conservation. Dans son Article 5, elle ordonne la création de:

  1. Parcs nationaux, parcs d'Etat et de municipalités et réserves biologiques, en vue de protéger des caractéristiques naturelles et des paysages, une flore et une faune d'intérêt exceptionnel, et de concilier cette protection avec des objectifs éducatifs, récréatifs et scientifiques.

  2. Forêts nationales et forêts d'Etat et de municipalités, en vue d'objectifs économiques, techniques et sociaux, comprenant éventuellement le reboisement.

En ce qui concerne plus particulièrement les forêts d'Amazonie, la Loi forestière préconise que leur exploitation soit soumise à des contraintes techniques et à des plans d'aménagement.

D'autre part, la Loi de 1967 sur la protection de la faune prévoit des réserves nationales et des réserves d'Etat et de municipalités, et la Loi de 1981 pour une politique nationale de l'environnement prévoit la création de stations écologiques et d'aires de protection de l'environnement. La Constitution fédérale de 1988, en vertu du droit du peuple à un environnement écologiquement stable, prescrit aux administrations publiques d'assurer une bonne gestion des écosystèmes, et la préservation de la diversité et de l'intégrité du patrimoine génétique de la nation. Elle déclare en outre la forêt amazonienne, la forêt atlantique et trois autres régions domaine national, avec des limitations à leur exploitation, afin de garantir la préservation de l'environnement (Schubart, 1990).

La principale catégorie juridique de réserves qui offre les meilleures possibilités d'association de l'aménagement et de la production ligneuse et celle d'autres produits avec la conservation des ressources génétiques in situ est la Forêt nationale. Elle correspond approximativement à la Catégorie VIII de l'UICN (Régions naturelles aménagées à des fins d'utilisation multiple/Zones de gestion des ressources naturelles), et a essentiellement pour objet l'exploitation durable et l'aménagement de la forêt, en vue principalement de la production de bois et d'autres produits forestiers, en même temps que le maintien des fonctions de la forêt en ce qui concerne les ressources en eau et la conservation de la diversité biologique, de la flore et de la faune, dans la mesure où elles sont compatibles avec les objectifs principaux de production. Une recherche scientifique et technique appropriée, et un suivi écologique, sont également envisagés. Le critère fondamental pour la sélection d'une zone comme Forêt nationale est son potentiel de production soutenue de bois et autres produits forestiers. S'il y existe des espèces rares, endémiques ou menacées d'extinction susceptibles de souffrir de l'exploitation, d'autres catégories de réserves plus restrictives sont recommandées comme étant plus appropriées (Padua, 1989). Il y a eu un accroissement marqué dans le nombre de Forêts nationales au Brésil au cours des trois dernières années, en particulier dans la région amazonienne, où Schubart (1990) en note 24 à fin 1990, couvrant une superficie totale de plus de 12,6 millions d'hectares.

Les Réserves de cueillette sont l'autre grande catégorie où la production de la forêt peut être associée à la conservation des ressources génétiques. Selon Padua (1989), elles ont pour objet de répondre aux besoins de groupes sociaux qui sont tributaires de la cueillette de produits forestiers pour leur survie, et qui les récoltent de manière régulière selon leurs pratiques traditionnelles et dans le respect des plans d'aménagement établis. Des objectifs secondaires sont la conservation de la diversité biologique, et la contribution possible aux objectifs d'éducation et de suivi scientifique et écologique. Selon cette interprétation l'extraction de bois est expressément exclue. Les produits forestiers extraits des réserves de cueillette, telles qu'on les conçoit au Brésil, sont principalement le latex d'hévéa et la noix du Brésil, cependant on y trouve aussi une grande variété d'autres fruits, de fibres, etc.

Afin de fournir à cette notion de réserve de cueillette une base juridique, l'ancien Institut national de la colonisation et de la réforme agraire (INCRA) avait promulgué en juillet 1987 un décret qui fournissait des directives pour la mise en place de réserves de cueillette en tant que mode de réforme agraire dans la région amazonienne (Allegretti, 1990). Ce décret fait appel à la notion de concession d'utilisation, transférant l'exploitation des réserves de l'Etat aux usagers pour une durée minimum de 30 ans, moyennant des règles précises d'exploitation. Il établissait d'autre part un mécanisme par lequel l'Etat pouvait jouer un rôle de médiateur entre les habitants de la réserve et des intérêts économiques extérieurs. L'administration des réserves de cueillette de ce type se fait par un groupe élu par les habitants, sous la forme de coopérative ou d'association, évitant ainsi le partage des terres en propriétés privées distinctes. Selon Schubart (1990), le statut juridique des réserves de cueillette demande encore à être définitivement arrêté, mais des mesures ont été prises au titre de la Politique nationale de l'environnement (janvier 1990) en vue de créer des réserves de cette nature. Dans le cas où des réserves de cueillette seront créées au sein de forêts nationales, on pourra envisager un statut juridique combinant leur utilisation traditionnelle avec l'extraction sélective de bois.

Les principales catégories de réserves constituant le réseau d'aires de protection intégrale au Brésil sont les Parcs nationaux (Catégorie II de l'UICN), les Stations écologiques, les Réserves écologiques, les Réserves biologiques (entrant toutes trois dans la Catégorie I de l'UICN), et les Aires de protection de l'environnement (mêmes objectifs que la Catégorie V de l'UICN, mais faisant expressément mention de la diversité biologique). Toutes ces réserves ont leur importance pour la conservation des écosystèmes, des espèces et des ressources génétiques. En outre les Refuges de vie sauvage et les Réserves de faune peuvent accessoirement contribuer à la protection des ressources phytogénétiques.

7.2 Fixation de priorités

Le Premier Séminaire international sur l'aménagement des forêts tropicales qui s'est déroulé en 1985 au Brésil, en soulignant la “nécessité de maintenir et préserver la diversité biologique dans toute action entreprise en Amazonie”, avait attiré particulièrement l'attention sur l'importance d'une meilleure connaissance de la dynamique de la forêt et des interactions dans des processus tels que dispersion des semences, pollinisation, systèmes de régénération, etc. (Siqueira, 1989). Il avait également souligné l'importance d'une classification typologique et d'une zonage des forêts en vue des objectifs de production et de conservation. Les principes entrant en jeu avaient déjà été discutés antérieurement, et en particulier la nécessité capitale de recueillir des données sur la variation et les modes de variation dans les espèces et les populations, ainsi que sur l'auto-écologie et la biologie de la reproduction, pour servir de base aux actions visant à la conservation in situ des ressources génétiques d'espèces prioritaires. Par comparaison avec d'autres régions néotropicales, l'Amazonie brésilienne a fait depuis longtemps l'objet de prospections botaniques et d'importantes récoltes de spécimens, conservés dans divers herbiers (Daly et Prance, 1989). Néanmoins l'échelle des inventaires nécessaires pour établir et interpréter les modes de distribution des communautés, des principales essences forestières et de leur variation intraspécifique probable en rapport avec les conditions écologiques actuelles et leur évolution passée, est à elle seule très vaste.

La surface totale de forêts classées dans toutes les catégories de réserves en Amazonie brésilienne est sans doute de l'ordre de 5 pour cent des surfaces totales de forêts de cette région. L'emplacement, la taille individuelle et la forme des aires protégées sont certes plus importants que les chiffres de pourcentages, mais il est manifeste qu'il y a place pour un nombre important de réserves supplémentaires, étant donné les limitations des sols et l'importance écologique reconnue du couvert forestier. En même temps, pour assurer une sécurité à long terme, face à une pression démographique croissante, il sera nécessaire de créer des unités d'aménagement polyvalent - qui seront principalement des forêts nationales et des réserves de cueillette - susceptibles de contribuer à la conservation in situ des ressources génétiques et de compléter les actions menées dans les aires de protection intégrale. Etant donné que la plus grande partie du biome de la forêt amazonienne est encore intacte pour l'essentiel, il est possible de planifier le réseau de réserves de production et d'aires de protection totale d'une manière intégrée, afin d'utiliser de la manière la plus efficace les terres et les ressources consacrées à l'aménagement et à la protection. C'est un aspect important du classement par zones mentionné par Padua (1989).

La cartographie de la végétation du Brésil a été entreprise de longue date, mais l'utilisation de différents systèmes de classification a introduit une certaine complication. La connaissance de l'Amazonie a considérablement progressé dans les années 70 avec l'utilisation d'images radar dans le “Projeto RADAM”, et les cartes produites, bien que purement physionomiques, sont extrêmement détaillées. Cette information a été utilisée pour la carte la plus récente de la végétation de l'Amazonie (Prance et Brown, 1987), qui reconnaît quatre principaux sous-types de forêt ombrophile dans les zones de “terra firma” (environ 53 pour cent de la région), ainsi que divers types de forêts tropophiles de transition, savanes et savanes boisées, forêts sur sols de sable blanc, divers types de forêts inondées, etc.

Prance (1977; 1982) attire l'attention sur les centres d'endémisme que l'on pense avoir été des refuges isolés pour la flore de forêt tropicale humide durant les périodes plus froides et plus sèches liées aux glaciations du pléistocène. Si la théorie des refuges en tant que moyen d'étude des modèles actuels de diversité et de la répartition des espèces peut être contestée, on est généralement d'accord sur la localisation des centres d'endémisme.

Un premier pas important dans l'élaboration d'un plan pour le choix des sites de conservation sur l'ensemble du pays a été franchi en 1982, avec la publication du Plan du système d'unités de conservation du Brésil (IBDF, 1982). Ce plan n'a toujours pas été mis en oeuvre dans un ensemble cohérent, mais l'information qu'il contient reste valable et utile. En ce qui concerne la région amazonienne un nouveau pas a été franchi avec le Colloque sur les zones prioritaires pour la conservation dans le bassin de l'Amazone, qui s'est tenu en janvier 1990 à Manaus (Rylands, 1990; Prance, 1990). Cette réunion a produit la première ébauche d'une carte couvrant la totalité du bassin de l'Amazone et montrant 94 zones prioritaires proposées, avec trois degrés de priorité pour la conservation. Le choix définitif de ces zones a été arrêté après discussion entre la centaine de chercheurs participants, qui ont travaillé initialement en petits groupes de spécialistes (systématique végétale; écologie végétale; mammalogie; ornithologie; herpétologie; ichthyologie; entomologie; géomorphologie et climatologie; unités de conservation). Les botanistes et les zoologistes regroupèrent ensuite les données fournies par leurs différents groupes de spécialistes en une première proposition pour le choix d'emplacements, tandis que les données de géomorphologie et de climatologie servirent à distinguer les sols et les écosystèmes fragiles ayant le plus besoin de protection. Enfin, les priorités botaniques et zoologiques furent réunies en une synthèse qui servit à dresser une ébauche de carte. Il faut encore beaucoup de travail complémentaire dans ce domaine pour choisir l'emplacement précis des aires protégées et des forêts de production aménagées à des fins multiples, et dans lesquelles les besoins de conservation seront pleinement pris en compte. Cette tâche pourra être progressivement aidée par les données qui seront fournies par une étude en cours sur la “Dynamique biologique des îlots forestiers” au nord de Manaus.

Bien que fondée sur des sources d'information limitées et inégalement réparties, cette fixation initiale de priorités présente le grand avantage de porter sur toute une région et elle pourra servir de cadre de départ pour des études plus détaillées. Elle fournit d'autre part une orientation pour l'attribution de priorités pour les objectifs de conservation dans les réserves de production existantes.

7.3 Choix d'aménagement

Les premières tentatives d'aménagement des forêts naturelles en vue de la production soutenue de bois en Amazonie brésilienne sont relativement récentes. Des expérimentations sylvicoles débutèrent en 1957 en forêt tropicale humide à Curua-Una près de Santarém (Etat de Pará). Elle comprenaient des coupes expérimentales et des études de la régénération à petite échelle, et les essais alors mis en place sont toujours suivis. En 1972, des actions d'aménagement démarrèrent dans une deuxième zone, classée en 1974 sous le nom de Forêt nationale des Tapajós (600 000 ha) et, à la suite d'études et avec une assistance de la FAO, un plan d'aménagement complet fut élaboré, envisageant des coupes de jardinage, avec une révolution de 70 ans fondée sur la régénération naturelle, et une composante importante de plantations en lignes, à exploiter à l'âge de 35 ans (UNDP/FAO, 1980). Le but était de permettre la coupe de 1 000 hectares par an, mais les conditions du marché, très affecté par la récession économique du début des années 80 et par la disponibilité de grumes pratiquement gratuites provenant de grands défrichements dans d'autres régions, a empêché l'application de ce plan. Cependant la forêt a été bien protégée, et on a entrepris des études qui, associées à l'inventaire et aux études intensives entreprises au début, amènent à envisager l'adoption d'un aménagement polycyclique, avec une rotation des coupes de 30–35 ans. Le plan d'aménagement prévoyait la constitution de réserves biologiques et des études phénologiques, ainsi que la mise en place de 48 parcelles d'échantillonnage (Carvalho et al., 1984); d'autre part, on a étudié la répartition de 11 essences principales et la régénération de 106 essences forestières.

La régénération dans la forêt de Tapajós est généralement encourageante, et elle est souvent abondante, notamment celle des essences colonisatrices à bon bois et à croissance rapide telles que Vochysia maxima, après une ouverture du couvert (Viana, 1990). L'OIBT, en réponse à une demande des autorités brésiliennes visant à établir un modèle de démonstration d'aménagement forestier dans la région, fournit une assistance pour une exploitation contrôlée dans la Forêt nationale de Tapajós, afin de permettre des études pilotes de méthodes d'aménagement et de sylviculture à une échelle opérationnelle, concurremment avec une poursuite de la recherche sur l'écologie et la dynamique de la forêt. Une proposition de recherche associée prévoit la désignation et la protection de peuplements semenciers d'essences importantes dans la forêt naturelle, qui couvre une vaste surface en Amazonie, en collaboration avec diverses organisations, comme sources de semences pour de futures plantations d'enrichissement.

Parallèlement à l'étude des méthodes d'aménagement forestier lié à des objectifs de conservation génétiques dans des zones déterminées, il faudra des recherches sur la diversité génétique et les systèmes génétiques chez un certain nombre d'essences. Cela s'applique par exemple à Swietenia macrophylla (Mahogany), qui est semble-t-il menacé par les coupes sélectives en dehors des forêts classées, ayant un effet dysgénique. Parmi les autres essences qui devront sans doute faire l'objet d'une action prioritaire dans ce domaine on note Aniba rosaeodora (Bois de rose femelle), qui été soumis à une exploitation intensive pour son huile essentielle, et qui semble présenter des différences chimiques selon les provenances. En ce qui concerne la conservation in situ des ressources génétiques forestières, le réseau de Réserves génétiques établi dans le domaine forestier du Jari, avec les études entreprises sur la phénologie, l'écologie, la régénération et la mortalité, devrait fournir des données supplémentaires précieuses.

7.4 Forêt secondaire et produits forestiers autres que le bois

Si l'approche scientifique de l'aménagement des forêts naturelles en vue de la production ligneuse est relativement récente et reste à une échelle limitée, en revanche il existe d'autres modèles traditionnels d'aménagement, y compris la conduite et l'exploitation des essences à bois d'oeuvre, qui peuvent être incorporés dans un ensemble de conservation des ressources génétiques. Les forêts secondaires sont maintenant très répandues dans les zones récemment colonisées d'Amazonie et, bien qu'étant souvent considérées comme des exemples de terres abandonnées après la culture itinérante ou de pâturages dégradés, elles sont en fait exploitées par de nombreuses communautés rurales (Dubois, 1990). Certaines de ces forêts renferment une forte proportion d'essences d'intérêt économique, quoique l'exploitation sélective des parties les plus accessibles le long des cours d'eau ait sérieusement appauvri leurs populations, avec sans doute des effets dysgéniques. Dubois (1990) propose des plantations d'enrichissement, associées à la conduite des régénérations naturelles, afin d'intensifier la production de diverses espèces ligneuses en association avec des cultures dans des systèmes agroforestiers dominés par les végétaux pérennes. Moyennant un choix attentif des sources de semences et des pratiques d'aménagement, de tels systèmes pourraient contribuer à la conservation in situ ainsi qu'au maintien du couvert forestier et aux moyens d'existence de la population locale.

Ce sont sans doute les communautés autochtones, récoltant en forêt surtout des produits autres que le bois, qui ont la plus longue expérience en matière de gestion forestière en Amazonie. Les groupes d'Indiens et de caboclos (métis indiens vivant dans les plaines inondables) ont une connaissance intime des ressources forestières dont dépend leur survie (Parker et al., 1983; Anderson, 1990). Les réserves indigènes peuvent contribuer à la conservation in situ de certaines essences forestières, mais en outre les pratiques traditionnelles de récolte de “menus produits” forestiers pourraient être incorporées dans l'aménagement des Forêts nationales et des Réserves de cueillette, en offrant la possibilité de maintenir une base plus large de diversité spécifique dans les systèmes de production.

7.5 Information, recherche et coordination

La fixation de priorités et la coordination de la recherche sont essentielles pour concentrer les ressources là où elles sont le plus nécessaires, c'est-à-dire dans les zones pouvant être aménagées de manière productive et sur les centres de diversité et d'endémisme les plus menacés. C'est pourquoi l'association de Réserves biologiques et de Stations écologiques aux nouvelles Forêts nationales, en prévoyant, préalablement à l'élaboration des plans d'aménagement et à l'exploitation de la forêt, des actions de recherche sur l'écologie, la phénologie et la dynamique de la forêt en rapport avec les objectifs de sylviculture et de conservation, sera vraisemblablement le mieux à même d'appuyer les actions de conservation in situ. Un exemple de cette stratégie est fourni par la récente mise en place d'une Réserve biologique destinée à la recherche scientifique sous l'égide du Museu Goeldi à Belém, en association avec la Forêt nationale de Caxiuaná.

Tout aussi importante est la mise en place de banques de données informatiques afin de faciliter l'enregistrement et la recherche d'information sur la répartition des espèces, ainsi que de données correspondantes d'ordre écologique et autres portant sur la nature et l'utilisation future du matériel génétique. Un bon exemple au Brésil, quoique se situant en dehors de la région amazonienne, est le programme coopératif proposé dans le cadre du Projeto Nordeste en vue d'un inventaire botanique dans neuf Etats du Nord-Est du Brésil. Ce programme devrait comporter une collaboration entre au moins une dizaine d'herbiers, centres de recherche et universités, avec la participation des Royal Botanic Gardens de Kew (Royaume-Uni), dont la Base de données sur la biodiversité constituera un lien de coordination. Le même principe devrait permettre l'élaboration progressive des données nécessaires pour la planification de la conservation in situ des ressources génétiques forestières dans la région amazonienne. La participation de grands centres brésiliens de recherche scientifique en dehors de cette région, tels que les universités de São Paulo et de Rio de Janeiro, comme cela a été recommandé (Daly et Prance, 1989), pourra aussi être facilitée par de tels mécanismes de coordination.

Les compétences humaines sont l'élément le plus indispensable pour rassembler et interpréter les données nécessaires en vue de programmes de conservation coordonnés et efficaces. En raison de l'intérêt scientifique intrinsèque de la région amazonienne, il est possible d'y attirer de nombreux experts internationaux et des fonds pour financer des expéditions et des inventaires, menés en collaboration avec des chercheurs brésiliens. A titre d'exemple, les recherches entreprises en 1987–88 à la Station écologique de Maracá, à l'invitation du Secrétariat brésilien à l'environnement, ont mobilisé 148 chercheurs et 55 techniciens et ont conduit à la collecte de données concernant de nombreuses espèces nouvelles et à l'élaboration de l'étude la plus complète à cette date sur une zone de forêt du nord de l'Amazonie (Hemming, 1989). De tels projets en collaboration offrent aussi des possibilités de perfectionnement pour les chercheurs locaux, tant par association directe sur le terrain avec d'autres spécialistes que par les stages d'études supérieures proposés dans le cadre des programmes.

La coordination institutionnelle dans le choix des zones et des sujets de recherche coopérative et la coordination des actions en fonction des priorités nationales sont d'importance primordiale afin d'assurer le meilleur usage des ressources disponibles. En raison de la vaste étendue géographique de l'Amazonie brésilienne, qui couvre plusieurs Etats, et du grand nombre d'institutions de recherche et autres organisations susceptibles d'intervenir utilement, une telle coordination centrale sera essentielle au succès de la stratégie d'ensemble de conservation in situ des ressources génétiques forestières dans cette région.

INDE: LES FORETS DES GHATS OCCIDENTAUX, ETAT DE KARNATAKA

8.1 Politique nationale

Le classement et l'aménagement des forêts du sous-continent indien, comportant des plans d'aménagement fondés sur des inventaires et des études de croissance et de rendement, ont débuté il y a plus de 100 ans.

La notion d'aires protégées remonte en Inde à une époque bien plus ancienne, au moins au 4ème siècle av. J.-C. avec la proposition de création de réserves forestières appelées Abhayaranyas (Singh, 1985). Cependant, dans les temps modernes, la population humaine a plus que triplé depuis la création du réseau existant de réserves forestières, et le cheptel a été multiplié par 2,5 (Shyamsunder et Parameswarappa, 1987, dans UICN, 1991b). L'Inde renferme maintenant 15 pour cent de la population du globe, avec un taux d'accroissement démographique estimé à 2 pour cent par an; elle devrait atteindre 1,4 milliard d'habitants en 2025 (WRI, 1990). En raison de la pression démographique croissante et des exigences du développement économique, en particulier dans la période de 1950 à 1980, l'Inde a vu disparaître une grande partie de ses forêts tropicales. En 1952, la Politique forestière nationale révisée prescrivit le maintien d'un tiers du territoire national à l'état boisé, et cela reste un des objectifs de la nouvelle révision de 1988, qui insiste encore davantage sur le rôle des arbres dans l'utilisation des terres, tant à l'intérieur qu'au dehors des réserves forestières. Alors que les politiques et les programmes antérieurs mettaient l'accent sur la satisfaction des besoins de matière première des industries du bois, la politique de 1988 donne priorité à la conservation de l'environnement et aux besoins des populations locales. Une meilleure utilisation des vastes surfaces de terres dégradées résultant du déboisement et d'une mauvaise utilisation antérieure a été déclarée action prioritaire dans les programmes tant nationaux qu'à l'échelon des Etats. La création en 1985 du National Wasteland Development Board a fourni un centre de coordination pour le programme de reboisement massif (objectif environ 9 millions d'hectares au cours du Septième Plan quinquennal) en vue de la production de bois de feu et de fourrage. Grâce à la réorganisation de la recherche et de la formation forestières, l'accent a été mis sur la foresterie sociale et communautaire et sur le reboisement, en accord avec la Politique forestière révisée. En même temps, le rythme du déboisement a été notablement réduit, et les actions de conservation renforcées.

La protection de la faune sauvage est également une tradition ancienne en Inde, et en 1988 il y avait 65 parcs nationaux et 407 sanctuaires de faune, couvrant 131 800 km2 soit 4,4 pour cent du territoire national (UICN, 1991b), bien qu'une proportion importante n'eût pas encore de statut légal définitif. Le réseau de 16 réserves de tigres, qui couvre 26 000 km2 et comprend des surfaces importantes de forêt tropicale humide, est reconnu internationalement comme un exemple de conservation très réussi. Néanmoins d'importants problèmes subsistent avant de pouvoir assurer un réseau national efficace d'aires protégées pour la conservation de la diversité biologique et des ressources génétiques. Afin de compléter ces aires protégées, il faudra se reposer largement sur la protection et la gestion des écosystèmes, des espèces et des ressources génétiques en dehors du réseau d'aires protégées, et en particulier dans les réserves forestières, tout en se gardant d'aggraver encore le conflit existant avec les besoins en bois de feu, fourrage et autres produits forestiers des populations rurales riveraines des réserves forestières et aires protégées. Parmi les zones les plus importantes à cet égard se situent les forêts ombrophiles tropicales subsistantes, limitées aux îles Anadaman et Nicobar, à certaines régions des Etats du Nord-Est, et aux Ghāts occidentaux en Inde méridionale.

8.2 Les forêts des Ghāts occidentaux

Les forêts des Ghāts occidentaux occupent la chaîne montagneuse qui s'étend sur 1 600 km de la pointe sud de l'Inde, parallèlement à la côte occidentale jusqu'à environ 21° de latitude nord. On y reconnaît trois grandes régions (Pascal, 1982), les parties les plus étendues et les mieux conservées de la forêt originelle se trouvant dans la région centrale, dans l'Etat de Karnataka. L'altitude varie de 700 à près de 1 900 mètres. La pluviométrie varie selon trois gradients: sud-nord, est-ouest (avec une “zone d'ombre” marquée sur le versant oriental), et en fonction de l'altitude. Les totaux annuels présentent une grande variation, mais ils sont concentrés sur quelques mois (à Agumbe, par exemple, les 7 000 mm de pluies annuelles moyennes sont concentrés sur 128 jours), avec une saison sèche de 3 mois (à haute altitude dans le sud) à 8 mois, selon les localités. Tous les grands cours d'eau du Sud de l'Inde prennent naissance dans les Ghāts occidentaux, dont l'importance écologique a été la raison principale de la délimitation, du classement et de la protection de surfaces étendues de forêts dans cette région depuis les années 1870.

En dépit du statut légal des Réserves forestières, et des efforts d'un service forestier d'Etat efficace, de grandes superficies de forêts ont fait place aux barrages, à l'extraction minière et aux cultures agricoles, notamment à d'importants empiétements illicites. Près de 60 pour cent des forêts subsistantes sont classées comme dégradées, dont une grande part gravement, mais il reste un noyau important de forêt sempervirente et semi-sempervirente (Sinha, 1988), d'une très grande importance écologique et dont on peut soutenir qu'elle est au moins aussi prioritaire, au plan mondial, que n'importe quelle autre forêt tropicale humide dans le monde. Les forêts des Ghāts occidentaux se situent entre les massifs de forêt dense africains et indo-malais, et sont isolées des régions voisines de forêt ombrophile. Bien que leur niveau de diversité biologique totale soit inférieur à celui que l'on trouve dans la plupart des autres forêts denses tropicales d'Asie, elles sont riches en espèces endémiques.

Sur les 15 000 espèces de plantes supérieures recensées en Inde, plus de 4 000 se trouvent dans les Ghāts occidentaux (5 pour cent du territoire national), et elles comprennent 1 800 espèces endémiques dont la plus grande partie dans les forêts sempervirentes subsistantes (UICN, 1991b). On trouve dans les Ghāts 130 espèces d'arbres endémiques (Bor, 1953), et six mammifères endémiques dont le macaque silène (Macaca silenus), ainsi que 84 des 112 espèces endémiques d'amphibiens de l'Inde (Inger et Dutta, 1987). En ce qui concerne les arbres et arbustes, la diversité des espèces et la variation intraspécifique, adaptées aux milieux locaux, ont manifestement une grande importance potentielle. Dans aucune autre région du monde on ne trouve de forêt ombrophile sempervirente sous un tel climat de mousson (Rai et Proctor, 1986), et l'adaptation aux conditions climatiques des populations végétales, dont de nombreux arbres intéressants, peut être encore plus précieuse dans le contexte d'un possible changement climatique.

Parmi les essences forestières les plus importantes internationalement on trouve Dalbergia latifolia (palissandre d'Asie), Calophyllum inophyllum, Pterocarpus marsupium, Tectona grandis, Terminalia crenulata, T. paniculata, et autres bois convenant à la fabrication de meubles, portes, fenêtres, menuiseries intérieures et autres applications de haute valeur. De nombreuses autres essences sont de grande importance locale pour le bâtiment, les ponts, le charronnage, les instruments agricoles, les ustensiles ménagers, etc. Par suite de la surexploitation et en particulier des coupes illicites, du surpâturage, des feux, des empiètements des cultivateurs et autres pressions exercées par une population en expansion, la surface des forêts et leur pouvoir de régénération se sont considérablement amoindris. En bordure de forêt on trouve presque autant de bovins que d'humains, et on estime qu'au moins 10 pour cent de ces animaux sont tributaires de la vaine pâture en forêt. Le pâturage en forêt avait été réglementé à l'intérieur de limites admissibles, mais aucun contrôle n'est plus possible en raison des énormes effectifs en jeu (UICN, 1991b). La réduction et l'élimination par endroits de la régénération par suite de ces pressions aura vraisemblablement un effet de plus en plus grave sur les ressources génétiques des populations d'essences forestières.

8.3 Stratégie de mise en valeur et conservation intégrées

En dépit d'une politique claire, d'une législation rationnelle et d'un service forestier efficace qui avaient réussi à protéger les réserves forestières pendant plus de 100 ans, il apparaissait que la régénération et par conséquent la survie à long terme de la forêt étaient de plus en plus compromises. Les programmes intensifs de reboisement étaient susceptibles de modérer la pression, mais il fallait en outre prendre des mesures pour conserver les écosystèmes naturels et leurs ressources génétiques uniques. En 1988, le Département des forêts de l'Etat de Karnataka présenta une proposition de projet sur la mise en valeur intégrée des forêts des Ghāts occidentaux pour tenter de concilier de manière satisfaisante les nombreuses demandes concurrentes pesant sur les forêts, la plus essentielle étant la nécessité de conserver les écosystèmes et les ressources génétiques. L'élément primordial de cette stratégie était la reconnaissance de trois ensembles d'objectifs, à savoir écologiques, économiques et sociaux (“besoins locaux”). La conservation des ressources génétiques des espèces ligneuses se rapporte de différentes manières, et à différents degrés, à ces trois groupes d'objectifs. Cependant les actions réelles nécessaires pour réaliser la conservation varieront de la protection stricte, excluant toute activité humaine, à des programmes agroforestiers. Cela implique une approche multidisciplinaire, et la reconnaissance du fait que la population locale, responsable d'une large part de la pression biotique qui s'exerce sur la forêt, doit jouer un rôle dans la planification, l'aménagement et la protection des ressources forestières. La méthode employée pour réaliser la conciliation des objectifs de mise en valeur et de conservation est désignée sous le nom de Joint Forest Planning and Management (Planification et aménagement conjoints des forêts); elle découle des techniques mises au point par le Département des forêts du Karnataka.

Les deux éléments essentiels sont les suivants:

  1. Planification conjointe - processus par lequel le service forestier et la population locale discutent ensemble de la situation écologique d'une forêt donnée et des perspectives qu'elle offre pour répondre à des besoins déterminés.

  2. Aménagement conjoint - pour certaines zones, où le service forestier et les usagers forestiers se mettent d'accord sur un partage des responsabilités de gestion et un partage des recettes. Les dispositions précises varieront d'un endroit à un autre, et selon le cas l'aménagement conjoint portera sur la totalité ou seulement sur certaines catégories d'arbres et autres plantes présentes.

Un élément clef est la division de la forêt en quatre zones, une zone supplémentaire située immédiatement en dehors de la Réserve forestière devant être aménagée conjointement pour répondre aux besoins des villages voisins. Une zone de bordure de forêt, également soumise à un aménagement conjoint avec la population locale, aura des objectifs similaires. La plus grande partie de la forêt devra être aménagée en vue de la production de bois et autres produits, et elle sera divisée en deux zones selon qu'il y a ou non des habitants vivant en forêt. Enfin un noyau central sera strictement réservé à des objectifs de conservation. Un aspect important de l'aménagement de toutes les zones où interviennent des responsabilités conjointes est l'élaboration d'accords contractuels en fonction de plans spécifiques au niveau de petites unités. La propriété des forêts et la responsabilité de l'aménagement global des réserves forestières restent entre les mains de l'Etat, par l'intermédiaire du Département des forêts, même lorsque la gestion est partagée par accord contractuel.

Les futurs plans d'aménagement seront établis par zones. Dans le noyau central ils seront orientés vers la recherche, portant sur l'auto-écologie et les relations mutuelles entre espèces ainsi que sur des études qui fourniront un étalon de comparaison avec les études de régénération, de croissance et de rendement dans les zones de production, destinées à rassembler les données nécessaires pour l'aménagement, la sylviculture et l'exploitation.

Une harmonisation satisfaisante des différents objectifs et intérêts sera conditionnée non seulement par le travail de planification et d'aménagement conjoints, mais également par l'incorporation dans l'élaboration du plan d'aménagement de nouvelles informations rassemblées en cours d'exécution et fournissant une meilleure connaissance des relations écologiques et socio-économiques, ainsi que par la réalisation et la distribution de bénéfices produits par un meilleur aménagement des ressources. Outre la recherche biologique se rapportant directement à la conservation et à l'aménagement des ressources génétiques de la forêt, il faudra aussi des recherches sur les aspects sociaux et économiques, ainsi que l'incorporation dans le programme de la formation du personnel et de l'éducation du public.

La relation conceptuelle entre la satisfaction des besoins de la population locale, la restauration et le maintien de la productivité des ressources forestières, et la conservation de la diversité génétique globale et des ressources génétiques, est illustrée par le diagramme ci-dessous.

La qualité de la collecte, du traitement et de l'analyse de données sera un élément important de la stratégie; on fera appel pour cela aux possibilités offertes par les SIG, aux bases de données taxonomiques, et si besoin est à une modélisation appropriée de la croissance, des rendements et autres caractéristiques de la production. Lorsque, en raison d'une grave diminution de la régénération des forêts, et de la nécessité de rétablir des populations viables, on prévoiera des plantations d'enrichissement et des reboisements de trouées, il faudra un choix et une documentation attentifs des sources de semences, afin de sauvegarder l'intégrité génétique des populations locales. Dans certaines circonstances, en particulier dans les zones extérieures, l'utilisation d'essences exotiques incapables de s'hybrider avec les populations indigènes pourra être recommandée. Il existe toutefois d'importantes possibilités de renforcer la conservation in situ des ressources génétiques de la forêt originelle en recourant à une régénération artificielle à partir de sources de semences locales. Pour certaines espèces, la stratégie pourra aussi comporter une conservation ex situ, peut-être en association avec le Jardin botanique de Trivandrum dans l'Etat voisin du Kerala, qui a entrepris un programme pour la conservation de plantes rares et endémiques provenant d'un certain nombre de centres d'endémisme dans les Ghāts occidentaux.


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