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L'impact de l'érosion dans différentes régions

L'érosion est un problème dont la gravité varie beaucoup d'un site à un autre.

Kanwar (1982), au congrès de l'Association Internationale des Sciences du Sol à New Delhi a montré que sur 13.500 millions d'hectares de surface exondés dans le monde, 22 % sont cultivables et seulement 10 % sont actuellement cultivés (soit 1.500 millions d'ha). Ces dix dernières années, les pertes en terres cultivables ont augmenté jusqu'à atteindre 7 à 10 millions d'ha/an, suite à l'érosion, la salinisation ou l'urbanisation. A ce rythme, il faudrait trois siècles pour détruire toutes les terres cultivables. L'érosion est donc un problème sérieux à l'échelle mondiale mais il est bien plus préoccupant dans certaines régions du monde.

Aux Etats-Unis, vers 1930, 20 % des terres cultivables ont été gravement endommagées par l'érosion suite à la mise en culture inconsidérée des prairies de la Grande Plaine par les colons européens, peu habitués à ces conditions semi-arides. C'est l'époque sombre des "dust bowl", nuages de poussières qui obscurcissaient complètement l'air dans la Grande Plaine. Ces phénomènes, impressionnant l'opinion publique, ont déterminé le Gouvernement américain à former un grand service de conservation de l'eau et des sols mettant à la disposition des agriculteurs volontaires un appui technique et financier dans chaque canton. Parallèlement, un réseau de stations de recherches a été mis en place, qui, trente ans plus tard, aboutit à la formulation de l'équation universelle de perte en terre, connue sous le nom de USLE (Wischmeier et Smith, 1960; 1978). En 1986, Lovejoy et Napier remarquent qu'après cinquante ans d'investissement massif en hommes et en moyens, encore 25 % des terres cultivées perdent plus de 12 t/ha/an, limite reconnue tolérable. Le problème reste donc à l'ordre du jour, même si aujourd'hui on s'intéresse plus à la pollution et à la qualité des eaux qu'à la conservation des sols.

En France, Gobillot et Hénin (1956) lancèrent une enquête qui permit d'estimer que 4 millions d'hectares de terres cultivées étaient dégradées par l'érosion hydrique ou éolienne. Le danger étant considéré comme limité, les crédits de recherche dans ce domaine furent peu importants. Aussi, la France ne dispose toujours pas de référentiel de lutte antiérosive, ce qui pose bien des problèmes dans le cas des études d'impact.

Pour l'ensemble de la Communauté Economique Européenne (CEE), De Ploey (1990) estime que 25 millions d'hectares ont été gravement affectés par l'érosion. La France totaliserait 5 millions d'hectares et le coût des nuisances occasionnées par l'érosion s'élèverait à 10 milliards de FF., sans compter la valeur intrinsèque des sols perdus, difficilement chiffrables.

Des chiffres bien plus dramatiques donnèrent l'alarme dans les pays tropicaux. Combeau, en 1977, rapporte que 4/5 des terres de Madagascar sont soumises à l'érosion accélérée; 45 % de la surface de l'Algérie est affectée par l'érosion, soit 100 ha de terre arable perdus par jour de pluie !

En Tunisie, Hamza (1992) a évalué les transports solides moyens évacués chaque année par les différents bassins versants. En tenant compte d'une profondeur moyenne des sols de 50 centimètres, ce seraient 15000 ha de terres qui se perdent en mer par érosion hydrique chaque année.

Plus sérieux que ces affirmations dramatiques, sont les résultats des mesures de pertes en terre sur parcelle (100 m2) mises en place sous l'impulsion du Professeur Frédéric Fournier depuis les années 1950, par l'ORSTOM et les Instituts du CIRAD (Roose 1967, 1973 et 1980). Ces pertes en terre varient de 1 à 200 t/ha/an (jusqu'à 700 tonnes en montagne, sur des pentes de 30 à 60 %) sous des cultures propres aux régions forestières à pentes moyennes (4 à 25 %), des pertes en terre de 0,5 à 40 t/ha sous mil, sorgho, arachide, coton sur les longs glacis ferrugineux tropicaux des régions soudano-sahéliennes (Roose et Piot, 1984 ; Boli, Bep et Roose, 1993).

Si on accepte une densité apparente des horizons de surface variant de 1,2 à 1,5, les ablations correspondantes par érosion varient de 0,1 à 7 (et même 15 mm en montagne), en fonction de la topographie, du climat et des cultures. Ceci correspond à 1 à 70 cm (150) cm/siècle ou 0,2 à 14 mètres depuis le début de l'ère chrétienne.

Bien évidemment, les mêmes sols ne sont pas restés sous cultures depuis 2.000 ans ! Epuisés après 2 à 15 ans de culture plus ou moins intensives et déséquilibrées (les exportations et les pertes ne sont pas compensées par les restitutions et les apports), les terres ont été abandonnées à la jachère dont le premier effet est de réduire l'érosion (Roose, 1992).

La durée de vie des sols peut aussi être estimée à partir des pertes en terre annuelles moyennes, de l'épaisseur du sol explorable par les racines, de la vitesse de la régénération de la fertilité du sol et de la courbe de rendement du sol en fonction de l'épaisseur de la couche arable (Elwell et Stocking, 1984). En milieu forestier, où les pluies sont agressives et les pentes fortes, les pertes en terre peuvent être importantes et la dégradation des terres est très rapide (quelques années). Cependant, la régénération des sols y est également rapide, car un sol dégradé est rapidement envahi par la végétation.

En milieu semi-aride, la durée de vie peut atteindre quelques dizaines d'années, malgré la modestie des pentes et de l'agressivité des pluies, mais la restauration de la fertilité des sols est d'autant plus lente que la production de biomasse est faible en zone aride et que les sols sont profondément épuisés.

L'analyse des transports solides de centaines de rivières américaines et européennes, montre qu'il existe une zone climatique semi-aride (pluies annuelles moyennes variant de 350 à 700 mm, en fonction de la continentalité des bassins) où la dégradation spécifique des bassins est maximale. En zone plus aride, le transport solide spécifique diminue avec l'énergie des pluies (Fournier, 1955). En zone plus humide, le couvert végétal intercepte une part importante de l'énergie des pluies et du ruissellement (Fournier, 1955 et 1960). Ce qui est vrai statistiquement sur un grand échantillon de bassins versants, ne l'est plus à l'échelle du terroir et encore moins à l'échelle de la parcelle. Le mode de gestion particulier de chaque parcelle, entraîne des différences locales très importantes et c'est ce qui justifie la mise au point de techniques culturales de lutte antiérosive.

L'impact économique de l'érosion peut être analysé à deux niveaux:

- d'une part, sur les parcelles où se sont développées les manifestations du ruissellement et de l'érosion (on-site);

- d'autre part, les nuisances à l'aval de ces parcelles originales (nuisance off-site).


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