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Le modèle empirique de perte en terre de Wischmeier et Smith (USLE)

Vingt ans après la mise en place des essais d'érosion en parcelles dans une bonne dizaine d'Etats d'Amérique du Nord, il existait une accumulation d'un grand nombre de données sur l'érosion dont il convenait de faire la synthèse. En 1958, Wischmeier, statisticien du Service de Conservation des Sols fut chargé de l'analyse et de la synthèse de plus de 10.000 mesures annuelles de l'érosion sur parcelles et sur petits bassins versants dans 46 stations de la Grande Plaine américaine. L'objectif de Wischmeier et Smith (1960; 1978) était d'établir un modèle empirique de prévision de l'érosion à l'échelle du champ cultivé pour permettre aux techniciens de la lutte antiérosive de choisir le type d'aménagement nécessaire pour garder l'érosion en-dessous d'une valeur limite tolérable étant donné le climat, la pente et les facteurs de production.

ANALYSE DES PRINCIPES DU MODELE

Selon ce modèle, l'érosion est une fonction multiplicative de l'érosivité des pluies (le facteur R. qui est égal à l'énergie potentielle) que multiplie la résistance du milieu, laquelle comprend K (l'érodibilité du sol), S L (le facteur topographique), C (le couvert végétal et les pratiques culturales) et P (les pratiques antiérosives). C'est une fonction multiplicative, de telle sorte que si un facteur tend vers zéro, l'érosion tend vers 0.

Ce modèle de prévision de l'érosion est constitué d'un ensemble de cinq sous-modèles:

1° Tout d'abord, R, l'indice d'érosivité des pluies est égal à E. l'énergie cinétique des pluies, que multiplie I30 (l'intensité maximale des pluies durant 30 minutes exprimée en cm par heure). Cet indice correspond aux risques érosifs potentiels dans une région donnée où se manifeste l'érosion en nappe sur une parcelle nue de 9 % de pente.

L'érodibilité des sols (K) est fonction des matières organiques et de la texture des sols, de la perméabilité et de la structure du profil. Il varie de 70/100ème pour les sols les plus fragiles à 1/100ème sur les sols les plus stables. Il se mesure sur des parcelles nues de référence de 22,2 m de long sur des pentes de 9 % et sur un sol nu, travaillé dans le sens de la pente et qui n'a plus reçu de matières organiques depuis trois ans.

SL, le facteur topographique, dépend à la fois de la longueur de pente et de l'inclinaison de la pente. Il varie de 0,1 à 5 dans les situations les plus fréquentes de culture en Afrique de l'Ouest et peut atteindre 20 en montagne.

C, le facteur couvert végétal, est un simple rapport entre l'érosion sur sol nu et l'érosion observée sous un système de production. On confond dans le même facteur C, à la fois le couvert végétal, son niveau de production et les techniques culturales qui y sont associées. Ce facteur varie de 1 sur sol nu à 1/1000ème sous forêt, 1/100ème sous prairies et plantes de couverture, 1 à 9/10ème sous cultures sarclées.

5° Enfin, P. est un facteur qui tient compte des pratiques purement antiérosives comme par exemple le labour en courbe de niveau ou le buttage, ou le billonnage en courbe de niveau. Il varie entre 1 sur un sol nu sans aucun aménagement antiérosif à 1/10ème environ, lorsque sur une pente faible, on pratique le billonnage cloisonné.

Chacun de ces facteurs sera étudié en détail dans les paragraphes suivants. En pratique, pour définir les systèmes de production et les structures antiérosives à mettre en place dans une région, on détermine d'abord les risques érosifs des pluies, ensuite la valeur de l'érodibilité des sols, puis par des essais successifs, on adapte un facteur C en fonction des rotations que l'on souhaite obtenir et en fonction des techniques culturales, des pratiques antiérosives, puis on définit les longueurs de pente et les inclinaisons que nous devrions obtenir grâce à des structures antiérosives pour réduire les pertes en terre sous le seuil de tolérance (1 à 12 t/ha/an). C'est donc un modèle pratique qui convient à l'esprit d'un ingénieur qui, avec peu de données, est obligé de chercher des solutions raisonnables à des problèmes pratiques, de façon moins empiriques que jusqu'alors.

CALCUL DE L'INDICE R D'AGRESSIVITE DES PLUIES
(d'après Wischmeier et Smith, 1978)

Pour chaque averse, délimiter des périodes d'intensité uniforme.

A chaque intensité, correspond une énergie cinétique selon l'équation:

E = énergie cinétique de la pluie exprimée en tonne métrique x mètre/ha/cm de pluie.

Intensité
cm/h

,0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7 0,8 0,9
0 0 121 148 163 175 184 191 197 202 206
1 210 214 217 220 223 226 228 231 233 235
2 237 239 241 242 244 246 247 249 250 251
3 253 254 255 256 258 259 260 261 262 263
4 264 265 266 267 268 268 269 270 271 272
5 273 273 274 275 275 276 277 278 278 279
6 280 280 281 281 282 283 283 284 284 285
7 286 286 287 287 288 288 289


La valeur 289 peut s'appliquer à toutes les intensités supérieures à 76 mm/heure.

Construire un tableau de la façon suivante:

Averse Date

Hauteur totale mm

Durée en minutes

Hauteur de même intensité (mm)

Intensité partielle mm/h

Energie unitaire par cm voir table

E total

I30 mm/h



10

5,0

30

253

1265



33

5,5

10,0

210

1150



32

12,5

23 4

242

3025

23,0

19.7.67

H = 30,5

177

7,5

2,5

157

1177,5




30,5



6622,5

23,0

(EI) métrique = 1,735 EI USA

R index (USA) = (6622,5 x 23)/17356 = 8,78


Cumuler les valeurs de R par mois/saison/année.

A cette énergie pluviale, il faut ajouter les apports d'énergie par la neige, l'irrigation et/ou le ruissellement.

L'indice R annuel n'est pas directement lié à la pluviosité annuelle. Cependant, en Afrique de l'Ouest, Roose a montré que R annuel moyen sur 10 ans = pluie annuelle moyenne x a

a =

• 0,5 dans la majorité des cas

± 0,05


• 0,6 à proximité de la mer (< 40 km)



• 0,3 à 0,2 en montagne tropicale



• 0,1 en montagne méditerranéenne


LES LIMITES INTRINSEQUES DU MODELE "USLE"

Première limite:

Ce modèle ne s'applique qu'à l'érosion en nappe puisque la source d'énergie est la pluie: il ne s'applique donc jamais à l'érosion linéaire, ni à l'érosion en masse.

Deuxième limite:

Le type de paysage: ce modèle a été testé et vérifié dans des paysages de pénéplaines et de collines sur des pentes de 1 à 20 % à l'exclusion des montagnes jeunes, en particulier des pentes supérieures à 40 % où le ruissellement est une source d'énergie plus grande que les pluies et où les mouvements de masse sont importants.

Troisième limite:

Les types de pluies: les relations entre l'énergie cinétique et l'intensité des pluies utilisées généralement dans ce modèle ne sont valables que dans la plaine américaine. Elles ne sont pas valables en montagne mais on peut développer des sous-modèles différents pour l'indice d'érosivité des pluies, R.

Quatrième limite:

Ce modèle ne s'applique que pour des données moyennes sur 20 ans. Elles ne sont donc pas valables à l'échelle de l'averse. Un modèle MUSLE a été mis au point pour estimer les transports solides de chaque averse, qui ne tient plus compte de l'érosivité de la pluie mais du volume ruisselé (Williams, 1975).

Cinquième limite:

Enfin une limite importante de ce modèle, c'est qu'il néglige certaines interactions entre les facteurs pour pouvoir distinguer plus facilement l'effet de chacun des facteurs. Par exemple, il n'est pas tenu compte de l'effet de la pente combiné au couvert végétal sur l'érosion, ni de l'effet du type de sol sur l'effet de la pente.

FIGURE 19

: Diagramme de Hjulström

Ce diagramme nous apporte des informations très importantes.

1. Les matériaux les plus sensibles à l'arrachement par le ruissellement ont une texture voisine des sables fins de 100 microns. Les matériaux plus argileux sont plus cohérents. Les matériaux plus grossiers ont des particules lourdes qui exigent une vitesse supérieure du fluide. Il est intéressant de noter que pour Wischmeier et al., (1971), les sols les plus érodibles sont ceux qui sont riches en limons et sables fins.

2. Tant que les écoulements s'effectuent à une vitesse faible (25 cm/seconde), ils ne peuvent éroder les matériaux. Pour éviter l'érosion linéaire, il faut donc s'appliquer à étaler et ralentir les écoulements. D'où l'origine de la théorie de la dissipation de l'énergie du ruissellement.

3. Le transport des particules fines argileuses et limoneuses s'effectue facilement, même pour de faibles vitesses. Mais, pour les matériaux plus grossiers que les sables fins, on passe très vite de la zone d'érosion à la zone de sédimentation. On comprend donc pourquoi les fossés d'évacuation des eaux de ruissellement sont soit érodés s'ils sont trop étroits ou trop pentus, soit ensablés par les matériaux grossiers qui n'arrivent pas à circuler. C'est une des raisons pour lesquelles les fossés de diversion ne donnent pas satisfaction dans les pays en développement, car il faut désabler et entretenir régulièrement les fossés et terrasses de diversion.

Actuellement, ce modèle sert de guide pratique pour les ingénieurs et se développe encore dans de nombreux pays. Mais ce modèle empirique ne satisfait pas toujours les scientifiques qui recherchent des modèles physiques qui s'inspirent des processus élémentaires d'érosion et qui d'autre part, souhaitent pouvoir s'appuyer non pas sur des valeurs moyennes sur 20 ans, mais sur les processus qui se passent au cours de chaque averse élémentaire. Il nous faut éviter de vouloir tirer plus que ce que les hypothèses de départ permettent et surtout que ce que les auteurs ont voulu mettre dans ce modèle empirique. Le SLEMSA, modèle à valeur régionale a été mis en place au Zimbabwé (Elwell, 1981). D'autres modèles s'appuient sur l'équation de Wischmeier, tel que EPIC (Williams, 1982) ou sur des processus physiques tel que le modèle RILL and INTER RILL ou bien le nouveau modèle européen de prévision de l'érosion EUROSEL. Il faut retenir que seul, le modèle USLE est actuellement utilisé à grande échelle dans de nombreux pays. Il faudra encore attendre une bonne dizaine d'années avant de pouvoir utiliser les autres modèles de façon courante sur le terrain. Par ailleurs, il n'est pas certain que ces modèles physiques seront plus efficaces que les versions les mieux adaptées localement des modèles empiriques actuels (Renard, 1991). Ceci vient d'être confirmé au Séminaire de Mérida au Vénezuela (mai 1993).


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