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Solutions et démarches adoptées

Du processus d'érosion concentré, il résulte deux conséquences:

- les solutions à rechercher et à préconiser sur les versants et dans les talwegs doivent être différenciées contrairement aux régions où le splash joue un rôle prépondérant; les agriculteurs doivent apprendre à traiter différemment ces zones distinctes au sein d'une même parcelle;

- toutes les exploitations n'ont pas le même degré de motivation suivant que leurs parcelles sont situées en amont du bassin versant ou dans un vallon à risque d'érosion.

L'exemple d'un bassin versant au Bourg Dun présenté sur la figure 85 couvre 60 ha, dont 5 ha étaient encore en prairie en 1991. Le remembrement date de 1957. Il a délimité des parcelles parallèles et orientées dans le sens de la pente. Les systèmes de production des quatre exploitations sont de type polyculture intensive.

Les phénomènes d'érosion sont apparus régulièrement depuis 1978 dans l'axe du talweg comme l'indique la figure 84 sur différents secteurs. Pendant l'hiver 88-89, Ludwig (1989) a estimé le volume des rigoles à 100,8 m3.

A partir de 1986, certains agriculteurs ont souhaité lutter contre les phénomènes d'érosion des terres. Pour eux, les rigoles et ravines infranchissables par le matériel de pulvérisation et de récolte constituaient une gène suffisamment importante pour motiver une action. Les pertes de temps pour tous les travaux des champs, les pertes de surfaces induites par toutes les zones non récoltables ou différents problèmes de zones non désherbées ont été des facteurs beaucoup plus importants pour les exploitants que les griffes d'érosion. Les pertes de surface créées par les incisions sur le talweg sont d'ailleurs très faibles (entre 0,1 et 1 % des terres labourées).

DEMARCHE UTILISEE

Avec ces agriculteurs, dans un premier temps nous avons établi une relation de confiance mutuelle appuyée sur une bonne connaissance des contraintes agronomiques, des systèmes de culture et de l'économie des exploitations.

Dans un deuxième temps, les agriculteurs ont testé à l'échelle de la parcelle les solutions agronomiques très simples, sans coût et généralement basées sur l'observation et le bon sens. A partir de là, une prise de conscience s'est opérée. Les phénomènes de ruissellement et d'érosion ne sont plus une fatalité mais ils peuvent être infléchis. L'étape délicate réside dans la différenciation de zones distinctes à l'intérieur d'une parcelle puis dans le choix de solutions adaptées. Par la suite, il faudra réaliser des actions collectives de maîtrise et gestion des eaux à l'échelle du bassin versant.

LES PRATIQUES CULTURALES

Toutes les solutions visent premièrement à constituer une forte rugosité à la surface du sol avec une macroporosité importante, et deuxièmement à retarder la formation des croûtes de battance, puis à les briser (Ouvry, 1987).

FIGURE 86

: Aménagement hydraulique du bassin de Bourg-Dun (France)

ASPECTS HYDRAULIQUES DES ACTIONS

4 agriculteurs concernés A - B - C - D
1 - Mare 1987
2- Fossé 1988
3 - Mare 1990 abandonnée à cause de la sédimentation provoquée par l'érosion du secteur 4 en 1990 et 1991
4 - Bande retassée 1992
5 - Bande enherbée 1 992
6 - Limite de parcelle 1992
7 - Prairie retournée en 1991

Par exemple, toutes les traces de roues doivent être effacées car elles peuvent couvrir entre 5 et 33% de la surface du sol pour les betteraves et le maïs en fonction du type et de la marque du semoir et des équipements secondaires (tels que les effaceurs de traces). Sous culture, l'état de surface est déterminé au semis. Il faut donc constituer un lit de semence motteux (éviter de pulvériser ou de rouler la surface du sol), qui sera fonction du précédent cultural, des résidus, de l'humidité du sol. Les outils animés sont déconseillés par rapport aux outils à dents rigides ou vibrantes avec un nombre de passage limité à un, parfois deux (Ouvry, 1989/1990).

Pour les cultures à grand écartement, nous préconisons de ne réaliser l'affinement que sur la bande de semis, soit 1/3 de la surface, et de laisser l'inter-rang très motteux. Pour ces cultures, il est aussi préconisé de réaliser un désherbage mécanique ou binage de l'interrang de façon à briser les croûtes de battance. Le choix du type de dent, rasette (déconseillé) ou pioche (conseillé) a beaucoup d'importance sur les risques d'érosion estivale.

En interculture, les marges de manoeuvre sont plus grandes. Sans entrer dans les détails, les solutions reposent sur les points suivants:

- il faut créer un état de surface motteux et chaotique de façon à profiter au maximum de la détention superficielle obtenue par le dernier travail du sol;

- le travail du sol doit être perpendiculaire ou en oblique à la pente; il peut être même partiel si les contraintes climatiques ou de temps sont très élevées;

- il faut utiliser l'effet de mulch des pailles broyées;

- on peut aussi implanter des engrais verts (ou culture intermédiaire) à condition que leur densité et leur vitesse de croissance soient assez élevés pour protéger rapidement la surface du sol et préserver une infiltrabilité de l'ordre de 10 mm/h; en outre, il faut que les incidences sur les cultures suivantes soient bien maîtrisées.

SUR LE PLAN HYDRAULIQUE

L'objectif est de réaliser des éléments de collecte des écoulements, alternés avec des éléments de stockage pour maîtriser les débits (Boiffin et al., 1988; Ouvry, 1987-1992). Sur ce bassin versant, les agriculteurs ont réalisé progressivement des éléments du réseau comme l'illustre la figure 86 (Ouvry, 1987).

Certains aménagements sont définitifs, d'autres sont temporaires et à refaire après chaque travail du sol: bandes recompactées. Ces derniers offrent l'intérêt d'être très simples. Ils s'adaptent à des conditions très précises et limitées comme par exemple des pluies peu agressives. Cependant, ils démontrent aux agriculteurs trois points:

- il est possible d'agir,
- il faut traiter différemment les deux zones fonctionnelles,
- si cette solution est insuffisante, il faudra envisager une solution plus contraignante, du type fossé avec redécoupage du parcellaire ou bandes enherbées.

REMARQUES ET OBSTACLES RENCONTRES

Tout ce travail a nécessité beaucoup de temps. De plus, l'un des agriculteurs n'est pas motivé car ses parcelles situées en amont ne subissent aucun dommage. Ainsi pour que des pratiques visant à limiter le ruissellement soient généralisées, il faut nécessairement qu'elles soient intégrées aux conseils agronomiques diffusés par tous les prestateurs de services agricoles.

Il arrive que les conseils agronomiques ne soient pas suivis, les raisons peuvent être diverses:

- manque de temps
- climat humide
- manque de matériel adapté
- surcoût des engrais verts
- effet secondaire des engrais verts.

Il faut donc poursuivre les recherches de solutions en tenant compte de ces contraintes.

COUT

Toute cette action de lutte a un coût qui se répartit en deux chapitres:

- L'animation régionale de la lutte par une personne entièrement vouée à cette tâche a un coût moyen annuel de l'ordre de 450 000 F.

- Le coût des solutions: les solutions recherchées ont un coût toujours te plus faible possible et en général nul, hormis le temps. Il s'agit d'utiliser au mieux les possibilités offertes par les équipements de l'exploitation.

Seuls les engrais verts ont un coût direct variable entre 100 et 300 FF/ha.

Les solutions hydrauliques ont des coûts très variables:

- bande retassée = 0 F
- raie de charrue en limite de parcelle sur l'axe du talweg = 0 F
- bande enherbée: enherbement = 3 F/m2 (semence) et terrassement en entreprise = 30 F/m2
- fossé (section # 1m2) = 35 F/m2
- mare 100 à 500 m3 = 40 F/m3

Toutes les retenues plus importantes sont du ressort des collectivités locales en association avec les agriculteurs:

- prairie inondable (prairie située dans un fond de vallon et barrée par un talus compacté de hauteur supérieure ou égale à 1 m) et pouvant contenir 1000 à 10 000 m3, coût entre 30 et 60 F/m3 stocké.

- bassin de retenue classique entre 100 et 200 F/m3 soit un coût reporté à l'hectare de bassin versant compris entre 1 500 et 15 000 F/ha.

CONCLUSIONS

Etant donné l'importance du facteur état de surface des parcelles cultivées sur les risques de ruissellement et d'érosion, le rôle des agriculteurs est prépondérant. Cet état dépend de l'utilisation du sol, du système de culture, du travail du sol et du choix des outils.

La lutte préventive et curative contre ces phénomènes se fera donc avec les agriculteurs ou ne se fera pas.

C'est une action de longue haleine qui doit être poursuivie. Elle sera assurée par des agronomes pour initier les agriculteurs à intégrer définitivement dans leur itinéraire technique les éléments de la lutte contre les ruissellements et l'érosion.

En outre, des actions préventives doivent être conduites simultanément compte tenu des types d'érosion. Cela consiste dans la prévision et la création d'un réseau hydraulique lors du remembrement. Cette démarche se fait aujourd'hui en concertation avec les agriculteurs et les membres des Commissions Communales de Remembrement.

On peut aussi orienter les parcelles en ligne oblique par rapport aux pentes de façon à faire jouer au maximum la capacité de flacage sachant que l'économie de 1 à 2 mm de ruissellement obtenu par effet de rugosité représente 30 à 50% du total écoulé.

Toutefois, en dernier ressort, lorsque les ruissellements ne peuvent être totalement évités, la création d'ouvrages de retenues pour protéger le village reste nécessaire et complémentaire des actions agronomiques et hydrauliques étagées sur le bassin versant.

Cette action revêt bien un caractère d'intérêt général puisque l'érosion des terres sera limitée pour les agriculteurs; l'envasement des ouvrages sera réduit, la pollution des captages et des rivières régulièrement curées sera réduite. Les inondations seront aussi moins importantes et moins fréquentes dans les bourgs ruraux.

Ce type d'action, qui porte ses fruits à long terme, doit entrer dans le cadre d'une politique globale d'aménagement du territoire définie par les élus départementaux et régionaux.

 

Perspectives


La GCES, une nouvelle philosophie
La GCES, une stratégie d'action


La GCES, une nouvelle philosophie

La lutte contre le ruissellement et l'érosion s'avère plus complexe que prévue. D'une part, les processus de dégradation des terres sont nombreux et le référentiel technique est loin d'être adapté à la diversité écologique du monde: on applique trop souvent des recettes sans connaître efficacité antiérosive, leur faisabilité, ni leur rentabilité. D'autre part, les implications sociologiques et économiques sont nombreuses et mal perçues: les problèmes fonciers et la sécurité des investissements, les objectifs et les priorités des paysans, la disponibilité en terre, en intrants et en main-d'oeuvre, les possibilités de valoriser les produits agricoles et d'améliorer le niveau de vie, la santé, etc...

La simple conservation des sols (CES) ne peut satisfaire la plupart des paysans car elle ne valorise pas immédiatement le travail supplémentaire qu'elle demande. La majorité des terres sont déjà si pauvres, si dégradées, que même si on maîtrise correctement les pertes par érosion, la productivité de la terre et du travail reste médiocre. Or, la population double tous les quinze à trente ans ! Le défi à relever est donc de doubler la production en dix ans pour rattraper la progression géométrique de la population. La conservation des sols ne suffit pas, il faut en restaurer la fertilité pour valoriser au plus tôt le travail investi... La GCES tente d'augmenter nettement les rendements tout en stabilisant le milieu.

Pour atteindre ce but, la GCES améliore la gestion des eaux, des matières organiques et des nutriments, pour créer des points d'intensification de la production et de développement du milieu rural par l'élevage (le fumier est l'une des clés de la productivité sur ces sols tropicaux à faible capacité de stockage de l'eau et des nutriments), par l'agroforesterie et les cultures hors saison. La GCES vise d'abord l'augmentation significative des rendements (ou mieux, des revenus nets) ce qui exige la stabilisation du milieu. La lutte antiérosive n'est plus le drapeau autour duquel on tente de rallier l'opinion publique... ce n'est qu'une partie d'un paquet technologique, un passage obligé.

On a cru pouvoir mobiliser les éléments fertilisants du sol par diverses voies biologiques: fumier, compost, paillage, haies vives, engrais verts. De nombreux exemples récents en pays tropicaux ont montré que sur les sols ferrallitiques acides, l'agroforesterie (et en particulier la culture entre des haies vives) permet de maîtriser l'érosion même sur de fortes pentes (25 à 60 %) et de ralentir la dégradation des sols cultivés. Mais, cette "jachère cultivée simultanée", de même que les engrais verts, immobilise 10 à 20 % des terres simplement pour maintenir un niveau de production médiocre, insuffisant pour faire face à la pression démographique. Pour sortir de cette impasse, il faut d'abord restaurer la fertilité des sols, ce qui n'est pas possible sans un apport massif de fumier (3 à 10 t/ha), de chaux (1 à 5 t/ha) et d'engrais minéraux, directement assimilables pour les cultures.

Les plus fortes populations rurales du monde vivent dans des jardins multiétagés où les interactions positives entre élevage-culture et arbres, sont poussées à l'extrême. En Afrique, il reste beaucoup à faire pour intensifier l'élevage et gérer les arbres pour réduire leur concurrence avec les cultures traditionnelles.

La GCES, une stratégie d'action

Cet essai de synthèse des recherches sur les processus d'érosion et les méthodes de lutte antiérosive développées ces quarante dernières années, en particulier en Afrique francophone, nous ont amené à définir de nouveaux axes de recherche et de nouvelles orientations pour le développement rural.

DE NOUVEAUX AXES DE RECHERCHE

- Etude du fonctionnement, de la dynamique, des causes de déclin et des possibilités d'amélioration des stratégies traditionnelles de gestion de l'eau, des sols et de leur fertilité.

- Etude de la faisabilité, de l'acceptabilité, de l'efficacité et de la rentablité des méthodes de lutte antiérosive.

- Etude du coût de l'érosion et de la lutte antiérosive à la parcelle et sur l'ensemble du bassin versant.

- Adaptation régionale des modes de gestion de l'eau, des nutriments et de la biomasse.

- Mise au point des méthodes de dissipation de l'énergie du ruissellement sur les pentes.

- Aspects socio-économiques de l'érosion et sensibilisation paysanne aux problèmes de dégradation de l'environnement.

- Dégradation et surtout, restauration de la productivité des terres: rôles de l'élevage, des arbres, des micro-organismes (fumier) et des compléments minéraux.

- Modélisation des risques de ruissellement, du drainage, de l'érosion, mais aussi optimisation de l'utilisation des terres en fonction des contraintes des systèmes de production et de la taille des exploitations.

DE NOUVELLES ORIENTATIONS POUR LE DEVELOPPEMENT RURAL

Puisque la participation paysanne est indispensable pour la pérennité des aménagements, il faut tenir compte des priorités paysannes et rechercher avec eux les moyens d'augmenter la productivité des terres et de valoriser le travail. La lutte antiérosive ne doit plus être présentée comme l'objectif prioritaire, mais comme une partie d'un paquet technologique visant à améliorer à la fois la gestion de l'eau, de la biomasse et des nutriments:

- Améliorer progressivement les techniques existantes en évitant d'augmenter les dépendances d'apports extérieurs au village (intrants, technologies ...).

- Intégrer de nouveaux éléments dans les systèmes de culture (agroforesterie, cultures associées, jachères dérobées de légumineuses, rotations accélérées, irrigation et fumure d'appoint).

- Promouvoir les structures antiérosives les moins coûteuses et les plus productives possibles.

- Prendre en compte les études du marché et l'état du réseau routier pour valoriser les productions.

- Mettre au point des techniques de drainage des routes et des versants sur lesquels elles s'appuient.

- Adapter la lutte antiérosive au régime foncier.

Les perspectives esquissées dans ce volume en matière de recherche et de développement rural appellent les différents acteurs à travailler de concert. Ces actions se conçoivent dans une cadre de coopération étroite entre institutions nationales, ONG, agences de développement et utilisateurs de la terre. Le rôle des institutions nationales doit notamment évoluer de celui d'exécutant à celui de promoteur. Le programme idéal met en scène les utilisateurs de la terre, pour planifier et mettre en oeuvre leurs propres solutions. A cet fin, les institutions nationales doivent être tenus pour responsables de la prise de conscience en matière de dégradation des terres, et les utilisateurs de la terre doivent être aidés dans l'émergence de leurs propres organisations.


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