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Gérer la biodiversité

Pour sa survie, chacun d'entre nous dépend d'une façon ou d'une autre des ressources biologiques terrestres. Par leur diversité, celles-ci offrent la possibilité d'accroître la production alimentaire et de s'adapter à l'évolution des conditions. Chaque pays, en développement ou développé, est appauvri par la perte de ressources biologiques et par leur dégradation. Pour arrêter la mutilation de ce patrimoine inestimable, il convient de prendre d'urgence des mesures à l'échelon local, national et international.

Il ne s'agit pas seulement de sauver la biodiversité, mais de trouver les moyens d'utiliser les ressources biologiques de façon durable et équitable. Qui est responsable de la biodiversité? Que faire pour assurer que les pays riches en technologies du monde industriel comme les pays riches en patrimoine génétique du monde en développement en profitent également? Pour ce qui est de l'accès aux ressources biologiques, tous les pays sont interdépendants. Dans le passé, ce sont les pays industriels qui ont tiré le plus grand profit de l'exploitation des ressources biologiques de la planète, mais, compte tenu des différences économiques et sociales entre les pays “riches en gènes” et ceux qui sont “riches en technologies”, des pressions de plus en plus grandes s'exercent pour assurer que ceux qui bénéficient au premier chef de l'exploitation de ces ressources vivantes prennent en charge une part plus importante des coûts qu'entraîne la nécessité de les identifier, de les préserver de façon adéquate, de les utiliser durablement et d'en permettre l'accès à tous.

Le probleme de la biodiversité est maintenant, et manifestement, dans l'arène politique internationale. De plus en plus, on reconnaît l'importance pour chaque pays de mettre en place un solide programme national, et d'assurer la coordination de ces programmes afin de sauvegarder et d'exploiter le patrimoine fabuleux de la biodiversité.

Depuis 1983, la FAO poursuit ses efforts afin de mettre en place un Système mondial pour la conservation et l'utilisation des ressources phytogénétiques dans le domaine des denrées alimentaires et de l'agriculture. L'initiative de la FAO a pour objectifs:

Les principaux éléments du système approuvé par la Conférence de la FAO sont la Commission sur les ressources phytogénétiques et l'Engagement international sur les ressources phytogénétiques (voir diagramme cicontre). A ce jour, 135 pays ont officiellement adhéré au Système mondial.

La Commission offre un forum mondial où les pays - en tant que donateurs et utilisateurs de plasma germinatif, de fonds et de technologies - peuvent se rencontrer, et, sur un pied d'égalité, débattre de questions se rapportant aux ressources phytogénétiques et trouver un consensus.

L'Engagement contient des dispositions relatives à: l'exploration et la collecte des ressources génétiques; leur préservation in situ et ex situ; les modalités de la coopération internationale dans le domaine de la préservation, de l'échange et de la multiplication des plantes; la coordination de collections de banques génétiques et de systèmes d'information. Il comporte également des dispositions sur les droits des agriculteurs ainsi que sur les modalités de financement du Système mondial. Les principes contenus dans l'Engagement international - notamment ceux de la souveraineté nationale, de l'accès universel, de la reconnaissance du rôle joué par les agriculteurs et les autres inventeurs du secteur informel et de la compensation de leurs services - doivent régir la préservation équitable et l'utilisation durable des ressources génétiques.

Un Code international de conduite réglemente la collecte et le transfert des ressources phytogénétiques. Les règles qu'il contient ont pour objectifs d'empêcher la dégradation des ressources génétiques, de permettre d'y accéder et de protéger les droits des pays et des communautés locales. Un second code de conduite, régissant l'application des biotechnologies, est en cours d'élaboration.

Le Système mondial d'information et d'alerte rapide sur les ressources phytogénétiques, par exemple, permettra de recueillir et de transmettre des informations sur les ressources phytogénétiques et les technologies qui s'y rapportent ainsi que d'alerter la communauté internationale des menaces éventuelles à la sécurité des banques génétiques ainsi que des dangers que présente l'appauvrissement des ressources génétiques. Dans ce cadre, un réseau de zones de préservation in situ sera constitué et complété par des zones ex situ qui seront gérées sous l'égide de la FAO.

Le rapport sur l'état des ressources phytogénétiques mondiales, qui doit être publié régulièrement, identifiera les lacunes, les obstacles et les situations qui exigent une attention immédiate. Un plan mondial d'action permettra ensuite de mettre à exécution ces propositions.

Reconnaissance des droits des agriculteurs

L'augmentation rapide des opérations commerciales de multiplication des plantes a conduit les pays en développement ayant un riche patrimoine génétique à remettre en question la liberté et la gratuité d'accès à leurs ressources phytogénétiques, eu égard aux droits exclusifs sur les nouvelles variétés qui sont conférés aux obtenteurs de plantes et aux biotechniciens appartenant principalement aux pays industriels.

Le concept de droit des agriculteurs avancé par la FAO cherche à remédier à ces déséquilibres. L'Engagement international de la FAO énonce des principes directeurs en matière d'ulitisation et d'échange de ressources génétiques, sans préjudice des droits souverains des nations sur les ressources génétiques se trouvant sur leur territoire. La reconnaissance du droit des agriculteurs apporte donc un contrepoids au principe de l'accès universel et gratuit aux ressources génétiques.

A la base de ce concept est l'idée qu'il faut reconnaître la contribution considérable, passée et présente, des agriculteurs et des communautés rurales, en particulier ceux des pays en développement, dans le domaine de la création, de la préservation et de la distribution des ressources génétiques. Ces agriculteurs et pays méritent de recevoir une compensation qui ne soit pas inférieure à celle des obtenteurs de plants qui sont protégés par leurs droits.

Dans cet esprit, le Fonds international pour les ressources phytogénétiques, dont la création est envisagée par les pays membres de la FAO, a pour objet de permettre l'application de ce concept de droit des agriculteurs. Le Fonds doit compenser ceux qui ont fait don de plasma germinatif à la communauté internationale en mettant à leur disposition les technologies, les informations et les fonds nécessairees à la préservation et à l'utilisation des ressources phytogénétiques dont ils disposent. A condition de recevoir une aide financière et technique, les pays en développement devraient être capables de développer leur capacité d'utiliser leurs ressources génétiques.

Action 21

Une autre initiative mondiale majeure dans ce domaine est la signature, par 154 pays, de la Convention sur la diversité biologique, lors de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED) de juin 1992. Cette convention établit le cadre juridique de la préservation et de l'utilisation de la biodiversité. Elle entrera en vigueur après sa ratification par 30 pays. Plusieurs protocoles, traitant de questions telles que le transfert de technologies, le mécanisme de financement, les droits de propriété et l'accès en matériaux génétiques, sont actuellement à l'étude.

Système mondial de conservation et d'utilisation des ressources phytogénétiques

* Le premier rapport sur l'état du monde et le Plan d'action mondial sur les ressources phytogénétiques seront rédigés à l'occasion de la préparation de la quatrième Conférence internationale sur la conservation et l'utilisation des ressources phytogénétiques qui est envisagée.

Lors de la CNUED, les gouvernements ont trouvé un consensus sur le plan d'action mondial destiné à promouvoir le développement durable, appelé “Action 21”. Action 21 et la Convention soulignent l'importance de mettre au point et de renforcer la capacité des pays à tirer pleinement parti de leurs ressources biologiques. L'accès aux nouvelles technologies et à leur bonne utilisation, à la formation, à l'information et aux ressources financières permettra aux pays en développement de préserver et d'utiliser la biodiversité, tout en renforçant leur capacité de réduire la faim et la pauvreté.

Action 21 contient des dispositions spécifiques en vue du renforcement du système mondial de la FAO et de l'application des droits des agriculteurs.

Pour assurer la mise en œuvre des recommandations d'Action 21, il a été proposé de tenir une quatrième Conférence technique internationale sur la conservation et l'utilisation des ressources phytogénétiques. Cette conférence examinera le premier rapport sur l'état mondial des ressources phytogénétiques ainsi que le plan d'action mondial.

Tous les partenaires intéressés, et notamment les ONG et les associations d'agriculteurs, représentés à leur échelon national, participeront à la préparation de ces deux documents. Sur la base d'informations fiables et d'une analyse cohérente des dangers qui menacent actuellement la biodiversité, et s'appuyant sur les stratégies proposées pour y parer, les gouvernements de tous les pays seront à même de prendre les mesures les plus urgentes.

Les stratégies intergouvernementales de préservation de la biodiversité doivent contenir des mesures qui assurent que les ressources génétiques restent accessibles à tous ceux qui en ont besoin, sont utilisées de façon viable et profitent équitablement à tous. Ces stratégies doivent comprendre des dispositions assurant la reconnaissance et la compensation des agriculteurs et de tous ceux qui ont contribué au développement, à la préservation et à l'acquisition de connaissances sur les ressources génétiques animales et végétales.

Comment préserver la biodiversité

Les efforts de préservation de la biodiversité reposent avant tout sur les programmes nationaux. Mais la préservation des ressources génétiques n'incombe pas seulement aux autorités et aux institutions scientifiques nationales. Le maintien de la biodiversité ne pourra être assuré que par la mise en œuvre de nombreuses stratégies de préservation, dont chacune doit être adaptée à la nature des ressources et de l'environnement auquel elle s'applique. Par ailleurs, la protection de la biodiversité dépend, au premier chef, du bon usage qui en est fait.

A qui appartiennent les ressources biologiques?

La coopération internationale en matière de diversité biologique s'est trouvée compliquée du fait des efforts faits par certains pays industriels pour étendre les droits de propriété intellectuelle aux gènes, aux plantes, aux animaux ou à d'autres organismes vivants. Cela conduit inévitablement à restreindre l'accès aux ressources génétiques. Les progrès du génie génétique ont encouragé le secteur des biotechnologies à prendre des brevets sur des organismes vivants, communément dénommés “brevets sur le vivant”.

Les partisans des brevets sur le vivant avancent que ceux-ci stimulent l'innovation en dédommageant les détenteurs de brevets et permettent aux entreprises de récupérer les frais d'investissement engagés pour la recherche. Dans les années 80, des précédents ont été établis, permettant au concept de brevet sur le vivant de se développer. Désormais, des gènes, plantes, animaux ou micro-organismes - découverts dans la nature ou obtenus par manipulation génétique-peuvent devenir la propriété intellectuelle d'intérêts privés.

La question de la protection, par brevet, de gènes quel' on trouve dans la nature prête particulièrement à controverse. En effet, cela obligerait les agriculteurs et les consommateurs des pays en développement à payer des droits sur des produits élaborés à partir de leurs propres ressources biologiques. Selon le droit des brevets, un agriculteur qui élèverait un animal protégé par un brevet et qui en vendrait le rejeton sans payer de droits violerait la loi. De même, il serait illégal pour un agriculteur de récupérer une semence appartenant à une variétée par un brevet pour la replanter.

Plusieurs propositions sont actuellement à l'étude dans différentes instances internationales:

Dans les discussions qui ont présidé à l'établissement des instruments qui permettent de conférer des droits aux inventeurs de biotechnologies, il n'a guère été tenu compte de l'impact qu'auraient ces droits sur la conservation et l'échange de ressources biologiques. La Commission de la FAO sur les ressources phytogénétiques a averti que si le droit des brevets était appliqué universellement aux matériaux vivants, y compris les plantes et les animaux, et aux ressources génétiques, le principe de l'accès libre et gratuit serait alors gravement atteint.

Instaurer des droits de propriété intellectuelle sans compenser les pays en développement par des avantages équivalents risque d'entraîner de vives réactions de la part de ces pays, qui pourraient élever de formidables barrières pour empêcher l'accès aux ressources génétiques. Face aux nouvelles propositions, les pays en développement remettent maintenant en question les concepts d'accès libre et gratuit aux ressources génétiques et de patrimoine de l'humanité. Ils réagiront peut-être en restreignant l'accès au plasma germinatif sur leurs territoires. Manifestement, les propositions actuelles pourraient avoir de graves conséquences sur le développement économique et la sécurité alimentaire mondiale.

Les brevets sur le vivant: l'exemple des Etats-Unis

1980     La Cour suprême des Etats-Unis décide, dans le cas Diamond contre Chakrabarty, que des micro-organismes obtenus par génie génétique peuvent être protégés par des brevets.

1985     L'Office des brevets des Etats-Unis décide que des plantes (auparavant protégées par des droits d'obtenteurs) sont des matériaux qui peuvent faire l'object de brevets, au sens du droit de la propriété industrielle.

1987     L'Office des brevets des Etats-Unis décide, en accordant un brevet à l'Université de Harvard pour la fabrication d'une souris transgénique, que les animaux obtenus par génie génétique peuvent être protégés par des brevets. En mars 1993, 180 demandes de brevet pour des animaux transgéniques avaient été déposées.

1992     L'Institut national de santé des Etats-Unis (NIH) a déposé des demandes de brevet relatives à plusieurs milliers de séquences de gènes humains. (Ces demandes de brevet, qui ont été rejetées en 1993, ont soulevé de très vives controverses, car le NIH n'avait aucune idée de la façon dont les séquences de gènes humains pouvaient être utilisées, ni du rôle qu'elles jouaient dans le corps humain. Le NIH a fait savoir qu'il compte déposer une nouvelle demande.)

1993     La société américaine de biotechnologie Agracetus a déposé des demandes de brevet pour toutes les variétés de coton produites par génie génétique, quel que soit leur mode de production. C'est la première fois qu'une demande de brevet relative à toutes les variétés d'une même espèce est déposée, ce qui prêtera vraisemblablement à controverse.

En effet, la façon la plus efficace de conserver les variétés et les espèces est généralement d'en bien gérer l'utilisation. Les banques génétiques nationales et autres moyens de conservation ne peuvent qu'étayer les ensembles complexes, vivants et évolutifs qu utilisent les êtres humains. C'est l'usage qui en est fait qui permet aux ressources génétiques agricoles d'évoluer et donc de conserver leur valeur.

Devant le risque de perte de diversité biologique, un mouvement populaire de conservation s'est constitué partout dans le monde. Partout, des particuliers et des organisations non gouvernementales (ONG) préservent, entretiennent et échangent des ressources génétiques animales et végétales à l'échelon de leur communauté.

Aux Etats-Unis, un réseau de près de 1 000 agriculteurs et jardiniers déterminés, appartenant à l'organisation Seed Savers Exchange (Bourse des sauveurs de semences), repère des milliers de variétés de légumes en danger et en assure la conservation. Ces “sauveurs de semences” amateurs empêchent la disparition de variétés de fruits et de légumes qui ne sont plus disponibles commercialement et dont beaucoup ne se trouvent même pas dans les banques génétiques publiques.

KENGO, une coalition d'organisations agricoles, d'associations de femmes et d'autres groupes communautaires du Kenya, encourage l'utilisation des arbres traditionnels pour le bois de feu, le fourrage et la charpente, entre autres usages. Le travail accompli par KENGO prouve que les communautés agricoles sont capables d'assumer la responsabilité des programmes de conservation locaux, en particulier quand leurs objectifs correspondent aux besoins à court terme des agriculteurs.

Des ONG qui se consacrent à préserver certaines espèces de bétail, telles que le Rare Breeds Survival Trust (Fonds de survie des espèces rares) du Royaume-Uni et l'American Livestock Breeds Conservancy (Conservatoire américain des espèces de bétail) des Etats-Unis, conduisent des recherches et des programmes éducatifs afin d'encourager l'utilisation des espèces rares. Elles ont également un rôle de coordination, de conseil et d'assistance auprès des agriculteurs qui préservent et utilisent des espèces de bétail rares.

Au bout du compte, la conservation de la biodiversité nous concerne tous. C'est à nous, responsables politiques ou gestionnaires publics, scientifiques, membres d'ONG, dirigeants ou cadres d'entreprise, ou individus agissant à titre privé, de sauvegarder la diversité biologique. Nous devons développer les partenariats entre secteurs afin d'assurer la participation la plus large possible à des activités de conservation qui se renforcent mutuellement.

Nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins. Notre génération a reçu en héritage un riche patrimoine biologique, mais que transmettra-t-elle à ses enfants? Un solide patrimoine biotique ou bien une planète appauvrie sur le plan génétique? Les mesures que nous prenons actuellement à l'échelon local, national ou mondial pour préserver et utiliser la diversité biologique auront une influence déterminante sur l'évolution future des civilisations humaines et de la vie sur la Terre. Il nous faut donc mettre la diversité biologique au service des hommes et user des ressources biologiques de façon équitable et durable. Ainsi, nous pourrons à la fois nourrir les générations présentes et ménager les ressources indispensables à la survie et à la prospérité des générations futures.


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