4. Besoins alimentaires et croissance démographique


Documents d'information technique 1-5
Volume 1
© FAO, 1996


 1. Introduction

L'HUMANITÉ VA-T-ELLE POUVOIR FAIRE FACE À UNE CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE CONTINUE?

1.1 Selon les projections (variante moyenne) des Nations Unies, la population mondiale devrait augmenter de 72 pour cent entre 1995 et 2050. Il faut espérer que d'ici là les déficits alimentaires auront diminué, que la consommation de vivres par habitant aura augmenté dans les pays souffrant de pénuries et que les régimes alimentaires des populations seront plus variés afin que certaines carences soient éliminées. Tous ces changements pèseront lourdement sur les systèmes de production vivrière, sur les ressources naturelles et sur le milieu.

1.2 Toute la question est de savoir si l’accroissement de la production vivrière et les ressources naturelles disponibles seront suffisants pour supporter cette croissance démographique de manière durable d’ici à l’an 2050, date à laquelle l’effectif de la population mondiale devrait se stabiliser. La répartition des ressources naturelles nécessaires à la production agricole ne correspond pas à la répartition territoriale de la population, ce qui peut créer une difficulté supplémentaire. Or, les migrations ne compensent pas forcément les écarts existants. La question se pose aux niveaux local, national, régional et inter-national.


PORTÉE DU DOCUMENT

1.3Le présent document met l’accent sur l’importance relative de l’évolution de trois types de facteurs: les facteurs démographiques qui déterminent les besoins énergétiques1, le comblement des écarts actuellement observés dans les besoins énergétiques et la diversification des modes d’alimentation nécessaire pour mieux satisfaire les besoins nutritionnels. De ce point de vue, une population est considérée non seulement comme une masse de gens présentant certaines caractéristiques démographiques et socio-économiques, mais aussi comme un ensemble d’individus ayant des besoins nutritionnels différents du fait de paramètres tels que le sexe, la taille, l’âge, le degré d’activité physique et le mode d’alimentation.

1.4 Ce document utilise donc essentiellement les besoins énergétiques minimaux comme base de calcul pour estimer la quantité d’énergie d’origine végétale correspondante nécessaire pour couvrir ces besoins. Ces derniers sont évalués pour 2050 en fonction de différents scénarios dépendant de variables démographiques et nutritionnelles ainsi que de leur interaction.

1.5 A l’évidence, l’importance relative des trois facteurs d’évolution démographiques et nutritionnels (identifiés ci-dessus) dépend des hypothèses retenues. Un changement d’hypothèse modifierait les résultats. Les projections des Nations Unies présentent trois scénarios tout à fait différents qui démontrent l’importance des facteurs démographiques. A l’inverse, les hypothèses adoptées en matière nutritionnelle en ce qui concerne la résorption du déficit relatif aux besoins énergétiques et la diversification des régimes alimentaires sont prudentes: le niveau énergétique que les pays en développement devraient atteindre en 2050 équivaudrait au niveau que prévoit la FAO pour l’Asie orientale en 2010, et le niveau de diversification des régimes alimentaires adoptés est assez proche du niveau projeté par la FAO pour l’ensemble du monde en 2010.

1.6 De tels scénarios permettent d’évaluer avec plus de facilité les conséquences des différentes hypothèses concernant l’évolution démographique et les changements de types nutritionnels en 2050; ils ont été adoptés pour les raisons suivantes:

1.7 Ces résultats donnent une idée de l’ampleur des défis démographiques qu’il faudra relever pour que la production alimentaire couvre les besoins nutritionnels en 2050, sans tenir compte du calendrier. Le présent document élargit donc les projections démographiques des Nations Unies au domaine de la nutrition.

1.8 Il faut bien préciser que le document n’est en aucun cas une sorte de prolongement économique des projections en matière de population.

1.9 Il faut aussi savoir que, en mettant l’accent sur le développement durable pendant une période représentant à peu près deux générations, on montre toute l’importance de la valorisation du capital humain et de politiques qui couvrent plus d’une génération.


CLASSIFICATIONS UTILISÉES

1.10 Au-delà des distinctions habituelles entre pays développés et pays en développement (distinction socio-économique) ou par continent (géographique), il est aussi utile d’essayer de classer les pays en fonction des principales sources d’énergie composant les régimes alimentaires de la population. Les trois types de classification doivent être considérés comme complémentaires.

1.11 Pour décider du nombre de modes d’alimentation à retenir, il faut faire la part des choses entre la précision que confère un grand nombre de catégories et la stabilité de la classification dans le temps. Il va de soi qu’en privilégiant dans toute la mesure possible la stabilité – et donc en limitant le nombre de catégories – on risque d’introduire certaines anomalies que nous analyserons en temps opportun.

1.12 Compte tenu du faible nombre de catégories adopté ici, il n’y aura probablement que peu de changements de modes d’alimentation. Même si certains pays auront à procéder à des importations de céréales pour augmenter leurs disponibilités (par exemple ils devront acheter du blé, même si cette céréale ne fait pas partie de leur régime alimentaire), ces importations devraient revêtir une très grande ampleur nationale pour que le mode d’alimentation du pays soit modifié.

1.13 Un important principe a été retenu de manière implicite: les populations consommant surtout des tubercules (manioc, ignames, taro, etc.) ne changeront pas radicalement de mode d’alimentation. Ce principe repose sur trois observations: les pays concernés peuvent intensifier les cultures de tubercules sans appauvrir les sols; ils disposent d’énormes réserves foncières pour pratiquer une agriculture non irriguée; en raison de leur extrême degré de pauvreté, ils risquent de ne pouvoir importer avant plusieurs dizaines d’années suffisamment de céréales pour entraîner une modification de leur mode d’alimentation.


ATOUTS ET CONTRAINTES

1.14 La prévisibilité des différents aspects de la relation population-alimentation est extrêmement variable.

1.15 Parmi ces phénomènes, le mouvement général de la population est sans doute le moins difficile à prévoir. Peu après la Seconde Guerre mondiale, les Nations Unies ont été en mesure d’établir des projections de la population mondiale pour l’an 2000 et ont établi les projections suivantes sans grandes modifications des résultats (tableau 1).

1.16 Toutefois, en raison des flux migratoires internes et internationaux, souvent dus à des mutations économiques, l’observation faite à propos des projections se vérifie mieux avec les unités géographiques plus vastes.

1.17 Il est difficile de projeter des modifications des modes d’exploitation liés par exemple à des progrès technologiques, à la mise au point de nouveaux cultivars, à la sélection de nouvelles espèces animales, à l’aboutissement de travaux de recherche sur l’adaptation de l’agriculture à l’environnement ou de l’environnement à l’agriculture (irrigation par exemple) et à la diffusion du savoir-faire et des innovations.

Tableau 1
PROJECTIONS DES NATIONS UNIES POUR L'AN 2000

Année de référence Date de publication Projections pour l’an 2000
(en millions d’habitants)
1950-55 1958 6 280
1982 1985 6 127
1994 1995 6 158

1.18 Réaliser une étude sur 50 ans, ou même sur 20, présente des difficultés en raison de l’imprévisibilité de certaines variables exogènes telles que: les investissements publics en matière d’infrastructure, qui peuvent conditionner l’évolution de l’agriculture; la fourniture d’intrants; la réglementation des marchés agricoles; et l’efficacité des politiques d’ajustement structurel qui influent sur des facteurs comme le revenu ou le niveau d’endettement des exploitants. Mais, en privilégiant les projections démographiques relativement sûres ainsi que les aspects nutritionnels, on parvient, dans une certaine mesure, à éviter ces écueils.

Les projections utilisées s’appuient sur les travaux d’organisations internationales

1.19 Les projections utilisées dans ce document proviennent de toute une série de projections établies par des organisations internationales.

1.20 Nous avons analysé les trois scénarios établis par les Nations Unies en ce qui concerne les projections démographiques jusqu’en 2050 pour évaluer l’importance relative ou absolue de certains facteurs démographiques sur les besoins énergétiques et les changements d’alimentation qui influent sur la demande de produits alimentaires. Même si l’on s’en tient à ces seules considérations, on peut déjà voir que les problèmes de la production vivrière sont d’une ampleur sans précédent et qu’ils soulèvent des interrogations essentielles quant aux solutions envisageables en ce qui concerne les gains de productivité, la durabilité et le coût pour l’environnement.

1.21 Ce sont les projections établies par la FAO dans les domaines de l’alimentation et de l’agriculture jusqu’en l’an 2010 qui ont servi de cadre à la présente étude. Ce document s’inspire donc de l’Etude de la FAO intitulée L’agriculture mondiale: Horizon 2010 (WAT2010) (FAO, 1995a) pour ce qui est des résultats à l’échelle des pays et des hypothèses concernant les tendances jusqu’en l’an 2025.

1.22 Les procédures d’évaluation des besoins énergétiques ont été élaborées par la FAO.

1.23 L’utilisation combinée de ces sources a permis d’établir une projection à long terme des besoins ainsi que des facteurs démographiques et nutritionnels dont ils dépendent.

1.24 D’après les scénarios esquissés dans le présent document, pour relever des défis d’une telle l’ampleur, il faudra:

1.25 Dans le chapitre 2, le document examine l’équilibre historique entre population et production vivrière et classe les pays en fonction du degré de développement, du continent et du mode d’alimentation. Il étudie ensuite les facteurs qui influent sur l’équilibre entre besoins énergétiques et disponibilités alimentaires et tire quelques enseignements des tendances observées.

1.26 Le chapitre 3 examine divers scénarios futurs afin d’illustrer l’incidence relative de la croissance de la population et d’autres facteurs démographiques, tels que l’urbanisation, sur les besoins énergétiques. Il montre ensuite qu’il importe de combler les écarts actuellement observés dans les besoins énergétiques et les besoins supplémentaires rendus nécessaires par l’évolution des habitudes alimentaires. Enfin, il analyse l’effet cumulatif des facteurs précédemment mentionnés et tire quelques conclusions. On notera que chaque facteur est présenté comme un coefficient multiplicateur de l’énergie d’origine végétale. Les effets cumulatifs sont obtenus en multipliant chaque coefficient particulier.


2. Equilibre entre population et production alimentaire depuis 1950

2.1 Le présent chapitre procède à un examen des tendances démographiques qui pourraient avoir influé sur les besoins énergétiques des populations et, partant, sur les disponibilités alimentaires nécessaires pour satisfaire ces besoins. Vient ensuite une description de l’évolution des approvisionnements alimentaires. Enfin, le chapitre examine si les approvisionnements ont permis de couvrir les besoins.


FLUCTUATIONS DÉMOGRAPHIQUES

2.2 Les fluctuations démographiques qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, influent sur les disponibilités alimentaires peuvent être résumées comme suit:

Compte tenu de ces observations, on peut donc s’attendre à ce que les déplacements de populations s’accroissent en volume et que les lieux de destination se diversifient. Il faudra adopter aux niveaux national et international des politiques appropriées pour faire en sorte que les migrations aient une incidence positive. A ce titre, les politiques conçues uniquement pour favoriser les flux migratoires, que ce soit à l’échelle nationale ou internationale, ne peuvent donner de résultats et seront même souvent contraires, si elles ne s’accompagnent pas de politiques de développement judicieuses dans les régions d’origine.


INCIDENCE DES MOUVEMENTS DE POPULATION QUANTITATIFS OU STRUCTURELS SUR LES BESOINS ÉNERGÉTIQUES

2.3 Outre le rôle manifeste que peut jouer l’accroissement démographique proprement dit, tous les changements structurels susmentionnés ont influé sur les besoins énergétiques des populations à divers degrés.

2.4 L’allongement de l’espérance de vie contribue à accroître le chiffre de la population de tous âges. Par ailleurs, les enfants se nourrissant mieux, leur taille et leur poids sont plus élevés, ce qui augmente leurs besoins énergétiques moyens lorsqu’ils sont adultes.

2.5 La baisse de la fécondité a deux effets opposés. D’une part, elle a tendance à réduire les besoins énergétiques moyens, parce que les besoins des femmes enceintes ou allaitantes sont légèrement supérieurs à ceux des autres femmes du même âge. D’autre part, elle tend à accroître les besoins énergétiques parce qu’elle entraîne une diminution de la proportion des enfants, dont les besoins énergétiques sont inférieurs à ceux des adultes. En fin de compte, le dernier effet prédomine, mais l’effet net est faible.

2.6 L’activité physique augmente les besoins, et les niveaux d’activité physique ont tendance à être plus élevés en milieu rural que dans les villes. En revanche, les populations urbaines adoptent de nouveaux régimes alimentaires qui exigent généralement davantage d’énergie (Calories) d’origine végétale.

2.7 Le présent document analyse les effets particuliers de ces facteurs démographiques sur les besoins énergétiques.


MODIFICATION DES DISPONIBILITÉS ALIMENTAIRES

2.8 Depuis 1971, la FAO exploite un système intégré et informatisé de statistiques qui permet de réunir et mettre à jour, sous forme de comptes disponibilités/utilisations, des données portant sur 300 produits de base de l'agriculture et de la pêche et 310 produits transformés tirés de ces produits de base pour quelque 200 pays et territoires disposant de séries statistiques pour la période 1961-1990.

2.9 En ajoutant la quantité de denrées alimentaires produites dans un pays à la quantité de produits importés (en tenant compte des éventuelles variations de stocks qui auraient pu intervenir depuis le début de la période de référence), on obtient les disponibilités alimentaires correspondant à la période considérée. Côté utilisation, on établit une distinction entre les quantités exportées, servant à nourrir le bétail, utilisées comme semences, employées à des fins non alimentaires (industrielles en particulier) ou perdues pendant le stockage et le transport, et les quantités vendues au détail, à savoir les quantités qui entrent dans le circuit de la consommation ou qui en sortent sous forme de vivres (FAO, 1993a).

2.10 Il importe de noter que la quantité de nourriture disponible correspond à la quantité qui parvient au consommateur mais pas nécessairement à la quantité effectivement consommée. Cette dernière peut être inférieure à la quantité indiquée, compte tenu des pertes de vivres et d'éléments nutritifs comestibles survenant au niveau du ménage, c'est-à-dire pendant la période où la nourriture est stockée, préparée et cuite (qui influent davantage sur la teneur en vitamines et en éléments minéraux que sur l'énergie, les protéines ou les matières grasses), des quantités utilisées pour nourrir les animaux domestiques et familiers ou de la nourriture jetée (FAO, 1993a).

2.11 La FAO a ainsi évalué les disponibilités alimentaires pour 1992 à 2 718 Calories par personne et par jour (après pertes), soit 2 290 Calories provenant de produits végétaux et 428 Calories de produits de l’élevage.

Augmentation considérable des disponibilités alimentaires

2.12 A l’échelle mondiale, les disponibilités alimentaires ont sans doute été multipliées par plus de deux ces 40 dernières années. En d’autres termes, elles ont augmenté plus vite que la population, ce qui s’est traduit par une augmentation sensible des disponibilités moyennes en Calories par habitant. Les données disponibles indiquent qu’entre 1962 et 1991 les disponibilités quotidiennes moyennes par habitant ont augmenté de plus de 15 pour cent, mais ces moyennes mondiales cachent cependant d’importantes disparités régionales.

2.13 Dans les pays en développement, l’augmentation des disponibilités alimentaires par habitant a été notable puisqu’elle est passée de près de 1 990 Calories en 1962 à 2 500 Calories en 1991, tandis que dans le même temps la population totale doublait presque (2,2 milliards contre plus de 4,2). Au cours de la même période, les disponibilités alimentaires dans les pays développés sont passées de 3 000 Calories en 1962 à un niveau maximal de 3 300 Calories en 1982, pour ensuite tomber à environ 3 150 Calories en 1991. Cette augmentation a été particulièrement sensible tant en Asie, continent qui a exploité à plein les avantages de la révolution verte, qu’en Amérique latine, où les progrès technologiques réalisés sous la forme de variétés hybrides de maïs ont été très bénéfiques.

2.14 Trois catégories de pays ne sont pas incluses dans ces tendances. Les pays européens, principalement, ont réduit leurs disponibilités entre 1982 et 1992, tandis que les pays d’Amérique du Nord ont fortement augmenté les leurs. Les pays africains, en particulier ceux dont les populations consomment du manioc, des ignames ou du taro, ont vu leurs disponibilités diminuer au cours de la même période. Il faut surtout voir dans cette évolution africaine une conséquence de l’incapacité de réussir une révolution verte sur ce continent. Il convient aussi de faire remarquer qu’au cours de la même période (1982-1992) les disponibilités alimentaires des populations qui tirent du maïs l’essentiel de leurs besoins énergétiques ont elles aussi diminué.

Céréales soustraites à la consommation humaine

2.15 Seule la moitié des quantités de céréales produites sont destinées à la consommation humaine: 48 pour cent en 1969-1971 et 50 pour cent en 1988-1990 (FAO, 1995a).

2.16 La plupart des céréales servant à d’autres usages sont destinées à l’alimentation du bétail. Un peu plus de 20 pour cent de la production mondiale de céréales ont été employés pour nourrir le bétail en 1988-1990 (15 pour cent en 1969-1971). Les pays en développement ont utilisé un peu moins de 20 pour cent de leur production céréalière pour nourrir le bétail en 1988-1990 (contre un peu plus de 10 pour cent en 1969-1971) (FAO, 1995a). Le reste de la production céréalière est utilisé pour constituer des réserves de semences (les besoins dans ce domaine sont estimés à quelque 5 pour cent) (James et Schofield, 1990) ou perdu entre la récolte et la mise sur le marché. (On ne peut connaître les proportions, difficiles à évaluer, qu’en considérant ce qui reste.)

Pertes

2.17 On ne connaît pas avec exactitude les pertes entre le stade de la production et le stade de la vente au détail. Il existe des études de cas portant sur les pertes de rendement imputables aux ravageurs, mais il est difficile de généraliser (FAO, 1993b). L’évaluation des disponibilités alimentaires effectuée par la FAO tient compte des différentes pertes. Celles qui se produisent lors du stockage peuvent être considérables. Des pertes importantes ont ainsi été enregistrées en Amérique latine (SOLAGRAL, 1995). Certains auteurs estiment que ces pertes se situent entre 10 et 20 pour cent. D’autres considèrent qu’elles atteignent le tiers des quantités produites (Erlich et Erlich, 1991). Quoi qu’il en soit, des pertes de 10 à 15 pour cent dans les entrepôts commerciaux ne sont pas rares (James et Schofield, 1990) (paragraphe 3.61).

2.18 Pour comparer les besoins et les disponibilités alimentaires par habitant au niveau national, il faut ajouter à l’évaluation des besoins un pourcentage représentant les pertes survenant entre le stade de la vente et l’utilisation par les ménages (préparation ou consommation). Un chiffre de 5 à 10 pour cent est souvent avancé (James and Schofield, 1990). Les pertes sont plus élevées dans les pays développés que dans les pays en développement, où elles touchent davantage les zones urbaines que les zones rurales.

2.19 Il faut aussi tenir compte des pertes survenant au niveau des stocks de sécurité constitués par les ménages et notamment par les exploitants eux-mêmes dans les zones rurales. Les sociétés rurales sont souvent victimes de mauvaises récoltes. Les stocks qu’elles constituent ont tendance à se dégrader ou à être détruits par les ravageurs, la moisissure, etc. Ces pertes sont plus élevées quand les réserves sont importantes ou constituées pour des périodes supérieures à un an. Les stocks de ce type sont faibles dans les pays développés et importants dans les pays en développement, surtout dans les zones rurales. Les stocks sont plus limités dans les sociétés rurales jouissant d’un niveau de vie élevé.

2.20 Les chiffres disponibles ne peuvent être utilisés sous forme de statistiques car ils sont trop imprécis et spécifiques. Néanmoins, on peut noter que les pertes dues à la constitution de stocks et les pertes survenant entre le stade de la vente au détail et de l’utilisation par les ménages peuvent représenter 10 à 40 pour cent des disponibilités alimentaires d’une famille (Uvin, 1995).


SATISFAIRE LES BESOINS ÉNERGÉTIQUES

2.21On ne peut considérer les évaluations de disponibilités alimentaires par habitant comme des évaluations des besoins énergétiques. Les nutritionnistes ont évalué les besoins énergétiques de l’individu. Un manuel à l’usage des planificateurs et des nutritionnistes précise l’état des connaissances et propose des méthodes d’évaluation utilisables à l’échelon national (James et Schofield, 1990)2.

2.22 Il faut rappeler qu’une distinction doit être établie entre besoins énergétiques et demande de nourriture. On consomme de la nourriture pour satisfaire des besoins en énergie et en éléments nutritifs, qui varient en fonction de l’âge, du sexe, de la taille, du poids, etc. Cela dit, la demande de nourriture nécessaire pour satisfaire ces besoins varie en fonction des disponibilités alimentaires mais aussi des goûts du consommateur, de son revenu et des prix relatifs. Une augmentation des effectifs et une modification de la structure démographique, par âge et par sexe en particulier, entraînent une évolution des besoins – énergétiques notamment – en fonction des paramètres mentionnés précédemment, mais ces besoins peuvent être satisfaits par de très nombreux assortiments de produits alimentaires.

2.23 Quels sont les facteurs qui influent le plus sur les besoins énergétiques? Avec une population constante, la part respective de la taille et du poids, de la structure par âge et de l’urbanisation dans l’apport énergétique moyen au niveau national est, respectivement, de 49, 35 et 15 pour cent (James et Schofield, 1990). Les principaux facteurs à prendre en considération sont les suivants:

Evolution des besoins énergétiques

2.24 L’évaluation rétrospective des besoins énergétiques indique qu’ils varient fortement d’un pays à l’autre. Les besoins énergétiques des pays développés sont supérieurs à ceux des pays en développement.

2.25 Les besoins énergétiques des pays d’Amérique du Nord sont proches de 2 400 Calories par personne et par jour, ce qui est un peu plus que les besoins des populations européennes. A l’autre extrémité de l’échelle, ce sont les populations d’Afrique qui ont les plus faibles besoins en énergie (moins de 2 150 Calories), soit un peu moins que ceux des populations d’Asie ou d’Amérique latine (près de 2 150 Calories) (figure 1). On trouvera dans les paragraphes 2.42 à 2.48 une définition des catégories de régimes alimentaires.

2.26 D’une manière générale, les populations dont l’alimentation est à base de riz, maïs, blé, mil ou manioc (catégories 1, 2, 3, 5 et 6 respectivement, figure 2), et qui vivent pour l’essentiel dans les pays en développement, ont des besoins énergétiques inférieurs de près de 10 pour cent à ceux des pays développés, où le régime alimentaire est davantage composé de produits de l’élevage.

2.27 Les besoins énergétiques des populations ont augmenté d’une manière générale depuis 1970 (après avoir diminué pendant les décennies précédentes) et atteignent aujourd’hui un niveau de 2 220 Calories. Dans les pays développés, les besoins ont augmenté plus rapidement depuis 1970, après une faible croissance pendant la décennie précédente. Les besoins des pays en développement ont augmenté plus rapidement même que dans les pays développés. Cette situation s’explique par le fait que les besoins énergétiques des pays d’Asie, notamment ceux qui consomment avant tout du riz, et des pays d’Amérique latine ont augmenté beaucoup plus rapidement que ceux des pays développés (figure 1).

 

Figure 1

VARIATION DES BESOINS ÉNERGÉTIQUES ENTRE 1960 ET 1990, PAR CONTINENT

 

Figure 2

VARIATION DES BESOINS ÉNERGÉTIQUES ENTRE 1960 ET 1990, PAR TYPE DE RÉGIME ALIMENTAIRE

2.28 En Afrique, les tendances sont différentes (figure 1). Les besoins moyens par habitant ont diminué très légèrement depuis 1960, en raison de la faible réduction des besoins des populations consommant essentiellement du mil ou du sorgho et des populations consommant du manioc, des ignames, du taro ou des plantains (catégories 5 et 6 respectivement, figure 2). Tel est aussi le cas pour les populations consommant du maïs. Les changements observés dans les besoins énergétiques moyens sont surtout dus à l’évolution de la pyramide des âges.

Tendances des disponibilités alimentaires

2.29 Si l’on compare les disponibilités énergétiques et la valeur des besoins évalués précédemment, on s’aperçoit que la couverture des besoins énergétiques de l’humanité s’est rapidement améliorée durant les années 60, mais que cette progression s’est considérablement ralentie pendant les années 70. Le taux moyen de couverture a même diminué durant les années 80. Cela ne signifie pas que la situation alimentaire des pays en développement a empiré au cours de la même période. C’est dans les pays développés que la consommation a diminué par rapport aux besoins énergétiques constants. Même si les progrès sont aujourd’hui plus lents, la situation alimentaire s’est améliorée en moyenne dans les pays en développement.

2.30 Dans les pays développés, les disponibilités alimentaires dépassent de plus en plus les besoins énergétiques. Avec un taux de couverture déjà supérieur à 1,35 en 1980 et proche de 1,5 en 1990, les populations d’Amérique du Nord semblent bénéficier d’une sécurité quasiment totale en matière d’approvisionnements alimentaires, même dans l’hypothèse où des pertes massives se produiraient au stade de la production et avant ou après le stade de la vente au détail. Les disponibilités des pays développés dépassent aujourd’hui de près de 50 pour cent leurs besoins (figure 3). A l’inverse, les disponibilités diminuent dans les pays européens où le taux de couverture est tombé de 1,4 en 1980 à 1,36 en 1990 (figure 3). Compte tenu des pertes modérées qui interviennent sans doute entre la production et la consommation intérieure de produits vivriers, il est incontestable que la situation alimentaire reste caractérisée par des excédents pour la majorité de la population.

2.31 Dans les pays en développement, la situation s’est largement améliorée puisque le pourcentage de couverture est passé de -6 pour cent en 1962 à +17 pour cent en 1990.

2.32 L’amélioration a surtout été perceptible en Asie, où le taux de couverture des besoins énergétiques est passé d’un peu plus de 0,9 en 1962 à un peu moins de 1,2 en 1990. Il s’agit là d’une progression rapide observée tout au long de la période correspondante. Dans les pays d’Amérique latine, où la situation alimentaire n’est pas aussi favorable en moyenne que dans les pays d’Asie, le taux de couverture a légèrement diminué entre 1980 et 1990, après s’être sensiblement amélioré entre 1962 (1,10) et 1980 (1,25). Nous allons ci-après analyser la situation plus en détail en expliquant comment il convient d’interpréter ces chiffres.

 

Figure 3

VARIATION DE LA COUVERTURE DES BESOINS ALIMENTAIRES ENTRE 1962 ET 1990, PAR CONTINENT

2.33 Ces résultats confirment la situation alarmante qui existe dans la plupart des pays d’Afrique. Comme les disponibilités sont insuffisantes depuis 1962 et n’ont jamais excédé les besoins de plus de 8 pour cent (les taux de couverture sont demeurés inférieurs à 1,06), la situation alimentaire est de toute évidence inadéquate dans la majeure partie du continent africain (figure 3). Elle est sans nul doute plus grave dans certains pays que ne le laisseraient supposer les chiffres moyens. Les pays d’Afrique du Nord, où le blé occupe une place importante dans le régime alimentaire, sont en mesure d’importer des céréales pour satisfaire leurs besoins. Inversement, comme l’Afrique du Nord entre dans la moyenne, il faut en déduire que la situation est pire que la moyenne dans certains pays de l’Afrique subsaharienne.

Régions où la situation est préoccupante

2.34 Dans les pays qui couvrent l’essentiel de leurs besoins énergétiques avec du mil et du sorgho, on constate qu’en dépit d’une amélioration du taux de couverture les disponibilités alimentaires n’ont pas permis de couvrir leurs besoins, même en 1990 (taux de couverture inférieurs à 1,00) (catégorie 5, figure 4).

2.35 Même si l’on tient compte de la piètre qualité des données, on s’aperçoit que chez les populations qui se nourrissent essentiellement de racines, de tubercules, de manioc, d’ignames ou de taro, les tendances diffèrent sensiblement de celles des autres catégories. Leur situation alimentaire se dégrade et leurs disponibilités étaient inférieures à leurs besoins en 1980 et 1990 (catégorie 6, figure 4).

2.36 La situation alimentaire des populations vivant au sud du Sahara est tout à fait différente de celle des populations pratiquant la riziculture. Entre 1962 et 1990, les taux de couverture des catégories 5 et 6 sont passés de 0,89 et 1,02, respectivement, à 1,00 et 0,98, tandis que celui de la catégorie 1 (riz) passait de 0,88 à 1,118 (figure 4). Si l’on prend en considération les pertes de produits alimentaires après le stade de la vente au détail, qui sont habituellement considérables dans les pays pauvres, on se rend compte que la situation de ces populations est souvent dramatique.

2.37 En ce qui concerne les pays en développement, les catégories comprennent de nombreux pays (exception faite de la catégorie 5, qui n’en contient qu’un petit nombre). Les catégories correspondent donc à des moyennes, qui masquent la diversité des situations locales. Il faut rappeler que l’Afrique n’est pas le seul continent confronté à de graves pénuries alimentaires au niveau national. Des pays tels que l’Ethiopie, le Mozambique, la République centrafricaine, la Sierra Leone ou la Somalie (FAO, 1995b) sont effectivement dans cette situation, mais il en est de même de certains pays d’Asie, comme l’Afghanistan, voire la Mongolie et le Népal. Les bulletins de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) indiquent que d’autres pays comme le Bangladesh, le Cambodge et le Myanmar souffrent également de sous-alimentation chronique (Erlich et Erlich, 1991). Il existe aussi des déficits chroniques à l’échelon sous-national en Inde et en Chine. C’est la raison pour laquelle la dénutrition chronique reste un problème important en Asie de l’Est et du Sud (FAO, 1992).

 

Figure 4

VARIATION DE LA COUVERTURE DES BESOINS ALIMENTAIRES ENTRE 1962 ET 1990, PAR TYPE DE RÉGIME

2.38 Un grand nombre de gens continuent de souffrir d’une sous-alimentation chronique. Les données indiquent que 918 millions de personnes étaient sous-alimentées en 1969-1971, 906 millions en 1979-1981 et 841 millions en 1988-1990 (FAO/OMS, 1992).

2.39 La répartition des disponibilités alimentaires est inégale tant au niveau général qu’à la base. Nous n’avons pas signalé jusqu’à présent les inégalités très répandues qui caractérisent l’accès à la nourriture quel que soit le niveau de couverture lorsqu’on considère l’ensemble de la population. Les femmes n’ont pas toujours accès aux vivres au même degré que les hommes, situation qui compromet leur santé mais aussi le développement et la croissance ultérieurs de leurs enfants. Nous savons aussi que les rations de ceux-ci peuvent être jusqu’à 20 ou 30 pour cent inférieures à leurs besoins (FAO, 1987) et que, en cas de pénurie alimentaire, les hommes ont parfois un accès prioritaire à la nourriture. Il est vrai aussi que les inégalités économiques peuvent engendrer une répartition inégale des disponibilités alimentaires.

2.40 La démarche que nous avons adoptée jusqu’ici suppose que les vivres sont répartis entre les individus exactement selon leurs besoins. Cela est rarement le cas. Une répartition plus équitable des disponibilités alimentaires supprimerait probablement la majeure partie de la sous-alimentation. Mais tout comme les pertes acceptées entre le stade de la vente au détail et de la consommation familiale doivent être compensées par un accroissement des disponibilités alimentaires quand la répartition est très inégale, il faut que les disponibilités alimentaires soient supérieures aux besoins, si l’on veut qu’il y ait suffisamment de vivres pour satisfaire les besoins énergétiques de ceux qui se trouvent à l’extrémité de la chaîne de distribution (voir paragraphe 3.62). L’augmentation des disponibilités ne peut favoriser une meilleure répartition que si elle s’accompagne de politiques appropriées (paragraphe 3.58). L’effet de ruissellement ne se produit pas automatiquement.

2.41 Entre les pays, les différences s’accentuent. La conjugaison des différences de répartition à la base et à plus grande échelle explique pourquoi le nombre des personnes sous-alimentées reste élevé, alors que la situation s’améliore d’une manière générale. Les tendances actuelles concernant la population et la pauvreté vont dans le sens d’une accentuation de cette situation dans beaucoup de pays en développement.


RÉGIMES ALIMENTAIRES DES POPULATIONS DU MONDE: CLASSEMENT PAR PAYS

2.42 Les grands régimes alimentaires du monde et leur dimension sociocultu-relle ont été classifiés à partir des mêmes informations nationales que celles qui ont été utilisées pour l’analyse des composantes essentielles de la consommation journalière par habitant. Six catégories ont été définies au moyen d’un classement hiérarchique par ordre croissant des 151 pays pour lesquels la FAO disposait de données; 32 autres pays ont été exclus faute d’informations suffisantes, mais comme ils ne représentent ensemble que 0,4 pour cent de la population mondiale, leur absence n’a qu’une incidence minime.

2.43 Ces six catégories comprennent 16, 25, 25, 27, 5 et 21 pays, respectivement (tableau 2). On peut s’interroger sur l’utilité d’inclure une petite catégorie ne comportant que cinq pays. Mais, même avec une typologie prévoyant cinq catégories au lieu de six, la petite catégorie demeurerait car, comme nous le verrons plus tard, ses caractéristiques ont une grande importance. Si la classification était ramenée à cinq catégories, les catégories 1 et 2 seraient regroupées bien qu’elles soient composées de populations consommant essentiellement du riz et du maïs, respectivement.

2.44 Pour simplifier cette typologie, chaque classe a été nommée d’après celui des produits alimentaires qui caractérise le mieux le régime alimentaire correspondant. C’est ainsi que la catégorie 1 est celle du riz, la catégorie 2 du maïs, la catégorie 3 du blé, etc. Mais cette dénomination simplifiée ne doit pas être prise au pied de la lettre. Chaque catégorie contient des pays ayant du point de vue des bilans alimentaires de la FAO, des structures similaires de régime alimentaire. Il importe ici d’avoir présent à l’esprit que, pour pouvoir comparer les structures, ce travail de classification ne tient compte que des aspects énergétiques de chaque élément du régime alimentaire. Il ne prend pas en compte les aspects qualitatifs tels que la teneur en protéines provenant du poisson et de glucides provenant du blé. Comme chaque produit alimentaire n’est identifié que du point de vue de sa valeur énergétique dans la structure du régime, un pays sera regroupé dans une catégorie déterminée s’il présente une structure similaire, même s’il s’en écarte pour ce qui est d’un important produit alimentaire. Les quelques anomalies qui sont apparues dans ce travail de planification présentent un intérêt considérable; c’est le cas par exemple du Japon que l’on verra plus loin en détail. Les différences entre certaines structures peuvent être relativement faibles. Ainsi, c’est de la structure de la catégorie 2 (consommateurs de maïs) que la structure de la catégorie 1 (consommateurs de riz) est la plus proche. De la sorte, si l’on ne prend que cinq catégories, les pays consommant essentiellement du riz seront regroupés avec ceux qui consomment essentiellement du maïs. Le régime alimentaire de ce groupe mixte est sensiblement différent du régime alimentaire des pays qui consomment surtout du blé, parce qu’un régime à base de blé comprend aussi d’autres sources d’énergie. En revanche, si l’on utilise une classification à six catégories, il faudrait en dissocier certains pays, comme le Japon, pour en faire des catégories indépendantes. Avec une classification composée de six catégories, le Japon se rattache aux pays qui consomment essentiellement du maïs, alors que sa population ne consomme pas de cette céréale. Trois considérations peuvent expliquer cette situation: le Japon n’est pas classé parmi le groupe des pays à haut revenu (catégorie 4) car son niveau de ration énergétique est inférieur à celui des pays à haut revenu; la consommation de viande du Japon est faible, et la consommation de riz du Japon est faible comparée à celle d’autres pays appartenant à la catégorie fondée sur le riz. De cette manière, sa consommation de produits végétaux autres que le riz place le Japon dans une catégorie différente de celle des pays qui consomment principalement du riz (catégorie 1). Sa faible consommation de viande, notamment de boeuf et de mouton, place le Japon dans une catégorie différente de celle des pays qui consomment principalement du blé (catégorie 3). Une explication similaire pourrait être donnée pour la Malaisie.

Tableau 2

2.45 La typologie retenue comporte six grands types de régime alimentaire (tableau 3):

Tableau 3

2.46 Les catégories de cette typologie correspondent de près aux principales plantes des différentes civilisations du monde: riz, blé, maïs, mil (auquel on peut ajouter le sorgho) et manioc (auquel on peut ajouter les ignames et le taro). Les effets de la diversification des régimes alimentaires ne peuvent être perçus que dans les pays développés qui ont introduit de nombreux produits de l’élevage dans les régimes alimentaires (catégorie 4).

2.47 Trois pays en développement sont classés dans la catégorie 4 aux côtés des pays développés. Toutefois, ces pays en développement – Arabie saoudite, Israël et Liban – sont des pays riverains ou proches de la Méditerranée et sont considérés par la Banque mondiale comme des pays à revenu élevé. Leur situation économique permet à leurs populations de diversifier leur régime alimentaire (Banque mondiale, 1994).

2.48 Cette classification ne diffère guère de celle obtenue à partir de données antérieures. On obtiendrait sans doute des résultats similaires avec des données plus anciennes encore. Les différences auraient probablement concerné les trois pays susmentionnés et certains pays développés qui, jusqu’à une date récente, consommaient une proportion beaucoup plus élevée de céréales. On constate donc une certaine stabilité des régimes alimentaires dans les pays en développement, même si une évolution des modes d’alimentation peut être observée à mesure que les pays se développent.

Relation entre les caractéristiques sociodémographiques des populations et leur classification d’après leur régime alimentaire

2.49 Classer les pays en fonction de leur mode d’alimentation aboutit à les répartir en fonction d’importantes caractéristiques démographiques en rapport avec les besoins énergétiques de leurs populations. Il s’agit de relations par association et non de relations causales. En outre, ces classifications sont le reflet des différentes situations en matière d’alimentation (tableau 3):

Pays privés de sécurité alimentaire

2.50 Les progrès constatés en ce qui concerne la couverture des besoins énergétiques dans les pays en développement ont peut-être été remarquables, mais ils ont été trop lents. Nous l’avons vu, l’augmentation des disponibilités alimentaires par habitant dans les pays en développement a été forte puisque ces disponibilités sont passées de près de 1 990 Calories en 1962 à plus de 2 500 en 1991, c’est-à-dire un niveau supérieur aux besoins (2 160 Calories en 1990). Dans beaucoup de pays, ces gains n’ont pas profité aux pauvres.

2.51 Néanmoins, les pertes de nourriture qui se produisent entre le stade de la vente au détail et le stade de la consommation familiale contribuent largement à accroître l’écart entre disponibilités et besoins. Ces pertes sont considérables, notamment avec les céréales et les légumes. Avec les racines et tubercules, elles sont faibles car ces produits sont consommés dans des pays aux marchés relativement restreints (elles sont donc limitées pendant le transport et le stockage) et parce qu’on peut sans trop de risques laisser ces végétaux dans le sol jusqu’à ce qu’on en ait besoin. Les pertes sont plus élevées lorsque les ménages sont contraints de faire des réserves, moyen pour eux de se prémunir contre les mauvaises récoltes ou les catastrophes dues aux intempéries, aux inondations ou aux difficultés d’approvisionnement. Plus ces réserves sont conservées longtemps, plus elles sont vulnérables. Des pertes annuelles moyennes de 10 pour cent feraient passer les disponibilités alimentaires moyennes nécessaires à 2 380 Calories, ce qui n’est pas très loin des approvisionnements alimentaires dont disposaient les pays en développement en 1988-1990 (2 470 Calories).

2.52 La répartition inégale des produits alimentaires à l’intérieur des pays creuse aussi l’écart entre les besoins moyens et les disponibilités alimentaires dont les populations ont besoin. Nous avons déjà souligné que dans les pays où existent les plus grandes inégalités dans ce domaine les disponibilités alimentaires par habitant devraient être de 20 à 30 pour cent supérieures aux besoins moyens pour éliminer la malnutrition (FAO, 1995a). Toutefois, un tel accroissement des disponibilités alimentaires ne résout pas automatiquement le problème de distribution, raison pour laquelle il est indispensable d’adopter des politiques dans ce domaine.

2.53 Cela explique donc pourquoi les disponibilités alimentaires des pays qui consomment essentiellement du riz (quelque 2 520 Calories) sont insuffisantes et pourquoi, du fait que ces pays représentent la majorité de la population mondiale, la plupart des personnes souffrant de malnutrition dans le monde habitent dans ces pays. C’est toutefois dans les pays qui consomment essentiellement du manioc, des ignames ou du taro que les pénuries de vivres sont les plus graves. Les disponibilités alimentaires de ces pays – 2 090 Calories en 1990 – restent inférieures à leurs besoins énergétiques moyens. Cette catégorie comprend un grand nombre de pays exposés à l’insécurité alimentaire et la majorité des populations qui souffriront de dénutrition en 2010 (FAO, 1995a). Ce sont aussi des pays à croissance démographique rapide.


FACTEURS CONDITIONNANT L'ÉQUILIBRE ENTRE BESOINS ÉNERGÉTIQUES ET DISPONIBILITÉS ALIMENTAIRES

2.54 La présente étude n’a pas pour objet de définir les facteurs permettant d’accroître les disponibilités alimentaires. On sait en fait peu de chose sur ces facteurs mais, avec les résultats ci-dessus, il nous est possible d’identifier les conditions qui, par le passé, ont favorisé un accroissement de la production de vivres. Ces facteurs sont en partie démographiques car l’accroissement de la population entraîne presque automatiquement une augmentation des besoins énergétiques totaux. Ils sont aussi en partie économiques.

Développement économique général et recul de la pauvreté

2.55 Depuis la Seconde Guerre mondiale, les populations qui produisent leur propre nourriture, qui sont employées dans l’agriculture et tirent leurs moyens d’existence de cette activité, bien qu’en constant recul, représentent encore la majorité de la population mondiale. En général, c’est dans les zones rurales qu’on trouve encore les populations les plus pauvres (Banque mondiale, 1990). Il est à noter que c’est parmi les pays à faible consommation alimentaire que la croissance démographique est la plus forte. C’est bien pour cela qu’il importe tant d’étudier les interactions entre augmentation des besoins et accroissement de la demande, et on peut comprendre les inconvénients que présente pour la formulation de politiques notre méconnaissance de ces liens. Pourtant, une croissance économique générale et un recul de la pauvreté entraînant un accroissement de la demande de produits alimentaires semblent être les principaux facteurs capables d’assurer avec succès la satisfaction des besoins énergétiques dans maints pays en développement. Les politiques visant à faire face à une rapide croissance démographique peuvent aussi contribuer de manière importante à ces facteurs.

Le développement rural engendré par une intensification de l’agriculture

2.56 On a constaté une augmentation considérable des disponibilités alimentaires rendue possible par des gains de productivité et, dans une moindre mesure, une augmentation des superficies cultivées. Selon la FAO (1995a), 69 pour cent de l’augmentation de la production de végétaux entre 1970 et 1990 sont imputables à une amélioration des rendements et 31 pour cent à une augmentation des surfaces cultivées.

2.57 Ces gains de productivité ont surtout concerné le blé (2,8 pour cent par an), le riz (2,3 pour cent) et, dans une moindre mesure, le maïs (1,8 pour cent) et le sorgho (1,5 pour cent). Les rendements de l’orge, des mils et du manioc n’ont progressé que de 1 pour cent par an (FAO, 1995a). L’intensification des cultures a également été rendue possible par l’irrigation qui, outre qu’elle accroît directement les rendements car elle permet l’utilisation de variétés de céréales à haut rendement (hybrides, etc.), multiplie le nombre de récoltes. En 1988-1990, dans les pays en développement (Chine non comprise), 123 millions d’hectares de terres arables, dont 35 millions de terres arides ou très arides, étaient irrigués (FAO 1995a). Bien qu’aucune étude détaillée n’ait été faite sur ce sujet, le remplacement des cultures à faible rendement par des cultures à haut rendement et la modification des produits végétaux ont aussi contribué à accroître la production vivrière.

2.58 Les progrès technologiques ont rendu les produits alimentaires moins coûteux, grâce à quoi les populations ont pu en consommer davantage. Les pays en développement ont aussi commencé à nourrir leur bétail avec des produits destinés initialement à la consommation humaine pour des raisons de coût. L’augmentation de la demande a suscité des innovations technologiques, dont l’utilisation est ainsi devenue meilleur marché. La concentration accrue des populations a sans doute stimulé la production grâce à la consommation de masse, encore que cette hypothèse ne soit pas vérifiée.

2.59 En dépit de cette augmentation, les pays en développement ne produisent pas encore suffisamment pour satisfaire leurs besoins. Mis à part quelques gros producteurs de riz, la Chine en particulier, les pays en développement ont dû procéder à des importations de céréales d’autant plus massives que les cours étaient anormalement bas à cause des subventions agricoles pratiquées par certains pays.

2.60 La tendance sur le long terme est à la diminution des prix des denrées alimentaires. Cette baisse est due en partie au fait que rien ne semble s’opposer, au niveau mondial, à ce que la production alimentaire augmente pour satisfaire la demande. On ne peut expliquer le recul général de la production céréalière par habitant observé au cours des 10 dernières années que par une diminution de la production des principaux pays exportateurs.

2.61 Deux objectifs incompatibles sont poursuivis: faire reculer la pauvreté et aider les pauvres à avoir accès aux vivres, objectif qui conduit à une augmentation de la demande; maintenir les prix à un niveau suffisamment attrayant pour inciter les principaux exportateurs de céréales à produire, ce qui favorise une mise en jachère des terres et limite l’augmentation des disponibilités alimentaires par habitant.

2.62 L’accroissement de la production alimentaire et l’augmentation de la productivité dans l’agriculture sont les principaux moyens employés pour combattre la pauvreté et améliorer la situation alimentaire dans les pays en développement. La principale cause de la sous-alimentation chronique est l’incapacité de faire reculer la pauvreté dans ces pays. Le potentiel d’accroissement de la production, en Afrique par exemple, reste considérable mais il demande des politiques appropriées et efficaces. Ces politiques doivent améliorer la situation des femmes rurales, qui assument une responsabilité essentielle en matière de production alimentaire mais qui, en l’absence d’hommes, doivent souvent limiter le nombre ou la durée des tâches qui leur incombent, au prix parfois, entre autres, d’une dégradation des terres.

Augmentation des importations de vivres dans les pays en développement

2.63 Un grand nombre de pays en développement ont, à des degrés divers, accru leurs importations de céréales depuis quelques dizaines d’années. Les principaux pays exportateurs n’ont pas eu de difficulté à répondre à ce surcroît de demande. L’aide qu’ils accordent à leurs agriculteurs explique en partie l’augmentation des importations des pays en développement. Or, cette aide tend à s’amenuiser.

2.64 Au fur et à mesure que l’écart se creuse entre la production et les besoins énergétiques au niveau national, les pays pauvres deviennent de plus en plus tributaires des importations de céréales. Mais le volume des importations dépend de la solvabilité des pays; les effets de la taille de la population sur ces importations n’apparaissent que si les pays sont solvables.

2.65 Au-delà d’un certain niveau de progrès économique, qui peut initialement favoriser une diminution de la fécondité, les importations de céréales augmentent avec la baisse de la fécondité et le ralentissement de la croissance démographique. D’une manière générale, on constate que plus les pays se développent, plus la fécondité diminue et les importations de céréales augmentent.

2.66 Tel n’est pas le cas quand le taux de fécondité est élevé. La situation de l’Afrique subsaharienne est différente pour deux raisons. En premier lieu, les importations sont plus limitées quand la croissance démographique est rapide, ce qui s’explique sans doute par l’insolvabilité des pays à taux de fécondité élevés. Deuxièmement, plus la pression démographique par rapport à la superficie agricole est forte dans les pays consommant du manioc, des ignames ou du taro, plus les importations de céréales par habitant sont faibles. Cela en dit long sur le caractère extrêmement aléatoire des approvisionnements vivriers dans ces pays (Collomb, 1988, 1989) qui ne peuvent importer assez de céréales pour nourrir leurs populations.

2.67 On peut émettre une observation particulière à propos des pays arabes: dans ces pays, plus le taux de fécondité ou la croissance démographique sont élevés, plus les importations de céréales sont importantes (les pentes des courbes de régression sont accentuées) (Collomb, 1988, 1989). Les revenus pétroliers et le tourisme rendent sans doute ces importations possibles.


ENSEIGNEMENTS TIRÉS

2.68 La principale leçon qu’on peut tirer est que la pauvreté est le principal facteur économique expliquant l’incapacité d’améliorer l’accès à la nourriture, situation que la rapide croissance démographique ne fait que rendre plus aiguë.

2.69 On constate une amélioration générale du taux de couverture des besoins énergétiques par les disponibilités alimentaires dans les pays en développement. Le cas le plus frappant est celui de l’Asie dont le taux de couverture a augmenté au cours de la période 1962-1992. Plus récemment, le rythme de progression s’est ralenti en Amérique latine.

2.70 L’Afrique fait exception à ces tendances positives vu qu’elle n’a enregistré aucune amélioration du taux de couverture des besoins énergétiques au cours de la période 1962-1992. Ce taux a même diminué pour la catégorie 6 au cours de la période 1970-1980.

2.71 On peut voir dans ces évolutions la conséquence de la révolution verte en Asie et, à un moindre degré, en Amérique latine. L’absence d’une telle révolution en Afrique apparaît manifeste. Ces résultats auront une incidence sur de futurs scénarios.

2.72 Il existe sans doute un lien entre cette situation et le manque de valorisation du capital humain. La santé et la satisfaction des besoins en énergie alimentaire des populations sont, à l’évidence, les conditions nécessaires du développement rural et agricole. L’humanité n’est pas prête de garantir «la santé pour tous» avant l’an 2000, comme prévu en 1978 à la Conférence internationale sur les soins de santé primaires qui s’est tenue à Alma Ata, URSS. Le taux élevé d’analphabétisme et le manque d’informations sur les nouvelles techniques ou les innovations entravent le développement. Les effets bénéfiques de la formation sur la production ou la productivité ont été prouvés, mais les conséquences sur le produit intérieur brut varient grandement d’un pays à l’autre. Plus le niveau d’éducation est élevé au départ, plus il est productif d’investir dans l’enseignement. Il semblerait que l’Afrique subsaharienne fasse exception à la règle, faute sans doute de disposer des infrastructures et des institutions appropriées (Banque mondiale, 1990).

2.73 Ainsi, faire en sorte que les pays à déficit vivrier fassent progresser de manière durable leurs politiques en matière de population et de développement – condition nécessaire à l’ordre social dans le monde – constitue un important défi pour la production agricole. C’est aussi un défi important pour le développement général des pays où les facteurs démographiques, pris isolément ou combinés aux effets des modes d’alimentation, jouent un rôle important, comme on le verra dans le reste du présent document. Ces considérations montrent que des délais nécessaires pour atteindre un certain stade de développement pourraient représenter deux générations.


Notes

1 Dans le titre du document, on a utilisé l’expression «besoins alimentaires». A strictement parler, celle-ci devrait être remplacée par l’expression «demande alimentaire». Mais compte tenu de la connotation économique du terme «demande», l’expression «besoins alimentaires» a été préférée. Il s’agit des besoins d’éléments nutritifs, lesquels comprennent les calories, les besoins protéiques et les oligo-éléments.

2 Voir aussi le document du SMA no 5,Sécurité alimentaire et nutrition.

 

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