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ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE SUR LES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX PRÉSENTS SUR LES MARCHÉS DE LIBREVILLE (GABON)

Paulin Yembi

Résumé

Le commerce local et régional des PFNL n'est en général pas quantifié, malgré la valeur importante que représentent de nombreux produits forestiers. L'initiative de recherche du CARPE actuellement en cours et comprenant une étude d'un large éventail de marchés sur la période d'un an, vise à combler cette lacune, en évaluant l'importance des PFNL commercialisés dans cette région et en identifiant ceux qui, faisant l'objet d'une demande croissante, sont susceptibles d'être menacés par la surexploitation des ressources. Cet article présente les résultats préliminaires obtenus pour la partie de l'étude régionale consacrée à Libreville et suit la méthodologie exposée au cours de formation organisé par le CARPE en février 1998 (Voir Clark et Sunderland, dans la présente publication).

Mots clés: Libreville, Gabon, produits forestiers, marchés.

Introduction

Cette enquête préliminaire a été menée dans le centre de Libreville et dans les banlieues situées au nord de la ville. Trois marchés principaux ont été échantillonnés. Le marché de Mont Bouët est le marché le plus important de la ville, tant pour la superficie que pour le nombre de négociants. Ce marché comprend également de nombreuses pharmacies informelles (des étals de plantes médicinales). Le marché de Nkembo, éparpillé de manière chaotique sur le bord de la route, est le second en importance, avec environ 350 négociants. Le marché d'Akebé est situé dans le quartier le plus peuplé de Libreville et il se caractérise par la présence de nombreux étals de nkumu (Gnetum africanum). A proximité de ces marchés, se trouvent des industries traitant des produits forestiers, telles que des ateliers spécialisés en artisanat du rotin. Une caractéristique commune aux trois marchés est la vente importante de vin de palme.

Méthodologie

La méthodologie appliquée au cours de cette étude est basée sur celle qui a été décrite par Clark et Sunderland (dans la présente publication). Le groupe d'enquêteurs du Centre d'Actions pour le Développement Durable et l'Environnement (CADDE) a utilisé ce questionnaire pour interviewer dans les marchés un nombre de personnes et de groupes aussi représentatifs que possible. En général, les marchands fournissaient les noms locaux utilisés, facilitant ainsi l'identification des espèces. Cependant, des échantillons furent également collectés en vue d'une identification plus sûre.

Trois critères de base ont été retenus pour quantifier les produits forestiers les plus importants dans les marchés :

Les produits présents dans ces marchés: vue d'ensemble.

La liste suivante énumérant les produits les plus vendus dans ces marchés n'est pas exhaustive et pourra être modifiée lors de prochaines enquêtes. Etant donné les variations saisonnières affectant la disponibilité des produits que l'on rencontre tout au long de l'année dans ces marchés, il est clair que cette liste est susceptible de varier tant pour les espèces vendues que pour les quantités commercialisées.

3.1. Feuilles d'emballage

Les feuilles de Megaphrynium macrostachyum sont principalement utilisées pour emballer le bâton de manioc: il en faut deux au minimum pour chaque bâton. Suite à la demande croissante de cet aliment bon marché, la consommation de feuilles a, elle aussi, augmenté. On estime que les feuilles de Megaphrynium marcrostachyum, ainsi que celles d'autres espèces de la famille des Marantaceae, donnent un goût particulier à certains aliments et pour cette raison, elles sont préférées aux feuilles de bananes (Musa spp.).

Tableau 1: Liste des produits les plus vendus dans les marchés de Libreville

Nom scientifique

Nom local (en langue Fang si souligné)

Partie utilisée

Utilisation

Irvingia gabonensis

Andok

Amande

Condiment

Megaphrynium macrostachyum

Ngungu

Feuilles

Emballages

Gnetum africanum

Nkumu

Feuilles

Légumes

Garcinia klainiana

Wali ou bois amer

Ecorce

Additif au vin de palme

Cola spp.

 

Fruits

Stimulant

Enantia chlorantha

Nfoo

Ecorce

Médicament

Aframomum ssp.

Esson, ndong

Graines

Condiment/médicament

Scorodophloeus zenkeri

Arbre à ail

Ecorce, graines

Condiment

Non identifié

 

Bâton à mâcher

Hygiène orale

Elaeis guineensis

Huile de palme

Fruits, jus, c_ur

Huile,vin, aliments

Duboscia macrocarpa

Akac

Fruits

Médicament, (magie)

Ricinodendron heudelotii

Essessang

Mughele (Bapounou)

Écorce, racines, graines

Condiment, protection contre les mauvais esprits

3.2. Légumes

La vente de nkumu (Gnetum africanum) constitue une part importante du commerce de légumes dans les marchés de Libreville (à l'exception du marché de Nkemo). Ce légume, fort apprécié dans les sauces à base de viande ou de poisson, est vendu en paquets, finement hachés et prêts à l'emploi. Les feuilles d'ignames sauvages (Dioscorea dumetorum), certaines espèces de fougères non identifiées et des légumes cultivés, tels que les jeunes feuilles de manioc, sont également courants dans les marchés.

3.3. Les fruits et les graines

La disponibilité de certains fruits forestiers est soumise à une variation saisonnière importante. Par exemple, les mangues (Mangifera indica) sont très abondantes entre décembre et mars, alors que la prunne de brousse (Dacryodes edulis) domine le marché entre juillet et août. Il y a également un certain nombre de fruits forestiers sauvages que l'on trouve couramment sur les marchés, dont en particulier onzabili (Antrocaryon klaineanum), offos (Pseudospondias longifolia) et Aframomum spp., particulièrement apprécié.

Les amandes d'Irvingia gabonensis, disponibles toute l'année, constituent le PFNL le plus répandu dans les trois marchés étudiés. Elles sont souvent importées du Cameroun et de la Guinée équatoriale, ou proviennent des forêts du Gabon. L'importante distribution de la ressource permet un approvisionnement tout au long de l'année. Les fruits d'Irvingia gabonensis sont rarement consommés frais. Les amandes sont essentiellement vendues sous la forme d'un gâteau appelé "pain odika", après avoir été séchées, grillées et moulues. Ce gâteau a un poids compris entre 100 et 500 grammes et est vendu à un prix oscillant entre 1 000 et 25 000 francs CFA, ou bien 500 francs CFA par verre de poudre utilisé pour la prépartaion du "pain odika". Les fruits de Raphia hookeri, couramment consommés par les Fang, sont également courants dans les marchés. Les fruits de Coula edulis sont également largement vendus en saison et sont d'habitude consommés comme casse-croûte.

3.4. Les épices et les condiments

Au Gabon, on utilise fréquemment les graines et l'écorce de Afrostyrax ledipophilus comme produit de substitution à la place de l'ail. Les graines de Ricinodendron heudelotii (essessang) sont, elles aussi, utilisées comme condiment. Les expatriés africains utilisent Monodora myristica en tant que condiment, tandis que les Gabonais attribuent des propriétés magiques à cette espèce, communément utilisée dans la médecine traditionnelle. De même, les fruits Aframomum spp. et Piper guineense sont également réputés pour leurs vertus magiques dans la médecine traditionnelle.

3.5. Le bois de feu

Dans les marchés de Libreville, le bois de feu vendu est principalement constitué de déchets, venant des scieries voisines. L'espèce la plus représentée est l'okoumé (Aucoumea klaineana). La seconde espèce vendue est l'okala (Xylopia aethiopica), dont l'écorce sert souvent à emballer la résine d'okoumé lors de la fabrication de torches. Enfin, les pêcheurs utilisent le bois de mangrove (Rhizophora racemosa et Avicennia nitida) pour fumer le poisson.

3.6. Le rotin

Les cannes de rotin à diamètre réduit de l'espèce Eremospatha macrocarpa sont très utilisées pour la fabrication de paniers. Dans l'industrie du meuble, on les utilise pour assembler des cannes plus grosses ou pour tresser des chaises. Les cannes de gros diamètre de l'espèce Laccosperma secundiflorum, après avoir été recourbées au moyen d'un chalumeau, sont utilisées comme structure dans la fabrication de meubles. Les réseaux d'approvisionnement du rotin sont bien organisés: des hommes le récoltent de manière intensive dans les forêts autour de Libreville pour le vendre ensuite dans les comptoirs de grossistes ou dans les ateliers d'artisans du rotin. Des ressortissants africains (généralement originaires du Niger, de Guinée équatoriale ou du Cameroun) ont ouvert des ateliers dans lesquels ils ont engagé des jeunes gabonais. Etant donné que les artisans travaillent exclusivement sur commission, il est difficile de quantifier la consommation mensuelle de rotin. Cependant, on peut dire que la transformation du rotin est très lucrative pour les artisans. Outre l'exploitation des tiges de rotin, le bourgeon terminal est aussi largement récolté et mangé, surtout au sud-ouest du Gabon. On appelle ces c_urs de palmier «mikandas» ou «asparagus».

3.7. Les plantes médicinales

Une très grande partie de la population de Libreville ne peut pas se permettre d'acheter les produits pharmaceutiques d'importation à cause de leur prix trop élevé. C'est pourquoi ils ont recours aux plantes utilisées dans la médecine traditionnelle par la population rurale. Des enquêtes séparées dans un certain nombre de "pharmacies» ont été organisées afin d'identifier les plantes médicinales les plus vendues.

3.8. Le vin de palme

Les marchés de vin de palme sont des lieux appelés ironiquement «réunion de parents d'élèves». On retrouve le plus souvent ce type de marché aux croisements de routes. Le vin de palme, extrait de Elaeis guineensis est très demandé: il n'est pas rare de trouver vingt ou trente personnes rassemblées autour d'un vendeur (souvent une femme) de molorolla (vin de palme). En termes de quantité, le vin de palme extrait après l'abattage de l'arbre est le plus courant (comme le vin de Elaeis guineensis). Un arbre adulte peut produire jusqu'à 4 litres par jour durant les quatre premiers jours et jusqu'à 1litre/jour les jours suivants. La durée moyenne d'extraction est de trois semaines. Enfin, il faut noter que lorsque le vin de palme n'est pas vendu comme tel dans les deux premiers jours, il est vendu à des marchands du Bénin ou du Ghana qui l'utilisent pour distiller une boisson plus forte.

3.9. Le vin de canne à sucre

Le vin de canne à sucre (Saccharum officinarum) vient de Mouila, une ville située dans le sud du pays. Son prix est de 400 francs CFA par litre. Le vin de palme et le vin de canne à sucre sont mis à macérer avec de l'écorce de Garcinia lucida pour augmenter le degré d'alcool. Les femmes d'Afrique de l'ouest fabriquent le makita, une boisson à base d'eau, de sucre et de racines de gingembre.

Discussions

A l'exception des feuilles de Gnetum africanum, la majorité des PFNL commercialisés dans les marchés de Libreville sont vendus par des expatriés africains et le commerce des PFNL est presque exclusivement réalisé par des non-gabonais. Cependant, il est essentiel de faire participer davantage les populations locales dans la protection de l'environnement car leurs moyens d'existence en dépendent. Nous pouvons trouver des dispositions légales adéquates pour le contrôle de l'exploitation des produits forestiers dans la Loi forestière 1/82, article 16, qui prévoit que: «... personne ne peut exploiter ou récolter les produits forestier sans payer de charge et sans l'obtention préalable d'un permis délivré par l'Administration Forestière. Le type de permis, le certificat d'exploitation et leur délivrance sont définies par la loi». Malheureusement, le manque de personnel qualifié et l'insuffisance des contrôles font que ces lois ne sont pas appliquées de manière satisfaisante.

Conclusion

Bien que les PFNL soient source de bien-être et de revenus pour les populations rurales, bon nombre des espèces que nous avons citées plus haut sont menacées par des méthodes d'exploitation non durables. Certains PFNL sont devenus si lucratifs que les exploitants urbains font appel à la technologie pour en améliorer l'exploitation. L'utilisation de camions frigorifiques lors du transport de la viande de brousse constitue un exemple à cet égard. Suite à l'accroissement de la demande pour les PFNL, les populations sauvages constituant le stock des ressources se tarissent et les exploitants sont maintenant amenés à s'aventurer de plus en plus loin dans les forêts pour s'approvisionner en produits. La participation des populations rurales dans l'aménagement des PFNL se justifie pleinement, tant pour des raisons morales que culturelles, et sera facilitée par la prochaine législation forestière (voir Profizi, dans la présente publication). De plus, une connaissance plus approfondie des réseaux de commercialisation des différents PFNL aidera à encourager un partage plus équitable des revenus, en permettant aux communautés locales de tirer profit d'un aménagement et d'une exploitation durables de leurs ressources forestières.

Références

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