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LE MARCHÉ EUROPÉEN DES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX EN PROVENANCE D'AFRIQUE CENTRALE

Honoré Tabuna

Résumé

Jusqu'à il y a seulement 20 ans, le commerce en France et en Belgique des produits forestiers non ligneux (PFNL) issus des forêts d'Afrique centrale (Cameroun, RCA, Congo, RDC, Gabon) était destiné aux immigrés provenant de ces régions. Actuellement, le marché de ces produits commence à s'ouvrir à une clientèle européenne et s'étend dans d'autres pays tels que l'Allemagne, l'Angleterre et la Suisse. Certains produits sont récoltés à l'état sauvage alors que d'autres proviennent de cultures. Les études, menées jusqu'à présent sur ces marchés encore mal compris, ont permis d'identifier environ 40 produits alimentaires ou médicinaux couramment vendus en Europe.

Une analyse de ce marché, prenant en compte des facteurs tels que les débouchés commerciaux actuels, les vendeurs, les distributeurs, les réseaux de distribution et les prix, montre que les PFNL, principalement ceux importés de trois pays (Cameroun, RDC et Congo) sont encore principalement destinés à une clientèle d'origine africaine ou des Caraïbes (le "marché ethnique"). Mais ces produits commencent maintenant à percer rapidement le marché des produits biologiques. Dans les "marchés ethniques", en France et en Belgique, les PFNL sont vendus dans les "épiceries tropicales" et dans les "marchés tropicaux de quartier". Les PFNL étiquetés comme produits biologiques sont importés exclusivement du Cameroun et distribués dans des magasins spécialisés en produits naturels et diététiques, de plus en plus nombreux en France et dans d'autres pays d'Europe. Pour le moment, la quantité de PFNL commercialisés est assez faible, tant dans le secteur des marchés ethniques que dans celui des magasins diététiques. De plus, ce marché reste mal compris du fait du nombre insuffisant de statistiques officielles fiables et par le manque d'assistance de la part des importateurs contactés. Cependant, les prix dans le commerce de détail demeurent élevés.

Le développement du marché des PFNL offre des perspectives intéressantes d'accroissement du revenu des populations rurales en Afrique, à condition de satisfaire les exigences du marché en terme de qualité, de quantité et de disponibilité régulière des ressources. Aussi, il faudrait analyser avec attention l'impact d'une hausse de la demande en Europe, pour les produits biologiques, exotiques et diététiques sur la conservation de la biodiversité en Afrique centrale. Il serait utile de mener une analyse quantitative sur le volume des produits commercialisés à chaque étape de la chaîne de distribution et sur les prix reçus à chaque niveau, depuis le producteur jusqu'au consommateur.

Mots clés: marché, Afrique centrale, produits forestiers non ligneux, Europe, populations rurales

1. Introduction

Comme d'autres régions tropicales, l'Afrique centrale est riche en ressources de produits forestiers non ligneux (PFNL). Connus et utilisés depuis longtemps par les populations locales, ils ont également été étudiés par de nombreux chercheurs africains et occidentaux (Ake-Assi, 1985; Makita-Madzou, 1985; Hladick et Hladick, 1989; Stevels, 1990; Tabuna, 1993; Bouroubou, 1994; Schneemann, 1994; Ndoye, 1995; Mialoundama, 1996; Silou, 1996).

Dans les pays d'Afrique centrale, une part des ressources de PFNL est destinée à la consommation des ménages alors que le surplus est vendu dans des marchés locaux et régionaux. On exporte des produits tels que Gnetum africanum vers certains pays d'Europe comme la France et la Belgique, pays qui ont connu, ces deux dernières décennies, une augmentation de la commercialisation des PFNL à usage alimentaire ou médicinal. Au départ, le marché des PFNL avait comme unique cible les ressortissants de pays d'Afrique centrale en Europe. Actuellement, le marché s'étend vers les consommateurs européens et vers d'autres pays tels que Le Royaume Uni, l'Allemagne et la Suisse. Du fait de l'expansion actuelle de ce marché, ainsi que des avantages socio-économiques qu'il offre aux fournisseurs locaux (à savoir l'augmentation de revenus et la création d'emploi), il s'agit là d'un aspect important de l'étude des PFNL. Notre article présente les résultats préliminaires d'une étude sur les marchés de PFNL en Europe. Des travaux futurs impliqueront une enquête sur la consommation, qui sera réalisée auprès des consommateurs africains et européens, à Paris et à Bruxelles. Elle sera suivie d'une seconde enquête, dont le but est de déterminer les moyens les plus efficaces permettant aux fournisseurs basés en Afrique d'accéder à ces marchés.

2. Méthodologie

Cette étude a comme objectif de contribuer au développement du secteur des PFNL en Afrique centrale et en Europe. Pour y parvenir elle vise principalement à :

Pour atteindre ces objectifs, nous nous sommes basés sur la méthodologie générale d'ethnobiologie, développée par Porteres (1961) et Barrau (1971). La même approche a été utilisée par Woldesselassie (1989) pour son étude sur les aliments et les plantes alimentaires africaines vendues à Paris et par Baruto Walujo (1985) pour son étude sur les produits végétaux vendus dans les magasins asiatiques de la région parisienne.

Pour réaliser ce travail, on a entrepris les activités suivantes :

3. Les produits importés et leur destination

Les PFNL destinés à l'exportation proviennent aussi bien de ressources sauvages que de cultures. Lors de notre recherche, nous avons identifié plus de 44 PFNL couramment vendus en Europe (voir en annexe). Parmi ceux-ci, 14 proviennent de ressources sauvages, 24 sont issus de l'agroforesterie et 6 viennent de sources mixtes à la fois sauvage et de culture. On peut classer ces produits en 2 groupes: les matières premières et les produits transformés. Les produits sont le plus souvent importés du Cameroun et de RDC. Les marchandises périssables sont transportées par avion, alors que la plupart des PFNL transformés (comme l'huile de palme) sont expédiés par bateau.

Parmi les PFNL les plus fréquemment exportés, citons le fumbua ou koko (Gnetum africanum et G. bucholzianum), la noix de cola (Cola nitida), le safou (Dacryodes edulis), le djansang (Ricinodendron heudelotii), la mangue sauvage (Irvingia gabonensis), le pepe ou peve (Monodora myristica ou Monodora tenuifolia), le cola amère (Garcinia kola), le ndolé (Vernonia amygdalina), le saka-saka (Manihot esculenta), les champignons et les chenilles. On trouve également dans le commerce, largement commercialisés, certains fruits exotiques plus traditionnels tels que les avocats, les mangues et de nombreuses variétés de bananes, qui sont le plus souvent cultivés dans les vergers des villages ou dans d'autres formes de cultures agro-forestières. En raison du manque de statistiques précises sur la valeur et le volume des produits commercialisés, il est difficile de quantifier ce commerce. Cependant, on sait qu'en France et en Belgique, le commerce des PFNL africains emploie plusieurs centaines de personnes.

4. Le marché ethnique

En France et en Belgique, l'origine de la vente de produits africains est liée à l'immigration de ressortissants de l'Afrique sub-saharienne. Selon Poiret (1996), avant la vague d'indépendance dans les années 60, l'immigration était surtout composée d'Africains de l'ouest. Il n'y avait donc que des produits sub-saheliens disponibles sur le marché. Le marché des PFNL d'Afrique centrale en France et en Belgique a commencé à se développer dans les années 60. Les pionniers de ce secteur, souvent des européens, tenaient des épiceries et vendaient également dans la rue, dans les lieux de réunions de la communauté africaine tels que la «maison Africaine» ou le «Hall des étudiant de RDC» à Bruxelles. Progressivement, ce marché s'est étendu et a atteint son niveau maximum vers le milieu des années 80, suite à la nouvelle loi française sur le regroupement familial, donnant le droit aux ressortissants d'Afrique centrale étudiant ou travaillant en France d'être rejoint par les membres de leur famille.

5. La demande et son évolution

La demande se compose de 2 catégories de consommateurs :

Selon le dernier recensement de l'Institut national de statistiques, il y a 13 000 ressortissants d'Afrique centrale vivant à Bruxelles. En France, selon le recensement de l'Institut national de la statistique et des études économiques, la population issue de pays d'Afrique centrale s'élève à 60 604 personnes. Au total, il y a 73 000 ressortissants d'Afrique centrale dans les deux pays. Cependant, ce chiffre ne tient compte que de la population déclarée. Si l'on tient compte de la population non encore déclarée et des africains ayant la nationalité française ou belge, on estime à environ 100 000, le nombre de consommateurs potentiels de PFNL africains.

6. Les points de vente

Les PFNL sont vendus dans deux types de commerces: les «épiceries tropicales» et les «marchés tropicaux de quartier».

6.1. Les épiceries tropicales

A Paris, on trouve environ 50 épiceries locales de produits tropicaux, dont la plupart ont été ouvertes après 1982. Ces magasins sont toujours très bien approvisionnés et offrent un large éventail de produits en provenance d'Afrique, tels que du poisson fumé et salé, des produits cosmétiques, des journaux et, de manière plus importante, des produits frais. Les produits sont d'habitude exposés dans deux types d'étal différents: à l'extérieur du magasin sur des étals mobiles, on trouve les produits frais, alors que les produits moins périssables sont exposés sur des étagères fixes à l'intérieur de la boutique.

6.2. Les marchés tropicaux de quartier

Avant le développement des épiceries tropicales, les marchés tropicaux de quartier étaient les seuls débouchés pour les PFNL d'Afrique centrale. Il s'agissait de simples échoppes, éparpillées dans la ville de Paris. Les marchés tropicaux de quartier sont moins bien fournis que les épiceries tropicales et se situent surtout dans des villes telles que Paris ou Bruxelles, ayant un grand nombre d'africains vivant dans les banlieues. La diversité des produits y est limitée, en particulier en ce qui concerne les PFNL frais. Si l'on en croit les importateurs et les grossistes, le nombre de marchés tropicaux de quartier est en pleine croissance. Au départ concentrés dans le centre de Paris, ceux-ci se sont d'abord étendus vers les banlieues, avant d'atteindre également d'autres grandes villes françaises. Leur nombre est passé de 6 vers la fin des années 70 à environ 100, dans Paris et sa banlieue. La plupart du temps, ces commerces sont gérés par des asiatiques bien que parfois, également par des Africains.

7. Les produits vendus dans les marchés ethniques

7.1. Les produits importés

La majorité des PFNL importés est destinée à la vente dans les marchés ethniques, la première destination de la plupart des produits arrivant du Cameroun et de la RDC. On peut classer les produits importés en deux groupes: les produits régulièrement importés et disponibles tout au long de l'année (comme les feuilles de manioc et les amandes de mangues de brousse) et les produits saisonniers (comme les fruits de Dacryodes edulis, les larves Ryncophorus phoenicis, une larve vivant au sommet des palmiers à huile de l'espèce Elaeis guineensis).

7.2. Les quantités importées

En raison de l'absence de statistiques officielles sur les PFNL africains, il est très difficile de quantifier le volume des produits vendus. Cependant, il a été possible d'évaluer quels sont les produits les plus couramment importés en France. Il s'agit des produits suivants :

· Feuilles de Gnetum spp., fraîches ou séchées (fumbua)

8. Les acteurs et le réseau de distribution

La distribution des PFNL en France et en Belgique fait intervenir 4 catégories de personnes: les importateurs, les grossistes, les détaillants et les consommateurs. Certains importateurs ou détaillants cumulent les différentes fonctions, à savoir l'importation, la vente en gros et la vente au détail.

8.1. Les importateurs

On peut classer les importateurs de PFNL en trois groupes différents: les importateurs fixes, itinérants ou occasionnels. Les importateurs fixes gèrent des quantités importantes de PFNL alimentaires et d'autres produits (poisson fumé, boissons, produits cosmétiques, etc.) destinés à des populations issues des régions tropicales. Leur stock provient d'Afrique de l'ouest et centrale, ainsi que d'autres régions tropicales. Ils sont d'origine africaine ou européenne. Ils importent des produits frais ou transformés. Cependant, depuis quelque temps, les importateurs européens tendent à abandonner le commerce des produits frais au importateurs africains. La raison principale est la difficulté d'approvisionnement de ces produits ainsi que leur qualité, souvent inégale. C'est ce qui c'est passé pour les deux compagnies françaises, spécialisées dans l'importation de produits africains: Anarex et Racine. La majeure partie des importateurs de PFNL s'approvisionne directement en Afrique centrale, auprès d'un partenaire local ou d'un agent commercial en contact avec les marchés et les fournisseurs locaux (agriculteurs et fabricants). Les liens commerciaux avec ces derniers sont souvent exclusifs, comme stipulé dans leur contrat.

Les importateurs itinérants importent régulièrement des produits frais et des produits transformés. Les quantités importées sont souvent faibles et livrées aux clients le jour même de leur déchargement à l'aéroport de Roissy. Etant donné qu'ils ne disposent pas de capacités de stockage , les importateurs itinérants préfèrent éviter de gérer de trop grandes quantités de marchandises. Quant aux importateurs occasionnels, il s'agit le plus souvent de détaillants ou de voyageurs en vacances, qui, devant se rendre en Afrique centrale, en profitent pour ramener des produits du pays. Les quantités importées sont très faibles, une partie est destinée à la consommation personnelle et le reste est souvent vendu dans des marchés tropicaux de quartier ou dans des épiceries tropicales.

8.2. Les grossistes

On ne trouve pas de grossistes indépendants dans le commerce des PFNL à Paris ou à Bruxelles. En effet, la vente en gros est souvent réalisée par des importateurs fixes ou itinérants. Le nombre des importateurs correspond donc à celui des grossistes (il y en a 3 à Bruxelles et une dizaine à Paris).

8.3. Les détaillants

En France et en Belgique, la vente au détail des PFNL est presque exclusivement aux mains des africains et des asiatiques, et très rarement des européens (comme à Bruxelles). Nous pouvons distinguer trois types différents de détaillants: les détaillants indépendants fixes, les détaillants intégrés fixes et les détaillants itinérants.

Les détaillants fixes (qu'ils soient indépendants ou intégrés) sont le plus souvent asiatiques et écoulent leurs marchandises dans les marchés de quartier tropicaux et les épiceries tropicales. Leurs marchandises sont ciblées sur une clientèle issue d'Afrique centrale et d'autres régions tropicales (Afrique de l'ouest, Antilles, Amérique latine, etc.). La raison principale de leur succès tient sans doute au fait qu'ils étaient déjà commerçants dans leur pays d'origine et qu'ils bénéficient souvent d'un apport en capital fourni par leur communauté (Ma Mung, 1996). Le groupe ethnique des Bamiléké (Cameroun) connu pour son esprit d'entreprise, joue également un rôle important dans le commerce au détail.

Les détaillants indépendants fixes, issus d'Afrique centrale, se sont spécialisés dans la vente au détail de produits provenant de leur pays d'origine, tels que le Dacryodes edulis et le Gnetum. Ainsi, un PFNL typique du Congo ne peut se trouver qu'auprès d'un détaillant originaire de ce pays. Ce «facteur local» influence de manière significative le comportement du consommateur. On peut également expliquer cette attitude par l'absence d'un label indiquant la qualité du produit. Les clients préfèrent donc se rendre dans des épiceries tenues par des compatriotes en qui ils ont davantage confiance.

8.4. Les consommateurs et les produits

Bien que tous les consommateurs soient issus d'Afrique centrale, ils ne recherchent pas tous les mêmes produits. A l'exception des fruits de Dacryodes edulis, la consommation de PFNL dépend de facteurs nationaux et non pas régionaux. Par exemple, le saka saka (feuilles de manioc), le koko (canne à sucre) et le fumbua (Gnetum spp.) sont destinés aux ressortissants de la RCA, du Gabon, de la RDC. Inversement, les produits tels que le djansang (Ricinodendron heudelotii), le miondo (un dérivé du manioc) et le ndolé (Vernonia amygdalina) sont achetés seulement par des Camerounais.

8.5. Les réseaux de distribution

Les PFNL sont vendus en France et en Belgique, à travers trois types de chaînes de distribution: la voie directe, la voie courte et la voie longue.

8.5.1. La voie directe

Ce type de chaîne, ultra-courte, comprend deux acteurs: l'importateur et le consommateur. Les marchandises passant directement de l'un à l'autre, il s'agit d'un système de vente directe. On a trouvé ce type de distribution à Bruxelles dans deux cas et à Paris dans un cas. Une partie des produits importés est acheminée vers les vendeurs en gros et le reste est vendu au détail dans le commerce tenu par l'importateur.

Importateur..............................................consommateur

8.5.2. La voie courte

Elle implique trois acteurs: l'importateur, le détaillant ou restaurateur et le consommateur. La marchandise passe d'abord par un intermédiaire avant d'atteindre le consommateur. Ce type de distribution est courant dans des villes comme Bruxelles, Paris, Lyon ou Montpellier. On trouve deux cas de figure différents :

Cas 1: Importateur..............détaillant..................consommateur

Cas 2: Importateur..............restaurateur................consommateur

8.5.3. La voie longue

Ce type de filière implique au moins 4 acteurs différents et ne se trouve que dans des villes françaises de province telles que Montpellier, Toulouse, Bordeaux et Marseille, où il n'y a pas d'importateur. Dans de tels cas, les détaillants sont le plus souvent amenés à renouveler leur stock auprès d'autres détaillants situés à Paris. Ainsi, la marchandise passe d'abord par l'intermédiaire situé à Paris (1er détaillant) avant d'atteindre le second détaillant ou le gérant de restaurant, puis finalement le consommateur.

Cas 1: Importateur......détaillant 1......détaillant 2......consommateur

9. Les prix

La fixation des prix des PFNL d'Afrique centrale n'est soumise à aucune réglementation particulière. Des enquêtes menées entre janvier et juillet 1997 ont montré que certains produits avaient des prix fixes (Gnetum, feuilles de manioc, ndolé,..) et ne semblaient pas dépendre des fluctuations de l'offre et de la demande. Par contre, le prix de certains produits, tels que Dacryodes edulis, connaissent des fluctuations de prix selon la quantité de produits disponibles sur le marché.

De nombreux détaillants ont constaté que les prix étaient jugés trop élevés par une majorité des consommateurs et que ce facteur limitait les achats (Boudimbou, 1991). Toutefois, on peut expliquer ces prix élevés par les pertes importantes subies lors du transport des produits, ainsi que par le coût du fret aérien et des droits de douane. Pour baisser les prix, il faudrait accroître les quantités exportées et introduire de meilleures techniques de conservation pour les légumes frais et les fruits, tant en Afrique que pendant le transport aérien.

10. La publicité et la promotion des produits

La commercialisation des PFNL est entreprise sans aucune stratégie publicitaire. La majorité des importateurs et des détaillants atteignent leur clientèle grâce au bouche à oreille ou en exposant simplement leur marchandise. De nombreuses boutiques, surtout celles gérées par des Africains, ont des enseignes indiquant le pays d'origine du gérant et des produits exposés.

L'utilisation de cette forme de publicité réduite peut s'expliquer en grande partie par l'absence de budgets élevés, ainsi que par le fait que ce commerce est limité aux personnes originaires d'Afrique centrale qui connaissent déjà bien ces produits (qualité, variation saisonnière et date de livraison) et les détaillants qui les vendent. Cependant, il est juste de mentioner que certaines sociétés commencent à utiliser la publicité pour leurs produits, notamment des importateurs européens situés à Bruxelles, avec des messages tels que «Nourriture exotique» ou «Goût tropical». Les produits sont importés d'Afrique centrale en gros et traités à Bruxelles, selon la législation européenne en vigueur qui requiert d'indiquer le pays d'origine et la date limite de vente. Cette innovation est également appliquée par des sociétés camerounaises pour quelques produits, tels que le ndolé et les feuilles de manioc congelées.

11. Les limites à la croissance du réseau de distribution

L'expansion du commerce des PFNL en France et en Belgique se heurte à plusieurs obstacles. En plus du manque de réglementation en Europe sur l'importation de ces ressources, c'est dans les pays exportateurs qu'on rencontre le plus de contraintes (Guichard, 1991; Dalle, 1991). Les principaux obstacles rencontrés par les importateurs sont :

12. Les perspectives futures de développement du marché des PFNL

Chaque importateur interviewé est convaincu que le marché des PFNL d'Afrique centrale est en pleine expansion. Pour favoriser cette croissance, deux aspects sont requis :

12.1. L'amélioration et le développement du marché des PFNL

L'amélioration du marché existant nécessite la résolution de certains contraintes: harmoniser la réglementation sur les importations de PFNL en Europe, accroître la régularité de l'approvisionnement en produits frais, augmenter les débouchés pour les PFNL, améliorer l'emballage et le conditionnement des produits, promouvoir l'accueil et l'information du consommateur, développer le marché des PFNL traités et des produits surgelés, augmenter le nombre de supérettes et proposer des soldes et des réductions de prix. Ce travail, à mener en Europe, devra aller de pair avec une meilleure organisation de la production et avec la participation des autres acteurs du réseau (douanes, agents transitaires, transporteurs aériens) tant en Afrique centrale qu'en Europe.

12.2. Extension du marché à d'autres pays européens

Notre étude révèle que le commerce des PFNL est en train de s'étendre vers d'autres pays européens, tels que le Royaume Uni, l'Allemagne et la Suisse. Au-delà de ces trois pays, il existe un marché potentiel intéressant au Portugal, où réside une communauté importante de ressortissants de la RDC et d'Angola. Ces derniers, réfugiés pendant une longue période en RDC au moment de la guerre d'Angola, sont également consommateurs de nombreux PFNL d'Afrique centrale. Les importateurs auraient donc tout intérêt à cibler cette population qui réside en majorité à Lisbonne.

12.3. Ouverture du marché vers les consommateurs européens

Depuis quelques années, la demande pour les produits alimentaires exotiques est en pleine croissance en Europe et particulièrement en France (Volatier, 1997; Gillet, 1997; Normand, 1995; CDI, 1997). Cette évolution dans le comportement du consommateur peut s'expliquer par la globalisation, une plus grande fréquence des voyages des européens dans des pays lointains, l'acquisition de nouveaux goûts, etc. Des études faites en France et publiées dans Ethnic Food News (1997) ont indiqué que 37% des consommateurs achetaient aujourd'hui des produits exotiques. Le client-type est jeune, a une vie professionnelle active et réside dans une ville. Les professionnels considèrent que le marché continuera à se développer grâce à un effet de génération. En effet, le consommateur qui a 25 ans aujourd'hui continuera certainement à acheter des produits exotiques pendant 40 ou 50 ans. Malheureusement, les statistiques actuelles montrent que les produits africains sont encore absents dans ce marché. Or, du fait de leur nombre et de leur pouvoir d'achat, les consommateurs européens constituent un débouché potentiel important pour les PFNL d'Afrique centrale.

12.4. Le développement du marché biologique des PFNL d'Afrique centrale

A l'initiative d'un importateur du Cameroun, EXODOM, en 1979, le marché biologique constitue, le deuxième débouché le plus important en France pour les PFNL d'Afrique centrale. Les importations, pour le moment limitées à cette société, s'élèvent à 160 tonnes par an, pour une valeur globale de 2 000 000 FF. D'après le directeur de cette société, l'offre se situe nettement en dessous de la demande actuelle, qui ne cesse de croître en France. Il existe d'importantes opportunités commerciales pour de nouveaux fournisseurs, tant en France que dans d'autres pays consommateurs, tels que l'Angleterre, l'Allemagne, les Pays Bas et le Danemark. Les produits importés par la société EXODOM sont destinés au marché français et vendus dans des points de vente au détail spécialisés en produits biologiques et naturels (magasins spécialisés, supermarchés biologiques, supérettes et magasins de produits bons pour la santé ou diététiques, etc...). Pour l'instant, les activités d'EXODOM sont principalement concentrées en France.

Le marché des produits biologiques en Europe s'est développé au début des années 80. Actuellement, il est en constante augmentation, bien que son ampleur reste encore assez modeste (Reynaud, 1996; Buley, 1997). Sa part de marché qui est aujourd'hui de 1% devrait atteindre 2,5% en l'an 2000 (Bio Convergence, 1997). De plus, les prix sont plus élevés que ceux observés dans les marchés conventionnels et certains produits peuvent être de 3 à 4 fois plus chers. Par exemple, les bananes biologiques provenant des jardins forestiers du Cameroun atteignent un prix au détail de 24 FF le kg, alors que les bananes non biologiques provenant du même pays sont vendues dans les chaînes de distribution au détail à 8 FF le kg. Ce créneau semble donc assez prometteur pour les producteurs, à condition toutefois qu'ils respectent les réglementations sur l'agriculture biologiques instaurées par l'Union Européenne (Reynaud, 1997). D'après celles-ci, ne peuvent bénéficier du label «biologique» que les produits issus de cultures n'utilisant pas d'engrais chimiques et préservant l'environnement.

12.5. Le développement des restaurants africains

Le nombre des restaurants africains augmente rapidement en France, comme dans d'autres pays européens (Leroux, 1996; Defrance, 1996). Toutefois, les restaurants asiatiques sont les plus populaires et dominent le secteur de la restauration et de l'alimentation ethnique, suivis par les restaurants mexicains, moyen-orientaux, des Caraïbes, nord-africains et indiens. Un effort de promotion est donc nécessaire pour faire découvrir la richesse et la variété de la cuisine africaine au consommateur européen attiré par ces nouvelles saveurs (Andriamirado,1997).

12.6. Autres débouchés possibles pour les PFNL

Au-delà de ces deux débouchés traditionnels, les PFNL alimentaires pourraient également s'implanter dans :

12.6.1. Le marché de l'alimentation diététique et saine

Comme le marché des produits biologiques, le secteur des produits alimentaires diététiques connaît également une forte expansion en France et dans le reste de l'Europe. L'essor de ce marché peut s'expliquer par l'intérêt croissant du consommateur pour sa santé ou pour la qualité des produits. Les récents scandales dans le secteur alimentaires, ainsi que l'utilisation de produits transgéniques, sont les causes principales du développement de ce secteur (Gunning, 1998). Le secteur de l'alimentation diététique comprend, entre autres: les édulcorants de synthèse, les aliments de substitution, les produits coupe-faim, les produits et boissons isotoniques, et les aliments énergétiques. L'ensemble de ce marché représente un chiffre d'affaires de 1 719 milliards de FF et a un taux de croissance annuel qui se situe entre 2 et 5% (ibid.). Des produits tels que les fruits de Pentadiplandra brazzeana, très appréciés par les enfants pygmées (Hladick, 1989), peuvent être destinés à ce marché.

Le marché des aliments énergétiques représente un chiffre d'affaires de 237 millions de FF en 1997 et son taux de croissance annuel est de 5% (ibid.). Il s'agit d'un marché en pleine expansion, surtout en ce qui concerne les boissons énergétiques destinées aux jeunes. Des produits tels que le pepe ou le mpeve (Monodora myristica ou Monodora tenuifolia), la noix de Cola (Garcinia kola) et le mudongo (Aframomum melegueta), utilisés comme ingrédients dans la fabrication du jus de gingembre et très utilisés en Afrique centrale, pourraient être destinés à ce marché.

12.6.2. Le commerce équitable

Crées en 1964 en Angleterre (EFTA, 1995; Bowen, 1997), les pratiques de concurrence loyale sont défendues par des associations dont l'objectif est de promouvoir l'autonomie et l'émancipation des producteurs issus des pays en voie de développement, grâce au développement de relations commerciales basées sur l'équité. Ces organisations s'approvisionnent directement auprès du producteur de produits alimentaires ou artisanaux, auxquels ils offrent un prix raisonable. Les profits tirés de la vente de ces produits sont retournés aux producteurs, afin d'être investis dans le développement de leurs activités. Ce concept constitue un marché alternatif, pouvant intéresser plusieurs pays d'Afrique centrale. En Europe, il y a maintenant environ 70 000 marchands qui pratiquent ce type de commerce, dont le taux de croissance annuel est de 5% (Bowen, 1997). Un certain nombre de coopératives en Asie et en Amérique centrale vendent leurs produits à travers cette filière.

13. Conclusion

Actuellement, trois types de débouchés existent en France et Belgique pour les PFNL alimentaires et médicinaux d'Afrique centrale: le marché ethnique, le marché biologique et les restaurants africains. En croissance constante depuis leur création, ces marchés devraient normalement continuer à croître, compte-tenu de l'augmentation de la demande pour les produits exotiques et biologiques en France, comme dans le reste de l'Europe. La croissance du marché de la restauration (en dehors du domicile) devrait également contribuer au développement de la cuisine africaine. D'autres marchés émergeant pourraient également contribuer à cette tendance, comme le marché des produits naturels et les débouchés du commerce équitable. Pour pénétrer ces marchés lucratifs, une meilleure organisation et une adaptation des filières, du producteur à l'importateur, sont indispensables. Il reviendra aux acteurs impliqués dans ce secteur de développer en Europe un système de commercialisation efficace (politique sur les produits, la distribution, les prix et la promotion).

Ce travail doit s'accompagner en Afrique d'une meilleure organisation de la chaîne, allant du producteur à l'exportateur et de la mise en place d'un cadre institutionnel permettant la promotion des PFNL en Europe. L'objectif est de s'assurer que l'offre et la demande se développent en parallèle et que le produit réponde aux attentes d'une clientèle européenne, tout en améliorant les revenus du producteur. Il s'agit d'un véritable défi, qui peut être difficile, mais qui n'est pas insurmontable. En travaillant progressivement, il est clair que les PFNL d'Afrique centrale pourront suivre la trajectoire commerciale de nombreux autres produits tropicaux, qui sont maintenant vendus en grandes quantités sur le marché international (avocats, mangues, bananes, etc...).

Références

Annexe: Liste des PFNL importés d'Afrique centrale et vendus en Europe (C: Cameroun; CA: Republique Centrafricaine; CK: Congo Kinshasa; CB: Congo Brazzaville; G: Gabon).

Espèces

Famille

Nom vernaculaire

Nom commercial

Etat

Partie vendue

Abelmoschus esculentus (L.) Moench

Afrostyrax lepidophyllus Mildbraed

Aframomum spp.

Amaranthus hybridus L.

Ananas comosus (L.) Merr.

Arachis hypogea L.

Artocarpus communis Forst

Basella alba L.

Cajanus cajan (L.) Millsp

Capsicum annuum L.

Carica papaya L.

Cola nitida A. Chev.

Colocasia esculenta (L.) Schott.

Cucurbita maxima Duch

Corchorus olitorius Per ex DC

Cymbopogon citratus (DC) STAPF

Dacryodes edulis (G. Don) Lam.

Elaeis guinensis Jacq

Garcinia kola Haeckel

Gnetum spp.

Hibiscus sabdariffa L.

Hua gabonii Pierre

Ipomoea batatas (L.) Lam

Ipomoea spp.

Irvingia gabonensis Baillon

Landolphia spp.

Lippia adoensis Hochst

Luffa cylindrica M. Roem

Mangifera indica L.

Manihot esculenta Grantz

Mondia whitei Skeels

Monodora miristica L.

Monodora tenuifolia Benth

Musa spp.

Ocimum gratissimum (L.) Forsk

Persea americana L.

Ricinodendron heudelotii (Baill) Pax

Solanum nigrum L.

Saccharum officinarum L.

Spondias cytherea Sonn.

Tetrapleura tetraptera Tauba

Vernonia amygdalina

Xanthosoma sagittifolia Schott

Xylopia aethiopica A. Rich

Malvaceae

Styracaceae

Zingiberaceae

Amaranthaceae

Bromeliaceae

Fabaceae

Moraceae

Basellaceae

Fabaceae

Solanaceae

Caricaceae

Sterculiaceae

Araceae

Curcubitaceae

Tiliaceae

Poaceae

Burseraceae

Arecaceae

Clusiaceae

Gnetaceae

Malvaceae

Styracaceae

Convolvulaceae

Convolvulaceae

Irvingiaceae

Apocynaceae

Verbenaceae

Cucurbitaceae

Anacardiaceae

Euphorbiaceae

Periplocaceae

Annonaceae

Annonaceae

Musaceae

Labiaceae

Lauraceae

Euphorbiaceae

Solanaceae

Poaceae

Anacardiaceae

Mimosaceae

Composaceae

Araceae

Annonaceae

dongo dongo (CK,CB)

omi (C)

m'bongo (C), nzo za nungu (CB)

bitekuteku (CK), badi (CB)

pineapple (CK,CB,G,C,CA)

nguba (CK,CB), groundnut (C)

jack fruit

épinard

petit haricot (C)

pilipili (CK), pidi pidi (CB), piment

papaye (C,CK,CB,G,CA)

makazu (CK,CB), noix de cola (C,CA)

taro (CK,CB,CA,C,G)

m'bika (CK,CB), graine de courge, (C)

dongo dongo ya makasa (CK,CB)

lemon grass

safou (C,CK,CB,CA,G)

m'bila (CK,CB), noix de palme (C,G)

petit cola (C), démarreur (C)

fumbua (CK,CB), okok (C),

koko (CB,CA), eru

ngai ngai (CK,CB)

omi (C)

m'bala (CK,CB), patate douce (C,CA)

matembele banki (CK)

sioko (C)

malombo (C)

bulukutu (C)

liniuka (CK), nsania (C),

mangolo (CK)

saka saka (CB), pondu (CK)

mundjodjo (CB)

pèpè (C)

pèpè (C)

banana

mantsusu (CB), lumbalumba (CK)

avocado (C,CA,CK,CB,G)

djansang, dansan (C)

bilolo (CK)

koko (CK,CB), sugar cane

pomme cythère

caroube (C)

ndolé (C)

macabo (C), taro (CK,CB)

ekolababa (C)

Gombo

Omi

Maniguette

Bitekuteku

Ananas

Arachide

Jack fruit

Épinard

Haricots

Pilipili

Papaye

Cola

Taro

Graine de courge

Gombo

Citronnelle

Safou

Noix de palme

Petit cola

Fumbua

Ngai ngai

Omi

Patate douce

Matembele banki

Sioko, mango

Malombo

Bulukutu

Éponge végétale

Mangue

Saka-saka

Mundjondjo

Pepe

Pepe

Banane

Lumbalumba

Avocat

Djansan

Bilolo

Fumbua

Pomme cythère

Caroube

Ndolé

Macabo

Ekolababa

cultivé

spontané

spontané

cultivé

mixte

cultivé

mixte

cultivé

cultivé

cultivé

cultivé

mixte

cultivé

cultivé

cultivé

cultivé

mixte

mixte

spontané

spontané

cultivé

spontané

cultivé

cultivé

spontané

spontané

spontané

cultivé

cultivé

mixte

spontané

spontané

spontané

cultivé

cultivé

cultivé

spontané

cultivé

cultivé

cultivé

spontané

cultivé

cultivé

spontané

fruit

écorce

fruit séché/frais

feuilles

fruit

graine

fruit

feuilles

graine

fruit

fruit

graine

tubercule

graine

feuilles

feuilles séchées

fruit

fruit, huile, boisson

graine

feuilles

feuilles

fruit séché

tubercule

feuilles

graine

fruit

feuilles séchées

fruit séché

fruit

feuilles

racine

graine

graine

fruit

feuilles

fruit

graine

feuilles

tronc

fruit

feuilles

tubercule

graine

fruit

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