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L'aménagement forestier et le développement participatif des zones de montagne au Maroc

NAGGAR Mustapha


RESUME

Au Maroc, les zones de montagnes s’étendent sur 19 millions d’hectares, soit 28 % du territoire national. La forêt, avec 3,6 millions, y occupe une place importante sur le plan environnemental socio-économique et culturel. Celle-ci contribue à plus de 70 % de la production forestière nationale et offre les principales opportunités d’emploi pour les populations rurales. Toutefois, la forêt joue un rôle de première importance en ce qui concerne la régulation des eaux, le soutien à la production agricole et l’amélioration des conditions de l’environnement.

La problématique et les enjeux liés au développement durable des zones de montagne, imposent une réflexion profonde sur les vecteurs de changement qui peuvent améliorer les conditions de vie des populations rurales, et par là d'infléchir la tendance de la dégradation et conduire à la conservation et la gestion durable des ressources naturelles.

Dans cette logique, l’aménagement forestier constitue un instrument de gestion durable des écosystèmes forestiers de montagne par la prise en considération de toutes les composantes liées au secteur forestier et à son environnement, et leur intégration dans une stratégie globale considérant la forêt et les espaces boisés comme une composante principale du territoire rural.

Mots clés: Maroc; Forêt; montagne; gestion durable; développement rural.


I. INTRODUCTION

La situation géographique du Maroc, entre la Méditerranée, l’océan atlantique et le Sahara, sans oublier les hautes montagnes, lui confère une diversité climatique et écologique particulière. De cette diversité, résulte une grande richesse floristique et faunistique considérée parmi les plus riches à l’échelle du bassin méditerranéen. Le domaine forestier marocain, s’étend sur une superficie de 9 millions d'hectares y compris les nappes alfatières. Les formations forestières arborées couvrent 5.814.000 ha, avec 82 % de feuillues (chêne vert, l'arganier, le chêne liège et l'acacia saharien..) et 18 % de résineux (cèdre, thuya, pins, genévriers, cyprès et sapin..).

La forêt marocaine, de part ses caractéristiques et fonctions multiples, sa grande diversité biologique, constitue un enjeu écologique, social et culturel. Cependant, en dépit de ces rôles déterminants dans la protection des sols et des eaux et la lutte contre la désertification, le soutien de la production agricole et le développement touristique, la forêt marocaine reste soumise à de fortes pressions humaine et pastorale (prélèvement de bois de feu, surpâturage, incendies...).

Conscient de la problématique de dégradation des ressources forestières, le Ministère Chargé des Eaux et Forêts a élaboré le programme forestier national (PFN) en 1999, qui trouve ses fondements dans les principes arrêtés par la Conférence des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement (CNUED) tenue à Rio en 1992. Cet outil stratégique, repose sur trois (3) approches: patrimoniale, territoriale et participative et a pour ambition d’inverser le processus de dégradation des forêts en s’appuyant sur leur gestion mais aussi sur des projets de développement rural intégré répondant aux besoins socio-économiques prioritaires des populations des zones de montagne.

II. LES ZONES DE MONTAGNE: ATOUTS ET CONTRAINTES.

2.1. Présentation des zones de montagne

Au Maroc les zones de montagne s’étendent sur 187.741 Km2, soit près de 26 % du territoire national. Elle abrite 7.548.000 habitants, soit près de 30 % de la population. La densité moyenne est de 40 hab/km2 dépassant légèrement la moyenne nationale (37 ha/km2). Les principales caractéristiques au niveau agricole et forestier sont comme suit:

* L’agriculture: la montagne détient 35 % de la superficie agricole utile (SAU) nationale, soit 3,2 millions d’hectare occupées essentiellement par les céréales (62 %) et l’arboriculture (14 %). Pour les céréales, les principales cultures sont l’orge et le blé dur. Quant à l’arboriculture, elle est dominée particulièrement par l’olivier et l’amandier.

* L’élevage en zone de montagne, est du type extensif à base de petits ruminants (ovins et caprins) dépendant étroitement des ressources sylvo-pastorales. L'effectif du cheptel est évalué à 15,7 millions de têtes, réparties comme suit:

* La forêt: les formations forestières en zones de montagne occupent 3,6 millions d’hectares soit 62 % des forêts naturelles. Les formations forestières feuillues couvrent 2.760.000 ha, dont: 1,33 millions ha de chêne vert, l'arganier avec 686.000 ha et le chêne liège avec 208.000 ha et d'autres espèces sur 536.000 ha. Les résineux (847.000 ha) sont à l'avantage du thuya avec 426.000 ha, le cèdre sur à 133.000 ha, les genévriers et cyprès avec 211.000 ha, et enfin les pins avec 77.000 ha.

Avec un taux de boisement deux fois supérieur (22 %) par rapport à la moyenne nationale, ces forêts recèlent une grande diversité biologique. En effet, sur les 168 Sites d’Intérêt Biologique et Ecologique (SIBE) identifié par l'étude des aires protégés au Maroc, 50 % se situent en montagne sous forme de parcs nationaux et de réserves naturelles sur près d'un million d'hectares. Ces forêts contribuent à plus de 70 % de la production nationale en bois d’oeuvre et de bois de feu, et 50 % de liège et ce en plus des produits forestiers non ligneux (bruyère, champignon, lichen, plantes aromatiques et médicinales, ressources cynégétiques.......)

2.2. Problématique

Les zones montagneuses, souvent enclavées, souffrent d’un triple déséquilibre à savoir: entre le niveau de leur développement et celui du reste pays, entre les besoins de subsistance des populations et les ressources disponibles et plus spécifiquement entre les possibilités soutenables des forêts et leur demande en produits et services des forêts.

Les principaux problèmes à résoudre au niveau des zones de montagne, sont comme suit:

* La faiblesse des revenus en milieu rural: Les systèmes de production restent caractérisés par une agriculture pluviale et un élevage extensif. Les difficultés d’accès aux services socio-économiques et d’encadrement ont placé la population rurale, représentant près de 30 % de la population nationale, dans une situation de pauvreté et de précarité.

* La dégradation des ressources naturelles: Ce problème est lié essentiellement à une forte densité démographique dans les zones de montagnes. Associée à la rareté des terres cultivables due à l’importance du relief montagneux, cette situation se traduit par la mise en culture des terres marginales et le défrichement de la forêt.

* L’enclavement et le manque d’accès à l’information: La forte marginalisation des populations rurales est liée à leur faible organisation, mais surtout à un appui insuffisant en matière d’encadrement, de formation et d’information.. L’insuffisance en infrastructure est considérée comme un facteur limitant pour la valorisation des productions agricoles et l’accès aux services particulièrement la santé et la scolarisation.

III. PRINCIPES GENERAUX DE L'AMENAGEMENT FORESTIER

L'aménagement forestier intègre l'évolution des connaissance, des techniques et des demandes de la société, pour devenir un véritable instrument d'une gestion durable des écosystèmes forestiers. Il répond à un objectif fondamental de préservation des surfaces boisées, le maintien de la qualité des milieux et de biodiversité et l'amélioration de la capacité à remplir les fonctions socio-économique:

L’aménagement forestier consiste à procéder à un ensemble d'analyses indispensables pour connaître la richesse et les potentialités des milieux naturels et de préciser les besoins socio-économiques présents et futurs. Ces analyses vont guider le choix des objectifs qui vont être retenus pour la forêt. La confrontation des richesses et des potentialités du milieu aux contraintes et aux besoins socio-économiques conduit à un zonage multi-fonctionnel de l'espace forestier et de fixer, pour chaque zone identifiée, les objectifs qui déterminent en conséquence les traitements sylvicoles à appliquer et les équipements prioritaires à réaliser.

IV. OPTIONS D’AMENAGEMENT FORESTIER ET DE DEVELOPPEMENT DURABLE DES ZONES DE MONTAGNE

4.1. Conservation des Eaux et des Sols

Au Maroc, l’aridité touche près de 93 % du territoire national ce qui explique l’importance accordée à la mobilisation des ressources en eau reflétée par l’ambitieux programme en matière de construction de barrages. Il existe à ce jour, 103 barrages d’une capacité totale d’environ 16 milliards de m3 ce qui permet de fournir l’eau potable et de porter la superficie irriguée à plus d’un millions d’hectares.

Les bassins versants en amont des barrages existants, ou prévus dans le futur proche, couvrent une superficie totale de plus de 20 millions d’ha, dont plus de 50 % présentent des risques importants d’érosion et nécessitent des aménagements. La conséquence directe de l’érosion se traduit par la réduction capacité de régularisation des eaux par les barrages, estimée à 65 millions de m3, soit 0,5% par an, soit l’équivalent d’une possibilité d’irrigation de 5.000 à 6.000 ha. Le Plan National d’Aménagement des Bassins Versants élaboré en 1996, a permis d’arrêter les priorités d’intervention sur les bassins versants en amont de 22 barrages et évalué les superficies à risque à plus de 11 millions d’hectares. Dans ce cadre, 15 bassins versants, couvrant une superficie de 3,3 millions d’ha ont fait l’objet de schéma directeurs anti-érosifs.

4.2. Forêt-Energie

Globalement, le bois de feu représente 30 % du bilan énergétique national. Cette situation engendre une forte pression sur les formations forestières. La consommation totale de bois-énergie est estimée à 11 millions de tonnes dont 88 % en milieu rural, essentiellement pour les usages de cuisson et de chauffage, et 12 % pour le secteur urbain (Hammams et fours, boulangeries notamment). Ce phénomène étant particulièrement sensible en zones de montagne où les populations plus enclavées sont les plus dépendantes des ressources récoltées sur les massifs naturels. La substitution du bois-énergie en milieu rural montagnard à pour objectif de réduire progressivement l’exploitation incontrôlée du bois-énergie sur les massifs forestiers les plus exposées et de spécialiser certains massifs forestiers notamment les forêts de chêne vert pour le bois-énergie.

4.3. Politique sylvo-pastorale

L’espace pastoral en foret (3,6 millions d’ha) produit en année normale près de 1 milliard d’unités fourragères soit plus de 60% de la production pastorale totale de la forêt. Les forêts de montagne contribuent pour plus de 60% au bilan fourrager, valeur qui peut atteindre plus de 80 % dans certaines zones du Haut Atlas. Le cheptel utilisant à longueur de l’année ces ressources est de 7.760.000 têtes (4.100. 000 ovins; 660.000 bovins et 3.000.000 de caprins).

Les actions à entreprendre consistent principalement en l’organisation du parcours et des éleveurs, des actions d’aménagement sylvo-pastoral, l’octroi des facilités de crédits et l’accès au progrès technique de l’élevage extensif organisé en vue de sa conversion vers un système intensif.

4.4. Développement rural

La stratégie 2020 en matière de développement agricole et rural, met en évidence le retard social et l’extension de la pauvreté dans les zones de montagnes, les disparités plaines-montagnes, la mise en valeur insuffisante du potentiel de production agricole et sa sensibilité croissante aux aléas climatiques, et enfin, la dégradation des ressources naturelles.

Ainsi, en vue de pallier les déséquilibres et insuffisances actuelles, la stratégie 2020 est conçue autour de trois idées motrices:

4.5. Filières émergentes

Les principaux produits non ligneux tirés de la forêt sont les caroubes (200 tonnes), le lichen (245 tonnes), les champignons (770 tonnes), le miel (4000 tonnes), huile d'argan (5000 tonnes), les plantes aromatiques et médicinales et les produits de chasse et de pêche. Cette production n'a pas toujours retenu l'attention qu'elle mérite malgré son apport qui, parfois, dépasse celui des produits ligneux. Ces différents produits sus-cités, constituent en effet des filières émergentes susceptibles de procurer des revenus substantiels à même d'atténuer la pression humaine et pastorale sur les formations forestières de base.

4.6. Ecotourisme:

Au Maroc, l'éco-tourisme a été introduit comme composante essentielle dans la stratégie nationale sur les aires protégés il est considéré comme solution de compensation pour les populations riveraines. Le développement de l'éco-tourisme dans la montagne marocaine a pour objectifs de:

V. ORIENTATIONS D'AMENAGEMENT FORESTIER

La concrétisation d'une stratégie d'aménagement et de gestion durable des ressources forestières de montagne, repose sur les orientations suivantes:

5.1. Le développement intégré des zones montagne

Les principales mesures en matière de développement intégré des zones de montagnes:

Ainsi, et dans le but de diminuer la pression sur les ressources forestières, il est indispensable d'augmenter le revenu des populations riveraines. Pour cela, il faut évaluer les moyens naturels disponibles et essayer d'augmenter leur rendement. Egalement, il y a lieu de promouvoir les secteurs pouvant diversifier l'activité économique.

5.2. La nécessité de régénération des forêts naturelles

L’aménagement forestier a pour objectif principal la régénération des forets naturelles. Compte tenu de la complexité de la problématique sociale et pastorale sur les espaces forestiers de montagne et des enseignements tirés de la mise en œuvre des projets forestiers, une nouvelle loi vient d’etre promulguée (2002) pour l’octroi de la compensation des mises en défens forestières à hauteur de 25 $ par ha mise en défens. Il s'agit par cet acte de sauver une forêt qui vieillit et qui a besoin d'être rajeunie, l'enjeu ici est de sauver la forêt sans pour autant négliger l'intérêt des usagers. Cette mesure conduit à l’adoption d’une approche de concertation et de partenariat dans le sens de limiter les conflits sociaux en rapport avec l’exploitation et l’exercice des droits d’usage en foret

VI. CONCLUSION

Les zones de montagne, eu égard à leurs diversités naturelle, paysagère et culturelle, et leur potentiel socio-économique, constituent une priorité dans le processus de développent durable. Ces zones, généralement enclavées et abritant des populations pauvres et dont la survie dépend largement des ressources naturelles, bénéficient de modestes investissements. L'utilisation à des fins multiples des ressources forestières, reste excessive par rapport aux possibilités offertes par le milieu naturel.

Les constats sur l’état actuel des ressources naturelles, dans leurs dimensions écologique, économique et sociale ont abouti à la mise en évidence des grands enjeux qui vont guider les axes de développement durables des zones de montagne.

En définitive l'aménagement forestier des ressources forestières de montagne, doit conduire à la spécialisation des espaces selon leur vocation dominante et les besoins prioritaires à satisfaire dans les contextes locaux; la diversification des activités et des sources de revenu des populations des zones de montagnes (écotourisme, artisanat.....); l'institutionnalisation de la solidarité amont-aval par des transferts de ressources fiscalisées; la substitution du bois-énergie en milieu rural par des énergies renouvelables et par la généralisation de l'utilisation du gaz butane et la conversion progressive de l'élevage extensif organisé en élevage intensif à travers la facilité de crédits, les subventions et l'accès au progrès technique.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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