CFS:2001/Inf.6


 

COMITÉ DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE MONDIALE

Vingt-septième session

Rome, 28 mai - 1er juin 2001

PROMOUVOIR LA VOLONTÉ POLITIQUE DE LUTTER CONTRE LA FAIM

Table des matières



I. INTRODUCTION

1. Ce document donne une vue d'ensemble de la détermination politique et de son impact sur la mise en œuvre des engagements pris lors du Sommet mondial de l'alimentation (SMA) de novembre 1996. Après son examen à la vingt-septième session du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA), il sera présenté à la trente et unième Conférence de la FAO, en novembre 2001, au cours de laquelle les Chefs d'État et de gouvernement devraient prendre note des progrès réalisés et réaffirmer leurs engagements.

2. Le document commence par rappeler les principaux engagements pris par les gouvernements lors du Sommet. Dans un deuxième temps, il fait un tour d'horizon rapide des changements survenus dans l'environnement sociopolitique et économique international depuis 1996 et examine leur effet sur la capacité et la volonté des gouvernements et de la communauté internationale d'adopter des mesures efficaces pour mettre en œuvre leurs engagements. Le chapitre suivant traite des principales actions menées par la FAO pour renforcer la détermination de toutes les parties intéressées de lutter contre la sous-alimentation et évalue la mesure dans laquelle l'engagement politique de lutter contre le fléau de la faim au niveau international et national s'est affermi. Enfin, il récapitule certains aspects du consensus qui commence à se dégager à propos de la Déclaration et du Plan d'action de Rome, qui pourraient constituer le noyau central du renouvellement des engagements et du renforcement des partenariats.

II. LES ENGAGEMENTS DU SOMMET MONDIAL DE L'ALIMENTATION

3. Le Sommet mondial de l'alimentation qui s'est tenu à Rome en novembre 1996 était la troisième réunion internationale sur les questions d'alimentation et de nutrition: il avait été précédé par la Conférence mondiale de l'alimentation en 1974 et la Conférence internationale sur la nutrition organisée par la FAO et l'OMS en 1992. Le Sommet a été marqué par la présence d'un très grand nombre de représentants de haut niveau, 112 des 186 pays présents étant représentés par leur Chef d'État ou de gouvernement ou leur représentant, comme cela s'imposait pour une réunion destinée à susciter l'engagement politique requis pour s'attaquer aux multiples causes sous-jacentes de la famine et de la malnutrition, dont la solution requiert l'intervention de nombre de ministères sectoriels. Le Sommet avait aussi pour caractéristique de fixer un objectif mesurable, doté d'une date butoir, tout en étant suffisamment réaliste pour reconnaître que l'éradication complète de la faim à l'échelle mondiale n'était pas possible à moyen terme.

4. Le Sommet s'est conclu avec la publication de deux documents majeurs: la Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale et le Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation1. La Déclaration était essentiellement une déclaration commune d'objectifs et de politiques, se terminant par sept grands engagements, et le Plan d'action spécifiait les actions que les pays étaient convenus de mener pour mettre en œuvre leurs engagements.

5. Les deux premiers paragraphes résument de manière éloquente le consensus qui s'était dégagé pendant le Sommet sur les politiques et les objectifs spécifiques:

Nous, Chefs d'État et de gouvernement, ou nos représentants, réunis pour le Sommet mondial de l'alimentation à l'invitation de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, réaffirmons le droit de chaque être humain d'avoir accès à une nourriture saine et nutritive conformément au droit à une nourriture adéquate et au droit fondamental de chacun d'être à l'abri de la faim.

Nous proclamons notre volonté politique et notre engagement commun et national de parvenir à la sécurité alimentaire pour tous et de déployer un effort constant afin d'éradiquer la faim dans tous les pays et, dans l'immédiat, de réduire de moitié le nombre des personnes sous-alimentées d'ici 2015 au plus tard.

6. Un des éléments particulièrement importants de la Déclaration est la reconnaissance du droit de tous à une nourriture adéquate et de la nécessité implicite d'une action commune de tous les pays en vue d'éradiquer la faim.

7. Les sept engagements du Somment étaient:

    1. d'assurer un environnement politique, social et économique propice à l'éradication de la faim et au maintien d'une paix durable;
    2. de mettre en œuvre des politiques visant à éradiquer la pauvreté et l'inégalité et à améliorer l'accès à une alimentation suffisante, adéquate du point de vue nutritionnel et sanitaire;
    3. de poursuivre des politiques et méthodes participatives et durables de développement alimentaire, agricole, halieutique, forestier et rural;
    4. de faire en sorte que les politiques concernant le commerce des denrées alimentaires et agricoles et les échanges en général contribuent à renforcer la sécurité alimentaire pour tous;
    5. de prévenir les catastrophes naturelles et les crises provoquées par l'homme, d'y être préparés et de répondre aux besoins d'urgence d'une manière qui stimule la reprise et le développement;
    6. d'encourager l'affectation et l'utilisation optimales de l'investissement public et privé pour faire progresser les systèmes alimentaires et agricoles durables et le développement rural;
    7. de mettre à exécution ce Plan d'action, d'assurer son contrôle et son suivi à tous les niveaux en coopération avec la communauté internationale.

8. Ces engagements constituent le cadre de 27 objectifs spécifiques et de 182 propositions d'action, dont un grand nombre devait être mis en oeuvre par divers pays travaillant en collaboration les uns avec les autres et avec la communauté internationale ou en partenariat avec les acteurs de la société civile.

9. Aucune proposition de création de nouvelle institution ou d'engagement de ressources supplémentaires n'a été avancée pendant le Sommet. Le processus préparatoire tout entier reposait sur le postulat que le monde est en mesure de nourrir sa population de manière adéquate aujourd'hui et à l'avenir, que les arrangements institutionnels internationaux nécessaires à cette fin existent déjà et qu'il devrait être possible de mobiliser les ressources voulues auprès des sources existantes. La principale préoccupation était, en revanche, de définir les moyens de susciter et de nourrir la volonté politique de transformer les engagements en actions.

10. Le Sommet mondial de l'alimentation, comme d'autres sommets, partait du principe qu'en rassemblant des dirigeants nationaux dans un forum public pour qu'ils s'engagent collectivement à s'attaquer de manière concertée à des problèmes préoccupants au niveau mondial, il renforcerait leur détermination de faire changer les choses et les responsabiliserait. Il renforcerait aussi les partenariats entre les gouvernements et avec la communauté internationale et la société civile, préalable indispensable à la réalisation des objectifs. En réalité, toutefois, la capacité et le pouvoir des dirigeants de lancer les processus complexes nécessaires pour réduire rapidement la faim dépendent dans une grande mesure de leur prestige dans leur pays, des systèmes de gouvernance qu'ils président, de l'existence de solutions théoriquement possibles et de la conviction personnelle des personnes appelées à prendre des mesures concrètes. On peut donc imaginer des cas où la sincérité de l'engagement de tel dirigeant ne fait aucun doute, mais où, pour des raisons indépendantes de sa volonté, les mesures prises se révèlent inefficaces. Pour déterminer dans quelle mesure le Sommet mondial de l'alimentation a réussi à créer et à maintenir une volonté politique, le présent document n'a pas à se demander si les déclarations faites au Sommet et aux réunions suivantes étaient l'expression d'une volonté politique réelle des participants ou simplement le résultat d'un processus qui rendait difficile l'admission publique d'une opinion divergente. Il n'aurait, par exemple, pas été facile pour un dirigeant national de déclarer qu'il n'était pas en faveur d'une réduction de la faim. L'important est de savoir dans quelle mesure cet engagement a été pris au sérieux et si les capacités financières et institutionnelles, ainsi que les moyens techniques de tenir les engagements pris, existent ou peuvent être créés dans le pays et l'institution partenaire - y compris la FAO - avec laquelle une coopération a été envisagée.

III. L'ENVIRONNEMENT POLITIQUE MONDIAL

11. L'une des grandes réussites du siècle dernier a été la production d'une nourriture suffisante non seulement pour satisfaire les besoins d'une population qui a doublé, passant de 3 à plus de 6 milliards d'habitants entre 1960 et 2000, mais aussi pour assurer une meilleure nutrition, l'ingestion alimentaire quotidienne moyenne passant de 2 250 kcal à 2 800 kcal par personne au cours de la même période. Outre qu'elle a permis d'accroître la production, la révolution agricole du XXe siècle a entraîné une augmentation remarquable de la productivité de la main-d'œuvre et de la terre, qui s'est traduite par une baisse progressive des cours mondiaux des céréales2.

12. Lorsqu'ils se pencheront sur ce siècle, les futurs historiens ne manqueront sans doute pas de s'étonner que la faim ait pu coexister à grande échelle avec un approvisionnement alimentaire global plus que suffisant. La persistance simultanée de la famine à grande échelle et d'approvisionnements alimentaires pléthoriques dans un monde doté d'excellents moyens de communication et de transport ne peut que signaler l'existence de vices fondamentaux dans le mode de fonctionnement des nations et dans la gestion et la gouvernance des rapports qu'elles entretiennent les unes avec les autres. La Déclaration de Rome qualifiait la situation d'inacceptable et pourtant elle perdure. Le présent chapitre examine comment les récents changements dans les relations politiques mondiales et dans les modes de pensée qui les informent, ainsi que les changements institutionnels concomitants, semblent affecter l'incidence de la faim et la capacité et la volonté des gouvernements de l'éradiquer.

13. La chute du mur de Berlin en 1990 a suscité une vague d'optimisme qui a déferlé partout dans le monde. De nombreux observateurs pensaient que la combinaison de politiques économiques fondées sur les forces du marché et de la démocratie allait induire une croissance rapide dans les pays de l'Europe de l'Est et de l'Ex-URSS; que l'arrêt de la confrontation entre les grandes puissances allait mettre fin aux guerres par pays interposés et entraîner une chute rapide des dépenses consacrées aux armements, ce qui libérerait des ressources qui seraient canalisées vers les pays les plus pauvres pour accélérer leur développement. Dix ans plus tard, ces espoirs, pour la plupart, ne se sont pas réalisés. Des problèmes structurels fondamentaux ont bloqué la transition et la croissance dans la plupart des pays à économie planifiée. Des manifestations de nationalisme des revendications ethniques de plus en plus militantes, combinées à un marché des armes florissant, ont attisé des conflits armés, anéantissant les espoirs de développement et forçant des millions de personnes à fuir leur foyer dans la plus grande pénurie. Les dividendes de la paix n'ont pas non plus contribué à augmenter les flux de ressources vers les pays les plus pauvres (qui ont, en fait, baissé pendant toute la décennie) en dépit de la prospérité sans précédent des pays développés: en vérité, la fin du clientélisme des super-puissances a fait chuter l'aide à un niveau déterminé davantage par l'altruisme que par des considérations géopolitiques.

14. On constate néanmoins une reconnaissance accrue de l'interdépendance mondiale et des efforts ont été lancés pour qu'elle puisse profiter à tous. Après la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995, les barrières au commerce ont commencé à tomber et on a de grands espoirs que la libéralisation des échanges contribuera à élargir les marchés et à réduire les coûts des transactions, au profit des pays en développement. On a vu une croissance massive des investissements étrangers directs (IED) par le secteur privé, qui représentent maintenant 82 pour cent des flux financiers nets vers les pays en développement, contre 44 pour cent en 1990.3 De même, les progrès rapides dans les communications et les technologies de l'information accélèrent la diffusion des connaissances et donnent aux ressortissants des pays en développement une occasion unique de sauter directement dans le XXIe siècle. En 1992, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement avait sensibilisé l'opinion sur les dangers que l'activité humaine faisait courir à l'environnement, lançant ainsi un processus de création de nouveaux organes de réglementation et d'instruments de financement.

15. Mais, si la mondialisation des échanges, des relations économiques, des communications et de la gestion de l'environnement offre des perspectives intéressantes aux populations des pays en développement, c'est aussi une arme à double tranchant. Ainsi, dans la mesure où les pays développés conservent des obstacles au commerce ou subventionnent leurs exploitants agricoles, les perspectives d'ouverture des marchés aux pays en développement diminuent. La vente de produits alimentaires à des prix inférieurs à leur coût de production peut profiter aux consommateurs à faible revenu, mais elle peut aussi saper les incitations à la production et ainsi causer des dommages à long terme à l'agriculture de subsistance des pays en développement et contribuer à l'appauvrissement des populations rurales. De même, l'augmentation rapide des flux de capitaux privés, combinée au rétrécissement du rôle du secteur public, a pu servir d'excuse à la réduction de l'aide publique au développement (APD), qui est tombée au cours des années 90 de 0,33 pour cent à 0,25 pour cent du PNB des pays de l'OCDE, au détriment de la majorité des pays en développement et plus particulièrement des pays les moins avancés d'Afrique qui ne reçoivent pratiquement aucun apport de fonds privés.

16. Au cours de la dernière décennie, le "consensus de Washington", fondé sur l'application de politiques macro-économiques qui ont libéralisé les marchés, a profondément influé sur la manière dont les gouvernements des pays développés envisageaient leur rôle et sur les conseils de politique économique qui ont été donnés aux gouvernements des pays en développement par les institutions de Bretton Woods. Partout dans le monde, les instances publiques ont commencé à se retirer des activités que le secteur privé était mieux à même de mener - on l'espérait - et à se concentrer sur leur rôle de fournisseur de biens publics; les marchés intérieurs ont été dérégulés et les régimes de commerce et d'investissement libéralisés; la fonction publique a été réduite et la discipline financière renforcée. La controverse règne toujours sur l'impact de ces programmes d'ajustement structurel: si certains pays en ont profité, dans d'autres, la croissance économique a été faible, le fossé entre les riches et les pauvres s'est élargi, la fonction publique n'a pas la force de fournir les biens publics indispensables et le secteur privé n'a pas répondu avec toute la célérité attendue aux nouvelles possibilités1. L'exode rural simultané, outre son impact démographique, peut aussi avoir contribué à l'érosion du poids politique accordé aux affaires rurales, renforçant ainsi la tendance à un parti pris urbain dans les processus de prise de décisions.

17. Les Sommets de 1990, y compris le SMA, ont réussi à sensibiliser l'opinion publique aux grands problèmes mondiaux, à préparer des plans destinés à s'y attaquer et à mobiliser d'importants niveaux d'engagements pour des actions conjointes par les pays et les organismes internationaux. On s'attendait donc à voir menées des actions, d'une échelle jusqu'alors inconnue, destinées à s'attaquer aux problèmes les plus importants de l'humanité. Mais c'est alors que la capacité de réaction du système des Nations Unies a commencé à souffrir de restrictions budgétaires imposées par des gouvernements réformateurs, dont un bon nombre avait déjà adopté des politiques "nombrilistes" qui ne prenaient guère en compte les questions de développement. Autre conséquence imprévue des Sommets, le calendrier du développement s'est trouvé surchargé et l'attention des gouvernements s'est trouvée sollicitée par toute une série de grands thèmes se succédant avec une telle rapidité que la détermination des priorités s'en est trouvée extrêmement compliquée et que les efforts ont été dilués. Le manque de progrès visible dans nombre des domaines retenus, joint à la montée des doutes sur l'efficacité des programmes d'assistance multilatérale, a contribué à saper encore davantage la crédibilité des agences parrainant ces programmes.

18. Dans les années qui ont suivi le Sommet mondial de l'alimentation, on a donc vu de nombreux pays en développement se débattre avec des problèmes d'ajustement et des contraintes financières et faire face à une liste de plus en plus longue d'engagements qu'ils comptaient internaliser. Beaucoup des pays les plus pauvres étaient engagés dans des conflits qui sapaient leurs ressources et leur énergie; d'autres souffraient d'énormes catastrophes naturelles; certains se sont rendus compte au milieu des années 90 de l'énormité de l'impact social et économique du VIH/sida; et d'autres se démenaient pour maintenir des démocraties naissantes en dépit du mécontentement public causé par des mesures d'austérité. Il n'est donc guère surprenant que la plupart des pays en développement, suivant en cela la sagesse traditionnelle et la prudence, décident d'affecter leurs ressources à la réduction des déficits budgétaires et à la maximisation du taux de croissance économique, se fondant sur l'hypothèse que cela contribuerait à réduire la pauvreté, même en l'absence de mesures de redistribution des actifs et des revenus. Ceci explique que peu de pays, en dépit des engagements pris au Sommet, se soient lancés dans de grands programmes destinés à améliorer leur sécurité alimentaire. Et leurs partenaires en développement ne les ont pas toujours encouragés à le faire qui, malgré le discrédit jeté sur les théories de retombée, continuaient, dans leurs stratégies d'assistance aux pays, à privilégier des politiques et des investissements soutenant la croissance économique comme principal objectif du développement4 et à utiliser des techniques d'analyse économique traditionnelles qui accordent peu de poids aux facteurs de distribution dans les décisions d'investissement.

19. Cette priorité donnée à la croissance économique, à l'efficacité et à la transparence des échanges commerciaux, jointe aux pressions exercées sur les ressortissants des pays développés pour qu'ils consomment davantage, est de plus en plus en désaccord avec le souci de justice sociale et le bien-être des pauvres du reste du monde. Parmi les donateurs, l'engagement pris d'aider à résoudre les problèmes humanitaires et du développement s'est érodé aussi du fait de désillusions quant à l'efficacité de l'aide, de préoccupations suscitées par la corruption, de l'affaiblissement des raisons géopolitiques de l'assistance et, dans certains cas, de la nécessité de lancer des mesures d'austérité dans leur propre pays.

20. La montée de l'indignation publique devant cette apparente indifférence aux questions liées à l'injustice et au gaspillage des ressources naturelles a donné naissance à ce qui est peut-être le phénomène politique le plus important des dernières années du XXe siècle, à savoir l'émergence de mouvements transnationaux de défense de la société civile, qui forment des coalitions de groupes d'intérêts mécontents de la manière dont le monde est géré et qui font preuve d'une capacité extraordinaire d'influencer la conduite des affaires mondiales. Bien qu'ils prospèrent dans les sociétés démocratiques, ces mouvements n'utilisent pas les mécanismes institutionnels normaux: ils tirent leur influence du fait qu'ils utilisent la puissance des moyens de communication de masse et des technologies de l'information pour constituer des groupes à l'échelon mondial, extrêmement visibles et capables de se faire entendre, pour appuyer les causes qu'ils défendent (voir encadré). D'autres adoptent des profils moins visibles, travaillant tout aussi efficacement par le biais de vastes réseaux d'activistes locaux qui influencent les processus de prise de décisions nationaux et internationaux en écrivant à leurs représentants politiques et en faisant discrètement pression sur eux. Qu'il s'agisse des droits de l'homme, de l'environnement, du commerce, de la dette ou de la sécurité alimentaire, ils montrent que partout dans le monde il existe un très grand nombre d'individus qui veulent une société mondiale administrée de manière plus juste et plus durable et qui sont prêts à utiliser tous les moyens possibles pour se faire entendre de ceux qui sont au pouvoir et du grand public.

Le pouvoir des groupes de promotion de la société civile

L'ampleur de la réduction de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) et la rapidité avec laquelle elle s'est faite, à un moment où l'attitude officielle de la majorité des pays développés tendait à une réduction de l'aide, sont dans une très grande mesure dues à l'efficacité de la campagne menée et orchestrée par la coalition Jubilée 2000. Au nombre des raisons du succès de Jubilée 2000, on peut citer:

  • Des objectifs clairs, exprimés simplement, réitérés à satiété et assortis de délais précis: une date butoir rapprochée à valeur symbolique;
  • Son appel au sens de la justice commun à tous les individus, quelles que soient leur religion, leur race, leur affiliation politique ou leur richesse;
  • La construction d'une coalition des organes de la société civile (dont des ONG, des groupes religieux, des organisations civiques, des parlementaires, etc.), dotés pour la plupart de larges réseaux;
  • Le recours maximal aux médias et aux dernières technologies de l'information et de la communication, en plus des méthodes traditionnelles (offices religieux, concerts télévisés, démonstrations, etc.) pour mobiliser rapidement un large soutien visible à l'échelle de la planète;
  • Une recherche et un suivi de qualité, débouchant sur la formulation de messages frappants (par exemple, "trop peu, trop tard")
  • Le ciblage de dirigeants clés, pour obtenir leur appui en échange d'une assurance de soutien populaire;
  • Le choix d'enceintes de prise de décisions, notamment les Sommets du G-8, assurant ainsi que la question de la dette reste à l'ordre du jour et que les dirigeants sont tenus responsables de leurs engagements.

Lutter contre la faim dans le monde est une cause qui pourrait mobiliser la société civile en faveur d'une action internationale aussi efficace.

21. Il ne fait pas de doute que cette voix qui s'élève à l'occasion de rencontres de personnalités avec le Pape, de chaînes humaines aux sommets du G-8 ou d'émeutes dans les rues de Seattle ou de Prague est entendue vu la rapidité avec laquelle réagissent les dirigeants mondiaux, les Nations Unies, les institutions de Bretton Woods, les sociétés transnationales et les philanthropes. L'un des succès les plus notables de ces mouvements, notamment pour de nombreux pays à faible revenu et à déficit vivrier (PFRDV), est l'accélération de l'allégement de la dette dans le cadre de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (voir encadré ci-dessus). La décision prise par le Sommet du G-8 de Cologne en 1999 de lier l'accélération de l'allégement de la dette à des mesures pratiques prises par les pays en développement pour lutter contre la pauvreté est devenue l'élément moteur du calendrier du développement au début de ce XXIe siècle.

22. Certains signes montrent également que des sociétés transnationales commencent à porter plus d'attention à l'éthique dans la conduite de leurs affaires, notamment dans les domaines du travail des enfants, des modifications génétiques des espèces végétales et animales, du commerce des diamants de la guerre ou des dommages causés à l'environnement par les opérations minières et manufacturières et l'élimination des déchets toxiques. En témoigne la réaction généralement positive à l'Accord mondial des Nations Unies dans le cadre duquel les transnationales s'engagent à respecter les principes de bonne conduite dans les affaires.

23. La nouvelle vague de philanthropie à grande échelle ciblée sur les problèmes des pauvres dans les pays en développement est sans doute moins influencée par les pressions de la société civile que par l'altruisme de ceux qui redistribuent une partie de leur immense fortune.

24. Toujours est-il que le nouveau millénaire a commencé avec un large consensus sur le fait que le principal objectif du développement doit être d'éliminer la pauvreté. Cependant, bien que la faim soit une manifestation immédiate de la pauvreté, les questions de sécurité alimentaire sont singulièrement absentes des stratégies de réduction de la pauvreté et la faim ne préoccupe souvent que dans les situations de crise. On ne voit pas non plus que les pays développés et en développement essaient de dégager les ressources nécessaires pour éradiquer la faim dans toutes ses manifestations. Le danger le plus grand est que le débat sur les stratégies de réduction de la pauvreté se poursuive dans les antichambres du pouvoir, retardant ainsi l'adoption des mesures même les plus évidentes, alors que près de 800 millions de personnes, dont beaucoup d'enfants, se voient privées de l'occasion de vivre une vie pleine et entière. Le danger existe aussi que la réussite de la révolution agricole du XXe siècle et l'adéquation actuelle de l'offre alimentaire mondiale encouragent une indifférence généralisée, face à la nécessité de trouver d'urgence des solutions au problème de la faim chronique.

IV. ACTION DE LA FAO DESTINÉE À RENFORCER L'ENGAGEMENT POLITIQUE ET PROGRÈS CONSTATÉS

25. L'action de la FAO destinée à renforcer la volonté politique d'atteindre les objectifs du SMA se fonde sur la conviction qu'à condition de le vouloir vraiment, la communauté internationale dispose des capacités techniques, institutionnelles et financières nécessaires pour éradiquer la faim en un laps de temps très court, si elle l'affronte directement et non pas indirectement. De fait, faute de s'attaquer en priorité à la faim, qui est à la fois cause et conséquence de la pauvreté, on ne pourra guère réaliser de progrès dans l'éradication de la pauvreté sous toutes ses formes. On n'a pas besoin de nouveaux débats ou de traités académiques sur la question, mais de la détermination renouvelée des gouvernements, appuyés par les organismes internationaux et la société civile, de mettre en œuvre les mesures simples qu'ils ont approuvées au Sommet mondial de l'alimentation il y a presque cinq ans.

26. La réaction du système des Nations Unies, de la société civile et des gouvernements aux crises alimentaires - naturelles et causées par l'homme - s'améliore régulièrement; il s'ensuit que, par rapport à ce qui se passait au début du XXe siècle, relativement peu de personnes meurent de faim aujourd'hui du fait de catastrophes complexes, comme cela est normal compte tenu de l'existence d'excédents alimentaires à l'échelle de la planète et de la puissance des systèmes de communication modernes5 6. Par contraste, on a fait moins de progrès dans la lutte contre les problèmes moins visibles, mais tout aussi prévalents de la malnutrition chronique, qui étaient au centre des débats du Sommet, alors qu'ils contribuent probablement au décès prématuré d'un nombre plus important de personnes et que, d'un point de vue logistique, ils devraient être plus faciles à résoudre que les pénuries alimentaires pendant les crises complexes.

27. Mais c'est précisément à cause de la nature insidieuse de la faim chronique que la FAO s'est sentie obligée de rappeler leurs engagements à ses Membres et d'attirer l'attention sur l'insuffisance des progrès accomplis dans la réalisation des objectifs fixés au Sommet. Les projections fondées sur les politiques en vigueur et les tendances récentes montrent que l'objectif de réduire de moitié le nombre des personnes sous-alimentées d'ici 2015 ne sera probablement pas atteint avant 20307. C'est pour cela et parce que "peu, si tant est qu'il y en ait" des 91 pays et des neuf organisations internationales qui ont fait rapport au CSA8 de septembre 2000 ont pu se prévaloir de progrès importants dans la mise en œuvre de leurs engagements, que les dirigeants du monde entier sont à nouveau invités à venir à Rome renouveler leurs engagements et les traduire en programmes pratiques.

A. GRANDES ACTIONS

28. Dans l'optique du renforcement des engagements, la FAO a commencé par elle-même, en demandant à ses organes directeurs de lui préparer un Cadre stratégique pour la période 2000-2015. Ce Cadre fait du Plan d'action du SMA un "nouveau point de référence", de façon que les allocations de ressources prévues dans le Plan à moyen terme pour les six prochaines années renforcent la capacité de la FAO à s'acquitter de son mandat, conformément aux décisions du Sommet9.

29. Une grande partie des efforts faits par la FAO pour renforcer la détermination politique a porté sur les gouvernements et surtout ceux des PFRDV. On commence à mieux connaître l'ampleur, les causes, la localisation et l'impact de la faim, grâce à l'expansion du Système d'information et de cartographie sur l'insécurité alimentaire et la vulnérabilité (SICIAV) dans 67 pays sous forme de programme multi-institutionnel de suivi de la sécurité alimentaire dont la FAO assure le secrétariat. Des consultations sur les propositions de Stratégies nationales pour l'agriculture à l'horizon 2010 et une série de consultations régionales (menées conjointement avec l'OMS) visant à renforcer la détermination politique de mettre en œuvre les Plans d'action nationaux pour la nutrition ont souligné la nécessité d'allouer des ressources suffisantes au développement rural et à la réforme des politiques afin d'améliorer l'accès à la nourriture. Le lancement du Programme spécial pour la sécurité alimentaire (PSSA) dans 60 pays a attiré l'attention sur les possibilités d'accroître la productivité agricole et les revenus ruraux en introduisant des modifications simples dans les systèmes culturaux, dans un environnement politique favorable. Les accords de coopération Sud-Sud à l'appui du PSSA ont renforcé la visibilité politique des questions de sécurité alimentaire. En outre, l'engagement national des partenaires de la FAO pour le développement et des gouvernements dans la lutte contre la faim a pu être renforcé grâce à l'expansion du Réseau du CAC sur le développement rural et la sécurité alimentaire; cependant, dans les 69 pays où le Réseau existe, on ne trouve, selon le secrétariat assuré par la FAO, que 20 à 25 groupes thématiques actifs, ce qui donne à penser que toutes les possibilités du Réseau ne sont pas encore exploitées. Enfin, les efforts inlassables du Directeur général, qui s'est rendu dans plusieurs pays membres et a rencontré de nombreux Chefs d'État depuis le Sommet, pour les convaincre de lutter activement contre la faim, n'ont certainement pas manqué de renforcer encore la volonté politique d'agir.

30. De nombreuses mesures ont été prises pour que la société civile s'implique davantage dans le suivi du SMA. La FAO a publié des déclarations de politique destinées à établir les bases d'une collaboration plus étroite entre elles, les ONG et le secteur privé. En 2000, des consultations régionales entre les ONG et les OSC ont été organisées et se sont terminées par une présentation au CSA, au cours de laquelle les organisations intéressées se sont engagées à renforcer leurs actions en faveur de la sécurité alimentaire. Les organisations de la société civile (OSC) ont été particulièrement actives et ont œuvré aux côtés du personnel juridique de la FAO lors des consultations sur le Droit à la nourriture organisées, conformément aux prescriptions du Sommet (objectif 7.4 du Plan d'action), par le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme pour préciser la teneur du droit à une nourriture adéquate et du droit fondamental d'un chacun d'être à l'abri de la faim, et accorder une attention particulière à la réalisation progressive de ce droit comme moyen de parvenir à la sécurité alimentaire pour tous (voir encadré ci-après). Ces consultations ont déjà débouché sur l'adoption d'une Remarque générale sur le droit à une nourriture adéquate par le Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels. Plus de 800 ONG ont adopté un projet de Code de conduite sur le droit à la nourriture, préparé par elles après le SMA, qui précise les éléments normatifs du droit à la nourriture et que les gouvernements pourront trouver utiles lorsqu'ils définiront les responsabilités afférentes à l'éradication de la faim. Les contacts avec les autorités religieuses ont abouti, fin 2000, à une allocution sur la faim adressée par le Directeur général à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, sur les marches de la Basilique de Saint-Pierre, à l'occasion du Jubilé agricole auquel participaient plus de 100 000 agriculteurs venus de nombreux pays. Dans l'arène politique, l'Union parlementaire internationale a pris sur elle de soutenir aux niveaux national et international les efforts de mise en application des engagements du Sommet et a organisé une Conférence interparlementaire sur la réalisation des objectifs du Sommet mondial de l'alimentation par le biais d'une stratégie de développement durable en 1998: cette conférence a débouché sur un document final dans lequel l'Union engageait les Parlements à soutenir la mise en œuvre du Plan d'action du SMA aux niveaux national et international. La participation du Directeur général au Forum économique mondial de Davos a donné l'occasion aux dirigeants du secteur privé, notamment aux directeurs de grandes entreprises agro-industrielles, de prendre des engagements importants et de participer ainsi à la quête d'un monde libéré de la faim - objectif partagé par les membres des groupes industriels italiens "amis de la FAO".

Qu'est-ce que le droit à la nourriture?

Le droit à la nourriture est reconnu dans des instruments internationaux ayant force contraignante, notamment dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, où il est reconnu, d'une part, comme faisant partie des conditions de vie adéquates au même titre que le logement et l'habillement et, d'autre part, comme le droit fondamental d'être à l'abri de la faim.

Le droit à la nourriture implique le droit aux moyens de production ou d'achat d'une nourriture en quantité et de qualité suffisantes, exempte de substances nocives et culturellement acceptable. Ce droit peut être rempli par chaque individu personnellement ou en communauté avec d'autres et tout un chacun doit pouvoir en jouir sans distinction de race, religion, sexe, langue, opinion politique ou autre statut.

Dans le cadre du Pacte, les États parties sont tenus de prendre toutes les mesures appropriées, dans la limite des ressources disponibles, pour arriver progressivement à la réalisation du droit à la nourriture pour tous. Le Pacte établit une distinction entre les obligations de conduite et de résultats et les violations peuvent être de commission ou d'omission. Il fait aussi une différence entre la mauvaise volonté et l'incapacité de l'État d'agir.

En droit international, l'État est responsable du respect des droits de l'homme sur son territoire. Il peut néanmoins déléguer cette responsabilité à divers niveaux du gouvernement et il doit, par le biais d'une stratégie nationale ou de sa législation, désigner aussi précisément que possible les responsables des actions à mener, surtout lorsqu'il s'agit de problèmes aussi multisectoriels et multidimensionnels que l'insécurité alimentaire.

Les obligations de l'État peuvent aussi être considérées comme étant, à divers niveaux, de respecter, protéger et faire observer le droit à la nourriture. Et s'il est important de créer un environnement propice permettant à chacun d'exercer son droit à la nourriture par ses propres efforts, il n'en incombe pas moins à l'État de garantir que ceux qui ne peuvent le faire soient adéquatement pourvus, de façon que personne, au moins, ne souffre de la faim.

31. La détermination politique est cependant très sensible à l'opinion publique. Le Sommet en soi a beaucoup contribué à sensibiliser le public à l'ampleur du problème de la faim dans le monde et à la nécessité de s'y attaquer. Depuis 1996, la FAO multiplie les activités de sensibilisation du public dans le contexte de sa nouvelle stratégie de communication. Les rapports et alertes spéciales du Système mondial d'information et d'alerte rapide sur l'alimentation et l'agriculture (SMIAR) donnent des renseignements à jour sur les crises alimentaires et deux éditions de l'État de l'insécurité alimentaire dans le monde ont déjà été publiées et ont fait l'objet d'une large couverture médiatique. Le site web plurilingue de la FAO (qui a reçu plus de 12 millions d'appels par mois en 2000) fait connaître les divers aspects du problème de la faim et les mesures prises pour y remédier. Quelque 150 pays célèbrent la Journée mondiale de l'alimentation chaque année et la campagne annuelle du Telefood, reprise par plus de 80 stations de télévision partout dans le monde et suivie par quelque 500 millions de téléspectateurs, a ajouté une nouvelle dimension aux programmes de sensibilisation et de promotion de la solidarité. Enfin, le Directeur général et plusieurs hauts fonctionnaires de l'Organisation ont accordé des entretiens à la presse, à la radio et à la télévision sur des sujets liés au Sommet mondial de l'alimentation et de nombreux articles sur le sujet ont été publiés dans des magazines populaires et spécialisés.

32. Consciente, comme en témoigne l'invitation lancée aux Chefs d'État de participer au Sommet et à la prochaine Conférence de la FAO, que l'éradication de la faim dépend de mesures prises dans plusieurs secteurs et se renforçant mutuellement, la FAO cherche à collaborer plus étroitement avec les organismes internationaux et les autres organes intergouvernementaux nécessaires au succès de l'entreprise. Les hauts fonctionnaires et les cadres techniques des trois organismes des Nations Unies ayant leur siège à Rome se réunissent régulièrement et une publication semestrielle montre la portée de leur travail commun10 qui a également fait l'objet d'une présentation conjointe au Conseil économique et social en 2000. Le Comité administratif de coordination (CAC) de l'Organisation des Nations Unies constitue une enceinte précieuse pour la collaboration interinstitutions dont l'efficacité pour résoudre les problèmes de sécurité alimentaire a été démontrée par l'excellent travail du Groupe spécial sur la sécurité alimentaire à long terme et les problèmes connexes dans la Corne de l'Afrique11, dirigé par la FAO.

33. L'Organisation a depuis longtemps des accords de coopération et des programmes de travail en commun avec toutes les grandes institutions financières internationales, mais elle a maintenant pris des dispositions pour renforcer cette collaboration et l'axer davantage sur l'insécurité alimentaire. Le Directeur général et les présidents de toutes les institutions financières internationales et de la majorité des banques sous-régionales sont en contact fréquent pour promouvoir une reprise des prêts au secteur rural, thème qui a également été évoqué dans des allocutions aux conseils d'administration de plusieurs banques. Dans de nouveaux mémorandums d'accord, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, la Banque islamique de développement et la Banque ouest-africaine de développement se sont engagées à financer, à la requête des pays, des activités liées aux PSSA.12

34. Les contacts au plus haut niveau se sont intensifiés avec les gouvernements des pays développés et particulièrement avec les organes intergouvernementaux appropriés, notamment avec la Communauté européenne et le Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

B. PROGRÈS

35. Toute évaluation du renforcement de la détermination politique de lutter contre la faim restera subjective tant que l'on n'aura pas de preuves concrètes d'une accélération des progrès accomplis dans l'éradication de la faim, surtout dans les PFRDV. Cinquante-trois pays en développement ont enregistré une baisse de la proportion de leur population sous-alimentée entre 1990/92 et 1996/98 et dans 39 pays, le nombre absolu des sous-alimentés a baissé. Dans leurs rapports au CSA, ces pays ne prétendent pas, toutefois, que ces réductions sont dues à des mesures prises en réponse aux engagements du Sommet mondial de l'alimentation, impression confirmée par l'importante Société internationale pour le développement qui a constaté, à l'occasion de 32 séminaires (organisés dans 26 pays en 1999 et 2000) que très peu de gouvernements avaient lancé des processus de suivi du Sommet impliquant des organisations de la société civile. Le document sur les Ressources ne montre pas non plus d'augmentation dans les ressources nationales ou internationales affectées au développement rural, ce que l'on attendrait de tout programme visant à réduire l'insécurité alimentaire. Au contraire, l'APD pour l'agriculture n'a cessé de baisser, tandis qu'un certain nombre de pays parmi les plus touchés par l'insécurité alimentaire, au lieu de mobiliser leurs ressources pour réduire la faim, ont augmenté leurs dépenses militaires.

36. Ce qui est encourageant, c'est le large consensus apparu dans la communauté internationale concernant la nécessité d'axer l'assistance au développement sur la réduction de la pauvreté, afin d'atteindre l'objectif international du développement, autrement dit de réduire la pauvreté de moitié d'ici 2015. Un consensus semble aussi se constituer sur la nécessité de faire remonter l'APD à 0,7 pour cent du PIB et de la centrer sur les pays pauvres13. Des progrès considérables ont été réalisés en ce qui concerne la réduction de la dette, notamment dans le cadre de l'Initiative PPTTE et son association avec des investissements visant à réduire la pauvreté.

37. Le paradoxe est que cette volonté louable de réduire la pauvreté, accompagnée, à juste titre, d'une prise de conscience de la complexité des causes de la pauvreté, risque d'amener une dispersion des efforts et de détourner l'attention des aspects plus tangibles et plus menaçants de la pauvreté, comme la faim. De fait, si l'on ne s'attaque pas de front au problème de la sous-alimentation, on risque de compromettre la réduction de la pauvreté, dans la mesure où la faim est autant la cause que l'effet de la pauvreté. Les approches holistiques du développement décrites dans le Cadre global pour le développement et le Plan-cadre des Nations Unies pour l'aide au développement doivent être interprétées et traduites en priorités sectorielles précises portant sur les divers aspects de la pauvreté, accompagnées de propositions d'action et de la mobilisation des ressources nécessaires à la réalisation des objectifs poursuivis. Les difficultés inhérentes à l'évaluation de la faim - état qui n'est que trop évident pour ceux qui en souffrent - ne doivent pas servir de prétexte pour minimiser l'urgence mondiale de réduire la pauvreté.

38. Le peu d'attention porté à l'insécurité alimentaire en tant que problème spécifique est très évident dans les enceintes internationales depuis le Sommet mondial de l'alimentation. L'insécurité alimentaire n'a que rarement été à l'ordre du jour des fameux Sommets du G-7/8 ou du G-77 ou d'autres réunions internationales majeures, dont celles du G-15 et du mouvement des non-alignés. La grande exception a été celle du Sommet du G-7 de 1997, qui reconnu la nécessité d'accroître l'APD en Afrique et de cibler l'aide sur le développement rural, la sécurité alimentaire et la protection de l'environnement. Mais lors des réunions suivantes, aucun rapport n'a été fourni sur les mesures prises à cette fin et le problème de la faim n'a plus été évoqué. Par exemple, à la réunion du G-8 de Cologne en 1999, où il a été convenu d'élargir l'impact de l'Initiative PPTTE et de l'associer à des mesures de réduction de la pauvreté prises par les pays bénéficiaires, ces mesures ont été assimilées à des améliorations en matière de santé et d'éducation, sans qu'il soit question de lier l'annulation de la dette à la sécurité alimentaire, ni même à des mesures visant à accroître les possibilités d'acquisition de revenus. À Okinawa, en 2000, le communiqué du G-8 réitérait son soutien à l'annulation de la dette dans l'optique d'une réduction de pauvreté et soulignait que "la santé est la clé de la prospérité" et que "chaque enfant a droit à une bonne éducation"; il recommandait l'ouverture d'un dialogue sur la sécurité sanitaire des aliments, mais pas sur la sécurité alimentaire. Le Groupe des 77 ne s'est pas non plus intéressé à la question de la faim, sauf pour demander la mise en application de la Déclaration de Marrakech en faveur des pays dont la sécurité alimentaire est menacée par la libéralisation du commerce.

39. La réduction de la faim est tout aussi oubliée comme élément central de la réduction de la pauvreté dans les Objectifs internationaux de développement établis par la Banque mondiale, le FMI, les Nations Unies et l'OCDE, qui ne mentionnent pas la réduction de la faim parmi les objectifs spécifiques et contrôlables du développement14, malgré les vives protestations émises par la FAO au nom des gouvernements ayant approuvé la Déclaration de Rome. Les premiers conseils donnés par la Banque mondiale et le FMI pour la préparation des Documents de stratégie de réduction de la pauvreté allaient dans le même sens, bien qu'ils aient été modifiés par la suite de façon à suggérer que l'on ne s'attache pas uniquement aux questions de santé, d'éducation, et d'alimentation en eau, mais aussi à celles liées à la pauvreté rurale et à la création de revenus. Comme dans le cas des objectifs internationaux de développement, la réduction de la faim n'a pas encore été retenue officiellement comme objectif des stratégies de réduction de la pauvreté. Toutefois, comme dans la plupart des pays pauvres l'incidence de la pauvreté est plus élevée dans les zones rurales, les mesures destinées à stimuler la croissance de la petite agriculture et à améliorer la sécurité alimentaire des collectivités ne manqueront pas de trouver la place qui leur revient dans les Documents de stratégie, dans la mesure où ces documents seront élaborés avec la participation des intéressés. Ceci serait conforme à la nouvelle "vision" de la Banque mondiale pour le développement rural, axée sur la nécessité de s'attaquer à l'insécurité alimentaire, en tant qu'objectif spécifique de sa mission, qui est de réduire la pauvreté rurale.

40. La déclaration de novembre 2000 du Conseil de l'Union européenne et de la Commission européenne sur la politique de développement de la Communauté européenne est plus précise en ce qu'elle reconnaît que la sécurité alimentaire est un élément clé de toute une gamme d'actions visant à éradiquer la pauvreté, mais aussi qu'il importe de l'envisager de divers points de vue. La nécessité de s'attaquer à la faim comme problème en soi a été également reconnue (quoiqu'à un stade très avancé de la rédaction) dans la Déclaration de septembre 2000 de l'Assemblée du Millénaire, où il était dit que son principal objectif était "de réduire de moitié, d'ici à 2015, la proportion des personnes dont le revenu est inférieur à un dollar pas jour et la proportion des personnes qui souffrent de la faim et aussi, d'ici la même date, de réduire de moitié la proportion des personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable ou ne peuvent pas en acheter"15. Il faut espérer que l'esprit de coopération qui s'est manifesté à l'Assemblée du Millénaire se traduira par des mesures fermes et délibérées.

41. On peut avoir des raisons de se montrer prudemment optimiste en voyant l'ampleur - déjà mentionnée - des mouvements transnationaux de la société civile qui apparaissent comme les défenseurs d'un monde plus juste et qui montrent que, contrairement à certaines idées reçues, il existe un large soutien populaire pour la lutte contre la faim dans les pays en développement16. De nombreuses ONG travaillent déjà à la résolution des crises alimentaires et fournissent des services de soutien aux collectivités de petits exploitants, mettant souvent l'accent sur les techniques d'utilisation durable des terres. D'autres jouent un rôle de premier plan dans le processus de consultation de l'après-Sommet dirigé par le Haut Commissaire aux droits de l'homme. Ce sont elles qui vont constituer des coalitions, profitant des nouvelles possibilités de créer des réseaux, et œuvrer en faveur d'un engagement national et international plus ferme dans la lutte contre la faim.

42. Enfin, au niveau international, on semble mieux reconnaître la menace pour la paix et la sécurité que constituent la faim et la misère extrêmes. Les conflits locaux pour la possession de ressources rares peuvent rapidement s'étendre à toute une région et avoir un impact déstabilisant majeur, et reléguant au second plan toute tentative de résoudre les questions de sécurité alimentaire à long terme dans les pays concernés. Il est de l'intérêt de chaque pays d'éviter ce genre de situation. Parce qu'il est chargé par la Charte des Nations Unies de préserver la paix et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité s'intéresse de plus en plus aux questions alimentaires, et en particulier au fait que la nourriture est trop souvent utilisée comme une arme et à la nécessité de garantir la sécurité alimentaire en cas de catastrophe naturelle et causée par l'homme. Compte tenu de l'ampleur de la sous-alimentation chronique, surtout dans les pays exposés à des conflits, c'est une question qui doit constituer un thème important pour le Conseil de sécurité, dans sa quête de la paix.

43. Au niveau national, il semble que quelques pays en développement reconnaissent le rôle critique du secteur rural dans un développement économique largement ouvert et se sont engagés à promouvoir la croissance du secteur agricole, grâce notamment aux nouveaux débouchés commerciaux à l'échelon national et international. Mais ils constituent l'exception et la majorité des pays en développement poursuivent des politiques axées sur les villes, sans manifester d'empressement visible à éradiquer la faim et la malnutrition et à promouvoir le développement rural.

V. TRADUIRE LES ENGAGEMENTS EN ACTIONS

44. Le Sommet mondial de l'alimentation: cinq ans après donnera l'occasion aux gouvernements, à la communauté internationale et à la société civile de renouveler leur engagement en faveur de la Déclaration de Rome et du Plan d'action. Mais il faut maintenant aller au-delà de cet engagement et déclarer en termes précis comment chacun va œuvrer pour appuyer les mesures destinées à éliminer la faim, en se concentrant sur celles qui auront l'impact le plus direct et le plus immédiat de façon que l'objectif du Sommet puisse être atteint d'ici à 2015. Et cet engagement sera d'autant plus fort qu'il se fondera sur une vision consensuelle des moyens d'éradiquer la faim.

45. Tout en restant fermement ancrées dans la Déclaration de Rome, les mesures à prendre par chacune des parties peuvent bénéficier des progrès réalisés dans les connaissances, la réflexion théorique et les rapports institutionnels depuis 1996. Une meilleure compréhension de la nature de l'insécurité alimentaire et de ses causes sous-jacentes est de plus en plus indispensable pour élaborer des stratégies efficaces17. Il est également de plus en plus évident que la faim chronique est autant une cause qu'un effet de la pauvreté, ce qui conforte l'intuition que les mesures destinées à réduire la faim sont des préalables indispensables à la réussite des programmes de lutte contre la pauvreté: tant que les gens - adultes ou enfants - ont faim, leurs réactions aux possibilités de développement sont inhibées. De fait, des preuves commencent à se faire jour que, dans la plupart des économies, la présence à grande échelle de la faim réduit le potentiel de croissance économique nationale18.

46. Il faut aussi profiter des progrès sensibles de la décentralisation institutionnelle enregistrés dans de nombreux pays au cours des cinq dernières années et les appuyer par des ressources suffisantes. Ces progrès donnent aux institutions publiques qui doivent réagir aux multiples manifestations de l'insécurité alimentaire des occasions de collaborer de manière plus efficace au niveau local; ils facilitent aussi les processus de diagnostic et de prise de décisions participatifs qui, de l'avis général, contribuent à renforcer les possibilités de réaction locales à des problèmes cruciaux comme la faim ou la création de moyens d'existence plus stables. Le rôle grandissant des organisations de la société civile en tant que fournisseurs de connaissances et de services au niveau local doit également être pris en compte dans les plans.

47. La pensée sur les questions liées aux droits de l'homme a considérablement progressé et notamment sur la manière dont les concepts informant le droit à la nourriture peuvent contribuer à l'élaboration de programmes efficaces d'éradication de la faim. L'accent est mis sur la primauté du rôle de l'individu, de la famille et de la collectivité dans la satisfaction des besoins alimentaires, l'État ayant une fonction d'exécution qui ne commence que lorsque le problème de l'accès à une nourriture adéquate et saine dépasse les capacités locales19. Les gouvernements doivent, pour leur part, créer les conditions nécessaires au succès des efforts locaux et notamment garantir la paix et la participation active aux processus politiques.

48. Au niveau des institutions internationales, l'amélioration de la collaboration entre les divers organismes au niveau local, par le biais de l'évaluation-pays commune, du Plan-cadre des Nations Unies pour l'aide au développement et du Réseau du CAC sur le développement rural et la sécurité alimentaire, offre de nouvelles occasions de prendre des mesures interinstitutions se renforçant mutuellement en vue de l'éradication de la faim.

49. Cependant, en dépit de ces avancées dans la pensée et dans les relations institutionnelles, peu de pays ont lancé des attaques de front contre la faim alors qu'elles sont nécessaires pour atteindre les objectifs du Sommet et qu'elles sont possibles. De fait, on ne voit guère, sauf dans les consultations sur le droit à la nourriture, qu'on ait beaucoup réfléchi à ce que signifie pratiquement - pour une collectivité ou un pays - l'engagement d'éradiquer la faim, exception faite du relèvement de la production des petites exploitations agricoles (voir encadré). C'est peut-être cette absence de réformes politiques et de vision sur les moyens de s'attaquer à la faim dans toutes ses manifestations par un ensemble de mesures pratiques, simples, économiques et garanties, qui explique la lenteur des progrès qui, à son tour, affaiblit la détermination de suivre les engagements pris.

Augmenter la productivité agricole pour réduire la pauvreté

Dans les pays en développement, la pauvreté se concentre avant tout dans les zones rurales: en milieu urbain, elle est souvent la conséquence des migrations rurales. Dans la population rurale, les familles des petits exploitants sont souvent les plus pauvres et les plus mal nourries. Dans de nombreux PFRDV, l'augmentation de la productivité des petits exploitants peut entraîner, simultanément, une réduction de la pauvreté rurale, une amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition des ménages, une plus grande disponibilité de produits alimentaires sur les marchés locaux et nationaux et une réduction de la facture des importations. L'expérience montre que des investissements relativement modestes associés à des changements technologiques simples peuvent entraîner une hausse substantielle de la productivité de la main-d'œuvre et de la terre, s'il existe des marchés pour la production supplémentaire: une partie des investissements peut venir des propres ressources des exploitants, qui peuvent, par exemple, convertir leur travail en actifs productifs, tels que des petits réseaux d'irrigation et de drainage, des plantations de cultures arbustives ou des améliorations de la terre (terrasses ou nivellement).

L'existence de marchés est indispensable au succès des programmes d'augmentation de la production agricole, mais l'un des dilemmes auquel doivent faire face les pays en développement tient à ce que la baisse à long terme des cours mondiaux des céréales (résultant tant des changements technologiques rapides que des subventions dans les pays développés) tout en permettant d'importer à bas prix et donc de faire tomber les prix des produits alimentaires, tend à réduire les incitations à la production alimentaire et à éroder la principale source de revenus des petits exploitants.

50. À la différence d'autres manifestations de la pauvreté, la faim est relativement facile à identifier, à mesurer et à cibler. La solution au problème - assurer un accès régulier à une nourriture adéquate, nutritive et saine - est aussi apparemment simple. À la différence aussi de nombreux problèmes de santé, l'éradication de la faim ne demande pas des années de recherches scientifiques coûteuses. Il s'ensuit qu'il existe une solution réelle au problème de la faim, comme on le voit pendant les crises alimentaires ou dans certains pays qui ont mis en place des programmes d'action sociale garantissant que ceux qui sont dans le besoin mais qui, pour des raisons structurelles, ne peuvent satisfaire tous leurs besoins alimentaires soit en augmentant leur production agricole, soit par un travail rémunéré, ont accès soit à une nourriture appropriée, soit à des fonds pour l'acheter.

51. Un des éléments les plus surprenants de la quête d'une solution au problème de la faim est que presque tous ceux qui cherchent à l'éliminer - mais probablement pas ceux qui en souffrent vraiment - semblent chercher des raisons pour rejeter les solutions directes au problème de la sous-alimentation au profit d'autres qu'ils perçoivent comme plus durables. Paradoxalement, sous cette aversion pour des solutions directes à un problème qui pour beaucoup est un problème moral urgent, on trouve des préoccupations d'ordre éthique concernant la dignité humaine et la dépendance, alors que rien n'est plus dégradant pour la dignité humaine, ou ne cause plus de dépendance vis-à-vis des autres, que le fait de manquer constamment de cette nourriture qui, avec l'eau, est l'élément indispensable d'une vie saine et satisfaisante. La plupart des pays développés ont reconnu cela et ont mis en place des systèmes de sécurité sociale pour garantir une nutrition adéquate à tous. Si la nécessité de systèmes semblables dans les pays en développement, où une plus grande proportion de la population est touchée par la faim et où les risques sont plus élevés, semble évidente, peu de pays sont encouragés par les spécialistes du développement à mettre en place de tels systèmes.

52. Cette aversion pour les solutions directes est souvent exprimée par des économistes sous prétexte, qu'elles faussent les marchés, éliminent les incitations, coûtent trop cher, ralentissent la croissance et encouragent la corruption. En pratique, cependant, toute mesure qui transforme le besoin de nourriture en une demande supplémentaire ne peut que stimuler les marchés; les incitations à travailler plus ou à produire plus de produits alimentaires ne veulent rien dire pour ceux qui n'ont ni la force, ni les moyens de le faire; les mesures de redistribution, lorsqu'elles sont bien ciblées, sont moins coûteuses que les investissements nécessaires pour arriver à des solutions apparemment plus durables (et qui, dans le cas de certaines formes d'imposition ou de réformes foncières, peuvent être financièrement neutres); la croissance économique ne peut être ralentie que par la non-participation réelle de ceux qui ont faim; et rien ne prouve que la corruption profite plus des fonds affectés à la redistribution que de ceux alloués aux programmes d'investissement.

53. Autrement dit, il faut abandonner les préjugés à l'encontre des mesures de redistribution pour chercher des solutions rapides et pratiques au problème de la faim. Ces mesures devront s'intégrer dans un cadre bien équilibré de mesures visant à s'attaquer aux diverses manifestations de la faim et de la malnutrition; elles seront identifiées par un travail diagnostique solide et elles seront ciblées, rentables, et institutionnellement réalisables. Comme le montre l'expérience réalisée dans l'État de Maharahstra en Inde et dans certaines régions d'Éthiopie, l'effet multiplicateur de tels programmes peut être accru dans la mesure où ils sont utilisés pour créer des actifs productifs et où ils s'approvisionnent sur les marchés locaux, stimulant ainsi la production agricole. Un succès visible dans l'éradication de la pauvreté et dans l'amélioration de la nutrition, accompagné de la preuve des avantages sociaux et économiques y afférents, pourrait ainsi servir de déclic et susciter la volonté de terminer le travail le plus rapidement possible.

54. On a beaucoup à apprendre des quelques pays, régions et communautés qui ont réussi rapidement à réduire l'incidence de la sous-alimentation grâce à un bon panachage de mesures diverses (voir encadré). On pourrait envisager de partager ces expériences avec d'autres pays par des accords de coopération Sud-Sud élargis.

Comment la Thaïlande a vaincu la malnutrition

Il y a plus de trente ans, la Thaïlande a reconnu que la malnutrition était un problème national concentré dans les régions rurales. Elle a décidé de s'y attaquer par le biais d'un programme de développement rural à base communautaire. L'amélioration de l'état nutritionnel de la nation était considérée comme un investissement productif et non pas une dépense - point de vue qui se manifestait dans une politique nationale de mesures accélérées où l'amélioration de la nutrition était un élément critique de la lutte contre la pauvreté. Une politique et un plan national de développement rural ont été élaborés avec l'aide de spécialistes de la planification, de personnels de nombreux secteurs, d'universitaires et de représentants des collectivités. L'amélioration de la nutrition est devenue l'élément central d'un contrat économique et social entre le gouvernement et la population, qui la liait à la réduction de la pauvreté. La pauvreté devait être considérée dans toutes ses manifestations, et pas uniquement du point de vue des revenus. Cela impliquait la mise en œuvre de mesures multisectorielles intégrées destinées à améliorer le statut nutritionnel de la collectivité et liées à des activités rémunératrices. La création d'emplois ruraux, des projets de développement villageois, la couverture complète des services de base pour les collectivités et l'expansion de la production vivrière (axée sur l'amélioration du régime alimentaire) étaient inclus dans le programme. Au départ, ces mesures ne couvraient que le tiers le plus pauvre du pays, mais elles ont bientôt été appliquées dans l'ensemble du pays.

L'une des raisons pour lesquelles la Thaïlande a réussi à se débarrasser d'une malnutrition qualifiée de modérée à grave en une décennie (1982-91) réside dans son investissement en capital humain. Elle a reconnu que la lutte contre la malnutrition devait avoir une base sociale et que l'auto-assistance était au cœur de l'action collective. Un partenariat s'est constitué entre le gouvernement et la population sur la base de stratégies de mobilisation sociale à vaste échelle. Des facilitateurs bénévoles, choisis par les collectivités, ont été chargés d'améliorer l'accès de leur collectivité aux services de base et de les engager à participer à des activités liées à la nutrition. À cette fin, la Thaïlande a utilisé un ensemble d'indicateurs des besoins de base, qui a aidé la population à identifier et à donner des priorités à ses problèmes de nutrition, puis à prendre les mesures appropriées en exploitant tout le potentiel offert par les ressources locales.

55. C'est en s'inspirant des expériences réussies et des événements importants survenus depuis 1996 - comme décrit ci-dessus - que l'on peut commencer à formuler un plan de lutte accrue contre la faim fondé sur la Déclaration de Rome et sur le Plan d'action. Les grandes lignes en sont:

56. Le droit à la nourriture

La pauvreté, la faim et le développement économique

La faim comme conséquence de dysfonctionnement du marché

Options pour améliorer l'accès à la nourriture

L'engagement politique

L'interdépendance mondiale

57. Les parties au Sommet mondial de l'alimentation: cinq ans après trouveront peut-être les remarques ci-dessus intéressantes pour l'élaboration de programmes nationaux permettant d'atteindre les objectifs du Sommet, d'assurer la responsabilité institutionnelle et de développer des partenariats efficients, axés sur des objectifs communs. Ces remarques pourraient également servir de base à la préparation de directives applicables à titre volontaire pour réaliser le droit à une nourriture adéquate sous la forme d'un Code international de conduite sur le droit à la nourriture.

58. Les gouvernements des pays qui ont commencé à préparer des Stratégies de réduction de la pauvreté pourraient utiliser ces remarques pour définir les éléments de ces stratégies qui portent sur l'éradication de la faim de manière à atteindre - au moins dans le cadre de leurs frontières - les objectifs fixés pour 2015 lors du Sommet. Les programmes qu'ils adopteront seront évidemment divers, mais un de leurs éléments communs pourrait être le soutien qu'ils accorderaient aux initiatives communautaires décentralisées destinées à assurer la sécurité alimentaire de tous, comportant une suite de mesures pour la réduction immédiate de la faim et mettant en place les éléments de solutions durables et à plus long terme. La mise en application de ces programmes exigera la participation non seulement des Ministères de l'agriculture, mais aussi des autres institutions - du secteur public et de la société civile - qui ont pour mission de répondre aux multiples demandes des collectivités et des groupes d'intérêt commun résolus à éradiquer la pauvreté.

59. La mise en application par les pays en développement de programmes d'éradication de la faim de l'ampleur voulue exige le plein engagement de la communauté internationale. En adoptant les concepts mentionnés ci-dessus, celle-ci indiquerait qu'elle accepte la nécessité de prendre des mesures délibérées pour éradiquer la faim, plutôt que de supposer que la faim disparaîtra d'elle-même du fait des mesures plus générales prises pour éliminer la pauvreté. Des objectifs d'éradication de la pauvreté devront donc être explicitement inclus dans les Objectifs du développement international qui guident les actions de la communauté internationale. L'adhésion à ces considérations implique également la nécessité d'une collaboration plus étroite avec les organismes des Nations Unies (notamment avec les organisations s'occupant d'alimentation ayant leur siège à Rome, mais aussi avec celles qui s'occupent de la santé, de l'éducation, du bien-être des enfants et de l'environnement), avec les institutions financières internationales et d'autres organes intergouvernementaux, tous travaillant en commun, dans leurs domaines d'avantage comparatif, à la fourniture coordonnée et efficiente d'une assistance technique, alimentaire et financière. Le financement international pour l'éradication de la pauvreté devrait être à la mesure du problème et fourni à des conditions acceptables, qui ne débouchent pas sur une nouvelle augmentation de la dette20. Il est particulièrement important que les engagements soient garantis à long terme pour que les gouvernements puissent lancer en confiance les programmes à multiples volets indispensables à la réussite des objectifs du Sommet mondial de l'alimentation.

60. Dans le contexte de la lutte contre la pauvreté, la focalisation sur la faim a également des répercussions sur la manière dont l'Organisation mettra en œuvre son Plan à moyen terme. Toutes ses grandes activités devront être évaluées à l'aune de leur effet sur la réduction de la faim et il lui faudra se demander comment accroître leur impact sur la sécurité alimentaire. Ceci implique, par exemple, que la réflexion stratégique à long terme soit moins axée sur les prévisions de l'offre et la demande de nourriture, telles que déterminées par les marchés, et plus sur l'identification des besoins de nourriture et sur les moyens de les satisfaire. Les conseils en matière de politique devront porter de plus en plus sur les volets "éradication de la faim" des Documents stratégiques sur la lutte contre la pauvreté (DSLP) et il faudra évaluer les projets d'investissement en fonction non seulement de leurs avantages économiques, mais aussi de leurs effets sur la réduction de la faim. Et il faudrait envisager d'élargir les DSPL pour en faire des instruments centrés sur les personnes et tirés par la demande, donnant aux groupes et collectivités, épaulés par les divers ministères, la société civile et les organes des Nations Unies intéressés travaillant en partenariat, la possibilité de s'attaquer à la faim sous toutes ses formes, en tant que première étape indispensable de la lutte contre la pauvreté. Les DSPL reconnaîtraient ainsi l'idée, implicite dans la Déclaration de Rome et dans l'invitation des Chefs d'État, que l'éradication de la sous- alimentation requiert des mesures multisectorielles. Il s'ensuit qu'il faudrait aussi arriver à une solution commune avec les autres partenaires des Nations Unies (notamment le PAM et le FIDA) et de la société civile sur les modalités d'éradication de la faim.

61. Les pays développés, épaulés par les institutions internationales - notamment celles s'occupant du commerce international - auront ainsi l'occasion de prouver leur volonté de contribuer de manière significative à l'éradication de la faim en ouvrant leurs marchés, surtout aux exportations des pays en développement; en réduisant leur dumping; en partageant leurs technologies et en finançant plus largement les biens publics internationaux pertinents (recherche, régulation des stocks halieutiques, suivi de la dégradation des terres, etc.).

62. Les organisations de la société civile, et surtout les ONG nationales et internationales travaillant dans les pays en développement, ainsi que les groupes d'exploitants agricoles, de femmes et de jeunes, devront s'engager à s'attaquer aux problèmes de la faim avec plus de vigueur que jamais, en jouant un rôle important dans la mobilisation des ressources, la fourniture de services techniques et la promotion de leur cause. Ils pourraient aussi assumer la responsabilité du suivi des résultats en utilisant des fiches leur permettant de les comparer aux engagements.

63. Le secteur privé aura de nombreuses occasions de contribuer à l'éradication de la faim. Dans les pays en développement, il pourra le faire en élargissant les réseaux commerciaux pour inclure les zones rurales et en investissant dans les petites entreprises susceptibles de créer des emplois et de donner de nouvelles compétences aux individus. Au niveau international, le secteur privé pourrait ouvrir de nouveaux marchés pour les produits des pays en développement, en transférant les usines des pays développés dans les pays en développement et en élaborant et partageant des technologies susceptibles d'améliorer les conditions de vie des pauvres. S'il était possible de canaliser les importantes ressources privées qui devraient attirer le Mécanisme de développement propre vers les petits exploitants démunis pour leur permettre d'adopter des systèmes d'utilisation des terres plus durables, cela aurait des effets bénéfiques sur la consommation alimentaire et l'environnement.

64. En conclusion, on peut dire qu'en dépit du manque de progrès au cours des cinq dernières années, les perspectives d'atteindre l'objectif du Sommet mondial de l'alimentation restent bonnes. Il faudra, cependant, que l'éradication de la faim fasse partie des objectifs explicites, aux niveaux national et international, des stratégies de lutte contre la pauvreté, étant entendu qu'aussi longtemps que les gens auront faim, il sera difficile de réduire la pauvreté de moitié grâce à la croissance économique, mais aussi que la législation internationale en matière de droits de l'homme reconnaît le droit de tous à la nourriture. Il est possible d'atteindre l'objectif du Sommet en adaptant les programmes aux possibilités et aux besoins locaux, en équilibrant les mesures destinées à réduire immédiatement les privations et les investissements visant à générer des améliorations durables des moyens d'existence des populations, de manière à assurer la sécurité alimentaire au niveau communautaire. L'impulsion devra venir des familles, des collectivités et des pays où l'insécurité alimentaire est la plus grave, mais la communauté internationale devra soutenir leurs efforts en engageant, à titre non recouvrable, des ressources provenant de sources bilatérales ou multilatérales ou d'OSC. Les pays développés pourront aussi contribuer à la réalisation de l'objectif du Sommet en réduisant les obstacles à l'importation de produits agricoles et en créant des incitations au transfert des connaissances et à l'investissement étranger direct, notamment dans les zones rurales des pays en développement. Il est dans l'intérêt des populations des pays tant développés qu'en développement d'éradiquer ensemble la faim dans les meilleurs délais.

______________________

1 Rapport de la FAO sur le Sommet mondial de l'alimentation, 13-17 novembre 1996, Première partie. Rome 1997.

2 Mazoyer, Marcel: Accès à l'alimentation: éradication de la pauvreté, protection sociale et aide alimentaire. Conférence interparlementaire spécialisée «Atteindre les objectifs du Sommet mondial de l'alimentation par une stratégie de développement durable». Rome, 29 novembre-2 décembre 1998.

3 Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement 2000: les pays les moins avancés, Rapport 2000, Genève 2000.

4 Banque mondiale, Département de l'évaluation rétrospective des opérations. Précis no.202. La réduction de la pauvreté dans les années 90 - Stratégie de la Banque mondiale, Washington, 2000.

5 Devereux, S. Famine in the twentieth century, Institute of Development Studies, Working paper No.105, Brighton, 2000.

6 Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas encore aujourd'hui de graves contraintes qui bloquent les réactions nationales et internationales aux catastrophes naturelles et autres: souvent, elles sont déclenchées trop tard et insuffisamment financées et soutenues, une fois que les spots des médias se sont fixés sur un nouveau sujet. L'absence de mécanisme permanent de financement des réactions aux catastrophes majeures freine considérablement les réactions et limite leur portée.

7 FAO: L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde, Rome, 2000.

8 FAO CSA 2000/3 Rev.1 Suite donnée au Sommet mondial de l'alimentation: rapport sur les progrès accomplis dans l'application du Plan d'action du Sommet - engagements I, II et V et éléments pertinents de l'engagement VII, Rome 2000.

9 FAO: Cadre stratégique de la FAO 2000-2015 - C. Augmenter durablement l'offre et la disponibilité d'aliments et d'autres produits des secteurs agricole, halieutique et forestier, Rome 2000.

10  FAO/FIDA/PAM: Travailler de concert, Rome, depuis 1999.

11 FAO: L'élimination de l'insécurité alimentaire dans la Corne de l'Afrique - Stratégie pour une action concertée des gouvernements et des institutions des Nations Unies: Rapport de synthèse du Groupe spécial interinstitutions sur la réaction des Nations Unies à la sécurité alimentaire à long terme, au développement agricole et à d'autres questions connexes dans la Corne de l'Afrique, Rome 2000.

12 FAO: Mobiliser les ressources pour lutter contre la faim, Projet, mars 2001 (dit document sur les Ressources).

13 FMI/OCDE/ONU/Banque mondiale: un monde meilleur pour tous: poursuite des objectifs internationaux de développement. Paris, 2000

14 FMI/OCDE/UN/Banque mondiale, op. cit.

15 Nations Unies. Rapport du Secrétaire Général à l'Assemblée du Millénaire intitulé : «Nous, les peuples: le rôle des Nations Unies au XXIe siècle» , New York, 2000.

16 Selon un récent sondage d'opinion réalisé aux États-Unis par l'Université du Maryland, 75 pour cent des Américains seraient disposés à payer 50 dollars d'impôts par an pour réduire de moitié, d'ici à 2015, le nombre des personnes souffrant de la faim (chiffre cité par le David Beckmann, Président de Bread for the World, dans un communiqué de presse daté du 2 février 2001).

17 FAO: L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde, Rome 2000.

18 Arcand, J-L., Malnutrition et croissance: le coût de la faim, FAO, Rome, 2000.

19 FAO: Le droit à la nourriture en théorie et en pratique, Rome 1998.

20 La nécessité d'une aide concessionnelle (y compris des dons) appropriée aux objectifs et à la situation des pays bénéficiaires a été notée dans l'examen de la coopération pour le développement international du Rapport du Secrétaire général au Comité de préparation de la réunion internationale intergouvernementale de haut niveau sur le financement du développement.