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CHAPITRE 2 - ÉLÉMENTS D’UNE BONNE LÉGISLATION DE L’AQUACULTURE


2.1 Garantie du droit de propriété
2.2 Garantie du droit d’approvisionnement en eau non polluée
2.3 Elimination des coûts inutiles
2.4 Système de permis ou de licence

Pour que l’aquaculture commerciale puisse prospérer, la loi doit résoudre un certain nombre de problèmes qui sinon risqueraient d’interférer avec la capacité des pisciculteurs à mener à bien leur activité et à vendre le produit de leur travail. Chaque pays doit évidemment élaborer sa propre législation à la lumière de ses traditions juridiques et compte tenu des problèmes particuliers à résoudre. Toutefois, la législation doit au moins prévoir des dispositions accordant à l’exploitant des garanties adéquates sur les terres et les eaux indispensables pour pouvoir créer, financer et exploiter à long terme sa ferme aquacole. En outre, puisque d’après les lois concernant les pêches de la plupart des pays, le poisson n’appartient à personne jusqu’à sa capture, la législation doit établir que l’exploitant d’un établissement de pisciculture détient l’exclusivité des droits sur le poisson élevé. Les lois doivent s’appuyer sur des institutions qui prennent en considération les problèmes propres à l’aquaculture et qui encouragent son développement responsable. Un régime juridique satisfaisant de l’aquaculture doit au moins régler les questions suivantes.

2.1 Garantie du droit de propriété

Le pisciculteur doit obtenir un droit légal garanti sur les terres occupées par son exploitation. Dans nombre de cas cette exigence ne posera pas un problème majeur pour l’aquaculture en eau douce, puisque la législation foncière permet généralement à l’exploitant de détenir normalement les droits de propriété nécessaires. Toutefois, lorsque les terres sur lesquelles l’activité doit être exercée appartiennent à l’Etat, sont situées dans des zones littorales ou relèvent de régimes fonciers traditionnels, des éléments particuliers doivent parfois être pris en compte. Dans toutes ces situations, l’Etat peut restreindre l’étendue potentielle des droits de propriété privée susceptibles d’être accordés pour ces terrains ; au demeurant, il importe de signaler que l’exploitant n’a pas besoin a priori de posséder les terres utilisées; il lui faut simplement pouvoir, grâce à un bail ou un instrument juridique similaire, obtenir un droit nécessaire à son activité, offrant une garantie suffisante pour permettre le financement de l’exploitation, pour que celle-ci puisse prospérer suffisamment longtemps et pour pouvoir interdire à autrui l’accès à la propriété. Dans les pays caractérisés par des possibilités réduites d’accorder des droits privés sur des terres appartenant à l’Etat, situées en zone littorale ou sur des terres traditionnelles, la législation doit stipuler la nature du droit susceptible d’être obtenu par un exploitant et définir les règles à invoquer pour exclure autrui de la propriété.

2.2 Garantie du droit d’approvisionnement en eau non polluée

L’exploitant piscicole doit en outre avoir droit à un approvisionnement adéquat en eau de bonne qualité et pouvoir préserver cet approvisionnement à l’égard des prétentions formulées autrui, conformément à des règles juridiques dûment fondées. Lorsque l’aquaculture est pratiquée dans des parcs ou dans des zones côtières, l’exploitant doit être détenteur d’un droit sur la superficie du plan d’eau dans lequel il pratique son activité.

Pour les fermes aquacoles, lorsque l’approvisionnement en eau vient uniquement de la propriété de l’exploitant, il est facile de répondre à cette exigence dans la plupart des pays, à condition que l’approvisionnement soit protégé de la pollution créée par des tiers. Lorsque l’exploitation aquacole est approvisionnée en eau par une rivière ou par un lac, la législation doit veiller à ce que le pisciculteur puisse obtenir un droit garanti d’approvisionnement en eau. L’aquaculture exige en effet un approvisionnement garanti en eau de bonne qualité, même pendant la saison sèche et chaque pays doit être doté d’une législation sur les droits relatifs à l’eau qui définit des règles précises de répartition en période de pénurie. Si un cours d’eau ne peut suffire à approvisionner tous les utilisateurs au cours de la saison sèche, des conflits apparaîtront inévitablement quant à détermination des utilisateurs habilités à prélever l’eau disponible et en quelles quantités. En l’absence d’une législation moderne concernant l’eau, cette question est souvent résolue par l’application d’une variante quelconque de la doctrine des droits des riverains qui prévoit essentiellement le partage des ressources en eau entre les propriétaires des terres voisines du cours d’eau et interdit strictement les détournements importants. Les systèmes de ce type offrent rarement aux exploitants aquacoles un droit garanti de disposer d’une quantité déterminée d’eau, tandis que leur consommation risque dans nombre de cas d’être contestée par les propriétaires riverains et par différents utilisateurs en période de pénurie.

Hormis la question de la disponibilité d’un approvisionnement adéquat, les pisciculteurs doivent avoir la possibilité de protéger leur approvisionnement en eau contre la pollution due à des activités concurrentes. Dans la pratique, il en résulte la nécessité pour chaque pays de définir une loi adéquate en matière de limitation de la pollution des eaux, susceptible d’être appliquée à l’initiative du pisciculteur.

2.3 Elimination des coûts inutiles

La législation de l’aquaculture est susceptible d’imposer des coûts importants à la charge d’un demandeur pour l’acquisition des droits nécessaires sur le terrain et sur les eaux et pour le droit d’exercer son activité, comme pour l’observation de toutes les exigences concernant l’environnement. Le plus grand soin doit être porté à la mise au point et à l’administration de la législation afin d’assurer l’acquisition des droits et la réalisation des objectifs de protection de l’environnement sans imposer de coûts inutiles, notamment de coûts sans rapport avec la réalisation des objectifs en question. Il faut prendre conscience du fait que l’observation des systèmes de réglementation risque d’imposer aux exploitants des coûts élevés, dont l’augmentation freinera le développement de l’aquaculture commerciale. Il importe donc d’étudier les possibilités de réduction au minimum des charges et d’élimination des coûts inutiles, tout en assurant cependant la réalisation des objectifs de la législation.

Cela est possible, par exemple si l’on suit l’approche dite de guichet unique, pour les nombreuses approbations que doit fréquemment obtenir une exploitation aquacole, si l’on sélectionne les projets initiaux de façon à ce que seuls ceux comportant le cas échéant des répercussions préjudiciables sur l’environnement fassent l’objet d’une étude d’impact sur l’environnement (EIE), et si l’on crée un organisme unique dont le rôle consiste à défendre les intérêts de l’aquaculture au sein du gouvernement (Van Houtte et al., 1989) et à suivre l’évolution des demandes d’obtention de droits et l’approbation des établissements piscicoles par d’autres administrations.

On peut s’interroger sur le point de savoir si l’aquaculture a atteint un niveau de développement suffisant dans un pays donné pour justifier la création d’un organisme distinct. Toutefois, comme l’a signalé un observateur expérimenté, même si le secteur de l’aquaculture d’un pays donné est très limité, la création d’une commission ou d’un organisme national unique permet d’éviter nombre des problèmes dus à l’éparpillement des compétences touchant à l’aquaculture entre différentes administrations gouvernementales (New, 1999).

2.4 Système de permis ou de licence


2.4.1 Implantation et étude d’impact sur l’environnement
2.4.2 Contrôle de la qualité de l’eau
2.4.3 Contrôle des espèces exotiques et des organismes génétiquement modifiés
2.4.4 Application et mise en vigueur des codes de pratique

La première étape de la mise en place d’un contrôle des incidences de l’aquaculture sur l’environnement consiste à exiger d’un exploitant l’obtention d’un permis ou d’une licence, préalablement à la création ou au maintien en activité d’une entreprise commerciale (Howarth, 1995). En exigeant un permis, le gouvernement est en mesure d’évaluer la viabilité du projet du point de vue écologique et de fixer les conditions à remplir pour que l’établissement piscicole soit exploité de façon durable.

Le fait qu’il s’agisse d’un permis ou d’une licence n’a aucune importance. Il faut par contre que le document en question remplisse les deux fonctions essentielles suivantes. Le permis doit offrir aux instances gouvernementales le moyen juridique de contrôler toutes les exploitations aquacoles et de surveiller leur impact sur l’environnement. Du point de vue de l’exploitant, le permis doit établir clairement le droit de faire fonctionner une exploitation aquacole tant que l’exploitant se conforme aux clauses du permis, aux lois pertinentes sur l’environnement et aux éventuels codes applicables de pratique aquacole.

La législation doit confier la gestion du système de permis à un organisme spécialisé, plutôt qu’à un individu et doit éviter de laisser les décisions au pouvoir discrétionnaire de l’organisme mis en place.

Le système de permis doit au moins régler les questions suivantes:

2.4.1 Implantation et étude d’impact sur l’environnement

La localisation malencontreuse d’une ferme aquacole peut s’avérer désastreuse; aussi l’opportunité du choix du site est-elle une question à examiner tout particulièrement par l’organisme responsable, préalablement à l’octroi d’un permis. Grâce à cette décision concernant les demandes de permis, les organismes publics sont également en mesure d’intégrer l’implantation des fermes aquacoles aux plans d’aménagement des zones côtières (New, 1999) et des rives lacustres. Pour éviter l’examen détaillé de chaque demande, les décisions d’implantation peuvent être accélérées lorsque certains secteurs ou certains zones ont été désignées au préalable comme adaptées à l’aquaculture. Si tel est le cas, le responsable peut alors s’attacher plus particulièrement aux avantages de chaque demande et non à la question de savoir si le site en question convient à l’aquaculture.

Dans certains cas, l’implantation prévue d’un projet aquacole doit être examinée dans le cadre d’une étude d’impact sur l’environnement, parallèlement aux autres incidences écologiques du projet. Il est donc important de déterminer si la réalisation d’une étude d’impact est indispensable.

A la réception d’une demande de permis, il faut prendre une décision initiale sur l’opportunité de soumettre le projet à une EIE. La législation doit définir des critères explicites pour déterminer si un projet d’exploitation aquacole doit faire l’objet de ce type d’évaluation. En raison des frais considérables qui risquent d’être à la charge de l’initiateur du projet, cette exigence doit être réservée aux projets comportant un risque réel d’atteinte à l’environnement.

Les critères de détermination de l’existence d’un tel risque, doivent s’attacher à des facteurs tels que la taille du projet envisagé, du point de vue de la capacité maximale d’absorption, le déversement éventuel de déchets dans des zones sensibles, l’utilisation d’espèces exotiques ou de produits issus des technologies modernes, notamment d’organismes génétiquement modifiés et enfin, le fait de savoir si le projet met en péril des espèces rares ou menacées2.

Lorsqu’une étude EIE est nécessaire, l’organisme de réglementation doit tenir compte des résultats de l’évaluation dans sa prise de décision, quant à l’octroi ou non et dans quelles conditions, d’un permis; dans le cas contraire, la décision concernant la demande de permis doit être prise en se référant à des principes explicitement énoncés ; elle ne doit pas être laissée à la discrétion d’un fonctionnaire particulier. Selon une exigence fondamentale d’une bonne législation de l’aquaculture, “il est essentiel que les décisions concernant l’agrément ou la suspension d’un aménagement soient prises en fonction de principes d’action explicites” (Howarth, 1999).

Un permis peut être refusé pour différentes raisons, parmi lesquelles peuvent figurer: éviter l’effet préjudiciable de l’exploitation envisagée sur une zone dont la préservation est particulièrement importante, concentration excessive d’installations dans une localité au détriment des autres exploitants, effets inacceptables sur des utilisateurs concurrents des eaux et renonciation aux projets qui dépassent la capacité d’absorption maximale des sites concernés (Howarth, 1999).

2.4.2 Contrôle de la qualité de l’eau

Une demande de permis représente une occasion idéale pour tenir compte des préoccupations au sujet de la qualité de l’eau suscitées le cas échéant par le projet d’exploitation aquacole. Nombre d’exploitations aquacoles continentales fonctionnent comme des systèmes relativement fermés d’étangs et ne risquent guère de poser de problèmes graves de pollution des plans d’eau publics. Il y a cependant un risque de rejets de l’exploitation, ou en cas d’utilisation de parcs, notamment dans des plans d’eau peu profonds ou confinés, les répercussions sur la qualité de l’eau de l’activité proposée doivent être clairement prises en considération (Naylor et al, 2000). Le permis d’exploitation aquacole ou un permis quelconque délivré dans le cadre d’une législation sur la qualité de l’eau doit spécifier des exigences particulières à observer pour répondre aux préoccupations permanentes au sujet de la qualité de l’eau. Cependant, un exploitant aquacole qui exerce son activité conformément aux clauses du permis et en respectant la législation applicable sur la qualité de l’eau, devrait être parfaitement protégé à l’égard des réclamations relatives à la pollution de l’eau:

2.4.3 Contrôle des espèces exotiques et des organismes génétiquement modifiés

L’examen d’une demande de permis est en outre l’occasion d’appliquer les politiques nationales touchant à l’introduction d’espèces non indigènes ou d’organismes génétiquement modifiés. En principe, la législation en vigueur interdira l’introduction d’espèces exotiques ou d’organismes génétiquement modifiés sans approbation préalable et la procédure d’octroi du permis offrira une possibilité supplémentaire de veiller à l’observation d’une politique définie dans ce domaine. Si l’utilisation envisagée d’une espèce de ce type est sujette à caution, la procédure d’approbation peut prévoir une étude d’impact sur l’environnement relative à cet aspect de la demande.

2.4.4 Application et mise en vigueur des codes de pratique

La procédure de délivrance de permis est étroitement liée à la mise en vigueur effective des règles concernant des exploitations aquacoles. Une législation cadre idéale, complétée par des règlements plus détaillés fixe les principes généraux des projets d’aquaculture. Les permis stipulent des règles plus détaillées, propres aux sites ou à l’exploitant particulier considéré. Une législation judicieuse définit comme un délit toute infraction aux règles fixées par ses dispositions, aux règlements ou aux permis proprement dits et stipulent les sanctions correspondantes applicables.

Les régimes juridiques de ce type sont souvent complétés par des codes de pratique ou des directives techniques qui d’ordinaire ne sont pas juridiquement contraignants, mais qui fournissent des indications utiles quant à la conduite des exploitations aquacoles. Ainsi, ces codes de pratique peuvent être très efficaces dans certaines circonstances, par exemple lorsque leur observation est exigée aux termes des accords commerciaux ou préconisée par des acheteurs qui exigent une preuve de conformité avant de confirmer leurs achats.

Codes de pratique et directives techniques permettent aussi aux pouvoirs publics de résoudre un problème présent à l’échelle mondiale à l’origine de difficultés considérables dans les pays en développement. Vu la limitation des budgets disponibles, les organismes de réglementation ne sont pas toujours équipés pour mettre l’accent sur les normes adéquates applicables aux exploitations aquacoles. Une méthode propre à garantir que les exploitants aquacoles sont tenus d’observer des normes adéquates consiste à prévoir une clause exigeant la nécessité d’exercer cette activité conformément aux directives techniques ou aux codes de conduite officiels. En principe, cette exigence doit figurer dans la législation ou les règlements en vigueur, de telle sorte que les règles applicables soient portées à la connaissance de tous. Elle peut aussi être imposée en tant que condition d’octroi du permis, tandis qu’une législation plus détaillée est en cours d’élaboration. Une certaine perspicacité est évidemment nécessaire pour vérifier l’adaptation des directives au pays considéré et à ses besoins de développement, mais ce risque tend à diminuer en raison de la multiplication des directives définies spécifiquement pour des régions données. Une fois cette vérification faite, l’intégration aux règles concernant chaque exploitant de la référence aux codes de conduite applicables permet de réaliser d’importantes économies de moyens administratifs.

Il faut souligner qu’il ne suffit pas pour un pays d’adopter simplement un code de conduite pour réglementer les activités d’aquaculture. Si le code de conduite doit se substituer à des règles d’exploitation précises, il faut alors lui donner force de loi. Tel peut être le cas si la réglementation nationale intègre les directives techniques en y faisant référence, avec des sanctions appropriées en cas de non observation des exigences fixées.

Puisque l’efficacité d’une réglementation, si parfaite soit-elle, sera compromise en l’absence de garantie quant à l’observation de ses dispositions, il faut impérativement trouver une solution au problème de la mise en vigueur. A cet égard, il n’y a pas d’autres solutions que d’établir un système d’inspection approprié, doté des pouvoirs adéquats, ainsi qu’un système de sanctions judicieusement conçu, dont la charge administrative peut toutefois être allégée dans la mesure où le système de permis joue un rôle complémentaire. Une exigence minimale peut consister à définir les informations que les détenteurs de permis doivent tenir à jour et communiquer sur demande aux services chargés de faire observer la réglementation (Howarth, 1999).


2 Le processus consistant à établir la nécessité d’une évaluation d’impact sur l’environnement peut par ailleurs être considérablement facilité par la mise au point de critères identiques, applicables à l’ensemble d’une région donnée. Il semble que l’adoption de critères concernant l’évaluation d’impacts sur l’environnement des projets d’aquaculture soit envisagée dans les pays de la Conférence pour la coordination du développement de l’Afrique australe (SADC). Un tel processus peut faciliter l’adoption d’une approche commune par les membres de la SADC et dispenser chaque pays d’élaborer ses propres exigences détaillées en matière d’évaluation d’impact sur l’environnement.

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