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Système d’exploitation agricole mixte des terres sèches


CARACTÉRISTIQUES DU SYSTÈME

Le système d’exploitation agricole mixte des terres sèches comprend deux zones principales en Amérique latine; i) le nord-est du Brésil, où il couvre environ 20 pour cent de la surface du pays, soit 110 millions d’ha; et ii) la péninsule du Yucatan au Mexique, où il s’étend jusqu’au nord du Petén au Guatemala sur environ 17 millions d’ha. La population agricole du système est estimée à environ 500 000 personnes au Yucatan et presque 11 millions de personnes au Brésil (voir encadré 7.4). La moitié de la population rurale du Brésil vit dans ce système[203]. Les précipitations annuelles au nord-est du Brésil varient de 400 à 600 mm dans la partie ouest, la plus sèche du système brésilien, à 1000 mm à l’est. Dans le Yucatan, la moyenne varie de 600 à 1500 mm. Dans ces deux régions, les sols sont généralement peu profonds et pierreux avec des zones de couverture forestière basses et des altitudes faibles à moyennes. Les terres de bonne qualité sont rares et les mesures de contrôle de l’érosion peu répandues. La désertification est importante sur quelque 18 millions d’ha de la zone semi-aride du nord-est du Brésil.

Encadré 7.4 Données de base: système d’exploitation agricole mixte des terres sèches

Population totale (m)

27

Population agricole (m)

11

Superficie totale (m ha)

127

Zone agroécologique

Sec à humide/
subhumide

Superficie cultivée (m ha)

18

Superficie irriguée (m ha)

0,4

Population animale (m)

24

La longue saison sèche, les sécheresses fréquentes et la pluviométrie irrégulière, typiques du système, font de l’agriculture une opération très risquée pour la grande majorité des producteurs qui ne dispose pas d’irrigation de complément. Plus de 80 pour cent des agriculteurs des deux zones pratiquent une production de semi-subsistance (voir encadré 7.5). Les pertes de récoltes - spécialement de maïs et de riz - sont fréquentes si les pluies sont tardives. Dans le Yucatan, la culture itinérante, qui était une pratique traditionnelle de subsistance des Mayas, est encore largement utilisée aujourd’hui. Cette forme d’agroforesterie fait succéder deux phases: la phase de culture (milpa) où maïs, haricots et courges sont cultivés simultanément, et l’autre phase (acahual) où les buissons sauvages et les arbres repoussent et envahissent le sol. La culture dure traditionnellement deux à trois ans et la jachère de cinq à vingt ans, selon le sol, la végétation et la disponibilité en terre.

La distribution de la terre est fortement bi modale (grandes et petites exploitations). Dans le nord-est du Brésil, quelque deux millions d’agriculteurs du système cultivant une superficie estimée à 15 millions d’ha. Cependant, plus de la moitié d’entre eux (59 pour cent) ont des exploitations de moins de cinq ha, dont la surface correspond à moins de 6,1 pour cent de la surface totale des terres arables (22 pour cent des exploitations ont des superficies comprises entre 5 et 20 ha). A l’autre extrême, 8,2 pour cent des exploitations dont les surfaces sont supérieures à 50 ha représentent à elles seules 61 pour cent des surfaces totales[204]. Les plus grandes exploitations se concentrent principalement sur la culture du maïs (souvent pour l’alimentation du bétail), de la canne à sucre vers la côte et sur l’élevage (49 pour cent des agriculteurs produisent de la viande de bœuf, 55 pour cent du lait et 40 pour cent de la volaille).

Dans le Yucatan, chaque ejidario[205] possède entre 4 à 8 hectares de terres cultivées (en moyenne entre 4 et 4,5 ha). La superficie totale semée dans le Yucatan était de 1,1 million d’ha en 1995. Un peu plus de la moitié (58 pour cent) des agriculteurs du nord-est du Brésil sont propriétaires; toutefois, le nombre des grands propriétaires est plus élevé que celui des petits propriétaires. Les fermiers et métayers représentent 17 pour cent et le reste, soit 25 pour cent, est constitué d’occupants informels (ou illégaux).

Les petits producteurs du système se sont appauvris au cours des dernières décennies. Plus de 50 pour cent des familles rurales du nord-est du Brésil vivent dans une pauvreté chronique et sévère avec un revenu familial moyen ne dépassant pas 366 dollars EU par an (comparé à la moyenne nationale de 938 dollars EU et à la moyenne du sud de 1744 dollars EU)[206]. Les agriculteurs n’utilisent généralement ni semences améliorées, ni engrais, ni pesticides, ni mécanisation. Les rendements des cultures reflètent ce faible niveau technique et ce bas niveau d’intrants. Les rendements moyens dans le système sont d’une tonne/ha pour le maïs, de 0,45 tonne/ha pour les haricots, de 9,9 tonnes/ha pour le manioc et de 1,59 tonne/ha pour le riz pluvial. Néanmoins, le nord-est du Brésil représente plus de 30 pour cent de la production nationale de haricot et de manioc[207]. Dans le recensement de 1996, on enregistra dans le nord-est du Brésil 20 millions d’ha de prairies originelles et 12 millions d’ha de prairies améliorées, dont seulement quelque 15 pour cent dans des exploitations de moins de 50 ha. On estime que la superficie des prairies a beaucoup augmentée depuis le recensement.

L’agriculture irriguée est peu développée, en partie à cause du manque de disponibilité en eau, en partie en raison des mauvaises conditions des sols et aussi parce que les investissement nécessaires dépassent les capacités financières de la plupart des petits producteurs. Au Yucatan, il n’y avait que 47 000 ha irrigués en 1995, soit moins de 5 pour cent de la surface cultivée, tandis qu’au Brésil, la totalité des surfaces irriguées du système est inférieure à 400 000 ha. Par contre, d’importantes mesures de conservation des eaux ont été mise en place, réservoirs, barrières de rétention de salinisation, etc., mais aucune ne fonctionne correctement durant les périodes de grande sécheresse. Les technologies mise en place ne sont fréquemment pas comprises par ceux qui sont supposés en bénéficier.

L’infrastructure de l’ensemble du système des terres sèches marginales est peu développée. Les services publics, tels que la santé et l’éducation, n’existent que dans certains endroits et leur financement est généralement insuffisant pour leur permettre de fonctionner correctement. Le mauvais entretien des routes et le faible développement des marchés s’ajoutent aux problèmes auxquels le développement économique de la région doit faire face.

Encadré 7.5. Un ménage typique du système d’exploitation agricole mixte des terres sèches

Sur une exploitation de 3,5 ha dans l’Etat du Piauí au nord-est du Brésil, la famille de sept membres produit surtout des haricots (1,5 ha), du maïs (1 ha) et du manioc (0,5 ha) sur des terres louées ou en métayage auprès d’un propriétaire local. Les rendements sont bas, et reflètent la faible qualité du sol, le manque d’humidité et l’utilisation limitée d’intrants (aucune semence n’est achetée). Une forte proportion de la production revenant au propriétaire, la famille ne consacre qu’un tiers de ses revenus monétaires aux activités rurales et préfère en conserver la plus grande part pour couvrir ses autres besoins. La plupart des tâches agricoles sont assumées par la femme et les enfants, car le mari travaille souvent en dehors de l’exploitation, soit comme ouvrier agricole local soit dans un emploi entraînant une migration saisonnière. Un travail récent dans une plantation de canne à sucre de la côte a permis à la famille le luxe de se payer une vache laitière qui, avec les deux chèvres, est nourrie des résidus de récolte et de la végétation poussant le long de la route. La famille possède aussi quelques poulets. Elle n’a jamais reçu la visite d’un agent de vulgarisation et les services rudimentaires de scolarisation et de santé s’arrêtent souvent de fonctionner faute de budget.

Au Yucatan, la réduction de la durée de jachère du système de culture itinérante, due à la pression démographique croissante, a entraîné une crise sérieuse. En conséquence, la durée de récupération des terres milpa est insuffisante pour permettre la reconstitution de la fertilité après les périodes de culture. Les rendements et la capacité de résistance à la sécheresse ont ainsi été réduits, abaissant les niveaux de sécurité alimentaire des communautés rurales. La croissance rapide du tourisme sur les zones côtières du Yucatan et les offres d’emplois qui en ont découlé ont eu aussi un impact direct profond sur la structure, la constitution et la situation économique de ce système d’exploitation agricole. De nombreuses familles ont migré d’une façon permanente vers les nouvelles villes côtières, telles que Cancun et Cozumel[208]. Un mode de migration semblable se produit aussi dans le nord-est du Brésil. En raison de la faible productivité de la zone et des sécheresses récurrentes affrontées par les producteurs, la population rurale est devenue très dépendante de l’assistance périodique du gouvernement. Aucune solution à long terme n’ayant été proposée, ces populations représentent un flux migratoire potentiel énorme (8 à 13millons de personnes pourraient être concernées).

TENDANCES ET PROBLÈMES DU SYSTÈME MIXTE DES TERRES SÈCHES

Les secteurs clés pouvant contribuer à la croissance du revenu régional sont le tourisme, les services et l’agroindustrie. La structure productive de ce système d’exploitation agricole sera sans doute plus concentrée en 2030 qu’aujourd’hui et de nombreux producteurs marginaux auront alors disparu. Le système ayant peu de chance de financer son propre développement, il continuera à dépendre des ressources du gouvernement. La population totale devrait croître à un taux d’un pour cent l’an. La distribution des revenus continuera d’être très inégalitaire et toute diminution de la pauvreté dépendra beaucoup des programmes d’action du gouvernement.

La capacité opérationnelle des institutions publiques, y compris celle du secteur de la recherche et de la vulgarisation, devrait s’accroître. Cependant, à moins que des mesures importantes ne soient prises en vue de restructurer l’organisation et la gestion de la recherche, il est peu probable que les besoins des agriculteurs soient mieux pris en compte et que l’on assiste à une coopération accrue avec le secteur privé. D’un autre côté, l’organisation et la démocratisation de la société devraient se renforcer.

L’accroissement de l’instabilité climatique et la dégradation des ressources naturelles, qui réduit la capacité du système à résister à de longues périodes de sécheresse, devraient entraîner, au fil des ans, une aggravation des effets de la sécheresse. L’impact sera très important, entraînant une dégradation plus importante des sols et de la végétation et un exode accrue des populations. Ces effets négatifs seront atténués par le développement de l’irrigation (0,5 million d’ha de terres nouvelles devraient être irrigués). La plupart de cette irrigation sera destinée à la production de fruits tropicaux pour l’exportation, entraînant la création de près de 300 000 emplois nouveaux. Une contrainte importante est la perception largement répandue que le manque d’eau résulte de ressources naturelles limitées. En réalité, il est en grande partie dû à la distribution inégale de la terre, aux techniques inappropriées, et à la mauvaise gestion des ressources. La dégradation des terres dans les exploitations marginales exacerbe encore le problème, bien que des possibilités existent réellement pour la mise en place de systèmes nécessitant peu d’eau (noix de cajou par exemple).

Le Yucatan doit faire face à un défi particulier concernant la durabilité des cultures itinérantes. Les changements techniques du système milpa se limitent à l’introduction d’intrants externes tels que les herbicides, les semences de variétés améliorées et, dans une certaine mesure, les engrais. La diversification des cultures et le changement du cycle des cultures sont autant d’adaptations possibles du système milpa. Cependant, si la durée de la jachère continue à diminuer, le seul résultat possible sera une sérieuse dégradation du sol et de la végétation et une baisse importante des rendements. Cela pourrait bien arriver, à moins que l’émigration se fasse à un rythme supérieur à celui de la croissance de la population. Les autres problèmes importants à considérer sont:

PRIORITÉS DU SYSTÈME MIXTE DES TERRES SÈCHES

A l’inverse d’autres régions du monde qui ont déjà accompli leur transition vers des pratiques agricoles modernes, le système d’exploitation agricole mixte des terres sèches n’a pas encore entrepris les changements nécessaires qui puissent permettre un développement agricole et socioéconomique plus équitable et plus important. En raison du manque de ressources, même des progrès technologiques majeurs ne permettraient pas à une population agricole pauvre de 10 millions de personnes d’échapper à la pauvreté au cours des 30 prochaines années. Seules une réduction de la population agricole et une distribution plus équitable des terres pourraient permettre d’augmenter les revenus de ceux qui resteront et d’arrêter la dégradation toujours plus grande des ressources naturelles de base.

Deux principales approches stratégiques de réduction de la pauvreté peuvent être proposées: i) des moyens de subsistance de remplacement, principalement par la sortie de l’agriculture; et ii) l’accroissement des revenus hors exploitation. D’autre part, la croissance agricole grâce à l’augmentation de la taille des exploitations, à la diversification et à une certaine intensification de la production contribuera à la réduction de la pauvreté.

L’offre de nouveaux moyens de subsistance aux familles agricoles marginales à l’intérieur de la région nécessite des stimulants pour la création d’agroindustries et d’autres activités rurales, telles que la formation des travailleurs et la taxation des bénéfices. L’aide à l’installation des agriculteurs marginaux dans des zones agricoles en expansion (comme celles des Cerrados) est aussi importante; elle pourrait prendre la forme de primes d’incitation pour quitter les terres actuellement occupées et d’accès facilité au financement pour permettre d’acheter de la terre dans les zones d’expansion. Un élément supplémentaire de cette approche stratégique est l’offre de formation de qualification et l’amélioration des infrastructures afin de faciliter les mouvements de population (surtout les jeunes et les femmes) vers les zones urbaines régionales.

La deuxième approche stratégique consiste à fournir à ceux qui restent sur les exploitations la possibilité d’accroître leurs revenus par l’achat de terre et la diversification vers des cultures de plus grande valeur (peut-être pour le secteur du tourisme). Cela peut entraîner l’exclusion de nombreux locataires qui n’ont pas des surfaces suffisamment importantes, au départ, pour pouvoir s’étendre. Cependant, dans un certain nombre de pays, l’expérience a montré que le financement des seuls coûts d’achat de la terre ne suffisait pas. Tout programme de ce type doit aussi répondre aux points suivants: i) besoins en investissement de l’exploitation et en capitaux circulants; ii) diffusion de techniques capables d’améliorer la productivité lorsque l’humidité est une contrainte (développement et dissémination de variétés résistantes à la sécheresse et encouragement au remplacement du maïs); iii) diffusion de techniques sans travail du sol appropriées aux petits producteurs; et iv) mise en œuvre de la petite irrigation lorsqu’elle est réalisable.

L’introduction de pratiques culturales capables d’inverser le processus de la dégradation des ressources naturelles de base est prioritaire. Ces pratiques sont: i) l’utilisation croissante des cultures de légumineuses et de plantes fourragères (Mucuna pruriens et Canavalia ensiformis par exemple); ii) le pâturage limité ou même le non pâturage pour les petits élevage; et iii) une plus grande attention au potentiel de la végétation naturelle. La planification de l’utilisation des sols devrait être prioritaire afin d’améliorer l’identification des zones à risques. Il serait aussi utile de développer la recherche météorologique afin de pouvoir prévoir les périodes de sécheresses dans toute la région.

Il est nécessaire, qu’à côté de ces principales approches stratégiques, le financement public se dégage des opérations d’urgence contre la sécheresse ou des programmes semblables pour se tourner vers le financement d’activités qui puissent permettre d’éviter dans l’avenir ce genre de situation.


[203] Ce système d’exploitation agricole exclut la zone côtière très urbanisée du nord-est du Brésil.
[204] Institut de géographie et de statistiques du Brésil 1996.
[205] Un ejidario est un membre d’une communauté de gestion qui gère les terrains communaux (ejidos) ou qui bénéficie d’une superficie de terre pour laquelle on lui a accordé un droit d’usage héréditaire, mais non de propriété. Cependant, depuis la libéralisation des contrôles légaux sur les ejidos en 1992, un nombre croissant d’ejidarios a converti ses droits d’usage en titre de propriété.
[206] Institut de géographie et de statistiques du Brésil, 1996.
[207] Super intendance pour le développement du Nord-Est, 1999.
[208] Torres 1997.

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