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Priorités stratégiques de l’Amérique latine et des Caraïbes


L’analyse des quatre systèmes agricoles sélectionnés, complétée par des informations communiquées par des experts des autres systèmes, a permis de dégager les grandes priorités stratégiques suivantes. Les conclusions concernant la réduction de la pauvreté et la croissance agricole présentées ci-dessous peuvent s’appliquer à l’ensemble de la région[241]. Les possibilités de réduire la pauvreté agricole en Amérique latine et aux Caraïbes sont très importantes. Cet objectif peut être atteint par l’intensification de la production, la diversification (y compris la valeur ajoutée), l’expansion de la taille des exploitations, l’emploi hors exploitation et la sortie de l’agriculture[242]. Le tableau 7.4 indique l’importance relative de chacune de ces stratégies pour réduire la pauvreté à l’intérieur des divers systèmes agricoles de l’Amérique latine et des Caraïbes au cours des prochaines décennies.

L’importance relative des différentes stratégies des ménages varie grandement d’un système à l’autre. D’une façon générale, les stratégies de sortie de l’agriculture, de migration vers les villes, d’abandon des exploitations pour un emploi hors exploitation ou d’entrée dans un autre système sont plus efficaces pour réduire la pauvreté dans les systèmes à faible potentiel que dans les systèmes à potentiel plus élevé, pour lesquels l’accroissement de la productivité serait une meilleure stratégie.

La diversification est une stratégie qui permet de réduire la pauvreté agricole dans tous les systèmes, à l’exception des plus isolés. La diversification implique un changement vers des cultures non traditionnelles de plus grande valeur ainsi que la mise en route d’activités à plus forte valeur ajoutée, telles quel le calibrage, l’emballage et la transformation sur l’exploitation. L'accroissement des emplois et des revenus hors exploitation est aussi généralement considéré comme important. Par contre, des stratégies telles que l’augmentation de la taille des exploitations pour les petits agriculteurs, ne sont capables de réduire la pauvreté que dans quelques cas.

Les sections suivantes résument les priorités stratégiques des actions dans les domaines suivants: politiques, marchés, et informations; technologies et ressources naturelles; libéralisation du commerce et développement des marchés; information et capital humain; science et technologie; et ressources naturelles et climat.

POLITIQUES, INSTITUTIONS ET BIENS PUBLICS

Les rôles institutionnels et gouvernementaux pour les systèmes d’exploitation agricole de l’Amérique latine et des Caraïbes seront déterminants dans trois domaines stratégiques au cours de 30 prochaines années: i) l’amélioration de l’accès à la terre et, dans une moindre mesure à l’eau, pour les systèmes agricoles où il existe une grande pauvreté et pour les groupes pauvres des systèmes plus riches; ii) la promotion d’emplois de remplacement pour les ruraux pauvres qui n’ont pas accès suffisamment à la terre et à l’eau pour leur permettre d’échapper à la pauvreté; et iii) le renforcement des biens publics en zones rurales. Dans tous ces domaines, le gouvernement doit, tout en travaillant en coopération avec la société civile et le secteur privé, jouer un rôle majeur.

Dans de nombreux systèmes agricoles, une petite minorité de gros agriculteurs possède une grande partie des terres, qu’elle utilise souvent d’une façon extensive, alors que la plupart des producteurs sont confinés dans des petites exploitations qui deviennent de moins en moins viables. Cette situation a entraîné de nombreux conflits civils plus ou moins violents. En ce qui concerne les systèmes maïs-haricot (Amérique centrale) et mixte des terres sèches, et dans une moindre mesure, le système des Andes centrales, les niveaux de pauvreté sont directement liés aux problèmes d’accès et de contrôle des ressources naturelles, en premier lieu la terre. La nécessité de mettre en place des politiques foncières efficaces se fait aussi sentir dans les zones de nouvelles terres (par exemple le système mixte extensif) où les migrations venant des systèmes voisins pauvres pourraient entraîner des conflits. Les principales priorités stratégiques sont: i) l’amélioration du fonctionnement du marché des terres grâce à l’accélération des procédures cadastrales et de délivrance de titres de propriété, à la mise en place de mécanismes de règlement des conflits et aux changements de la structure des taxes foncières; ii) la création de «banques de terres» chargées d’acheter les exploitations marginales et les grandes exploitations et de revendre la terre en vue d’agrandir les petites exploitations commerciales; iii) la mise en place de mesures fiscales décourageant la sous utilisation des terres et incitant à les vendre aux «banques de terre»; et iv) l’aide à la sortie de l’agriculture pour les producteurs marginaux en les aidant à négocier, lorsque cela est possible, leurs droits traditionnels à la terre.

Tableau 7.4 Potentiel et importance relative des stratégies des ménages pour la réduction de la pauvreté en Amérique latine et aux Caraïbes




Stratégies de réduction de la pauvreté

Système d’exploitation agricole

Potentiel de croissance agricole

Potentiel de réduction de la pauvreté

Intensifi-
cation

Diversifi-
cation

Accroissement de la taille de l’exploitation

Accroissement du revenu hors exploitation

Sortie de l’agriculture

Irrigué

Moyen

Faible

4

3

1

2

0

Basé sur la forêt

Moyen à élevé

Moyen

3

3

2,5

1

0,5

Mixte côtier-plantation

Moyen

Moyen

2

2

1

3

2

Mixte intensif

Moyen

Faible

3

2

3

1

1

Céréale-élevage - (Campos)

Moyen à élevé

Moyen

3

2

2

1

2

Tempéré humide mixte forestier

Faible

Faible

3

3

0,5

2,5

1

Maïs-haricot (Amérique centrale)

Faible à moyen

Elevé

1,5

2

1

2,5

3

Mixte intensif des hautes terres (nord des Andes)

Moyen

Moyen

2

2,5

1

2

2,5

Mixte extensif (Cerrados et Llanos)

Elevé

Faible1/

4

2

3

1

0

Mixte tempéré (Pampas)

Moyen

Faible

3

2

0

2,5

2,5

Mixte des terres sèches

Faible

Elevé

0,5

1,5

1

3

4

Mixte extensif des terres sèches (Gran Chaco)

Moyen

Moyen

3

3

2

2

0

Mixte de haute altitude (Andes centrales)

Faible

Elevé

1

2,5

0

2

4,5

Pastoral

Faible

Faible

0

1

0

3

6

Dispersé (forêt)

Faible

Faible

0

2

0

5

3

Urbain

Moyen

Faible

2

3

0

4

1

Moyenne pour la région



2,4

2,1

1,5

2,1

1,9

Source:Avis d’experts.

Note: Le total des points pour chaque système d’exploitation agricole est de 10. Les évaluations ne concernent que les agriculteurs pauvres. Les pondérations de population agricole par système sont faites à partir des données du tableau 7.1.

1/ Mais il existe un potentiel très important de réduction de la pauvreté pour les migrants qui entrent dans le système à partir d’autres régions.

La mise en application de la législation interdisant la prise illégale de terres et d’autres ressources doit être un aspect essentiel des réformes politiques. Cette législation ne concerne pas uniquement la prise de terres du domaine public par des intérêts puissants, mais aussi l’occupation illégale de terres privées par des petits producteurs et des colons s’appropriant des terres communautaires indigènes. Lorsque de tels risques existent, la terre ne devrait pas être mise sur le marché ou offerte à la location de crainte d’attirer des occupations illégales. Ce phénomène est devenu, par exemple, un problème majeur au cours des dernières années dans la zone côtière du Guatemala.

Malgré les possibilités de diversification et d’accroissement de la valeur des productions qui peuvent exister pour les petits agriculteurs, il y aura inévitablement un grand nombre d’agriculteurs marginaux qui n’auront pas les ressources humaines, financières, naturelles et de localisation pour pouvoir profiter de ces opportunités. Il existe deux alternatives pour ces agriculteurs: l’emploi local hors exploitation et la migration.

L’emploi hors exploitation représente la principale voie pour échapper à la pauvreté dans les systèmes agricoles où les contraintes sont nombreuses. Les politiques, l’appui institutionnel et les biens publics peuvent tous jouer un rôle primordial pour développer de tels emplois. Les industries basées sur l’exploitation des ressources naturelles offrent des opportunités d’emploi, mais il est souvent peu attractif pour ces industries de s’installer en zones rurales. Les gouvernements pourraient, au niveau national et local et en collaboration avec le secteur privé, formuler des programmes intégrés où les grands employeurs potentiels (agroindustries, etc.) se verraient proposer des incitations pour contrebalancer les avantages des installations dans les zones urbaines. Des telles mesures d’incitation pourraient inclure: i) l’amélioration des infrastructures dans la zone de l’usine et de ses fournisseurs, peut être accompagnée d’un contrat à long terme de financement de l’entretien de la part de l’employeur; ii) la formation du futur personnel de l’employeur; iii) l’organisation de l’approvisionnement en matières premières (cultures, élevage, etc.); et iv) la mise en place de mécanismes d’arbitrage rapides, transparents et exécutoires, et de règlements des relations entre les fournisseurs et l’employeur.

Les principales interventions pouvant faciliter le développement d’entreprises de petite taille sont: i) la simplification des procédures d’enregistrement et d’autorisation des petites entreprises; ii) l’assistance à la préparation de dossiers réalistes d’investissement et d’activité; iii) la formation aux procédures comptables et administratives; iv) le financement plus rapide et plus souple des investissements; v) la priorité pour la fourniture de services de base (électricité, téléphone, eau, etc.); et iv) l’encouragement et l’apport de ressources aux associations représentant les entreprises rurales de petite taille.

Les migrations ont été la réponse habituelle de ceux qui n’ont pas été en mesure de diversifier leurs productions ou de trouver un emploi dans des activités hors exploitation. Durant ces dernières années on s’est exclusivement attaché à maintenir les populations rurales sur place et à décourager leur migration. Toutefois, on doit se demander si cette politique de maintien des populations est la bonne lorsque les possibilités d’améliorer les conditions de vie sur place sont très réduites. Il est temps d’identifier et de mettre en oeuvre des mesures capables d’assurer que toute migration est positive, à la fois pour les migrants et pour ceux qui restent dans le système. Ces mesures innovantes pourraient prendre la forme de mesures incitatives à la migration, permettant d’accroître le capital humain et financier des migrants et de leur assurer ainsi de meilleures possibilités d’intégration économique à l’avenir. Ces incitations pourraient comprendre la fourniture d’un capital aux candidats au départ contre la remise du contrôle de leurs terres à l’agence de financement. Les terres trop marginales pour être utilisées pour la production agricole seraient remises aux autorités pour la conservation, la reforestation et les mesures de protection des bassins versants. Pour les autres, les banques de terre financeraient leur acquisition par les voisins plus riches, contribuant ainsi au regroupement des terres.

Il est indispensable de renforcer la formation - particulièrement celle des femmes et des jeunes - en matière de qualification professionnelle directement liée à l’emploi hors exploitation et à la migration. La priorité de cette formation devrait, en tant que service social en zone rurale, venir juste après celle de l’enseignement primaire de base.

L’infrastructure est un élément essentiel des équipements publics. Il est de plus en plus admis que le développement de l’infrastructure est une activité dépendant largement du secteur privé; toutefois, des domaines tels que les routes, l’électrification, l’adduction d’eau et sa distribution pour l’irrigation, cruciaux pour la diversification et l’intensification des activités de nombreuses zones, doivent rester aux mains du secteur public. Le retrait de l’état de nombreuses activités institutionnelles rurales (banque, vulgarisation, commerce) rend le renforcement des capacités de supervision des institutions civiles et privées essentiel.

LIBÉRALISATION DU COMMERCE ET DÉVELOPPEMENT DES MARCHÉS

La libéralisation du commerce et des marchés est probablement la principale force capable de faire évoluer les systèmes agricoles et ainsi la pauvreté rurale et la faim dans la région. Les produits importés concurrencent de plus en plus les produits locaux, surtout sur les marches urbains facilement desservis, souvent au détriment des producteurs locaux. Alors que les producteurs doivent faire face à une baisse des prix des produits traditionnels et à des difficultés de diversification de leur production vers de nouveaux produits à marges plus importantes, la libéralisation rapide des marchés entraînera une augmentation de la pauvreté à court terme. Les systèmes dans lesquels la pauvreté est la plus sévère seront les plus sérieusement affectés, car les ressources humaines, financières et technologiques nécessaires à leur ajustement sont insuffisantes. A plus long terme, la libéralisation des marchés devrait faciliter le développement du commerce et la diversification; cependant, les participants des différents systèmes ne seront pas tous en mesure de profiter de tels changements.

Le rôle des gouvernements vis-à-vis des marchés et du commerce est légitime. Cependant, l’expérience a montré que de nombreuses interventions étatiques bloquent les processus de transition tout en apportant peu de bénéfice réel aux ménages agricoles pauvres. En revanche, nous avons montré dans la sous-section précédente (voir aussi l’étude de cas du système d’exploitation agricole maïsharicot en Amérique centrale) que la stratégie la plus efficace consiste souvent à mettre en place les conditions favorisant le développement d’un secteur privé et civil actif et compétitif en zone rurale. Une telle stratégie devrait comprendre, en plus de la création d’un environnement favorable à la création et à la croissance de petites entreprises (voir sous-section précédente), des interventions d’assistance aux agriculteurs pour les aider à s’organiser eux-mêmes afin de répondre aux nouvelles opportunités. Ces interventions pourraient être: i) la formation des chefs de groupe à la gestion commerciale et à l’administration; ii) la fourniture d’information, de matériel génétique et d’assistance technique dans le but de promouvoir l’adoption de nouvelles cultures; iii) la promotion d’activités à valeur ajoutée (tri, empaquetage, transformation) par une assistance technique et financière pour la mise en œuvre de standards de qualité, pour la création de label et la commercialisation ciblée; et iv) la facilitation de l’accès au financement nécessaires aux investissements.

En raison de la restructuration et de la décentralisation, l’élaboration et la mise en application des normes et standards des marchés, domaines traditionnels d’intervention publique, ont été négligées dans de nombreux systèmes d’exploitation agricole. Les activités dans des domaines tels que les poids et mesures, les standards de qualité, le dépistage et le suivi des maladies et les contrôles sanitaires sont toutes des fonctions essentielles du secteur public pour le bon fonctionnement des marchés et des systèmes commerciaux.

INFORMATION ET CAPITAL HUMAIN

Des changements rapides paraissent inévitables dans les systèmes traditionnels, ce processus nécessitera que l’information et les ressources humaines soient améliorées. La fourniture d’information par le secteur public, qui souvent ne répond pas aux réels besoins du marché, entraîne des coûts récurrents importants; ce service est souvent mieux assuré par les acheteurs et les commerçants du secteur privé ou par les associations de producteurs et de commerçants. Le meilleur appui que le gouvernement puisse apporter pour la diffusion de l’information est l’amélioration des réseaux de communication: réseaux de téléphone cellulaire, autorisation de licence pour les stations de radio locales ou simplement amélioration des routes d’accès aux zones rurales.

Le développement des ressources humaines devrait mettre l’accent sur la formation professionnelle et la comptabilité. L’alphabétisation pourrait ne pas être la première priorité. Les ruraux ne sont pas tous agriculteurs, la formation agricole ne devrait être qu’une formation proposée parmi d’autres comme celles de tailleur, de mécanicien, de forgeron, de cuisinier, etc. Ces qualifications peuvent être particulièrement utiles pour faciliter les futures migrations volontaires (spécialement celles des jeunes) en les aidant à trouver un emploi dans leur future zone de résidence. La formation devrait aussi concerner les besoins spécifiques des employeurs en zone rurale (agroindustrie ou non agricole) afin de faciliter le développement des entreprises rurales.

L’utilisation des nouvelles technologies de communication, telles qu’Internet, pourrait, au cours des 30 prochaines années, révolutionner le transfert de l’information et la formation des communautés rurales les plus pauvres. Cependant, la révolution promise ne pourra se faire sans un développement très important des infrastructures ainsi qu’un changement profond de la conception des gouvernements en matière de services et de fourniture de services.

SCIENCE ET TECHNOLOGIE

Un certain nombre de projets innovants ont montré qu’il existait déjà une série de techniques capables d’améliorer la gestion des ressources naturelles et la tolérance à la sécheresse. Ces techniques sont: i) l’augmentation du taux de matière organique du sol, par exemple à l’aides des légumineuses (Mucana pruriens et Canavalia ensiformis); ii) le non travail du sol, la culture multiple et la petite irrigation associée à la fabrication de terrasses sur les pentes les plus faibles et dans les zones semiarides; et iii) les barrières végétales, les protections en contour (lignes de niveau), les cultures permanentes et l’agroforesterie sur les pentes les plus fortes. Dans le cadre de la gestion intégrée des sols fragiles de savane une autre technique d’amélioration prometteuse est l’interdiction ou le contrôle du pâturage des animaux, spécialement des chèvres.

Cependant, des changements importants sont nécessaires dans le domaine de la recherche agricole appliquée. Il est aussi nécessaire de promouvoir une approche participative dans des domaines tels que l’amélioration variétale et l’expérimentation aux champs de nouvelles cultures dans le cadre de la diversification. Ces changements ne pourront se faire qu’en restructurant profondément l’organisation des recherches nationales dans de nombreux pays d’Amérique latine et des Caraïbes et en veillant particulièrement aux mécanismes d’allocation des dépenses et à la formation du personnel aux méthodes participatives. La réponse des systèmes de recherche à la demande du marché doit être améliorée. Bien que les hybrides puissent répondre aux besoins de la diversification, il est probable que les variétés susceptibles d’être multipliées par les agriculteurs eux-mêmes sont préférables pour les cultures traditionnelles.

Plus de recherche sera nécessaire pour mettre à la disposition des petits agriculteurs, des cultures à cycle végétatif court, tolérantes à la sécheresse et des technologies capables d’améliorer la productivité du travail des systèmes dans lesquels le niveau de pauvreté est particulièrement élevé. Afin d’aider les petits producteurs à faire face efficacement à la concurrence des marchés internationaux en expansion, la recherche sera aussi nécessaire dans des domaines tels que: i) l’adaptation des technologies après récolte, existantes et futures, aux besoins des petits producteurs; ii) la gestion intégrée des ravageurs (GIR), les pratiques et les outils de l’agriculture biologique (contrôles biologiques par exemple); et iii) le testage aux champs des nouvelles variétés et espèces et la détermination des meilleurs pratiques agronomiques.

RESSOURCES NATURELLES ET CLIMAT

La dégradation des ressources naturelles est importante dans nombreux systèmes d’exploitation agricole régionaux. En l’absence de droit d’aînesse ou de marchés fonctionnels de la terre, la croissance des populations entraîne peu à peu le morcellement des exploitations. La conséquence de cet état de fait, en l’absence de politiques incitatives appropriées ou de technologies permettant l’accroissement des rendements et l’amélioration de la fertilité du sol, est l’épuisement des sols et l’extension des cultures vers des zones marginales. Les accroissements de populations prévus dans les systèmes les plus pauvres - tels que le système maïsharicot de l’Amérique centrale et le système mixte de haute altitude des Andes centrales - aggraveront encore ce phénomène. Les systèmes des terres neuves où les densités de population sont plus faibles doivent faire face à une série de contraintes différentes. La colonisation de ces systèmes a été historiquement clairsemée, au moins en partie à cause du potentiel agricole limités de leurs terres. Une mauvaise gestion des terres peut endommager gravement les ressources naturelles, comme cela a été constaté dans les Cerrados.

La solution à ces problèmes a été en partie décrite dans d’autres sous-sections (y compris l’accroissement des revenus hors exploitation); néanmoins, il existe des réponses spécifiques pour les systèmes densément peuplés. Parmi celles-ci, on peut citer le développement et la mise en œuvre d’un plan de gestion efficace des ressources naturelles au niveau de la communauté. De telles interventions nécessitent une assistance technique et des incitations; elles doivent en outre faire la démonstration que des bénéfices rapides peuvent être tirés de l’amélioration des bassins versants, de la foresterie et d’autres activités de gestion des ressources. D’autres interventions prometteuses concernent les technologies de conservation de l’humidité dans les zones les plus sèches pour combattre la sécheresse et la désertification (nord-est du Brésil et Andes centrales par exemple) et la protection efficace des bassins versants (Amérique centrale et nord des Andes). Les impacts de la sécheresse et de la désertification deviendront probablement plus sévères avec les changements climatiques prévus, entraînant la nécessité de renforcer les mécanismes de réduction des risques.

Il est prioritaire de mieux connaître les ressources naturelles des systèmes des terres neuves ainsi que leurs caractéristiques, et d’utiliser ces connaissances pour préparer les outils et planifier une approche appropriée de gestion des ressources. Cette approche sera soutenue par une recherche pour le développement de variétés adaptées aux contraintes de ces terres neuves (tolérance à l’aluminium, caractéristiques après récolte) et par la diffusion des résultats. Les gouvernements devront aussi promouvoir des politiques de colonisation et de développement capables d’encourager de meilleurs modèles d’utilisation des terres, en utilisant des instruments tels que les taxes foncières (régionale et municipale), les allocations de terres, les facilités de crédit pour les investissements ou pour le capital circulant et l’accès aux services d’appui (commercialisation, vulgarisation, services vétérinaires, etc.).

Les plus grandes exploitations sont évidemment mieux à même de s’adapter aux nouvelles réalités économiques; toutefois, il n’est pas certain que les plus grandes exploitations soient toujours les plus compétitives. L’expérience a montré, au Guatemala par exemple, que les petites exploitations peuvent être plus efficaces que les exploitations commerciales en ce qui concerne les cultures gourmandes en main-d’œuvre. En principe, les petits agriculteurs de tous les systèmes agricoles pourraient être compétitifs pour certaines productions ou être capables d’augmenter leurs revenus par un travail hors exploitation; toutefois la proportion de ceux qui réussiront variera énormément d’un système à l’autre. Lorsque les conditions agroécologiques sont favorables et les marchés sont d’accès facile, comme par exemple dans le système d’exploitation agricole mixte plantation-côtier, une proportion relativement importante de petits agriculteurs est capable de suivre ces stratégies. Cependant, lorsque les conditions agroclimatiques et les régimes fonciers sont plus contraignants, moins de producteurs sont capables d’évoluer et la stratégie de sortie du système prend alors le dessus. Cela est probablement le cas dans le système d’exploitation agricole mixte de haute altitude des Andes centrales et le système d’exploitation agricole mixte des terres sèches du nord-est du Brésil et du Yucatan.

Les systèmes agricoles de la région ont un potentiel élevé en raison de l’abondance des ressources en eau et de leurs climats largement tropical et subtropical. Cependant, beaucoup de zones de terres neuves - telles que celles du système d’exploitation agricole mixte extensif des Cerrados et Llanos ou du système forestier de l’Amazone - ont des sols fragiles avec des éléments nutritifs en quantité limitée. Les stratégies de développement dépendent, bien sûr, du potentiel agronomique du système concerné; toutefois, l’importance du rôle de la distribution des terres fait que les différences de potentiel agronomique ont moins d’importance dans cette région que dans de nombreuses autres parties du monde. Même dans les systèmes à haut potentiel, les améliorations de rendement ou d’intensité culturale des cultures traditionnelles ne participent que faiblement à la réduction de la pauvreté parmi les petits agriculteurs. En revanche, la diversification et l’emploi hors exploitation constituent les meilleures approches stratégiques pour les petits producteurs à la fois dans les systèmes à fort et à faible potentiel.

CONCLUSIONS

La région d’Amérique latine et des Caraïbes offre un contraste marqué entre ses zones de terres neuves, extensives, avec de faibles densités de population et une forte croissance potentielle, et les systèmes en place, densément peuplés - avec une grande pauvreté pour beaucoup d’entre eux. Toutefois, ces deux extrêmes doivent faire face à un certain nombre de défis communs permettant de définir une priorité stratégique claire pour le développement agricole et la réduction de la pauvreté de la région au cours des 30 prochaines années. Bien qu’il soit impossible à partir de l’analyse régionale précédente de prescrire des actions nationales spécifiques, le développement agricole et la réduction de la pauvreté de la région requiert la mise en place de trois initiatives régionales associées entre-elles.

Gestion durable des ressources. La gestion durable des ressources naturelles et le renversement de la tendance à la dégradation des ressources sont des éléments particulièrement importants, aussi bien pour les systèmes en place à forte densité de population que pour les zones des terres neuves en rapide croissance. Cependant, il est essentiel que les changements proposés fassent la preuve d’un impact positif sur les revenus des producteurs pour qu’ils puissent être adoptés à grande échelle. Les composantes de cette gestion durable sont: la diffusion de techniques testées chez les petits agriculteurs, spécialement le mulch en vert, le non travail du sol, les barrières de végétation, les terrasses et le non pâturage; un effort accru en matière de sélection, de testage et de diffusion de variétés adaptées aux besoins des petits producteurs, en mettant l’accent sur les cultures permanentes et arboricoles; le financement du départ des producteurs des terres épuisées afin de permettre leur reforestation; l’aide aux emplois hors exploitation, de façon à réduire la pression sur les zones très peuplées; et l’amélioration de la connaissance des terres neuves et de la fragilité de leurs sols.

Meilleur accès aux ressources. Une condition préalable essentielle pour le développement de la région est l’amélioration de l’accès et du contrôle de la terre pour les populations rurales pauvres. Les composantes de l’amélioration de l’accès aux ressources sont: les banques de terre pour le financement de l’accroissement de la taille des petites exploitations et pour l’achat, le démantèlement et la revente des grandes exploitations; l’amélioration des mesures de gestion des terres communales, y compris la protection contre l’invasion et la colonisation; et les politiques de taxation pour inciter à une utilisation durable des terres.

Compétitivité accrue des petites exploitations. Il est primordial d’améliorer la capacité de réponse des petits producteurs des systèmes agricoles à la libéralisation du commerce et au développement des marchés. Les composantes de cette capacité de réponse sont: la formation des groupes d’agriculteurs à la gestion commerciale et aux techniques d’administration; les technologies améliorées pour les productions de plus grande valeur; la réduction des barrières d’entrée pour les petites entreprises ainsi que le renforcement des associations d’entreprises; la facilitation ou le financement partiel du développement des infrastructures liées à la commercialisation telle que les routes, les communications et les équipements de marché; et les incitations pour la délocalisation de l’agroindustrie et d’autres entreprises vers les zones rurales (formation du personnel, infrastructures et appui technique aux producteurs sous contrats).


[241] Il existe aussi un potentiel de réduction de la pauvreté et de croissance dans le système forestier couvrant la majorité de l’Amazone et des zones humides adjacentes. On peut espérer une croissance économique très importante - y compris en agriculture - de ce système au cours des 30 prochaines années. Cependant, de sérieuses contraintes politiques et de ressources naturelles rendent son développement très problématique.
[242] Voir le chapitre 1 pour une discussion des stratégies des ménages en vue d’échapper à la pauvreté.

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