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L'alimentation et l'agriculture dans le contexte national et international


La pauvreté et l'agriculture

La plus grande partie de l'Afrique sub-saharienne exceptée, les pays en développement progressent vers l'objectif que se sont fixé les Nations unies: réduire l'incidence de la pauvreté de moitié d'ici 2015. La croissance de l'agriculture et des activités rurales non agricoles, en plus des améliorations de la nutrition, seront essentielles à la poursuite de ce succès. La situation en Afrique subsaharienne, qui continue à s'enfoncer dans la pauvreté, est source de grave préoccupation.

La sous-alimentation n'est pas seulement une manifestation de la pauvreté, c'est aussi une de ses causes. La pauvreté se caractérise certes par le manque de revenus et la sous-consommation, mais aussi par des privations en matière de santé, d'éducation, de nutrition, de sécurité, de garanties juridiques et de droits politiques, entre autres. Toutes ces facettes de la pauvreté sont inter-dépendantes et se renforcent les unes les autres.

Au cours de la décennie passée, la pauvreté et la question connexe de l'inégalité ont pris la première place dans l'ordre du jour du développement international. Lors des divers sommets tenus depuis le début des années 1990, les dirigeants mondiaux ont proclamé leur engagement à réduire la pauvreté et ont adopté une série d'objectifs pour la combattre. Ces objectifs couvrent un vaste domaine, allant de la mortalité infantile et juvénile à la scolarisation, de l'égalité des sexes à la mortalité maternelle, de l'accès aux services médicaux et de santé de la reproduction à l'adoption de stratégies nationales de développement durable. La Déclaration du Millénaire des Nations unies, adoptée en septembre 2000, regroupe la plupart de ces objectifs, dont celui de réduire de moitié, d'ici 2015, la proportion de personnes vivant dans une extrême pauvreté.

Les objectifs internationaux, et les indicateurs employés pour mesurer les progrès accomplis, ne doivent pas être considérés comme des critères finement ajustés afin de guider les priorités en matière de politique et de financement, ni comme des mesures exactes de ces progrès. Dans beaucoup de pays pauvres, les données nécessaires ne sont ni fiables ni à jour. En outre, elles ne sont pas nécessairement comparables de l'un à l'autre. Mais ces objectifs sont utiles pour attirer l'attention sur la persistance de la pauvreté, pour influencer l'opinion et créer un sentiment d'urgence auprès du grand public, des dirigeants politiques et de la communauté du développement. Les indicateurs peuvent aussi servir de guides sommaires pour évaluer les progrès accomplis.

Progrès généraux et perspectives

A l'aube du XXIème siècle, plus de 1,1 milliard de personnes vivaient dans la misère, avec un revenu inférieur à 1 dollar EU par jour. Des progrès sensibles mais irréguliers ont été accomplis par rapport à l'objectif de réduire de moitié cette proportion d'ici 2015: elle est tombée de 32 pour cent en 1990 à 25 pour cent en 1999. En raison de la croissance de la population, cependant, cette baisse est moins impressionnante si on l'exprime en nombre de personnes, puisqu'elle est passée de 1 269 millions à 1 134 millions.

Déclaration du Millénaire des Nations unies: quelques objectifs de la lutte contre la pauvreté

Ces objectifs doivent être atteints d'ici 2015, avec l'année 1990 comme base de référence:

  • Réduire de moitié la proportion de la population mondiale dont le revenu est inférieur à 1 dollar EU par jour.
  • Réduire de moitié la proportion des personnes qui souffrent de la faim.
  • Réduire de moitié la proportion des personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable.
  • Assurer que tous les enfants du monde puissent suivre tout un cycle d'études primaires.
  • Assurer un accès égal pour les garçons et les filles à tous les niveaux d'éducation.
  • Réduire de deux tiers la mortalité des enfants de moins de cinq ans.
  • Réduire de trois quarts la mortalité maternelle.
  • Enrayer la propagation du VIH/sida, du paludisme et des autres grandes maladies.

Le bilan est très différent selon les régions. En Asie de l'Est, la pauvreté a chuté considérablement au cours des années 1990. En Asie du Sud, bien que la proportion des pauvres ait diminué, leur nombre total est resté presque constant. En Afrique subsaharienne, la proportion de pauvres n'a pratiquement pas changé, mais leur nombre est monté en flèche.

Les dernières projections de la Banque mondiale donnent à penser que l'objectif de réduire de moitié la proportion de la population vivant dans la misère dans les pays en développement d'ici 2015 peut être atteint. Toutefois, même si cette cible était atteinte, du fait de la croissance démographique le nombre absolu de pauvres ne baisserait que de 30 pour cent. En Afrique subsaharienne, la cible semble impossible à atteindre: les projections anticipent une faible réduction de la proportion de pauvres et une augmentation continue de leur nombre.

De plus, les projections de la Banque mondiale reposent sur une croissance économique plus rapide qu'autrefois. La Banque souligne que, si la croissance lente des années 1990 persiste, le nombre de personnes vivant dans la misère restera proche du niveau actuel pendant les 15 années à venir.

Pour réduire la pauvreté partout dans le monde, il est essentiel que les revenus augmentent plus rapidement. La réduction de l'inégalité est également cruciale, surtout dans les pays où elle est prononcée. Selon diverses évaluations, les pays de forte inégalité devraient atteindre une croissance double de celle des pays à faible inégalité pour répondre aux objectifs de la lutte contre la pauvreté.

Raisons de privilégier une meilleure nutrition

L'alimentation et l'agriculture jouent un rôle fondamental dans les causes et la réduction de la pauvreté.

La sous-alimentation est un aspect central de la pauvreté et une violation directe d'un droit humain universellement reconnu. Elle renforce également les autres aspects de la pauvreté, selon les grandes modalités ci-après:

La croissance des revenus est une condition essentielle de la lutte contre la sous-alimentation, mais n'y suffit pas. Une amélioration des services publics, dont l'éducation des filles, l'enseignement de la nutrition, l'accès à l'eau potable et les services de santé et d'hygiène, est également indispensable. Dans ces domaines, il faudra soigneusement cibler les interventions sur les groupes les plus démunis.

L'agriculture détient la clé

Aujourd'hui, la communauté du développement partage plus ou moins la même approche en ce qui concerne la réduction de la pauvreté. Elle consiste à encourager une croissance économique bénéficiant aux pauvres et à leur favoriser l'accès à tous les services et aux autres facteurs qui entraînent un recul de la pauvreté et procurent un niveau de vie acceptable: marchés, crédit et avoirs générateurs de revenus, éducation de base, services de santé et d'hygiène, eau potable, infrastructures de transports et de communications, etc. Assurer l'accès à ces droits humains fondamentaux est certes une fin en soi, mais cela stimule aussi la croissance économique.

La croissance des revenus est essentielle si l'on veut réduire la sous-alimentation, mais l'amélioration des services publics - éducation des filles, enseignement de la nutrition, eau potable, services de santé et hygiène - est également cruciale.

La croissance du secteur agricole a un rôle crucial à jouer dans la lutte contre la pauvreté et l'inégalité. Le Fonds international pour le développement agricole (FIDA) estime que sept pauvres sur dix dans le monde vivent encore en milieu rural. Il s'agit de petits agriculteurs, de paysans sans terre, de pasteurs traditionnels, d'artisans-pêcheurs et de groupes marginalisés comme les réfugiés, les peuples autochtones et les ménages dirigés par une femme.

Beaucoup de ruraux pauvres travaillent directement dans l'agriculture, comme petits exploitants ou ouvriers agricoles. Il est possible d'améliorer leurs revenus par des mesures bénéficiant aux pauvres, comme par exemple, assurer un accès équitable aux terres, à l'eau et aux autres avoirs et intrants, ainsi qu'aux services, dont l'éducation et la santé.

La croissance de l'agriculture diffuse largement ses avantages. La croissance des revenus des exploitants et des ouvriers agricoles crée une augmentation de la demande de produits et services non agricoles de base dans les régions rurales: outils, travaux de forge, menuiserie, vêtements, aliments préparés achetés aux éventaires routiers, etc. Ces biens et services sont souvent difficiles à commercialiser à grande distance. Ils ont tendance à être produits et offerts sur place, utilisent généralement des méthodes intensives en main d'oeuvre, et ont par conséquent un grand potentiel de création d'emplois et d'atténuation de la pauvreté. Des études menées dans quatre pays africains ont montré qu'entre un tiers et deux tiers des augmentations de revenus dans les zones rurales sont utilisés pour acquérir ces biens et services locaux.

Evolution de la pauvreté dans le monde: nombre d'habitants pauvres, 1990 à 2015


Source: Banque mondiale (2001b)

Le secteur rural non agricole offre aux pauvres un moyen relativement accessible d'échapper à la pauvreté. La création d'entreprises rurales non agricoles ne demande souvent que peu de capitaux ou de nouvelles compétences, et elles offrent ainsi aux ruraux pauvres des emplois et la possibilité d'augmenter leurs revenus. Les activités non agricoles représentent 44 pour cent des emplois ruraux en Asie et 25 pour cent en Amérique latine. En Inde, elles fournissent 60 pour cent des revenus du cinquième le plus pauvre de la population rurale.

La croissance de l'agriculture et de l'emploi rural non agricole qui y est associé peut avoir un impact généralisé sur la réduction de la pauvreté dans les zones rurales, où habitent sept pauvres sur dix dans le monde.

Mais le secteur rural non agricole ne peut pas s'étendre en isolation: l'agriculture doit croître d'abord, pour générer une demande accrue de produits non agricoles. La hausse générale des revenus locaux ne prend place qu'après que la croissance des activités agricoles et non agricoles a absorbé la plus grande partie du réservoir de main d'oeuvre rurale sous-employée.

De plus, la croissance agricole ne peut pas toujours déboucher à elle seule sur le déclin de la pauvreté rurale. Si les propriétés agricoles sont très inégales, les revenus supplémentaires de l'agriculture risquent de profiter presque exclusivement aux gros agriculteurs ou aux propriétaires absentéistes, qui pourront les épargner ou les investir hors des zones rurales, à l'achat de biens importés ou fabriqués en ville. Dans ce cas, l'impact de la croissance agricole sur la pauvreté risque d'être limité, et les politiques devront plutôt comporter des mesures pour réduire l'inégalité d'accès aux biens comme les terres, l'eau et les intrants.

Quelles politiques économiques nationales peuvent stimuler la croissance de l'agriculture dans les pays en développement? Après la seconde guerre mondiale, on pensait que seule la croissance industrielle pouvait assurer le développement économique, et l'on a donc protégé l'industrie aux dépens de l'agriculture, qui s'est vu imposer de lourdes taxes ou accorder une faible priorité. Vers la fin des années 1970, on a commencé à mettre davantage l'accent sur la réforme structurelle des économies, en espérant que la privatisation, la libéralisation des échanges intérieurs et extérieurs, la baisse des impôts et la réduction des interventions des pouvoirs publics déboucheraient sur une augmentation de la croissance économique et une réduction du parti pris contre l'agriculture.

Ces mesures ont été largement adoptées, mais il ne semble pas qu'elles aient beaucoup contribué à la croissance tant du PIB global que du PIB agricole, ce qui laisse à penser que, bien qu'indispensables, elles ne sont pas suffisantes par elles-mêmes et qu'il faut leur ajouter d'autres stratégies.

Le commerce international et la mondialisation

La libéralisation des échanges est considérée comme essentielle à la paix et la prospérité. Dans les pays en développement, et notamment dans les pays les moins avancés, libéraliser l'agriculture peut augmenter beaucoup la prospérité, et faire de ce secteur une source importante de devises et un catalyseur du développement général. Dans la plupart des pays, les importations alimentaires sont déjà une source considérable d'approvisionnement et elles continueront à être un facteur de sécurité alimentaire.

Augmentation du déficit des échanges agricoles dans les pays en développement

Les caractéristiques des échanges commerciaux ont rapidement évolué au cours des 40 dernières années dans les pays en développement:



La réforme des échanges a réduit les barrières douanières, stimulé l'intégration économique mondiale, renforcé la productivité et relevé les revenus - et continuera sur cette lancée. Tous les pays et communautés intéressés n'y ont pas gagné, mais des interventions en matière de politiques nationales et internationales pourraient atténuer l'impact sur les perdants. Des mesures spéciales pourraient permettre aux pays en développement de récolter une plus grande part des bénéfices du commerce international.

Les politiques suivies et les forces des marchés sont derrière ces changements. Du côté des politiques, les barrières douanières et le soutien de la production intérieure des pays développés (principalement de l'OCDE) ont freiné la croissance des exportations agricoles des pays en développement. Ces entraves au commerce imposent des coûts élevés et créent des pertes d'efficacité généralisées. Dans les pays qui les appliquent, elles font augmenter les prix et les impôts. Dans les autres pays, elles limitent l'accès aux marchés d'exportation et introduisent une concurrence déloyale sur les marchés intérieurs. Elles bloquent toute augmentation du cours mondial des produits de base, et freinent ainsi le développement de l'agriculture, surtout dans les pays en développement où les gouvernements ne sont pas en mesure de fournir autant de soutien.

Du côté des marchés, l'augmentation des exportations agricoles des pays en développement est freinée par la demande atone et largement saturée des marchés développés, notamment en matière de produits tropicaux comme le café, le cacao et le thé.

Balance commerciale du secteur agricole et contribution des exportations agricoles au comerce de marchandises, 1960 à 2000


Source: données FAO

Des objectifs ambitieux, des résultats limités

Les avantages procurés par les réformes du commerce international à de nombreuses économies orientées sur l'extérieur ont eu un effet d'impulsion sur l'abaissement continu des barrières commerciales. Beaucoup de pays en développement avaient déjà libéralisé certains aspects de leur commerce agricole depuis les années 1980 dans le cadre de réformes d'ajustement structurel. Ces réformes, ainsi que toute la gamme des politiques affectant les échanges agricoles, ont été soumises pour la première fois à des contrôles multilatéraux systématiques par l'Accord sur l'agriculture (AsA) du cycle d'Uruguay de 1994.

Cet accord, annoncé comme un tournant décisif, a toutefois débouché sur des résultats limités et souvent décevants. Les études de la FAO ont montré que pour la plupart des produits agricoles de base, son impact sur les prix et les quantités échangées a été négligeable, de même que ses répercussions sur beaucoup d'économies en développement. Dans les pays développés, les soutiens de tout type à la production restent substantiels: en 2000 ils se montaient à 245 milliards de dollars EU les pays de l'OCDE - et 327 milliards si l'on y ajoute les transferts plus généraux vers l'agriculture.

Les tarifs douaniers continuent à freiner les échanges. Aux termes de l'AsA, les obstacles non tarifaires à l'importation, comme les quotas, devaient être remplacés par des tarifs douaniers équivalents. En outre, les pays développés avaient convenu de réduire tous leurs tarifs douaniers de 36 pour cent en moyenne, sur une période de 6 ans, avec un minimum de 15 pour cent pour chaque article. Les pays en développement avaient convenu de réduire leurs tarifs de 24 pour cent sur une période de 10 ans. Les pays les moins avancés n'étaient tenus à aucune baisse.

Les réductions appliquées depuis 1994 ont été conformes à ces objectifs, mais il n'est pas sûr que l'accès aux marchés se soit sensiblement amélioré. Les tarifs des pays développés ont diminué d'environ 37 pour cent, mais les réductions les plus importantes ont surtout concerné les cultures tropicales non transformées qui attiraient déjà de faibles tarifs douaniers. Les produits de base originaires à la fois des pays développés ou en développement et les produits transformés ont beaucoup moins bénéficié de ces baisses. Les tarifs douaniers maximum admissibles convenus par l'Union Européenne (UE) dans le cadre de l'AsA se montaient à 86 pour cent pour le boeuf et 215 pour cent pour le boeuf congelé, tandis qu'ils n'étaient que de 6 pour cent sur les ananas mais 25 pour cent sur les ananas une fois transformés.

Le soutien intérieur à la production reste important. Le soutien accordé à l'agriculture par un gouvernement peut aussi fausser les échanges, en permettant aux producteurs du pays de vendre à un prix plus bas qu'il ne serait rentable autrement.

L'AsA concernait également le soutien interieur. Plusieurs formes de soutien, telles que la recherche et les programmes d'infrastructure et en faveur de l'environnement, étaient exemptés de restrictions. Les pays en développement pouvaient aussi exclure des restrictions de l'AsA les mesures en faveur du développement, comme les programmes de développement agricole et rural.

L'AsA exigeait une réduction du soutien à l'agriculture de 20 pour cent de la part des pays développés et de 13,3 pour cent de la part des pays en développement (aucune réduction des pays les moins avancés). Ces baisses devaient s'appliquer par rapport aux années 1986-88, et s'étaler sur une période de 6 ans pour les pays développés et de 10 ans pour les pays en développement.

En réalité, beaucoup de pays n'ont étés tenus d'appliquer qu'une réduction bien moindre du soutien et de la protection de leur secteur agricole. Cela s'explique principalement par le fait que les engagements en matière de libéralisation se basaient sur des niveaux antérieurs élevés. Ces niveaux dits "de consolidation" étaient assez hauts pour que la protection reste sensiblement inchangée, même une fois la réduction appliquée. De fait, le soutien total accordé à l'agriculture dans les pays riches de l'OCDE était plus élevé en 1998-2000 qu'avant l'AsA.

Les subventions aux exportations sont encore élevées. L'AsA a, pour la première fois, fait inclure les subventions directes aux exportations agricoles dans un accord commercial international. Les subventions indirectes, telles que la garantie des crédits à l'exportation et l'aide alimentaire, étaient également prises en considération. Les pays développés ont convenu de réduire leurs subventions de 36 pour cent et les pays en développement de 24 pour cent. Les réductions de volume des exportations subventionnées ont également fait l'objet de négociations, qui ont débouché sur une réduction de 21 pour cent pour chaque produit de base dans les pays développés et de 14 pour cent dans les pays en développe-ment. Les pays les moins avancés n'ont pris aucun engagement envers la réduction de ces subventions. C'est dans l'UE que la grande majorité des subventions directes aux exportations sont accordées: en 1998, l'UE y a consacré 5,8 milliards de dollars EU, ce qui représente plus de 90 pour cent des subventions de ce type couvertes par l'AsA.

Une libéralisation plus poussée profiterait surtout aux pays développés

Selon la plupart des études, une libéralisation complète des échanges agricoles pourrait aboutir globalement à d'importants gains socioéconomiques, mais certains groupes y gagneraient et d'autres y perdraient. Les avantages iraient surtout aux consommateurs et aux contribuables des pays industrialisés où l'agriculture est particulièrement protégée, ainsi qu'aux exportateurs agricoles des pays en développement. Les consommateurs urbains et les paysans sans terre des pays en développe-ment, par contre, risqueraient de devoir payer plus pour certains vivres, notamment les céréales, le lait, la viande et le sucre. Il faudrait donc prendre des mesures spéciales pour venir en aide à ces groupes perdants.

Gains socio-économiques potentiels de la libéralisation des échanges agricoles


Source: Anderson et al.(2000)

Les conclusions des études sur l'impact de la libéralisation des échanges agricoles diffèrent selon les hypothèses retenues. Une étude récente, par exemple, a conclu qu'une complète libéralisation augmenterait les revenus mondiaux de 165 milliards de dollars EU par an. Les plus grands avantages viendraient des réformes appliquées dans les pays développés, mais la plus grande partie de ces avantages - 121 milliards de dollars EU - resterait aussi dans ces pays. Les pays en développement y gagneraient nettement (31 milliards de dollars EU), mais seulement s'ils libéralisaient aussi leurs propres échanges.

La présente étude de la FAO a aussi examiné les impacts d'un retrait progressif du soutien des prix et autres subventions jusqu'à l'horizon 2030. Son analyse portait principalement sur les effets probables en matière de prix au consommateur et au producteur, dans les pays développés et en développement. Elle a conclu que les prix internationaux pourraient augmenter modérément, tandis qu'ils chuteraient nettement dans les pays accordant actuellement un niveau élevé de protection. Les producteurs vendant leurs produits aux prix internationaux y gagneraient, tandis que ceux qui les produisent à des prix gonflés par la protection y perdraient. Comme l'étude citée précédemment, celle de la FAO a conclu que les avantages pourraient être considérables pour les consommateurs des marchés de l'OCDE jusqu'ici protégés, mais elle a aussi souligné que les coûts élevés de la transformation et de la distribution dans ces pays risqueraient de ne pas répercuter la baisse du prix des produits bruts en baisse des prix au consommateur final. Les consommateurs des pays en développement, où les marges bénéficiaires de la transformation et de la distribution sont beaucoup plus faibles, risqueraient fort d'y perdre bien plus. La libéralisation du commerce international ne modifierait pas la conclusion principale de cette étude - à savoir que les pays en développement deviendront de plus en plus importateurs nets de produits agricoles - mais elle en ralentirait quelque peu le processus.

L'élimination de toutes les distorsions de politique agricole pourrait entraîner un gain socioéconomique mondial de 165 milliards de dollars EU par an, dont les trois quarts profiteraient aux pays développés.

Pourquoi les pays en développement devraient-ils tirer de la libéralisation des échanges des gains bien inférieurs à ceux des pays développés? Entre autres, beaucoup de pays en développement sont devenus importateurs nets de produits agricoles, et une faible hausse des prix mondiaux aurait peu de chances d'en faire des exportateurs nets. Dans les pays en développement importateurs, les consommateurs perdraient beaucoup plus à une libéralisation renforcée que les producteurs n'y gagneraient.

La conclusion selon laquelle les gains des producteurs des pays en développement seraient souvent minimes s'appuie sur un certain nombre de facteurs:

Comment la libéralisation des échanges pourrait-elle profiter aux pays en développement?

Quelles sont les mesures et les stratégies qui garantiraient aux pays les plus pauvres et les plus vulnérables une part équitable des avantages de la libéralisation des échanges?

Il faudrait viser à:

Pour que les pays en développement profitent d'une libéralisation des échanges, il faudra que leurs exploitants agricoles réagissent mieux à l'augmentation et à la stabililisation des prix internationaux que celle-ci devrait entraîner. Il faudra mobiliser énergiquement des ressources pour améliorer la productivité agricole, et par là, sa compétitivité à l'étranger. L'élément le plus important consistera à augmenter les crédits dans les zones rurales, et les investissements dans tous les aspects du soutien à la production et de la transformation des produits agricoles, dont les infrastructures rurales (irrigation, transports, stockage et commercialisation), la recherche, l'éducation et la formation, l'établissement de normes et le contrôle de la qualité.

Des gains considérables découleraient aussi d'autres réformes des politiques. Dans les pays en développement, supprimer les taxes sur les exportations agricoles et les tarifs douaniers sur les importations d'intrants pour l'agriculture (machines, engrais et pesticides) améliorerait les termes de l'échange agricole et aiderait les agriculteurs à être concurrentiels sur les marchés internationaux. Dans les pays développés, supprimer les barrières douanières dans les industries manufacturières à fort coefficient de main d'oeuvre pourrait profiter aux agriculteurs des pays en développement. Une croissance rapide du secteur textile, par exemple, créerait de nouveaux débouchés pour les producteurs de coton des tropiques.

Les exportations non agricoles représentent actuellement plus de 90 pour cent du total des exportations des pays en développement, et plus de 80 pour cent dans le cas des pays les moins avancés. Un accès préférentiel renforcé et élargi aux marchés des produits manufacturés de certains pays développés pourrait améliorer de beaucoup la sécurité alimentaire des pays moins développés en leur offrant dans le futur les moyens de financer leurs besoins, énormes et en rapide augmentation, d'importations alimentaires.

La mondialisation défavorise-t-elle les pays les plus pauvres?

La mondialisation est la désignation récente d'un processus qui dure depuis des siècles. Les nouvelles technologies des transports et des communications - des progrès de la navigation à voile aux navires à vapeur et au télégraphe - ont souvent réduit le coût du mouvement des marchandises dans le monde, favorisant ainsi l'intégration économique. Ces technologies ont récemment vu l'avènement des systèmes de navires roll-on roll-off et porte-conteneurs et de l'Internet, alors que dans un même temps la baisse des barrières au commerce international a facilité encore davantage le mouvement des marchandises et des capitaux.

La mondialisation a abaissé les prix au consommateur, et apporté des investissements et des emplois aux pays en cours d'industrialisation. Mais elle a aussi fait naître des préoccupations largement répandues dans l'opinion publique quant au sort des pays les plus pauvres, dont on craint qu'ils ne soient de plus en plus distancés par le reste du monde.

Il ne fait aucun doute que certains pays peuvent être défavorisés sur le marché mondial par leur géographie. Le manque d'infrastructures peut faire obstacle au transport rapide des produits périssables vers les marchés, ce qui augmente les coûts de commercialisation et décourage donc les investissements. A mesure que de nouveaux investissements sont attirés par les zones les plus favorisées, les pays et les régions accumulant les handicaps géographiques et en infrastructures risquent d'être laissés pour compte, distancés et pris au piège d'un cercle vicieux de désavantages.

Les conditions d'intégration économique diffèrent énormément selon les régions


Sources: données de la Banque mondiale et Gallup et al. (1999)

La plupart des pays pauvres se trouvent dans les tropiques, où les cultures et le bétail sont souvent en proie à la maladie et aux ravageurs, et où une pluviosité excessive ou insuffisante dresse des obstacles supplémentaires à la capacité à participer aux marchés agricoles internationaux. L'éloignement de la mer et le manque de voies d'eau navigables peuvent constituer des désavantages supplémentaires. En dehors d'Europe, les revenus moyens dans les pays sans accès à la mer ne se montent qu'à un tiers de ceux des pays dotés d'un littoral.

L'Afrique subsaharienne, qui est située principalement dans les tropiques et compte une grande proportion de sols à problèmes, souffre de handicaps multiples sur le marché mondial. Seulement 21 pour cent de sa population habite à moins de 100 km de la côte ou d'une rivière navigable, contre 89 pour cent dans les pays à revenu élevé. La proportion de population sans accès au littoral est sept fois plus haute que dans les pays riches. Les pays enclavés d'Afrique ont des frais de transport moyens presque trois fois plus importants que les pays à revenu élevé.

A l'opposé, les régions des Etats-Unis d'Amérique, de l'Europe de l'Ouest, et des zones tempérées de l'Asie de l'Est situées à moins de 100 km d'une côte ne représentent que 3 pour cent des terres habitées du monde, mais regroupent 13 pour cent de sa population et produisent au moins 32 pour cent du PIB mondial.

La combinaison des données sur la population et les revenus dresse un tableau révélateur de la répartition ou de la densité des revenus dans les divers pays et régions. Ce tableau souligne l'importance de l'infrastructure et/ou de la situation géographique, et montre que:

La mondialisation concentre-t-elle trop de pouvoir entre les mains des multinationales?

On accuse souvent la mondialisation de faire passer le pouvoir des gouvernements aux entreprises multinationales (EMN). On reproche à ces multinationales d'abuser de leur emprise sur le marché, d'exploiter les agriculteurs et les travailleurs agricoles du monde entier et d'exercer des pressions sur les gouvernements pour qu'ils assouplissent les normes en matière d'environne-ment et de travail.

Aujourd'hui, les EMN agroalimentaires mènent leurs activités sur une base internationale. Elles sont de plus en plus intégrées verticalement, et englobent l'ensemble des opérations depuis la production et la commercialisation des semences jusqu'à la transformation et la distribution des aliments en passant par l'achat des récoltes.

Quand elles contrôlent de grands segments de la filière d'approvisionnement, ces grandes entreprises profitent d'un pouvoir monopolistique sur la vente et l'achat, et peuvent par conséquent exercer des pressions sur les agriculteurs et les détaillants. Par le biais de contrats de production ou par des accords de copropriété des terres ou du bétail, elles peuvent obliger les agriculteurs à acheter leurs intrants à l'entreprise et à lui vendre exclusivement leurs produits. Les agriculteurs risquent aussi de perdre leur indépendance et de devenir plus ou moins des employés de l'entreprise dans leurs propres exploitations. Il est également vrai que les EMN peuvent déplacer leurs activités de pays à pays à la recherche de coûts plus bas (salaires compris), et de normes moins strictes en matière d'environnement et de travail, ce qu'elles ne se privent pas de faire.

Les avantages de la mondialisation

Si, toutefois, les revendications souvent exprimées en faveur de la parité mondiale des salaires et des normes environnementales étaient satisfaites, un considérable avantage concurrentiel serait retiré aux pays les plus pauvres, et cela risquerait d'endiguer le flux des investissements qui y entrent et de compromettre gravement leur développement.

Les pays qui excluraient les EMN se priveraient des meilleurs circuits disponibles pour mettre leurs produits sur le marché mondial. Les EMN améliorent généralement les compétences, méthodes et normes locales à mesure qu'elles s'étendent dans un pays. A la fin des années 1980, par exemple, dans la province chinoise de Heilongjang, la société Nestlé a fait construire des routes rurales, organisé la collecte du lait et apporté aux exploitants des fermes laitières une formation en matière de santé et d'hygiène animales.

Des géants tentaculaires

Suite au mouvement de concentration des entreprises, quatre sociétés basées aux Etats-Unis d'Amérique et regroupées en deux alliances - Cargill/Monsanto et Novartis/ADM - contrôlent à elles seules plus de 80 pour cent du marché mondial des semences et 75 pour cent du marché de l'agrochimie.

Un autre géant des Etats-Unis, ConAgra, est l'une des trois plus grandes sociétés minotières d'Amérique du Nord. Elle produit ses propres aliments pour le bétail. Elle occupe la troisième place du secteur de l'alimentation du bétail et la seconde de celui des abattoirs, la troisième pour la transformation du porc et la quatrième pour la production de volailles. Par l'intermédiaire d'United Agri Products, elle vend des produits agro-chimiques et des semences dans le monde entier. Elle possède la grande entreprise de courtage en grains, Peavey. Elle n'est dépassée que par Philip Morris pour la transformation des aliments et elle vend des produits alimentaires sous plusieurs marques dont Armour, Swift et Hunt's.

Les EMN forcent également les entreprises locales à se moderniser pour rester concurrentielles. Des recherches récentes ont montré que plus une industrie nationale est ouverte à la compétition étrangère, plus elle est productive. En fait, la présence d'entreprises étrangères est peut-être le meilleur aiguillon de l'amélioration de la productivité dans beaucoup de pays en développement.

Les entreprises multinationales améliorent souvent les compétences, méthodes, normes et technologies locales à mesure qu'elles s'étendent dans un pays. Elles forcent ainsi les entreprises locales à se moderniser pour rester concurrentielles.

On soutient souvent que la mondialisation appauvrit les pauvres, mais il n'existe aucune preuve de cette affirmation. Certains pays, cependant, risquent de devenir relativement plus pauvres s'ils ne réussissent pas à tirer profit de la mondialisation. Des recherches récentes menées pour le compte de la Banque mondiale suggèrent que l'ouverture aux échanges internationaux stimule la croissance économique. Les pays en développement dont les politiques encouragent l'ouverture ont vu augmenter leur taux de croissance du PIB de 1 pour cent dans les années 1960 à 3 pour cent dans les années 1970, 4 pour cent dans les années 1980 et 5 pour cent dans les années 1990. Une grande partie du reste du monde en développement, par contre, qui compte environ 2 milliards d'habitants, est en train de se marginaliser. Le taux de croissance de l'ensemble de ces pays a été effectivement négatif dans les années 1990.

Dans l'ensemble, les avantages offerts par la poursuite de la mondialisation vont probablement plus qu'en compenser les risques et les coûts. Il est possible d'atténuer les impacts négatifs par des politiques appropriées. Avec un ensemble de mesures comprenant l'ouverture extérieure, des investissements dans les infrastructures, l'encouragement de l'intégration économique et une restriction de la concentration et du contrôle des marchés, la mondialisation pourrait avoir des résultats bénéfiques pour les pauvres.

Densité des revenus dans le monde





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