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5. COMMENT PRENDRE EN CONSIDÉRATION LE RÉGIME FONCIER DANS LA CONCEPTION D’UN PROJET


5.1

L’analyse des questions foncières doit être prévue dès les premières phases de la conception des projets et programmes de développement rural pour contribuer à garantir davantage les droits existants et à prévenir les conflits. Un projet sera plus durable si on tient dûment compte de l’importance du régime foncier pour le développement rural et la sécurité alimentaire. La détermination des différents cas dans lesquels le régime foncier pourrait jouer un rôle et qui pourraient présenter des risques élevés de conflit, est un élément essentiel de la formulation de tout projet. Il en est particulièrement ainsi quand des changements dynamiques, surtout en ce qui concerne les mouvements de population, ont une incidence sur les droits existants des populations déjà en place, que ce soit de façon permanente ou intermittente. Depuis toujours et dans tous les continents, les conflits relatifs aux droits fonciers sont traditionnellement parmi les plus difficiles à résoudre.



5.2

Le présent chapitre examine donc comment les connaissances pertinentes peuvent être intégrées à la conception et à la mise en œuvre d’un projet et quelles sont les compétences et l’expérience nécessaires.

Analyse du régime foncier

5.3

Pour déterminer si un problème risque de se poser en ce qui concerne le régime foncier et plus particulièrement si un conflit peut en résulter, la meilleure façon est de chercher à répondre à deux questions: «quel est le régime foncier existant?» et «quels sont les effets ou les répercussions probables du projet?».



5.4

Quel est le régime foncier existant?? Pour répondre à cette question, il faut déterminer la nature des dispositions foncières existantes avant la mise en œuvre du projet ou avant la concrétisation des changements qui en découleront. Il faudra vraisemblablement pour cela déterminer la situation en ce qui concerne:




  • le cadre formel juridiquement défini, généralement stipulé par la loi, en déterminant les intérêts légaux formels effectivement en présence;

  • les modalités des régimes collectifs ou coutumiers, généralement administrés par l’autorité coutumière compétente, en déterminant quels intérêts informels ou définis par la coutume existent effectivement.

5.5

On peut très facilement tomber dans le piège de penser que, simplement parce que personne ne semble occuper un terrain à un moment donné, cela veut dire que ce dernier ne fait l’objet d’aucun droit foncier. Il est courant, par exemple, que quelqu’un fasse valoir ses droits périodiquement, que ce soit de façon régulière ou irrégulière. Dans certains cas, une zone peut faire l’objet de droits saisonniers, notamment pour le pâturage, dont le détenteur se prévaut généralement chaque année. Il se peut aussi que des droits soient reconnus pour des terres occupées seulement irrégulièrement au fil des ans, par exemple dans le cas des zones semi-arides, dans lesquelles les pasteurs déplacent leur troupeau en fonction des endroits arrosés par les pluies, ou encore dans les systèmes d’agriculture sur brûlis où certaines parcelles sont peut-être défrichées tous les 20 ans et cultivées alors pendant trois ans.



5.6

Quels sont les effets ou les répercussions probables du projet? Cette deuxième question nécessite une évaluation des changements qui résulteront du projet, en tenant compte de l’influence de divers facteurs, comme les mouvements de population, etc. Les exemples vont des cas les plus évidents, comme la réinstallation de personnes déplacées dans le cadre des phases initiales d’un programme d’alimentation d’urgence, aux cas où les personnes habitant traditionnellement la zone voient leur accès aux ressources réduit au profit des populations réinstallées, ce qui peut occasionner des frictions. Les politiques favorisant l’égalité entre les sexes et l’accès à la terre et à d’autres ressources créent aussi une nouvelle dynamique.



5.7

Il est difficile de prévoir tous les détails des répercussions probables de la nouvelle dynamique. L’analyse des réponses à ces deux questions permettra toutefois d’élaborer une série de stratégies à court, moyen et long termes au moyen desquelles on pourra alors offrir un accès équitable aux ressources pour assurer la sécurité alimentaire et réduire la pauvreté, tout en reconnaissant les droits existants. Ces mesures pourront porter à court terme sur des accords négociés en matière d’accès, à moyen terme sur des changements aux dispositions légales et, à plus long terme, sur des changements culturels, comme ils seront par exemple souvent nécessaires pour assurer la parité entre les sexes.

Moments appropriés pour intervenir

5.8

Quand on élabore un projet, il est important de prévoir la durée et le moment appropriés des interventions touchant le régime foncier. Lorsque l’analyse indique la probabilité de conflits concernant les terres, il est important de prendre, dès les premières phases de la formulation du projet, les précautions appropriées pour soutenir les mesures d’intervention concernant le régime foncier.



5.9

Dans un premier temps, les interventions se feront vraisemblablement surtout au niveau de la conception du projet, par exemple pour veiller à ce qu’il existe des mécanismes appropriés et acceptés pour la protection et l’application des droits existants. On peut aussi prévoir des mesures visant à rendre les détenteurs de droits mieux à même de les faire valoir et à encourager le respect de ces droits. Ces mesures peuvent aussi porter sur des questions spécifiques comme le clôturage de terres communautaires sans autorisation, puisque cela priverait de l’accès à une ressource essentielle des gens qui ne jouissent pas de la sécurité alimentaire.



5.10

À moyen et long termes, les interventions porteront vraisemblablement sur les principaux problèmes d’ordre institutionnel soulevés par les changements apportés au régime foncier. Ceux-ci peuvent aller, par exemple, des modifications devant être apportées au cadre juridique jusqu’à la mise en place de formes appropriées d’enregistrement des droits de propriété foncière.

Compétences et expérience requises

5.11

Les personnes devant travailler dans le domaine foncier doivent posséder une formation théorique et une expérience pratique appropriées. La formation théorique peut couvrir une grande variété de compétences, mais devrait vraisemblablement inclure une spécialisation dans une ou plusieurs disciplines en rapport avec les questions foncières. Des connaissances générales dans ce domaine sont dispensées dans plusieurs types de formation reconnus, et les spécialistes qualifiés auront généralement dû effectuer un stage pratique supervisé agréé pour être reconnus comme tels. Les disciplines pertinentes sont notamment:




  • L’économie foncière.

  • Le droit foncier.

  • Le bornage foncier ou cadastral.

  • L’utilisation des sols et la planification spatiale.

5.12

D’autres disciplines académiques plus générales, en particulier en sciences sociales, sont utiles si elles sont complétées par des études et des recherches portant sur des domaines directement liés aux questions foncières. Ces disciplines plus générales sont notamment:




  • L’agroéconomie, l’économie des ressources naturelles et l’économie du développement.

  • L’anthropologie.

  • La géographie.

  • Les sciences politiques.

  • Le développement régional.

  • La sociologie.

5.13

L’expérience requise doit répondre à certains critères de durée, de période et de niveau de travail. Dix années d’activité dans un domaine lié au régime foncier accompagnée de l’exercice de responsabilités progressivement croissantes sont généralement souhaitables. Certaines compétences en matière foncière sont nécessaires pour tous les projets, mais la nature exacte des compétences requises dans un cas donné sera déterminée par la nature de l’intervention proposée et le contexte dans lequel elle sera réalisée. Vu l’aspect multidimensionnel du régime foncier, les concepteurs de projets de développement rural devraient chercher à bénéficier de la collaboration fructueuse de spécialistes du secteur foncier possédant des compétences complémentaires.

Information nécessaire pour la conception et le suivi d’un projet

5.14

On ne saurait dresser une liste détaillée des points à prendre en considération pour la conception et le suivi d’un projet pouvant avoir des répercussions éventuelles sur le régime foncier. Toutefois, il faut notamment analyser le cadre juridique institutionnel et coutumier ainsi que les indicateurs de suivi et d’évaluation:



5.15

Cadre juridique. La législation et les domaines juridiques qu’il est important d’examiner relativement aux droits fonciers sont notamment les suivants:




  • La Constitution.

  • Les lois sur la gestion des terres publiques - portant sur les activités des organes de l’État en matière foncière.

  • Les autres lois sur la gestion foncière.

  • Les transactions foncières incluant les cessions de biens et les hypothèques.

  • La planification de l’utilisation des sols et le contrôle des subdivisions.

  • Les lois régissant les baux.

  • Les lois sur la famille.

  • Les lois sur l’héritage.

  • Les lois sur la privatisation.

  • Les lois sur l’enregistrement foncier.

  • Les lois sur la gestion des ressources.

  • Les lois sur les impôts fonciers.

  • Les lois sur les collectivités locales.

  • Les lois sur les droits coutumiers en matière foncière.


Il est important de déterminer le degré d’efficacité de l’application pratique du cadre juridique formel, composé des lois mentionnées ci-dessus et de toute autre loi éventuellement pertinente. Une telle évaluation devrait inclure des discussions avec les organes compétents, les spécialistes des questions foncières dans le secteur privé (géomètres, avocats, agents immobiliers, etc.) et avec des résidents.



5.16

Cadre institutionnel. Les organismes fonciers chargés d’administrer les différents éléments du cadre juridique représentent une source importante d’information. Il s’agit, entre autres, de ceux qui s’occupent de l’attribution des terres et de la réinstallation, de l’enregistrement foncier et du cadastre, de l’évaluation et de l’imposition foncières, de la gestion des terres, du développement rural, de l’agriculture, de l’environnement, etc. Il faut déterminer à quel niveau se situe leur action (gouvernemental central, région, district, village, etc.), et il est important d’établir dans quelle mesure les dispositions institutionnelles présentent des lacunes ou font double emploi, ainsi que leur capacité (ou incapacité) à fournir des services concernant le régime foncier et l’administration foncière dans la zone couverte par le projet.



5.17

Cadre coutumier. Pour faire le point sur le cadre coutumier, à la fois du point de vue des principes et concrètement, il faut collecter l’information et analyser la situation sur le terrain. Il est important de déterminer si l’existence de droits officiellement reconnus sur une parcelle empêche la reconnaissance légale de l’existence de droits coutumiers portant aussi sur cette dernière. Dans un tel contexte, il faut examiner toute codification des droits coutumiers éventuellement instaurée par une loi, mais surtout déterminer comment fonctionnent les régimes fonciers coutumiers dans la zone couverte par le projet.



5.18

Indicateurs de suivi et d’évaluation. Le suivi et l’évaluation des répercussions des interventions en développement rural qui peuvent influer sur le régime foncier devraient constituer une partie importante de la conception du projet et devraient pouvoir servir à ajuster et amplifier un projet en cours. Il convient de réaliser d’abord une étude de référence par rapport à laquelle on déterminera les changements réalisés en collectant ultérieurement des données. Les éléments liés au régime foncier qu’il faudrait noter et contrôler varieront selon la nature du projet, mais ils devraient être basés sur divers indicateurs d’ordre social et économique permettant d’identifier tout changement éventuel. Il convient toutefois de signaler que les renseignements recueillis sont rarement neutres. La terre est une ressource limitée qui fait l’objet d’intérêts concurrents, et toute modification des dispositions relatives au régime foncier peut favoriser certaines personnes et porter préjudice à d’autres.

Partenaires locaux éventuels

5.19

La connaissance locale des questions foncières est essentielle parce que les dispositions prévalant dans ce domaine sont influencées par les pratiques sociales, culturelles, économiques et politiques locales qui, à leur tour, subissent l’influence de l’histoire et de la géographie locales. Le niveau de connaissance des personnes actives dans ce secteur peut varier considérablement d’un pays à un autre, mais il devrait être possible de déterminer auprès de qui se renseigner en procédant de la façon suivante:



5.20

Gouvernement. On peut vraisemblablement obtenir des renseignements sur le cadre juridique régissant le régime foncier et l’utilisation des sols dans un pays en consultant les bureaux gouvernementaux compétents, y compris les ministères s’occupant spécialement des questions foncières, le Ministère de l’agriculture, le Ministère du développement régional et d’autres, comme le Ministère de l’environnement. Les renseignements précis sur le régime foncier formel utilisé dans une zone déterminée peuvent être obtenus auprès des services d’enregistrement ou du cadastre lorsque ceux-ci existent et que les dossiers sont régulièrement tenus à jour, ce qui n’est souvent pas le cas dans de nombreux pays en développement ou en transition. En outre, l’enregistrement de certains intérêts juridiques formels tels que les baux à court ou moyen terme n’est pas nécessairement requis par la loi.



5.21

Autorités coutumières et associations communautaires. Pour se renseigner sur les intérêts communautaires ou coutumiers, le mieux est vraisemblablement de consulter les membres appropriés de la hiérarchie sociale chargés de se prononcer sur les attributions de terres. Il faut toutefois faire preuve d’une grande prudence, car les différentes parties prenantes peuvent avoir des points de vue différents et chercher à défendre leurs propres intérêts. De plus, certaines personnes concernées voudront peut-être cacher des détails concernant leur situation foncière pour diverses raisons, par exemple pour réduire leurs obligations fiscales au cas où un système d’impôt foncier devrait être mis en place ultérieurement.



5.22

Universités. Il est souvent très utile d’obtenir l’avis de personnes qui n’ont aucun intérêt en jeu et, par exemple, de consulter les départements des universités locales qui s’occupent de questions foncières, normalement ceux où l’on enseigne la topographie, l’économie foncière, la gestion des biens et le droit (mais ils sont loin d’exister dans toutes les universités) ainsi que d’autres disciplines comme l’anthropologie, la géographie et la sociologie.



5.23

Organisations non gouvernementales (ONG). Les ONG actives dans le secteur foncier peuvent fournir des renseignements utiles et proposer des priorités différentes de celles des administrateurs fonciers du secteur public. Outre les organisations locales, des ONG de l’extérieur ont parfois réalisé des études du régime foncier.


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