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4. Méthodes de gestion


4.1. Définition d’un plan de gestion écosystémique

Ce chapitre donne des directives quant à la méthode à suivre pour établir et réviser des plans de gestion dans le cadre d’une gestion écosystémique. Ces directives s’appliquent dans tous les cas, que la pêche soit nouvelle, qu’elle passe d’une gestion axée sur les ressources ciblées (ou autre méthode de gestion) à l’approche écosystémique ou qu’elle soit régulièrement gérée par une méthode écosystémique mais en voie de transformation (adoption de nouveaux engins, de nouvelles zones d’exercice, etc.). Les étapes décrites dans ces directives font déjà, pour bon nombre d’entre elles, partie des bonnes pratiques d’établissement des plans de gestion selon la méthode axée sur les ressources ciblées.

Comme l’indiquent les Directives pour l’aménagement des pêcheries, la définition d’un plan de gestion est un élément fondamental de la gestion. Celui-ci doit consister en un arrangement formel ou informel entre l’autorité compétente en matière de pêche et les parties intéressées. Le plan devrait décrire le contexte de la pêche, y compris tous les principaux acteurs (ou parties intéressées), les objectifs convenus (comprenant les composantes économiques, sociales et écologiques de la pêche) et les règles et règlements spécifiques qui lui sont applicables (pour plus de détails, voir l’encadré n° 3).

Le processus d’établissement et de modification d’un plan de gestion écosystémique requiert une série d’étapes répétitives (voir la figure 1) qui comprennent: définition du champ d’action initial; recueil d’informations générales et analyse; fixation d’objectifs (objectifs d’orientation et objectifs opérationnels avec leurs indicateurs et leurs mesures des résultats respectifs); définition de règles et suivi, évaluation et révision.

Les présentes directives se veulent aussi complètes que possible, et décrivent donc une situation idéale. Dans de nombreux cas, il n’y aura pas assez de capacités et d’informations pour traiter tous les points. Les méthodes présentées dans les directives méritent cependant d’être utilisées même lorsque les données sont rares et qu’il faudrait développer substantiellement les capacités. Le résultat de la méthode indiquera comment la gestion peut constituer un commencement d’application des objectifs d’orientation présentés dans les divers accords internationaux [ceux-ci sont résumés dans la section «Généralités» et développés à l’annexe I]. Concrètement, le seul fait d’appliquer la méthode permettra d’améliorer la gestion halieutique.

Encadré n° 3
Éléments pouvant être inclus dans un plan de gestion halieutique suivant une approche écosystémique

TITRE

GÉNÉRALITÉS

Aspects sociaux et institutionnels

Zone d’activité de la pêcherie, juridiction dont elle relève et «frontières» de l’écosystème

Historique de la pêcherie et de sa gestion

Avantages socioéconomiques pour le présent et pour l’avenir

Description des acteurs et de leurs intérêts

Description des autres usages et usagers de l’écosystème, particulièrement des activités susceptibles d’avoir des effets importants, et modalités de la coordination et de la concertation

Concertation aboutissant au plan

Modalités de concertation continue

Description détaillée des mécanismes de décision et participants reconnus

Description de l’activité et des ressources halieutiques et de l’écosystème

Description des ressources (espèces ciblées et produits accessoires)

Description de l’écosystème aquatique dans lequel se déroule la pêche

Description des types de flotte ou des catégories de pêche

Problèmes écologiques

Description détaillée des milieux menacés, particulièrement des zones sensibles

Description détaillée des problèmes de capture accessoire, y compris d’espèces menacées ou protégées

Description détaillée des autres problèmes écologiques, y compris les problèmes de biodiversité et d’altérations trophiques

OBJECTIFS

Objectifs, points de référence et mesure des résultats de la pêche

· Ressources

· Milieu (y compris prises accessoires, habitats, protection des proies, biodiversité, etc.)

· Objectifs sociaux

· Objectifs économiques

MESURES DE GESTION

Mesures convenues pour réglementer la pêche de manière à atteindre tous les objectifs dans un délai convenu, y compris en ce qui concerne les prises accessoires, la protection des habitats, la protection des proies, etc.

RÈGLES DE DÉCISION

Règles convenues à l’avance pour l’application des mesures de gestion

DROITS D’ACCÈS

Nature des droits accordés aux pêcheurs et caractéristiques des titulaires des droits

ÉVALUATION DE LA GESTION

Dernier état connu des stocks y compris ceux d’espèces prises involontairement, établi à partir d’évaluations des risques et des stocks à l’aide des indicateurs convenus et des mesures de résultats

État de l’écosystème aquatique établi à l’aide des indicateurs convenus et des mesures de résultats

Analyse socioéconomique à l’aide des indicateurs convenus et des mesures de résultats

SUIVI, CONTRÔLE ET SURVEILLANCE

Modalités du suivi, du contrôle, de la surveillance et mesures pour faire respecter la réglementation

COMMUNICATION

Stratégie de communication

Renseignements détaillés sur les projets d’éducation et de formation des parties intéressées

BILAN

Date et nature du prochain bilan et du contrôle des résultats de la gestion

Source: Adapté de: Département des pêches de la FAO, Aménagement des pêcheries, Directives techniques pour une pêche responsable, n°4, Rome, 1997. Les éléments nouveaux figurent en italiques.


Figure 1. Mise en place d’une gestion écosystémique

Représentation schématique de l’élaboration, de la modification et de la mise en oeuvre d’un plan de gestion écosystémique. Les chiffres renvoient aux section du texte qui suit. On notera que les étapes définies dans l’encadré n° 1 sont des subdivisions de la section 4.1.4 Fixation des objectifs

En raison des différentes échelles de temps auxquelles se déroulent les processus développés dans l’encadré n° 3, il peut se révéler nécessaire d’avoir au moins deux composantes du plan, par exemple un plan de haut niveau mis en place pour une période de 3 à 5 ans, qui définit les grands objectifs de la gestion et les mesures permettant de les atteindre, et un autre plan ou rapport correspondant au cycle annuel de la fixation et de la révision des objectifs opérationnels spécifiques, des indicateurs et des mesures des résultats. Avec le temps, les objectifs opérationnels devenant plus stables ces derniers éléments pourraient être inclus formellement dans le plan de haut niveau.

4.1.1. Consultation

Pour que les intéressés s’investissent dans le plan et son application, il faut qu’ils soient associés à tous les stades du processus par la concertation et la participation. De même que leur nombre, l’éventail des intérêts et des aspirations sera probablement plus grand que dans la gestion axée sur les ressources ciblées, et il faudra trouver des manières de faire pour s’assurer que la diversité des points de vue est suffisamment représentée par ceux qui seront appelés à participer sans que le groupe devienne trop important et difficile à manier. Il faudra également traiter soigneusement les questions de capacité et d’engagement des parties intéressées, et créer des procédures formelles transparentes pour permettre à toutes les parties de travailler en collaboration. Dans certains cas, des contraintes logistiques pourront amener à limiter la participation des intéressés. Il conviendra alors de veiller soigneusement à maintenir la transparence, la crédibilité et l’appropriation des résultats.

4.1.2. Définition du champ d’application d’un plan de gestion des pêches suivant l’approche écosystémique

4.1.2.1 Identification de la pêcherie, de la zone et des parties intéressées

Le premier pas dans l’élaboration d’un plan de gestion écosystémique consiste à identifier la ou les pêcherie(s) et les zones géographiques qui seront concernées. Pour l’approche écosystémique, ce travail risque d’être beaucoup plus difficile que dans le cas d’une gestion axée sur les ressources ciblées, bien que la ou les pêcheries relevant du plan de gestion soient parfois spécifiées avant le commencement du processus. L’idéal serait que la couverture spatiale du plan de gestion coïncide avec un écosystème nettement et précisément défini. Cependant, les écosystèmes ne sont pas des entités clairement définies et dotées de frontières univoques, ils peuvent être à cheval sur des zones de gestion, ou celles-ci en contenir plusieurs. En dernier ressort, le choix de la ou des pêcheries et de la zone géographique à inclure dans le plan de gestion dépendra des questions identifiées à l’étape 4.1.2.2, mais une délimitation préliminaire de la zone concernée est nécessaire, ne serait-ce que pour permettre d’identifier les parties intéressées. Dans la pratique, les étapes préliminaires sont interactives et les choix initiaux peuvent être adaptés à mesure que les étapes ultérieures révèlent de nouveaux éléments d’information ou font apparaître de nouveaux sujets de préoccupation. D’un point de vue concret, l’approche écosystémique devra reconnaître les pêcheries, les entités de gestion et les juridictions existantes sur lesquelles elle s’appuiera en les complétant. Dans certains cas, il s’agira d’ajouter des éléments au plan de gestion d’une pêcherie donnée, alors que dans d’autres il faudra coordonner des mesures supplémentaires concernant plusieurs pêcheries (voir la section 4.2).

4.1.2.2 Identification des principaux problèmes de la pêche

L’étape suivante consiste, pour les parties impliquées dans le processus, à procéder à une première évaluation des problèmes associés à la pêche dans le but d’identifier, autant que faire se peut, toutes les conséquences possibles de la (ou des) pêche(s) et les outils et options de gestion susceptibles d’être employés.

L’évaluation devrait porter sur les composantes économiques, sociales et écologiques du développement durable et s’inspirer des objectifs d’orientation de haut niveau fixés au niveau national ou régional. Les considérations écologiques devraient comprendre:

Plusieurs schémas utiles pour diriger ce processus ont été décrits dans les Directives techniques concernant des indicateurs pour le développement durable des pêcheries marines[9]. Il existe par exemple l’approche «pression - situation - réponse», ou celle du schéma hiérarchique. Le schéma permet de rassembler toutes les questions pertinentes. Dans les présentes directives, la subdivision hiérarchique adoptée en Australie a été retenue (voir la figure 2)[10]. La force de cette approche réside dans le fait qu’elle traite explicitement de la hiérarchie des questions et des objectifs intrinsèques de la gestion halieutique qui concordent avec la réalisation d’un développement durable, les reliant aux objectifs d’orientation fixés à un niveau plus élevé. L’arborescence commence avec les deux principales visées du développement durable, à savoir le bien-être humain et le bien-être écologique, et elle inclut la capacité de gestion en y ajoutant une troisième composante relative à la capacité de réalisation (comprenant la gouvernance et l’effet de l’environnement sur la pêche).

Figure 2. Schéma hiérarchique permettant d’identifier les grands problèmes d’une pêcherie

4.1.3. Compilation et analyse des informations générales

Lorsque les questions écologiques et socioéconomiques importantes ont été définies, il convient de compiler et d’analyser les informations pertinentes pour permettre la formulation d’objectifs plus détaillés. Il s’agit normalement d’une étude sur documents consistant à recenser les informations disponibles. Dans le cadre d’une approche écosystémique, l’accent portera davantage que dans celui d’une gestion axée sur les ressources ciblées sur l’analyse des effets de la pêche sur l’environnement, en termes d’habitat et d’effets directs et indirects sur les biotes autres que les espèces ciblées (les données et les informations requises sont indiquées au chapitre 2).

4.1.4. Fixation des objectifs

4.1.4.1 Fixation des grands objectifs de la pêcherie

Les grands objectifs de la pêcherie définissent les résultats que l’on voudrait obtenir du plan de gestion pour traiter l’ensemble des questions définies au point 4.1.2.2. Ces grands objectifs constituent le lien entre les principes, les objectifs d’orientation, les grands problèmes et ce qu’une pêcherie donnée s’efforce de réaliser. Par exemple, les grands objectifs de gestion d’une pêcherie donnée pourraient être de:

Il importe que ceux qui sont chargés de fixer les grands objectifs fassent participer ceux qui sont chargés de mettre en oeuvre les politiques et les accords concernés. Dans la plupart des situations, il s’agira de mobiliser plusieurs niveaux de gouvernement et plusieurs grands groupes d’intéressés.

4.1.4.2 Conception des objectifs opérationnels à partir des grands objectifs

Pour l’application de l’approche écosystémique, les grands objectifs doivent être traduits en objectifs opérationnels directement et concrètement perceptibles dans le contexte de la pêcherie et qui serviront de repères pour évaluer les résultats de la pêche et de sa gestion. Le processus consistant à élaborer des objectifs opérationnels à partir des grands objectifs devrait être transparent et participatif. Cela permettra aux parties intéressées de comprendre la conception et le choix des objectifs opérationnels, d’y participer et de s’approprier ces objectifs, et contribuera à mieux les faire respecter.

Les pêcheries et leur écosystème comportent de nombreux problèmes potentiels, mais il existe une limite concrète au nombre des objectifs opérationnels (et des indicateurs liés) qui peuvent être utiles pour prendre des décisions de gestion. La définition des grands objectifs devrait aussi consister à trier parmi un grand nombre de possibilités pour ne retenir que les plus importantes et les plus réalistes. Les modalités de concertation et de décision pour la conception des objectifs opérationnels à partir des grands objectifs varient d’une pêcherie à une autre. Toutefois, elles doivent nécessairement comporter trois étapes:

L’idéal serait que des experts techniques compétents puissent participer à ces étapes en procédant à une estimation dont les modalités sont décrites à la section 4.1.6. L’information devra circuler entre ce processus et l’analyse et l’évaluation effectuées par l’équipe chargée de l’estimation. Par exemple, la définition des priorités peut nécessiter une analyse exploratoire et l’identification ou la spécification d’un objectif opérationnel possible, et elle peut comporter plusieurs étapes aboutissant à dégager et à essayer des options envisageables. Il peut être décidé, en particulier lors de la fixation de l’objectif opérationnel, que les informations disponibles ne permettent pas de traiter de manière satisfaisante un problème important, et qu’il y a lieu de recueillir certaines données pour pouvoir continuer à progresser dans l’élaboration des plans de gestion écosystémique. Si les compétences techniques ou la possibilité décrite n’existent pas, il peut néanmoins être utile et constructif de poursuivre de quelque manière que ce soit, par exemple en recourant à des jugements qualitatifs.

i) Recenser les problèmes relevant de chacun des grands objectifs

La manière la plus facile de procéder pour cette étape est de commencer par un grand objectif et de développer l’arborescence hiérarchique en y ajoutant tous les problèmes relevant de cet objectif pour une pêcherie donnée. La ramification se fait en passant du haut niveau du problème au niveau opérationnel, en ajoutant autant de branches qu’il le faut pour que le problème puisse être traité par une ou plusieurs des mesures définies au chapitre 2. Un exemple est donné à la figure 3.

La figure 3 montre deux problèmes spécifiques relevant du grand objectif applicable aux espèces exploitées:

Par un processus analogue, d’autres grands objectifs peuvent être traduits en problèmes spécifiques pouvant servir à élaborer des objectifs opérationnels tels que minimiser les prises de certaines espèces vulnérables ou menacées, maintenir le niveau de certains habitats essentiels non exploités, maintenir certaines populations servant de proies à un niveau supérieur à 75 pour cent de la biomasse non exploitée pour nourrir les prédateurs et réaliser un revenu net sur investissement comparable à celui d’autres industries. Ces exemples nécessiteront tous de poursuivre la ramification jusqu’à des niveau de spécificité variant selon la pêcherie (les tortues, par exemple, peuvent poser problème dans une pêcherie et nécessiter des objectifs spécifiques, alors que pour une autre, le problème viendra des oiseaux de mer).

Figure 3. Identification des problèmes spécifiques par la méthode de la hiérarchisation

*Grand objectif: obtenir un rendement important et durable de l’espèce ciblée

**RCMLT = niveau du stock qui fournira le rendement maximal à long terme

Il faudra donner des interprétations opérationnelles de certaines notions et intentions faisant partie des objectifs d’orientation de haut niveau et qui sont actuellement mal définis ou mal compris, tels que biodiversité, intégrité de l’écosystème, fonction de l’écosystème. Cela demandera des prises de position, mais, surtout, le fait de définir progressivement le problème en termes de plus en plus opérationnels incitera à prendre des positions explicites et fournira les arguments permettant de les expliquer. On peut, par exemple, arriver à la conclusion que la fonction de l’écosystème est susceptible d’être réalisée par un objectif opérationnel selon lequel toutes les espèces ciblées et les prises accessoires seront gérées à des niveaux de population dérivés de leur rendement constant maximal à long terme et qu’aucun grand type d’habitat ne sera réduit par rapport au niveau actuel. D’un autre côté, la conclusion peut être que la fonction de cet écosystème est susceptible d’être réalisée par un objectif opérationnel selon lequel 40 pour cent de la superficie occupée par la communauté écologique contenant l’espèce ciblée doivent être placés en ZMP.

Figure 4. Étude qualitative des risques permettant de repérer les problèmes les plus urgents

A mesure que les connaissances scientifiques des écosystèmes s’amélioreront, les raisons seront plus nombreuses de choisir certains objectifs opérationnels particuliers pour atteindre les objectifs d’orientation relatifs à la biodiversité et à la fonction des écosystèmes, mais il n’en reste pas moins nécessaire de donner des interprétations opérationnelles élaborées pour la pêche et de les justifier.

ii) Classer les problèmes

Les problèmes susceptibles de se présenter dans cette première étape du processus sont nombreux et leur pertinence varie souvent considérablement. La seconde étape consiste à classer par ordre de priorité les problèmes qui se présentent aux échelons inférieurs de l’arborescence pour déterminer ceux qui nécessiteront l’élaboration d’objectifs opérationnels détaillés, d’indicateurs et de points de référence. Une approche pragmatique consiste à procéder à une évaluation des risques. L’évaluation des risques peut être qualitative et subjective, ou être hautement quantitative et fondée sur des données. Le niveau qui convient dépend des circonstances, mais il devra toujours être fait appel aux meilleures pratiques compte tenu des informations disponibles pour réaliser au moins une étude qualitative des risques et une évaluation des capacités. De nombreuses méthodes sont bien décrites pour réaliser les études qualitatives des risques. L’une d’entre elles consisterait, par exemple, à noter sur une échelle, disons de 1 à 5, la probabilité et les conséquences d’un échec pour chaque problème. Les problèmes hautement prioritaires sont ceux ayant de fortes chances de se produire et dont les conséquences seraient importantes (voir la figure 4).

iii) Concevoir des objectifs opérationnels pour les problèmes prioritaires et, au besoin, une méthode de suivi pour certains problèmes moins urgents

Ensuite, chaque problème peut être traité dans le plan de gestion selon le risque qu’il comporte. Les problèmes à haut risque sont subdivisés en objectifs opérationnels détaillés. Certains problèmes à risque moyennement élevé pourraient justifier la mise au point d’un mécanisme de suivi dans le cadre du plan et d’une sorte de plan d’intervention. Les problèmes à faible risque pourraient être notés dans le plan avec une mention expliquant pourquoi ils sont considérés comme étant à faible risque. Dans le prolongement de l’exemple des espèces ciblées donné plus haut, l’objectif opérationnel correspondant aux deux problèmes spécifiques relatifs à l’espèce ciblée pourrait consister à maintenir le stock des reproducteurs au dessus de 40 pour cent du niveau non exploité estimé.

Pour élaborer les objectifs opérationnels, on tient compte du degré de connaissance et d’incertitude concernant le problème considéré, et en particulier de l’incertitude résultant du fait que l’on ne sait pas précisément avec quel degré de fiabilité l’objectif correspond au grand objectif, et donc dans quelle mesure la pêche contribuera à un développement durable. L’objectif opérationnel devrait devenir plus rigoureux à mesure que l’incertitude augmente, de sorte qu’en atteignant l’objectif opérationnel on atteindra le grand objectif auquel il correspond avec un degré de risque aussi faible, et ce malgré l’incertitude.

Certains objectifs opérationnels peuvent être contradictoires parce qu’ils correspondent à des objectifs d’orientation ou des grands objectifs de pêche contradictoires ou encore à des interprétations contradictoires de ces objectifs. Il convient d’éviter les contradictions inutiles, mais il peut aussi s’agir de demandes réellement concurrentes que le plan de gestion de la pêche cherche à équilibrer. La conciliation de ces demandes concurrentes s’effectue par interaction entre la fixation des objectifs opérationnels et la fixation des indicateurs et points de référence (section 4.1.4.3), en tenant compte des méthodes techniques décrites à la section 4.1.6. Les divers indicateurs et points de référence se rapporteront à des aspects très variés de l’écosystème et de la pêche auxquels il peut être difficile, voire impossible, de satisfaire en même temps. Certaines combinaisons d’espèces ciblées, par exemple entre espèces prédatrices et proies, peuvent n’être pas possibles en raison de leurs interactions biologiques.

4.1.4.3 Méthode de sélection des indicateurs et des points de référence pour chaque objectif opérationnel

L’étape suivante consiste à convenir des indicateurs, des points de référence et des mesures de l’efficacité (voir l’encadré n° 4). La fixation des objectifs et des mesures de l’efficacité fait maintenant partie de la gestion axée sur les ressources ciblées, mais elle doit être élargie pour inclure tous les objectifs opérationnels écologiques, sociaux et économiques.

Selon l’approche écosystémique, la fixation de points de référence ciblés peut poser davantage de problèmes que dans la gestion axée sur les ressources, surtout pour ce qui concerne les propriétés moins spécifiques des écosystèmes. Il est par exemple clair que l’on pourrait raisonnablement prendre pour objectif la superficie d’habitat benthique à protéger, mais que ce serait plus difficile s’agissant du flux d’énergie traversant une partie donnée d’un niveau trophique. La difficulté tient aux incertitudes que l’on a au sujet des processus écosystémiques et à la nature extrêmement dynamique et variable des écosystèmes. Pour des raisons pratiques, l’indicateur devrait être une propriété de l’écosystème dont on pense qu’elle est modifiée par la pêche, de sorte qu’au moins il y ait un effet vérifiable de la pêche dont on ait repéré un degré ciblé de changement. Si les circonstances ne se prêtent pas à la fixation d’un point de référence ciblé, il convient au moins de fixer un point de référence limite.

Le choix final des indicateurs et des points de référence devrait tenir compte des problèmes techniques, des problèmes de gestion et des problèmes opérationnels d’une pêcherie donnée. L’idéal serait que les indicateurs correspondent aux paramètres qui peuvent être mesurés ou estimés avec un plus grand degré de certitude en tenant compte de la dynamique de la population ciblée et de l’écosystème, et qu’ils puissent être estimés à partir de données qui ont été recueillies ou sont susceptibles de l’être. Le choix devrait aussi dépendre de ce qui peut raisonnablement être accompli d’après le système de gestion et la pêcherie. A la fin du processus, tous les intéressés devraient être assurés que les indicateurs sont à la fois significatifs et maniables. C’est pourquoi le choix des indicateurs et des points de référence doit obligatoirement être un processus itératif consistant à suggérer des possibilités et à les mettre à l’essai, impliquant tous les participants sur le plan technique (discussion à la section 4.1.5) et les partenaires dans l’élaboration du plan de gestion.

Encadré n° 4
Indicateurs, points de référence et mesures de l’efficacité

La fixation d’indicateurs, de points de référence et de mesures de l’efficacité a pour but général de servir de cadre pour évaluer les règles de gestion et l’efficacité avec laquelle la pêche atteint ses objectifs. L’indicateur permet de suivre le résultat recherché défini par l’objectif opérationnel et, lorsqu’il est mis en regard des points de référence cibles ou limites, de mesurer l’efficacité de la gestion. Si les objectifs opérationnels sont clairs et mesurables, l’indicateur qui les accompagne va souvent de soi. Pour un objectif portant sur le niveau de la biomasse du stock des reproducteurs, par exemple, l’indicateur est évidemment la biomasse du stock des reproducteurs. Cependant, il se peut qu’il faille modifier l’indicateur en fonction des données disponibles, des possibilités de communication avec les responsables ou de leur aptitude à modifier la gestion en conséquence.

Les indicateurs et les points de référence donnent des mesures quantitatives simples de l’efficacité: la différence entre la valeur de l’indicateur et son point de référence cible ou limite pour une année donnée.

La cible devrait représenter l’état recherché de l’indicateur et la limite la frontière qu’il n’est pas souhaitable de franchir (il peut s’agir d’une limite supérieure ou d’une limite inférieure, voire des deux). La cible et la limite peuvent être quantitatives (par exemple une valeur cible à laquelle la valeur de l’indicateur devrait se trouver, ou une limite spécifiée que la valeur de l’indicateur ne devrait pas dépasser) ou elles peuvent exprimer une tendance (par exemple l’indicateur devrait augmenter pendant la durée du plan).

Si les objectifs opérationnels sont en concurrence, il se peut que les cibles et les limites fixées se contredisent. Il faudra trouver et caractériser, en procédant aux évaluations décrites à la section 4.1.5, quels sont les arbitrages à faire pour résoudre ces différences, et affiner les objectifs opérationnels, les indicateurs et les points de référence. Certains ajustements pourront obliger certains des intéressés à revenir sur les résultats qu’ils attendaient des écosystèmes ou de la pêche, et pour que le plan soit crédible, les négociations devront être menées par les intéressés eux-mêmes. Comme pour le choix des objectifs opérationnels, les critères retenus pour le choix des indicateurs et des points de référence devront être clairement exposés.

Les publications sur la pêche et les plans de gestion constituent des sources d’indicateurs et de points de référence dont on peut s’inspirer, particulièrement en ce qui concerne les espèces ciblées. Les indicateurs ou objectifs ayant trait à la structure et à la fonction de l’écosystème et à divers aspects de la biodiversité sont beaucoup moins développés, mais la littérature écologique fournit plusieurs indicateurs qui peuvent être envisagés à condition de pouvoir être mis en relation avec des objectifs opérationnels (on en trouvera certains exemples à l’annexe 4). Les données scientifiques à l’appui des critères retenus peuvent différer selon les circonstances, et l’on peut espérer qu’elles s’amélioreront avec le temps à mesure que l’on parviendra à répondre aux besoins de l’approche écosystémique en termes de recherche et d’informations. Toutefois, le manque de certitudes scientifiques ne devrait pas empêcher de choisir des indicateurs et des points de référence jugés importants ou d’exposer clairement les critères d’un choix.

4.1.5. Définition des règles

Après la compilation des informations (voir la section 4.1.3) et la fixation des objectifs opérationnels (section 4.1.4), l’étape suivante consiste à choisir une mesure ou un ensemble de mesures de gestion permettant d’atteindre chacun des objectifs. Ainsi, par exemple, le contrôle des prises peut être la solution préconisée pour une espèce et la limitation de l’effort pour une autre. La fermeture de certaines zones peut être envisagée pour respecter les valeurs assignées à une pêche multispécifique ou pour répondre aux objectifs de protection de l’habitat. Ce processus devra tenir compte à la fois de la qualité des données et de leur accessibilité, dans l’immédiat et à l’issue d’un programme de surveillance accrue.

La mise au point des mesures et des règles de décision (voir l’encadré n° 5) devrait, dans l’idéal, s’appuyer sur des analyses de données rigoureuses, et notamment sur une modélisation de la dynamique du système ou du soussystème. Toutefois, comme les auteurs le soulignent tout au long des présentes directives, des capacités insuffisantes à cet égard ne sont pas une raison de ne pas appliquer l’approche générale. Même lorsque les données existantes sont rares, il convient étudier et d’analyser objectivement les meilleures informations disponibles. En pareil cas, une extrapolation à partir des régions mieux étudiées peut donner des indications sur les objectifs opérationnels à retenir avec les règles de décision qui les accompagnent.

Encadré n° 5
Règles de décision et approche écosystémique

Le recours à certaines mesures de gestion devrait s’accompagner de règles de décision concernant la manière de les appliquer. Les règles définissent les mesures de gestion qu’il convient de prendre dans différentes circonstances, souvent déterminées par la valeur d’un indicateur par rapport à un point de référence cible ou limite (voir l’encadré n°4). Les règles de décision devraient fixer la manière de déterminer la mesure de gestion à prendre, les données à recueillir et la manière de les utiliser pour déterminer la mesure. Elles peuvent être quantitatives (par exemple fixation de limites de capture pour l’espèce considérée en fractions d’abondance spécifiées à l’avance et dérivées d’études) ou être qualitatives (par exemple une certaine valeur d’un indicateur déclenche la décision d’avancer le bilan de la gestion).

Des règles de décision fondées sur une approche écosystémique sont appliquées en Afrique du Sud aux pêcheries de sardine et d’anchois, régies principalement par des totaux admissibles de capture (TAC). Un TAC est fixé pour chaque espèce, mais les sardines juvéniles constituant des prises accessoires dans la pêche à l’anchois, le TAC de sardine doit tenir compte des prises probables dans la pêche à l’anchois. Les règles qui étaient utilisées pour fixer le TAC de sardine entre 1994 et 1996 sont ici données à titre d’exemple. Les données utilisées dans les règles de décision sont les estimations d’abondance tirées d’études hydroacoustiques des populations de sardines et d’anchois effectuées chaque année: l’une en novembre pour estimer la biomasse des adultes et la seconde au milieu de l’année pour estimer le recrutement de l’année. Un TAC initial est fixé au commencement de l’année sur la base de l’estimation de la biomasse du mois de novembre précédent, et il est révisé au milieu de l’année lorsque le recrutement a été estimé.

Les règles de décision pour le TAC de sardine sont les suivantes:

TAC initial

· Prises ciblées = 10 pour cent de la biomasse de la population adulte estimée au mois de novembre précédent;

· Prise accessoires = 7 500 tonnes + 6 pour cent du TAC initial d’anchois (déterminé dans le cadre d’une procédure de gestion distincte);

TAC révisé en milieu d’année

· Prises ciblées = sans changement par rapport au TAC initial;

· Prises accessoires = 7 500 tonnes + y pour cent du TAC révisé d’anchois (déterminé dans le cadre d’une procédure de gestion distincte), y variant entre 6 et 12 selon le recrutement total de l’année estimé dans l’étude de milieu d’année.

Les règles de décision sont de simples

équations qu’il est facile d’appliquer lorsque les résultats de l’étude ont été calculés. Le TAC initial de prises accessoires constitue un TAC minimal qui ne peut être augmenté qu’au moment de la révision de milieu d’année, ce qui correspond au fait qu’il est très probable que le TAC initial ait déjà été pris au milieu de l’année, au moment de la révision. Les paramètres essentiels des équations ont été soigneusement choisis sur la base des nombreuses études de la dynamique de la population de sardines et de la pêche utilisant un modèle mathématique. On a constaté que les valeurs de ces paramètres constituaient des règles de décision permettant de s’approcher de très près des objectifs opérationnels de la pêche à la sardine.

Plusieurs méthodes d’analyse peuvent être employées pour mettre au point les règles de décision. L’une d’entre elles pourrait être une forme développée de gestion annuelle axée sur les ressources ciblées qui utiliserait toutes les données disponibles pour évaluer au mieux la productivité et l’abondance d’une espèce. Cette approche est celle employée, par exemple, par la Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique qui fixe, par mesure de précaution, des limites de capture des espèces servant de proies pour tenir compte de l’action des prédateurs.

Les autres méthodes s’intéressent davantage au plus long terme et peuvent s’inspirer d’une approche de «procédure de gestion» élargie ou d’”évaluation de la stratégie de gestion» (voir l’encadré n°6). Jusqu’ici, celle-ci a été appliquée principalement à la gestion axée sur les ressources ciblées, mais il pourrait être utile de la développer pour y ajouter les considérations plus vastes de l’approche écosystémique. Cependant, étant donné que l’on connaît mal les formes précises des interactions entre les espèces, les degrés d’incertitude ne pourront qu’augmenter si l’on tient compte des interactions entre espèces.

Une autre approche consiste à exploiter les interactions observées entre les espèces dans les pêches multispécifiques (par exemple le pourcentage de prises accessoires de l’espèce B dans la pêche à l’espèce A) pour calculer un vecteur multispécifique de capture admissible d’espèces ciblées de manière à atteindre les objectifs fixés pour les espèces non ciblées. La Commission internationale des pêches de l’Atlantique du Nord-Ouest (NAFO) applique une programmation linéaire aux taux de prises accessoires pour optimiser un vecteur multispécifique de TAC.

4.1.6. Suivi, évaluation et réexamen

Le plan de gestion écosystémique devrait prévoir des réexamens à intervalles réguliers permettant d’apprécier dans quelle mesure la gestion appliquée réussit à atteindre les objectifs. Ces réexamens bénéficient des données recueillies dans le cadre d’un programme de suivi efficace et bien dirigé et analysées par des experts techniques compétentes. Ils doivent être effectués sous l’égide d’un groupe désigné d’intéressés auquel des rapports sont régulièrement adressés, et doivent porter sur le court et le long terme.

Encadré n° 6
Évaluation de la stratégie de gestion

L’évaluation de la stratégie de gestion s’efforce de modéliser et de simuler le processus de gestion dans sa totalité. Elle consiste à établir des projections de l’état des ressources halieutiques et d’autres paramètres de l’écosystème sur plusieurs années en suivant diverses options de décisions. Cela permet alors de choisir et d’appliquer la mesure et les règles de gestion donnant les meilleurs résultats au regard des objectifs spécifiés. Cette procédure est très utile pour définir des stratégies de gestion qui résistent aux incertitudes scientifiques. Les mesures de précaution et les règles de décision sont définies en jaugeant leur efficacité par rapport à une série de facteurs complexes susceptibles d’être à l’oeuvre dans la pêche concernée à l’aide d’un choix de points de référence comportant des degrés de risque acceptables. Une évaluation de ce type donne généralement des résultats analogues à ceux d’une étude des risques classique: plus l’incertitude est grande, plus la gestion devra être prudente pour maintenir les risques à des niveaux acceptables.

La procédure peut tenir compte des incertitudes grâce à une règle de décision qui évolue et s’améliore avec le temps, reposant sur la remontée de l’information sur les résultats des années antérieures. Les mesures de gestion peuvent aussi être automatiquement ajustées dans le temps pour tenir compte des nouvelles données à mesure qu’elles deviennent disponibles, ce qui permet de réduire le niveau d’incertitude.

Jusqu’à présent, cette méthode a principalement été appliquée pour la gestion de stocks uniques dans laquelle un modèle du processus de décision et de gestion est coulé sur le modèle de la dynamique du stock. L’approche doit être élargie pour tenir compte des objectifs de l’approche écosystémique, dont la première étape consiste à traduire les principes et des objectifs d’orientation en objectifs opérationnels, comme on l’a indiqué dans le texte.

Les réexamens à court terme, par exemple dans le cadre d’un cycle annuel, devraient évaluer l’abondance et la productivité d’une espèce lorsqu’il s’agit de ressources ciblées, les effets de la pêche sur d’autres aspects écologiques plus vastes et les incidences socioéconomiques. Étant donné que le processus (décrit à la section 4.1.4) requiert la fixation d’objectifs opérationnels et d’indicateurs et de points de référence s’y rapportant, la mesure de l’efficacité devrait évaluer les progrès accomplis sur la voie de l’objectif opérationnel concerné. Par ailleurs, en raison des liens existant entre ces objectifs et les objectifs de plus haut niveau, il convient d’apprécier si ces objectifs plus vastes et à plus long terme sont en voie d’être atteints. Des mesures de gestion appropriées peuvent aussi être prises pour empêcher le dérapage des indicateurs en utilisant les règles définies, comme indiqué plus haut.

Si l’exercice produit des résultats inattendus, des mécanismes devraient être prévus pour avancer le réexamen à plus long terme décrit en détail plus bas. Dans cet examen, il conviendrait de voir si le suivi permet de recueillir la quantité et la qualité de données requises pour actualiser régulièrement les mesures de gestion.

Le réexamen à plus long terme devrait être effectué régulièrement. L’intervalle indiqué peut être compris entre trois et cinq ans, sa durée étant choisie en fonction de la dynamique de l’espèce concernée et des systèmes d’exploitation et de gestion. En présence d’une évolution plus lente, les réexamens peuvent être plus espacés. Le réexamen devrait porter sur la totalité des modalités de la gestion y compris la collecte des données et le suivi des ressources et comprendre une réévaluation générale et une nouvelle appréciation des règles de décision et des progrès accomplis sur la voie des objectifs à plus long terme.

Les réexamens à plus long terme peuvent apporter la preuve qu’un objectif fixé auparavant (par exemple le retour à un certain niveau cible d’abondance à une date donnée) n’est plus adapté. Il se peut aussi que les objectifs sociétaux aient changé, ou que des failles soient apparues dans le système de gestion. Pour tenir compte de ces circonstances, il faudrait prévoir que le groupe des intéressés donne des objectifs opérationnels révisés d’un commun accord et, au besoin, les indicateurs et les points de référence qui les accompagnent. La procédure de réexamen a encore pour but de planifier la recherche future en vue de réduire le niveau des incertitudes les plus importantes.

4.2. Aspects juridiques et institutionnels de l’approche écosystémique

4.2.1. Aspects juridiques

Comme dans les Directives pour l’aménagement des pêcheries, le terme «législation» est ici utilisé dans son sens le plus large et englobe tous les types d’instruments internationaux et le droit national et local. Les instruments internationaux contenant des dispositions applicables à la pêche et qui doivent être pris en considération pour la mise en oeuvre de l’approche écosystémique sont présentés à l’annexe 1. Leurs dispositions doivent être reprises dans la législation nationale et dans toute la réglementation et les pratiques gouvernant la pêche.

L’approche écosystémique est encore peu représentée dans le droit international contraignant, que ce soit expressément en tant qu’approche écosystémique stricto sensu ou implicitement sous la forme de principes de développement durable, mais elle figure principalement dans des instruments à caractère facultatif tels que la Déclaration de Rio, le plan Action 21, le Code de conduite pour une pêche responsable et la Déclaration de Reykjavik.

De ce fait, rares sont les organisations ou les arrangements régionaux de pêche qui reconnaissent explicitement l’approche écosystémique dans leurs instruments. En outre, cette approche est rarement intégrée dans les politiques ou les législations nationales en matière de pêche. Il en résulte de nombreuses lacunes dans les régimes actuels de gestion de la pêche, telles que i) l’insuffisance de la concertation et de la coopération intersectorielles, et ii) l’absence de prise en considération des influences externes telles que la pollution ou la détérioration des habitats, ou l’absence de prise sur elles des instruments légaux. Il convient de s’attaquer à ces problèmes et de les corriger au besoin. Dans le cas des politiques et des législations nationales, en particulier, l’approche écosystémique peut nécessiter de prendre en considération et d’adapter les instruments juridiques existants et les pratiques d’autres secteurs ayant des interactions avec la pêche ou des effets sur elle.

L’approche écosystémique est donc susceptible de faire appel à des règles ou des réglementations plus complexes tenant compte des effets de la pêche sur d’autres secteurs et de ceux d’autres secteurs sur la pêche. Il peut être souhaitable de réglementer par des lois-cadres les interactions les plus importantes, celles qui sont plus ou moins constantes, entre secteurs. Il pourrait s’agir, par exemple, des lois régissant l’aménagement côtier et la protection des habitats côtiers, la création de ZMP permanentes et la création d’institutions intersectorielles. En revanche, de nombreuses interactions entre la pêche et d’autres secteurs sont dynamiques et il peut être souhaitable, dans ces cas, de rechercher un mode d’interaction plus adaptable et plus souple que ne le permettent généralement les lois cadres. Il serait préférable de s’appuyer sur des règles convenues. C’est ce que préconisent les Directives pour l’aménagement des pêcheries, à savoir que les mesures de contrôle courantes susceptibles d’être fréquemment révisées devraient être énoncées dans les textes d’application plutôt que dans la réglementation cadre (section 4.3.1, vi).

Il est dit, dans les Directives pour l’aménagement des pêcheries, que la législation cadre devrait préciser les «fonctions, les pouvoirs, les responsabilités du gouvernement ou d’autres institutions concernées par l’aménagement des pêcheries» [(section 4.3.1 iv)]. Il y est dit aussi que la juridiction devrait comprendre la zone géographique, les parties intéressées et les institutions chargées de l’aménagement des pêcheries [(section 4.3.1 v)]. Il faut y ajouter, pour une approche écosystémique, que i) la juridiction territoriale devrait coïncider autant que possible avec des frontières écologiques naturelles et que ii) la législation devrait spécifier le niveau approprié de concertation et de coopération entre l’organisme responsable d’une pêcherie donnée et les institutions responsables des autres pêcheries ou d’autres secteurs ayant des liens avec elles.

4.2.2. Aspects institutionnels

Hormis le fait que l’approche écosystémique est rendue plus complexe et plus large par l’ajout de nombreux éléments à plusieurs niveaux et dans plusieurs fonctions, ses tâches et ses méthodes, résumées à la figure 1, section 4.1, restent, pour l’essentiel, identiques à celles de la gestion axée sur les ressources ciblées. Les structures institutionnelles et les méthodes en place pour une gestion écosystémique doivent permettre d’accomplir ces tâches, y compris celles de la dimension ajoutée, examinées dans cette section.

L’approche écosystémique veut que les institutions assurent une coordination, une concertation et une coopération, voire la prise de décisions communes, entre les pêcheries opérant dans la même zone géographique et entre une pêcherie et d’autres secteurs ayant des liens avec elle. Lorsque, par exemple, une pêcherie a pour cible une ou plusieurs espèces servant de proies à un prédateur recherché par une autre pêcherie, il doit y avoir une institution ou un dispositif pour coordonner la gestion des deux pêcheries et concilier leurs objectifs.

La mise au point et l’application d’une politique et d’une législation en matière de gestion écosystémique relèvent normalement du ministère de la pêche ou de l’institution de gestion désignée (au niveau national) et des organisations de gestion halieutique (au niveau régional). La mise au point d’une gestion écosystémique risque de se heurter au problème majeur de la discordance entre les frontières des écosystèmes et les limites de juridiction. Ce problème devra être abordé de la manière suivante, par exemple:

Dans le contexte de la gestion axée sur les ressources ciblées, il est fréquent que des conflits surviennent entre différents groupes d’intérêt et compromettent l’efficacité de la gestion des pêches. Le nombre de conflits ne pourra qu’augmenter dans le cadre de l’approche écosystémique puisque le nombre des parties intéressées et des objectifs est plus grand. Ce problème peut revêtir une grande acuité et, comme dans le cas de la gestion axée sur les ressources ciblées, il sera souvent impossible de réaliser des compromis entre les parties concurrentes. Des arrangements institutionnels doivent être définis «pour éviter les conflits potentiels et faciliter leur règlement lorsqu’ils se produisent» (Directives pour l’aménagement des pêcheries, section 4.3.1 xii). Dans certains cas, il peut être nécessaire de recourir à une décision politique pour déterminer les priorités relatives de deux ou plusieurs usages en conflit.

L’approche écosystémique veut que soient respectés les mêmes principes de transparence et de gestion en partenariat préconisés dans l’approche axée sur les ressources ciblées (Directives pour l’aménagement des pêcheries, section 3.3), notamment:

S’il est souhaitable de transférer une certaine partie des responsabilités et des compétences aux niveaux de décentralisation les plus bas (la communauté locale), la décision de le faire doit être conciliée avec la nécessité de veiller à ce que les décisions et les mesures de gestion soient coordonnées et compatibles au niveau le plus élevé que comporte l’approche écosystémique dans la situation en question. Pour cela, les institutions devront être structurées efficacement de manière à coordonner les décisions et les actions entre les différentes échelles géographiques et halieutiques prévues par l’approche écosystémique.

La limitation de l’accès et la mise en place de régimes appropriés de droits d’accès sont des éléments essentiels pour une pratique réussie et responsable de la pêche selon l’approche axée sur les ressources ciblées (section 3.2 des Directives pour l’aménagement des pêcheries) et qui seront développés pour l’approche écosystémique. Il faut admettre que, selon cette dernière approche, le régime des droits d’accès devra fréquemment englober d’autres usages que celui des ressources ciblées qui fait à présent partie de la gestion axée sur les ressources ciblées, et que cela risque de compliquer le choix et la mise en oeuvre de régimes équitables et efficaces de droits d’usage. Parmi les autres droits d’accès susceptibles d’être revendiqués dans le cadre d’une approche systémique, on peut citer:

Ces problèmes de répartition ne sont pas nouveaux, mais on a eu tendance à les négliger dans le passé. Dans l’approche écosystémique, les problèmes d’accès et de répartition des ressources devront être formellement reconnus. Il sera peut-être nécessaire d’envisager l’attribution et le contrôle de droits pour des activités à terre ayant des effets néfastes sur la pêche tels qu’une pollution. Il faudrait pour cela que la société modifie radicalement la manière dont elle traite les conséquences telles que la pollution, mais cela aurait le mérite de désigner le problème et d’obliger les gens à réfléchir aux liens entre les choses et à leurs conséquences.

4.2.3. Éducation et information des parties intéressées

La gestion axée sur les ressources ciblées reconnaît l’intérêt de faire participer les parties intéressées à la gestion des pêcheries et donc de les informer de la nécessité de cette gestion et des principes qui la régissent. Dans certains cas, cela leur a permis mieux comprendre la gestion et d’y participer plus étroitement, mais, la plupart du temps, il n’y a pratiquement pas eu de changement. Pour que la mise en application d’une approche écosystémique réussisse, il faudra que les parties intéressées (organismes de gestion compris) comprennent et acceptent la nécessité de cette gestion plus large de la pêche et qu’elles s’emploient à la faire comprendre et accepter. D’un autre côté, les scientifiques et les autorités compétentes doivent apprécier et tirer parti des connaissances qu’ont les pêcheurs des écosystèmes, de même que celles de leurs représentants et de leurs communautés. En l’absence de telles relations, les partenaires risquent de ne pas vouloir participer à la gestion écosystémique. L’augmentation de leur nombre et de leur diversité augmentera les disparités des moyens disponibles pour participer à la gestion. Les organismes de gestion devront faciliter le renforcement des capacités et donner leurs chances à toutes les parties intéressées pour que la participation soit équitable.

La mise en oeuvre de l’approche écosystémique peut entraîner des changements dans les tâches et les priorités du personnel des organismes compétents. Il se peut qu’il faille donner une formation appropriée et efficace à tout le personnel qui sera aux prises avec de tels changements. Cette formation devrait expliquer la raison d’être de l’approche écosystémique, sa nécessité et ce que l’on espère accomplir grâce à son application.

4.2.4. Structure administrative efficace

Dans le cadre d’une gestion écosystémique, les structures administratives continueront de refléter les divers systèmes de gouvernement existant comme le font les méthodes de gestion telles que celle axée sur les ressources ciblées, mais elles devront être mieux intégrées et jouer un rôle plus actif dans le contrôle et la surveillance.

4.3. Suivi, contrôle et surveillance efficaces

Le système de suivi, de contrôle et de surveillance doit permettre l’application complète et rapide de la politique de la pêche en général et des modalités de conservation et de gestion d’une pêche spécifique (Directives pour l’aménagement des pêcheries, section 4.3.3 i)). Comme pour toutes les autres fonctions de l’organisme de gestion, l’approche écosystémique peut avoir pour effet d’élargir les tâches des services chargés du suivi, du contrôle et de la surveillance et de leur en ajouter de nouvelles. Leurs tâches spécifiques dépendront de la nature des mesures de gestion mises en oeuvre pour atteindre leurs objectifs.

Les fonctions de contrôle et de surveillance de l’organisme dépendront d’une combinaison de composantes de l’écosystème considéré (espèces, types d’habitat, et autres) et des mesures de gestion appliquées, comme dans le cas d’une gestion axée sur les ressources ciblées. L’approche écosystémique prendra en considération un nombre plus grand de composantes de l’écosystème et pourra également imposer de recourir à des mesures de gestion plus variées. Elle portera normalement sur un plus grand nombre de problèmes ayant trait aux prises accessoires, aux espèces rejetées et aux espèces menacées. Pour faire respecter des dispositions visant à protéger ces espèces, il faudra presque certainement utiliser régulièrement des programmes efficaces d’observation à bord des navires de pêche. Il sera peut-être aussi nécessaire de recourir plus couramment à la fermeture de zones, y compris à des ZMP, ce qui exigera de mettre au point et d’appliquer des techniques appropriées (par exemple des dispositifs de surveillance des bateaux), de prévoir du personnel de patrouille et d’inspection ou, le cas échéant, de faire assurer le contrôle par les communautés locales qui bénéficient de l’existence des ZMP. Dans ce dernier cas, une formation et un certain appui logistique resteront néanmoins nécessaires. Les organismes de gestion devront prévoir le maintien, voire l’augmentation, avec l’approche écosystémique, des dépenses de suivi, contrôle et surveillance.

En accord avec l’idée actuelle du rôle et des responsabilités des parties intéressées dans une gestion responsable, il faudra multiplier les efforts pour créer un environnement socio-politique et un régime de gestion favorisant un haut degré de respect et une autodiscipline rigoureuse. Il est probable que le passage à de tels systèmes prendra du temps dans beaucoup de pêcheries.


[9] FAO, Division des ressources halieutiques, Indicateurs pour le développement durable des pêcheries marines, FAO Directives techniques pour une pêche responsable, n° 8, 1999.
[10] www.fisheries-esd.com

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