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Annexe 2. Principes applicables dans le cadre d’une approche écosystémique de la gestion halieutique


Les diverses formes d’une approche écosystémique ou d’une gestion halieutique fondée sur les écosystèmes qui ont été décrites dans les publications ou adoptées formellement par des États font référence à plusieurs principes directeurs, notions et obligations interdépendants. Beaucoup d’entre eux sont largement acceptés et ne sont pas mis en question. Certains, parmi les principes fondamentaux, ont été formellement établis par la Convention de 1982. D’autres ont été déduits de cette convention ou développés à partir des dispositions qu’elle contient. S’ils ne sont pas nouveaux ou propres à l’approche écosystémique, ils deviennent plus pertinents dans ce cadre. Il sont passés en revue dans les sections qui suivent.

Éviter la surexploitation

L’article 61.2 de la Convention de 1982 prévoit que chaque État «prend des mesures appropriées pour éviter que le maintien des ressources biologiques de sa zone économique exclusive ne soit compromis par une surexploitation». Cette exigence se reflète dans bon nombre des accords établissant les organismes de gestion halieutique et dans la plupart des législations nationales sur la pêche. La charte australienne pour le développement durable prévoit, par exemple, qu’une pêcherie doit être conduite de manière à ne pas entraîner de surexploitation. Bien que la surexploitation ne soit pas toujours définie précisément, l’objectif est d’autoriser des niveaux de capture (ou des tailles de flottes) qui soient compatibles avec le maintien de stocks écologiquement viables à un certain niveau ou à différents niveaux convenus, avec une probabilité acceptable quant à leur viabilité.

La même exigence figure dans la Convention de 1980 sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique qui dit que «il ne sera pas permis que le volume [de toute population exploitée] descende en deçà du niveau proche de celui qui assure l’accroissement maximum annuel net de la population». Ce principe est aussi au coeur de la gestion des pêches définie par la Convention de 1982 où il est déclaré que les «mesures visent aussi à maintenir ou rétablir les stocks des espèces exploitées à des niveaux qui assurent le rendement constant maximum, eu égard aux facteurs écologiques et économiques pertinents» (article 61.3). Comme ci-dessus, l’objectif est de permettre des niveaux de capture (ou des tailles de flottes) qui maintiennent le stock au niveau du rendement constant maximal ou au-dessus de ce niveau. L’Accord de 1995 sur les stocks de poissons a établi que, par mesure de précaution, le rendement constant maximum devait être considéré comme une «limite» plutôt que comme un objectif à atteindre.

Garantir la réversibilité et la reconstitution

La Convention de 1980 pour la conservation de la faune et la flore de l’Antarctique impose de «minimiser les risques de modifications de l’écosystème marin qui ne seraient pas potentiellement réversibles en deux ou trois décennies». Le Groupe de travail du Service national des pêches marines des États-Unis sur la gestion des pêches en fonction de l’écosystème a aussi constaté le principe selon lequel lorsque des seuils ou des limites (d’un écosystème) ont été franchies, les changements peuvent être irréversibles.

Lorsque les stocks ont été accidentellement réduits à des niveaux excessivement faibles, il convient de les reconstituer. Le concept de reconstitution des stocks figure dans la Convention de 1982 (article 61.3) qui impose de rétablir «les stocks des espèces exploitées à des niveaux qui assurent le rendement constant maximum, eu égard aux facteurs écologiques et économiques pertinents». Cette obligation fait aussi partie de la charte australienne du développement écologiquement durable, dans laquelle il est dit que «pour les stocks qui sont surexploités accidentellement, la pêche doit être exercée de manière à ce qu’il y ait une forte probabilité que le (ou les) stock(s) se régénère(nt)». La Convention sur la conservation de la faune et la flore de l’Antarctique prévoit que, lorsque les stocks sont surexploités accidentellement, il convient de «reconstituer leurs populations exploitées aux niveaux [antérieurs]». L’objectif correspondant consiste à concevoir et à appliquer dans des délais impératifs une stratégie de reconstitution des stocks exploités dont le niveau est tombé en dessous des points de référence convenus ou, de préférence, des valeurs de précaution.

Minimiser les effets de la pêche

Selon l’article 5 de l’Accord sur les stocks de poissons, les opérations de pêche devraient être conduites de manière à minimiser leurs effets sur la structure, la productivité, la fonction et la diversité biologique de l’écosystème. Les objectifs correspondants consistent à exercer la pêche de manière i) à ne pas menacer les espèces prises incidemment; ii) à éviter de provoquer la mortalité d’espèces menacées, en voie d’extinction ou protégées ou de leur infliger des blessures; iii) à réduire autant que possible les effets des opérations de pêche sur l’écosystème en général.

Considération des interactions entre espèces

La Convention de 1982 mentionne la nécessité de tenir compte «de l’interdépendance des stocks» (article 61.3) et prévoit que «l’État côtier prend en considération leurs effets sur les espèces associées aux espèces exploitées ou dépendant de celles-ci afin de maintenir ou de rétablir les stocks de ces espèces associées ou dépendantes à un niveau tel que leur reproduction ne risque pas d’être sérieusement compromise» (article 61.4). Cette obligation figure aussi à l’article 5 b) de l’Accord de 1995 sur les stocks de poissons. Selon la Convention sur la faune et la flore de l’Antarctique, il faut «maintenir les rapports écologiques entre les populations exploitées, dépendantes ou associées». Cette obligation fait souvent spécifiquement référence aux espèces menacées, en voie d’extinction ou protégées.

Compatibilité

Il est peu probable que les frontières des écosystèmes et des juridictions soient entièrement compatibles, et de nombreux écosystèmes sont à cheval sur les frontières politiques ou les ZEE, ou se prolongent en haute mer. Il faut cependant que les mesures de gestion soient cohérentes sur tout le territoire de ressources. L’Accord de 1995 sur les stocks de poissons prévoit que «les mesures de conservation et de gestion instituées pour la haute mer et celles adoptées pour les zones relevant de la juridiction nationale doivent être compatibles afin d’assurer la conservation et la gestion de l’ensemble des stocks de poissons chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs» (article 6.2). L’objectif qui correspond à cette disposition est de favoriser la collaboration entre autorités différentes au niveau infra-national ou national (selon le cas) pour faire en sorte que les mesures prises dans différentes juridictions convergent vers des objectifs communs.

Application de l’approche de précaution

Les écosystèmes aquatiques sont complexes et dynamiques, et ils subissent des variations saisonnières et des variations à long terme. Or, on ne sait pas grand-chose de leur complexité. La pêche, l’aquaculture et d’autres activités les modifient, leurs effets conjugués ont sur eux des conséquences qui peuvent être importantes et qui ignorent les frontières. Il est par conséquent difficile de prédire quels seront les capacités de réaction d’un écosystème et les effets de l’action humaine (y compris leur réversibilité), et de dissocier ceux-ci des variations naturelles. Dans ces circonstances, il est judicieux d’appliquer une approche de précaution, définie au Principe 15 de la Déclaration de Rio (CNUED) dans les termes suivants: «des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre a plus tard l’adoption de mesures effectives visant a prévenir la dégradation de l’environnement». Cette approche a été adoptée pour la pêche dans l’Accord de 1995 sur les stocks de poissons et dans le Code de conduite de la FAO pour une pêche responsable, et il existe des directives pour son application pratique. Les objectifs correspondants sont i) d’améliorer la recherche afin de mieux connaître les écosystèmes, ii) de prendre des mesures qui tiennent compte de la complexité, de la dynamique et des incertitudes et, iii) de porter attention aux effets transfrontaliers.

Améliorer le bien-être humain et l’équité

Le devoir de satisfaire le bien-être humain (compatible avec les exigences des écosystèmes) est au coeur de la notion du développement durable et reconnaît que des usages ne peuvent être durables que s’ils ont un intérêt pour l’être humain et contribuent à son bien-être. L’approche écosystémique a pour but une gestion et une utilisation durables des ressources aquatiques dans leur milieu marin afin de procurer efficacement et à un coût raisonnable de la nourriture, de la richesse économique et des loisirs.

Afin de promouvoir le bien-être humain, la gouvernance devrait s’efforcer «d’établir et de préserver l’équité entre générations et au sein d’une même génération, entre secteurs, de part et d’autre des frontières et quelles que soient les cultures». L’équité implique que toutes les parties disposent des mêmes options et que les États et la communauté aient un devoir de prise en charge. Il existe plusieurs principes subsidiaires, mais qui ne font encore l’objet d’aucun consensus. Il est souvent fait référence à l’équité entre générations, qui veut que les générations futures aient les mêmes chances que les générations présentes de décider de la manière d’utiliser les ressources. Elle exige que l’on s’abstienne d’actes qui ne sont pas potentiellement réversibles sur une échelle de temps convenue (par exemple une génération humaine), que l’on envisage les conséquences à long terme des décisions à prendre et que l’on remette en état les milieux physiques et biologiques dégradés. Le manque d’équité à l’intérieur d’une même génération (c’est-à-dire entre des segments d’une génération présente) est une source importante de conflits et de non-respect de la réglementation. L’équité «entre secteurs» semble très difficile à définir et à rendre opérationnelle mais implique, par exemple, que le secteur de la pêche soit traité équitablement lorsque ses intérêts sont en conflit avec ceux d’autres secteurs. L’équité «de part et d’autre des frontières» peut être une condition de réussite dans des accords de partage de stocks. L’équité «quelles que soient les cultures» entre en jeu lorsqu’il s’agit de répartir des ressources entre différentes cultures ou de définir des droits (par exemple entre les populations indigènes et les autres).

Attribution de droits d’usage

La nécessité d’attribuer explicitement des droits d’usage pour la pêche est maintenant largement admise. Le débat n’est en revanche pas tranché sur la question de savoir s’il faut les attribuer moyennant paiement (par exemple pour capter une rente ou payer les frais de gestion). Le principe voulant que l’usager soit le payeur conduit à internaliser davantage les coûts de production. Selon ce principe, «tous les usagers de ressources devraient payer intégralement le coût marginal à long terme pour la société de l’utilisation des ressources et des services connexes, y compris, le cas échéant, les coûts de traitement associés». En d’autres termes, les usagers autorisés devraient payer le privilège exclusif qui leur est octroyé d’utiliser des ressources publiques. Le principe peut être appliqué par le biais de licences, de contingents ou de la taxation.

Favoriser l’intégration sectorielle

La nécessité d’intégrer la gestion de la pêche et d’autres usages (par exemple dans la zone côtière) a été exprimée dans les termes suivants: «Les États devraient veiller à ce que, compte tenu de la fragilité des écosystèmes côtiers, du caractère limité de leurs ressources naturelles et des besoins des communautés côtières, un cadre juridique, institutionnel et de définition des politiques approprié soit adopté pour permettre l’utilisation durable et intégrée de ces ressources» (FAO, Code de conduite pour une pêche responsable, article 10.1). On trouve aussi une expression de cette nécessité dans les directives publiées récemment par le Fonds mondial pour la nature (WWF), selon lesquelles «les écosystèmes sont précieux pour la société et susceptibles d’être utilisés de multiples façons, pour satisfaire les besoins et les intérêts stratégiques présents et futurs de nombreux secteurs»[13]. Il faut pour cela qu’il y ait des connexions fonctionnelles entre les institutions chargées de la gestion des pêcheries, les institutions d’autres secteurs et les autres institutions chargées d’entretenir l’écosystème.

Élargir la participation des parties intéressées

Les instruments internationaux les plus récents imposent d’associer plus étroitement les parties intéressées au processus de gestion, à la collecte des données, à la constitution de fonds documentaires, à l’analyse des options, à la prise de décisions et à la mise en oeuvre. Du fait que les pêches doivent être gérées dans le contexte de leur écosystème, la participation doit encore être plus large. Cette obligation s’accompagne souvent de celle de déléguer les décisions aux niveaux inférieurs de l’administration pour mieux tenir compte de tous les intérêts des secteurs et des communautés. Le principe de subsidiarité propose que les décisions soient prises au niveau le plus bas possible. Invoqué de plus en plus souvent en même temps que la recommandation de décentraliser la prise de décisions et d’accroître la participation directe des parties intéressées, il implique la création d’institutions et de capacités de gestion aux étages inférieurs de d’administration publique.

Préserver l’intégrité des écosystèmes

L’intégrité est souvent citée comme l’un des buts de la gestion écosystémique. Bien qu’il n’en existe aucune définition convenue, on considère que l’intégrité des écosystèmes comporte normalement ou nécessite: i) le maintien de la biodiversité au niveau de la communauté biologique, de l’habitat et de l’espèce et de la diversité génétique (comme le prévoit la CDB); et ii) le maintien des processus biologiques nécessaires à la biodiversité et à la productivité des ressources.


[13] World Wildlife Foundation Australia. Propositions de mesures et conseils opérationnels pour une gestion de la pêche marine de capture fondée sur l’écosystème, 2002 (www.wwf.org.au).

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