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8. Le renforcement des capacités de la biotechnologie applicable à l'alimentation et à l'agriculture

Les études de cas examinés au Chapitre 4 font apparaître que les petits agriculteurs des pays en développement peuvent tirer profit des cultures transgéniques, tout comme ils ont bénéficié, par le passé, d'autres innovations technologiques renforçant la productivité. Cependant, l'obtention de tels avantages n'est pas automatique: encore faut-il, en effet, que les pays adoptent des politiques adéquates et se dotent de capacités institutionnelles et techniques permettant de diffuser les innovations pertinentes parmi les agriculteurs à un coût accessible. Contrairement à la révolution verte, qui était, rappelons-le, basée sur une stratégie explicite de transfert international de technologies améliorées sous forme de biens publics gratuits, la quasi-totalité des variétés de cultures transgéniques, ainsi que la plupart des autres innovations de la biotechnologie agricole, sont élaborées et diffusées par le secteur privé. Dans le Chapitre 7, certaines des stratégies visant à améliorer la recherche publique et privée et à renforcer les partenariats de développement de technologies orientées vers les problèmes touchant les populations pauvres ont été traitées.

Cependant, la diffusion de la biotechnologie aux agriculteurs manquant de ressources, en particulier dans les pays pauvres qui pourraient tirer un avantage substantiel de telles innovations, se heurte à plusieurs barrières. L'utilisation sans danger et bien informée de la biotechnologie nécessite que l'on dispose d'une capacité suffisante en matière de formulation des politiques, de recherche agricole, de ressources financières et de filières de commercialisation; elle exige, en outre, un cadre assurant la protection des droits de propriété intellectuelle et la capacité de gérer les questions d'ordre réglementaire touchant à la sécurité sanitaire des aliments, à la santé des êtres humains et du bétail, et enfin à la sécurité de l'environnement. En dépit de l'évolution très rapide de la biotechnologie et du rôle fondamental qu'elle est vouée à jouer bientôt dans la poursuite du développement agricole et économique, on observe encore un important déficit dans la plupart des pays en développement - notamment parmi les moins développés - pour ce qui est de l'aptitude à dresser un bilan de leur situation spécifique, à honorer leurs engagements et à tirer parti des perspectives que pourrait offrir la biotechnologie. Bien souvent, l'absence de cadre directeur se conjugue à une difficulté à se conformer aux instruments internationaux régissant la biotechnologie.

À noter, parmi les problèmes les plus fréquents auxquels se heurtent les pays en développement et les pays en transition:

une carence de capacité, au sein des ministères et de leurs rouages, en ce qui a trait à l'analyse des options, la fixation de priorités en matière d'investissement et la formulation de politiques orientées vers la diffusion de la biotechnologie dans l'alimentation et l'agriculture, à l'appui des objectifs nationaux de développement;

l'exiguïté des moyens techniques, juridiques et administratifs servant à l'adoption et à l'application de procédures réglementaires régissant notamment la biosécurité, l'évaluation des risques et les droits de propriété intellectuelle, mais aussi à la protection des connaissances et des ressources locales, et enfin aux campagnes de communication visant à faire mieux accepter les nouvelles technologies par le public;

l'insuffisance des ressources et des capacités servant à concevoir, mettre sur pied et exploiter les infrastructures nécessaires à la création, à l'adaptation, au transfert et à la réglementation des applications de la biotechnologie à l'alimentation et à l'agriculture, y compris sous forme de contexte propice à une collaboration plus intense entre les secteurs public et privé.

Les capacités nationales en matière de biotechnologie agricole

Pour que la biotechnologie soit applicable avec succès et de façon durable à l'alimentation et à l'agriculture, il convient avant tout de disposer d'une capacité à la fois solide et dynamique aux niveaux techniques et institutionnels, tout comme en matière de gestion. Or, le potentiel de gestion efficace de la biotechnologie agricole varie considérablement dans les différents pays en développement ou à économie en transition, notamment en ce qui touche au potentiel applicable à la recherche et à la gestion réglementaire de la biotechnologie agricole - notamment sous l'angle des droits de propriété intellectuelle.

On a observé, ces dernières années, un renforcement régulier de la capacité biotechnologique agricole dans plusieurs grands pays, en particulier au Brésil, en Chine et en Inde, où des ressources humaines et financières importantes ont été consacrées à la recherche et au développement dans ce domaine, tandis que se renforce parallèlement leur expérience en matière de commercialisation des produits issus de la biotechnologie. On voit en outre apparaître plusieurs thèmes d'intérêt commun dans les pays du monde en développement dont les gouvernements ont consacré des investissements publics substantiels à la recherche portant sur la biotechnologie agricole. Dans ces pays, les instituts nationaux de recherche sont encouragés à s'impliquer activement dans des programmes de recherché coopératifs, bilatéraux ou internationaux, intéressant différentes branches de la biotechnologie agricole. En second lieu, la science et la technologie, et la biotechnologie en particulier, ont été spécifiquement signalées, dans le cadre des politiques nationales, comme constituant un moteur important de croissance économique du secteur agricole comme du secteur de la santé. En troisième lieu, les programmes publics de recherche agricole ont contribué de façon marquante au développement rapide de l'agriculture, induisant à son tour une véritable explosion de la technologie de l'information et de ses contributions à leurs économies, parallèlement aux espoirs d'une croissance analogue par le biais de la biotechnologie médicale et agricole.

C'est vers le milieu de cette échelle que se situent les pays en développement qui, telles l'Indonésie et l'Égypte, commencent à incorporer progressivement la biotechnologie à leurs programmes de recherche agricole. En règle générale, ces pays disposent d'une capacité de recherche agricole conventionnelle relativement forte, et ils s'attachent à développer une capacité biotechnologique vigoureuse dans différents domaines.

Enfin, vers le bas de l'échelle, on trouve les pays qui n'ont pas beaucoup avancé dans l'application directe des outils et des techniques, hormis dans l'application de techniques relativement simples comme la micropropagation et la culture des tissus. Là encore, on retrouve plusieurs convergences thématiques entre les pays. Ainsi, les efforts en matière de recherche sont restés plus modestes et, bien souvent, plusieurs programmes voisins se retrouvent dispersés sur un grand nombre de produits et d'instituts. Souvent, ces mêmes programmes sont étroitement tributaires des financements des donateurs, et toute interruption pourrait en sonner le glas. De plus, la commercialisation et la gestion des produits biotechnologiques sont virtuellement absentes; manque également la masse critique nécessaire pour en promouvoir l'acceptation par la population. Bien souvent, les pouvoirs publics n'accordent pas une priorité suffisante à la recherche agricole, et, lorsqu'elles existent, les politiques de soutien à la recherche agricole en général et à la biotechnologie agricole en particulier ne sont pas appliquées. Ainsi, les lourdes entraves qui pèsent sur les progrès de la biotechnologie agricole dans ces pays limitent considérablement les avantages qu'ils pourraient tirer de la recherche et du développement applicables à ce domaine.

La base de données FAO-BioDeC14 fournit des informations de référence parfaitement à jour sur les produits et techniques de la biotechnologie utilisés ou en voie de l'être dans les pays en développement et dans les pays aux économies en transition. Cette base de données, qui contient actuellement près de 2 000 entrées provenant de 70 pays, est axée sur la recherche, les essais et la commercialisation de technologies et de produits agricoles spécifiques dans des pays en développement. Bien que d'une ampleur limitée, cet ensemble de données donne un aperçu des différents stades d'adoption et de développement de ces technologies dans divers pays et régions, tout en offrant la possibilité d'identifier les carences, mais aussi les partenaires potentiels pour des initiatives conjointes dans des domaines d'intérêt commun.

Outre les variations de capacités en matière de recherche, on observe d'un pays à l'autre d'importantes disparités quant à la capacité de réglementer la biotechnologie. L'éventail, en la matière, va de ceux qui disposent de régimes DPI et de cadres réglementaires solides en matière de sécurité sanitaire des aliments et d'environnement, aux pays dont la capacité de gestion de tels problèmes est minime, voire inexistante.

Les activités d'envergure internationale visant à renforcer les capacités en matière de biotechnologie agricole

Un certain nombre d'organismes privés, gouvernementaux, non gouvernementaux et interétatiques participent, parfois de façon multidimensionnelle, aux programmes de renforcement des capacités dans le domaine de la biotechnologie. Les axes directeurs de ces activités sont l'aide à l'élaboration des politiques, la recherche, le transfert de technologies, les mesures de biosécurité et la surveillance réglementaire qui l'accompagne, l'élaboration de textes législatifs pertinents et la sensibilisation du public. Le renforcement du niveau de compétence en matière décisionnelle, institutionnelle et technique donne lieu à une vaste gamme d'activités déployées par des organismes tels que le Service international pour la recherche agricole nationale (ISNAR), le Service de biotechnologie (IBS), le Centre international de génie génétique et de biotechnologie (CIGGB), le Service international d'acquisition d'applications agrobiotechnologiques, le Fonds pour l'environnement mondial (FEM), l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI), l'Agence des États-Unis pour le développement agricole (USAID) et d'autres encore. Bien que les services offerts par ces organisations donnent lieu à certains chevauchements, chacune d'entre elles remplit une fonction distincte, ou en tout cas privilégie davantage certains domaines. On ne dispose pas d'informations d'envergure mondiale sur l'éventail complet des activités qui occupent le champ de la biotechnologie agricole; toutefois, la base de données spécialisée dans le renforcement des capacités en matière de biosécurité, qui relève du Centre des échanges d'informations sur la prévention des risques biotechnologiques15 fournit un bon aperçu général des différentes initiatives déployées dans ce domaine à l'échelle mondiale.

Le rôle de la FAO et l'aide aux pays membres

La FAO, qui offre une enceinte où peuvent dialoguer tous les pays du monde, est en outre dépositaire d'informations à caractère statistique. Elle est ainsi en mesure de jouer un rôle pivot dans la fourniture, aux États Membres, d'orientations à fondement scientifique touchant la biotechnologie agricole, ainsi que dans la fixation de normes. On trouvera, ci-dessous, quelques-unes des principales activités axées sur la biotechnologie:

ENCADRÉ 27
La FAO et le renforcement des capacités concernant les biotechnologies agricoles au Bangladesh

En 2002, la FAO et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ont procédé à une évaluation de l'état de l'application des biotechnologies au Bangladesh. Sur la base de cette évaluation, le Gouvernement du Bangladesh a récemment formulé un Programme national pour les biotechnologies qui vise à utiliser celles-ci comme une méthode complémentaire importante de lutte contre l'insécurité alimentaire et la pauvreté, deux problèmes qu'il est urgent de résoudre dans le pays. Le Programme favorisera la prise de conscience à tous les niveaux, mettra en place et en œuvre les politiques, stratégies et partenariats appropriés, renforcera l'investissement, l'appui institutionnel et commercial, et entreprendra des recherches-développement biotechnologiques clairement définies. Les principaux volets du Programme sont les suivants:

  • Politique nationale pour les biotechnologies, mise en œuvre et gouvernance de celle-ci. Ce volet est consacré aux aspects technologiques et d'autoassistance de l'application des biotechnologies. Une équipe spéciale nationale pour le développement durable des biotechnologies, placée sous la présidence du Secrétaire principal du cabinet du Premier Ministre, veillera à ce que cette politique soit efficacement mise en œuvre. L'équipe spéciale assurera la gouvernance transparente et efficace et suscitera la confiance requise de toutes les parties prenantes.
  • Mesures réglementaires propices. Des cadres législatifs et réglementaires pour les droits de propriété intellectuelle, les ADPIC, la prévention des risques biotechnologiques et l'accès aux nouvelles technologies et aux nouveaux produits, ainsi que la négociation de ceux-ci, conformément aux besoins nationaux et aux aspirations et aux droits des agriculteurs, seront mis en place et renforcés. Les installations efficaces de confinement, les capacités d'analyse du risque et autres capacités liées à la prévention des risques biotechnologiques et les ressources humaines nécessaires pour gérer les aspects réglementaires sont prioritaires. L'introduction, l'évaluation et la commercialisation du «riz doré BR29» (variété d'élite de riz du Bangladesh transformée à l'IRRI pour une teneur élevée en bêta-carotène) feront l'objet d'opérations de prestige pour renforcer la capacité nationale d'institution et d'application de mesures réglementaires.
  • Renforcement institutionnel. Les institutions de recherche-développement biotechnologique du pays seront renforcées par une dotation en matériel et infrastructures les plus récents, en installations centralisées, en ressources humaines ayant la formation requise, en moyens d'information et de communication et par un renforcement des partenariats entre les secteurs public et privé. La capacité de l'équipe spéciale sera renforcée pour l'établissement de priorités, la prise de décisions fondée sur les systèmes, le traitement détaillé des questions, le renforcement des liens entre la recherche, la vulgarisation, les agriculteurs et le marché et pour la création et la répartition de ressources.
  • Programmes biotechnologiques. Le Programme national, après le suivi et l'évaluation requis, sera axé sur les écotechnologies en vue d'une révolution verte permanente, visant en particulier à répondre aux besoins des petits agriculteurs. Les domaines suivants ont été retenus en priorité: production et distribution de ramets issus de cultures in vitro, caractérisation moléculaire des ressources génétiques, diagnostic et production de vaccin recombinant, lutte biologique contre les organismes nuisibles et les maladies, production et commercialisation d'alevins d'un an de qualité, développement de la transgénétique pour la résistance au stress biotique et abiotique, caractères nutritionnels et autres caractères de qualité et sélection assistée par des marqueurs moléculaires.
  • Trois faits nouveaux pour aider le Bangladesh à atteindre son objectif. (a) Pour la première fois, le Bangladesh a créé une ligne budgétaire pour les biotechnologies dans son budget national; (b) afin d'assurer une efficacité optimale et une coopération interministérielle et d'éviter les gaspillages dus au chevauchement des efforts, l'équipe spéciale est présidée par le Premier Secrétaire du cabinet du Premier Ministre; et (c) le PNUD et d'autres donateurs et organisations internationales ont indiqué qu'ils étaient très intéressés par le financement de cette nouvelle initiative.

Les défis posés par le renforcement des capacités dans le domaine de la biotechnologie agricole

En dépit du large éventail d'activités déployées pour renforcer les capacités, il reste encore beaucoup à faire. Les défis posés sont d'une ampleur inédite par rapport à ceux d'autres révolutions technologiques, y compris la Révolution verte des années 60 et 70. Ainsi, toute application de la biotechnologie nécessite un cadre sécuritaire qui englobe l'environnement, la santé humaine et la santé animale.On se trouve, par ailleurs, face à la revendication d'une répartition équitable des avantages découlant des ressources génétiques utilisées par la biotechnologie. En outre, il importe d'établir, au sein de la société, un consensus quant à l'utilisation des produits d'origine biotechnologique, par le biais d'une participation entière et pleinement transparente de toutes les parties prenantes à la décision. L'adoption de la biotechnologie pose, entre autres, les grands défis suivants:

Que ce soit de manière directe ou indirecte, tous ces facteurs affectent le renforcement des capacités, la rétention du personnel et l'équilibre entre les potentiels respectifs des secteurs public et privé. Les coûts initiaux de développement de ces technologies, quoique ne concernant pas exclusivement la biotechnologie, pourraient augmenter encore les difficultés. Il faudra que les pays en développement évitent le piège que représentent la dépendance ou le caractère trop éphémère de leurs programmes de biotechnologie. Quant aux politiques gouvernementales, elles devront créer des mécanismes propres à encourager les investissements du secteur public comme du secteur privé, ainsi que la participation dans la biotechnologie agricole. La recherche entreprise par les secteurs public et privé, quant à elle, devra veiller scrupuleusement à rester complémentaire, et non pas concurrentielle. Enfin, les grandes orientations fixées par les pouvoirs publics devront non seulement promouvoir l'utilisation sans danger de la biotechnologie, mais aussi garantir qu'elle ne dissuade pas les investissements du secteur privé et la collaboration avec les partenaires extérieurs. Il faut rappeler que, dans nombre de pays en développement, les réformes à vocation progressiste touchant les institutions et les modes d'organisation sont entravées par l'absence de politiques appropriées, voire par une application inadéquate.

Quelles mesures pour l'avenir?

Compte tenu des contraintes évoquées, il importe d'adopter de manière consciente et délibérée une approche holistique orientée vers la durée, vers la multiplicité des parties prenantes et vers la participation, afin de transformer en réalité les avantages potentiels que recèle la biotechnologie agricole. Dans les pays en développement, le besoin se fait davantage sentir d'aller au-delà de la création de nouvelles capacités, pour en garantir la rétention et le renforcement. Les activités déployées à cette fin devront donc viser tous les niveaux: sensibilisation des concepteurs et des décideurs en matière de grandes orientations, mise en place des cadre juridiques et réglementaires nécessaires, renforcement des capacités techniques et réglementaires et, au besoin, remodelage institutionnel. Plus important encore, il faut que soient continuellement déterminées et déployées des ressources humaines compétentes et des capacités institutionnelles adaptées afin que, en concomitance avec les progrès de la biotechnologie, soient constamment évalués, améliorés et appliqués les outils garantissant son utilisation sans danger. Cette mission, qui peut sembler par trop ambitieuse, peut être accomplie si l'on sait faire preuve de fermeté dans l'engagement et dans le partenariat.

14 Disponible à http://www.fao.org/biotech/inventory_admin/dep/default.asp.

15 Disponible à http://bch.biodiv.org/Pilot/CapacityBuilding/SearchOpportunities.aspx.

16 http://www.fao.org/biotech/index.asp?lang=fr.


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