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Les forêts et les maladies
infectieuses émergentes chez l’homme

B.A. Wilcox et B. Ellis

Bruce A. Wilcox et Brett Ellis travaillent au Center for Infectious Disease Ecology, Asia-Pacific Institute for Tropical Medicine and Infectious Diseases, University of Hawai, Manoa, Etats-Unis.

Compte tenu du lien étroit entre les forêts, les pathogènes et le développement
de la civilisation, la déforestation et les autres changements d’affectation
des terres jouent un rôle majeur dans l’émergence des maladies.

Les maladies infectieuses ont toujours tenu une place importante dans la vie des hommes. Elles ont eu une influence significative sur la biologie et la société humaines, et ont même parfois déterminé le cours des principaux événements historiques.

Sur le plan écologique, les maladies infectieuses peuvent être considérées comme une extension des relations hôte-parasite. Elles sont aussi inhérentes à tout écosystème que les relations prédateur-proie ou plante-herbivore. En effet, les virus, les bactéries ou les protozoaires responsables de maladies sont souvent appelés indistinctement «microparasites» dans l’épidémiologie des maladies infectieuses. En outre, une infection par un microparasite ne provoque pas nécessairement une maladie. Le plus souvent, l’hôte et le microparasite coexistent pacifiquement car les génotypes hautement pathogènes susceptibles de détruire l’hôte sont éliminés, tout comme les hôtes sensibles dépourvus d’immunité acquise ou innée (résistance héréditaire). Ainsi, l’émergence d’une maladie dans une population humaine est un phénomène transitoire et, sous sa forme la plus sévère, elle est en général la conséquence d’une instabilité ou d’un changement social et environnemental rapide.

Les premiers pathogènes responsables de fléaux tels que la variole seraient nés en Asie tropicale, au début de l’histoire de l’élevage et lorsque les forêts ont commencé à être défrichées à grande échelle, au profit de cultures permanentes et d’établissements humains (McNeil, 1976). La densité et la promiscuité croissantes des hommes, des animaux domestiques et de la faune sauvage, ajoutées à un climat chaud et humide, étaient des conditions idéales pour l’évolution, la survie et la transmission des pathogènes, il y a plusieurs millénaires comme aujourd’hui.

Le concept de maladies infectieuses émergentes (MIE) a été inspiré par divers facteurs: l’apparition de nouveaux pathogènes comme le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et le virus Ebola; l’évolution de variantes de microbes connus, plus virulents ou plus résistants aux médicaments; l’expansion géographique et l’augmentation des foyers d’épidémie, qu’il s’agisse de maladies causées par ces agents ou de maladies plus anciennes comme le paludisme et la dengue. Enfin, plus récemment, la diffusion spectaculaire du virus responsable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) a renforcé ce concept.

La récente recrudescence de maladies infectieuses, qui a commencé à attirer l’attention de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et des principales institutions sanitaires nationales dans les années 80, est souvent attribuée à l’accroissement considérable de la population humaine et de sa mobilité, ainsi qu’aux changements sociaux et environnementaux  consécutifs à la seconde guerre mondiale. En fait, de telles transitions provoquent depuis l’Antiquité d’importantes aggravations des maladies infectieuses au niveau régional, mais ce qui change aujourd’hui, c’est la rapidité, l’échelle et la dimension mondiale de la transition, et le fait que celle-ci se produise à l’époque de la biomédecine moderne et des programmes de santé publique. Un excès de confiance dans la première et un déploiement inadéquat des seconds ont largement favorisé la diffusion des MIE, en particulier dans les régions tropicales en développement. 

D’après un nombre croissant d’études spécialisées, les principaux  facteurs contribuant à la prolifération des maladies infectieuses seraient les changements dans le couvert végétal et l’utilisation des terres, notamment les variations du couvert forestier (en particulier la déforestation et la fragmentation des forêts), ainsi que l’urbanisation et l’intensification de l’agriculture. En effet, l’augmentation actuelle coïncide avec la croissance accélérée des taux de déforestation tropicale enregistrée depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui, la déforestation et les maladies infectieuses émergentes demeurent dans une large mesure associées aux régions tropicales mais leurs effets s’étendent à toute la planète. Comme ces deux problèmes sont intimement liés au développement économique, à l’utilisation des terres et à la gouvernance, ils doivent être résolus par une approche intersectorielle.

Le présent article fournit une vue d’ensemble du rôle des forêts et de la déforestation dans les MIE. Il met en relief les principales maladies associées aux forêts et fait brièvement le point sur ce que l’on sait aujourd’hui des mécanismes par lesquels la conversion et l’altération des forêts favorisent les MIE. Pour finir, il identifie les mesures de gestion des ressources forestières qui doivent être prises pour ralentir leur diffusion.

L’expansion dans la forêt, impliquant un contact plus fréquent avec la faune sauvage, expose les hommes à des pathogènes qui leur sont étrangers et est une cause fréquente d’épidémies – par exemple de fièvre jaune, dans le cas de ce village adjacent à une forêt au Kenya
B. Ellis

Exemples de maladies infectieuses émergentes associées aux forêts

Agent/maladie

Répartition

Hôtes et/ou réservoirs

Exposition

Mécanismes d’émergence possibles

Virus

 

 

 

 

Fièvre jaune

Afrique
Amérique du Sud

Primates non humains

Vecteur

Déforestation et expansion des habitats humains à la lisière des forêts
Chasse
Collecte de bois et d’eau
Domestication des vecteurs et du pathogène

Dengue

Intertropicale

Primates non humains

Vecteur

Adaptation du moustique vecteur et du pathogène
Urbanisation et inefficacité des programmes de lutte
contre le vecteur

Chikungunya

Afrique
Océan Indien
Asie du Sud-Est

Primates non humains

Vecteur

Domestication du pathogène et du vecteur

Oropouche

Amérique du Sud

Primates non humains Autres

Vecteur

Déplacement en forêt
Changements dans la composition des vecteurs

VIS

Intertropicale

Primates non humains

Directe

Déforestation et expansion des populations humaines
dans la forêt
Chasse et abattage des animaux sauvages des forêts
Adaptation du pathogène

Ebola

Afrique

Primates non humains
Chauves-souris

Directe

Chasse et abattage d’animaux
Exploitation forestière
Foyers en bordure des forêts
Agriculture
Altération de la faune naturelle

Virus de Nipah

Asie du Sud

Chauves-souris
Cochons

Directe

Elevages porcins et production de fruits en bordure de forêt

SRAS

Asie du Sud-Est

Chauves-souris
Civettes

Directe

Récolte, commercialisation et mélange de chauves-souris et de mouffettes tachetées
Commerce de viande de brousse pour la consommation humaine

Rage

Mondiale

Canins
Chauves-souris
Autres animaux sauvages

Directe

Expansion des populations humaines dans la forêt

Fièvre pourprée des montagnes Rocheuses

Amérique du Nord

Tiques invertébrées

Vecteur

Expansion des populations humaines dans la forêt
Activités récréatives en forêt

Protozoaires

 

 

 

 

Malaria

Afrique
Asie du Sud-Est
Amérique du Sud

Primates non humains

Vecteur

Déforestation, altération des habitats favorable à la reproduction des moustiques
Expansion des populations humaines dans la forêt, malaria de primates non humains chez l’homme

Leishmaniose

Amérique du Sud

Nombreux mammifères

Vecteur

Expansion des populations humaines dans la forêt,
Domestication de vecteurs zoophiles
Altération des habitats, construction d’habitations en bordure des forêts
Déforestation
Domestication des cycles zoonotiques par des travailleurs non immuns

Maladie du sommeil

Afrique occidentale et centrale

Humains

Vecteur

Expansion des populations humaines dans la forêt, incidence de la maladie associée aux lisières de forêt

Bactéries

 

 

 

 

Babésiose

Amérique du Nord
Europe

Humains
Faune sauvage

Vecteur

Maladie souvent rencontrée chez les tiques dans les zones forestières

Maladie de Lyme

Mondiale

Humains
Cerfs
Souris

Vecteur

Association possible avec la déforestation et avec la fragmentation des habitats
Travailleurs forestiers plus exposés à la maladie

Leptospirose

Mondiale

Rongeurs

Indirecte

Altération et inondation des bassins versants

Helminthe

 

 

 

 

Eccinococcus multiocularis

Hemisphère Nord

Renards
Rongeurs
Petits animaux

Directe

Déforestation
Augmentation des renards et des rongeurs hôtes
Transmission du pathogène aux chiens 
Expansion des populations humaines dans la forêt, exposition d’une population sensible

ASSOCIATION DES MALADIES INFECTIEUSES ÉMERGENTES AVEC LES FORÊTS

En tout, environ les trois quarts des MIE reconnues étaient jadis, ou sont actuellement, des zoonoses, c’est-à-dire qu’elles se transmettent de l’animal à l’homme (Taylor, Latham et Woolhouse, 2001). Comme on pouvait s’y attendre, il a été établi que les ascendants des pathogènes responsables de ces maladies remontent en général à la faune sauvage. Les pathogènes dont l’émergence est actuellement directement associée aux forêts (voir les exemples dans le tableau) représentent environ 15 pour cent des MIE, dont le nombre est estimé à 250 (Despommier, Ellis et Wilcox, 2006). Quelques MIE actuellement non associées aux forêts sont nées d’un cycle selvatique mais se sont depuis «échappées» et ne se maintiennent que par transmission d’homme à homme, ou suivant un cycle homme-vecteur-homme, indépendant des forêts. Les deux principales MIE de cette catégorie sont le VIH et la dengue, qui se sont affranchis de leurs cycles de transmission par les primates dans les forêts africaines et ont fini par se propager à toute la planète, il y a une vingtaine d’années dans le cas du VIH, et il y a plusieurs siècles dans le cas de la dengue. D’autres maladies, comme la tuberculose, les hépatites A/B/C/E/G, la plupart des maladies sexuellement transmissibles, les infections opportunistes de sujets immunodéprimés (à cause du VIH, par exemple), et des infections toujours plus nombreuses causées par des bactéries résistantes aux agents antimicrobiens, peuvent le plus souvent être attribuées aux bouleversements sociaux et écologiques associés à l’urbanisation effrénée des dernières décennies.

En ce qui concerne les MIE actuellement associées aux forêts, leur émergence découle d’une combinaison de causes directes, notamment la déforestation et les autres changements d’affectation des terres, les contacts plus fréquents des populations humaines avec des agents pathogènes forestiers auxquels elles n’avaient jamais été exposées auparavant et l’adaptation de ces agents. Bon nombre de ces maladies peuvent être transmises entre hôtes primates non humains ou insectes vecteurs, et font intervenir divers hôtes intermédiaires potentiels, y compris des animaux domestiques. De manière inquiétante, après une première apparition locale, un certain nombre de ces maladies ont démontré qu’elles pouvaient se propager à toute une région ou à toute la planète et devenir une grave menace pour les humains et les populations animales domestiques et sauvages.

Bien que l’on ait identifié peu de parasites ou de pathogènes de plantes infectant les animaux, notamment les hommes, l’impact des maladies émergentes des végétaux sur les populations végétales suscite aussi de plus en plus de préoccupations. Le problème des MIE a en effet deux faces: l’impact des maladies provenant des forêts, mais aussi l’impact des maladies sur les forêts, en particulier sur la faune sauvage et sur la végétation qu’elles abritent (Ostfeld, Keesing et Eviner, 2006).

Ce ne sont pas les forêts ou la déforestation en elles-mêmes qui sont responsables de l’émergence de maladies infectieuses associées aux forêts ou de la tendance globale à leur augmentation partout dans le monde; les causes de ces maladies sont bien plus complexes.
Le principal facteur est la croissance exponentielle de la population, de la consommation et de la création de déchets depuis plusieurs décennies, qui a amené avec elle l’urbanisation, l’expansion et l’intensification de l’agriculture, ainsi que l’altération des habitats forestiers, le tout se traduisant par une transformation de l’environnement régional (voir l’encadré). Le processus d’émergence des maladies semble généralement associé à une combinaison de ces facteurs environnementaux. Mais le facteur commun est le changement – un changement social et écologique relativement brusque ou épisodique, qui se reflète le plus souvent dans des variations du couvert végétal et de l’utilisation des terres (urbanisation non planifiée et conversion des forêts), dans l’intensification de l’agriculture (barrages, projets d’irrigation, fermes-usines, etc.) et dans le déplacement et la migration des populations.

Les migrations et réinstallations épisodiques des populations, associées à la construction de routes et à l’ouverture de nouveaux axes de transport, ainsi qu’au défrichement et à la fragmentation des forêts, peuvent être considérés comme des facteurs locaux ou régionaux de l’émergence de maladies. Ces changements peuvent avoir des conséquences catastrophiques, surtout s’ils ne sont pas planifiés et s’ils résultent d’une instabilité politique ou économique, voire d’un conflit armé. L’exemple le plus frappant est celui du SIDA, qui est né dans la forêt tropicale (Sharp et al., 2001) et s’est étendu à toute une région en butte à des changements de ce type et manquant d’infrastructures de santé publique, notamment de systèmes de surveillance et de traitement des maladies.

Comme le SIDA, la plupart des MIE d’origine forestière sont causées par des virus, même si certaines sont provoquées par des bactéries, des protozoaires, des helminthes (vers) et des champignons. Habituellement, ces maladies ne sont considérées comme des priorités de recherche que quand elles deviennent une menace pour les populations nanties, de sorte que l’on sait généralement très peu de choses sur leur distribution et leur biologie. Alors que la médecine tropicale avait toujours été orientée vers la compréhension de l’histoire naturelle et de l’écologie des maladies, cette approche a été abandonnée avec l’avènement de la biomédecine moderne et la croyance erronée selon laquelle les maladies infectieuses avaient été vaincues par la science (Gubler, 2001). Le plus grand défi actuel pour la recherche vient du manque de communication entre les spécialistes des différentes disciplines – chercheurs spécialisés dans les maladies infectieuses, experts de la faune sauvage, environnementalistes et spécialistes des sciences sociales. Les problèmes sont bien sûr aggravés par l’accroissement du nombre et de la densité des populations pauvres qui vivent sans eau potable, sans hygiène et sans infrastructures de santé publique adéquates, dans les pays en développement.

Maladies transmises par des vecteurs et zoonoses forestières

La fièvre jaune est la maladie dont l’association avec les forêts a été la plus étudiée (Monath, 1994). Le virus responsable de la fièvre jaune se maintient dans un cycle de transmission entre des singes arboricoles et des moustiques selvatiques. L’expansion des établissements humains dans la forêt est une fréquente cause de poussées épidémiques. Ainsi, le premier foyer de fièvre jaune au Kenya (de 1992 à 1993) s’est vérifié dans un village où les seules personnes atteintes ont été celles qui récoltaient le bois de feu et l’eau, ou qui chassaient éventuellement dans la forêt. Des épidémies beaucoup plus importantes se produisent quand le cycle de transmission quitte le couvert forestier et s’étend à des zones péri-urbaines et urbaines où la densité beaucoup plus élevée d’hommes et de moustiques leur permet de se développer considérablement (Sang et Dunster, 2001). C’est ce qui s’est produit au Soudan en 2005, où l’épidémie a probablement été exacerbée par le déplacement de populations fuyant le conflit armé et le retour des soldats embusqués dans les zones forestières. Des facteurs environnementaux, notamment des précipitations anormales, ont probablement aussi favorisé la propagation de la maladie. Leur aptitude à évoluer afin de s’adapter rapidement permet aux virus de se transmettre facilement dans des cycles domestiques et péri-domestiques.

La fièvre hémorragique de la dengue, causée par un type de virus de la dengue, est très similaire à la fièvre jaune par son écologie, au moins jusqu’à présent (Monath, 1994). A l’origine maladie selvatique, avec un ensemble similaire d’hôtes primates, de moustiques vecteurs et de niche écologique, elle a acquis un cycle domestique il y a plusieurs siècles au moins. Elle est récemment devenue l’une des maladies émergentes à diffusion la plus rapide du monde, avec 50 millions à 100 millions de personnes infectées chaque année (Holmes et Twiddy, 2003). On estime que la clé du succès de l’agent pathogène de la dengue est son adaptation au moustique domestique Aedes aegypti, qui lui a permis de devenir endémique dans un nombre croissant de villes et de zones péri-urbaines environnantes, en particulier en Asie et en Amérique latine (Moncayo et al., 2004).

Les origines zoonotiques de la malaria, une maladie beaucoup plus ancienne responsable d’un bien plus grand nombre de décès et de handicaps que toute autre maladie infectieuse (300 millions à 500 millions de cas par an, et jusqu’à 2,7 millions de décès), sont moins évidentes (Mu et al., 2005). Dans de nombreuses régions, elle est cependant transmise par des moustiques des forêts. D’après des recherches récentes, l’incidence accrue de la maladie dans certaines régions d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie du Sud-Est serait liée à la déforestation (Vittor et al., 2006; Walsh, Molyneux et Birley, 1993). La construction de routes, l’abattage d’arbres, la réduction de l’ombre et l’accroissement du stockage de l’eau se sont avérés favoriser la reproduction et un développement plus rapide des larves de moustiques (Afrane et al., 2005; de Castro et al., 2006). Autre fait préoccupant, une forme de malaria auparavant détectée chez des primates non humains a récemment été découverte chez l’homme en Asie du Sud-Est (Jongwutiwes et al., 2004; Singh et al., 2004).

Un certain nombre d’autres MIE importantes d’origine zoonotique ne semblent pas faire intervenir de moustiques vecteurs, bien que leurs cycles de transmission ne soient pas encore connus de façon certaine. Il s’agit des virus chikungunya, Oropouche et Ebola et du virus de l’immunodéficience simienne (VIS). Les conséquences dramatiques de l’apparition des deux derniers ont été sous les yeux de tous au cours des dernières décennies. Le VIH est un VIS zoonotique. On a récemment constaté que les VIS étaient communs chez les singes du vieux monde (Galat et Galat-Luong, 1997). La chasse, l’abattage ou l’achat illégal de ces animaux posent un grand problème, non seulement parce qu’ils mettent en péril la conservation, mais aussi parce qu’ils accroissent le risque d’émergence de maladies (Wolfe et al., 2005).

Beaucoup de foyers de virus Ebola se sont déclarés dans des zones situées en marge des forêts, où les populations humaines augmentent et entrent en contact avec des pathogènes qui leur sont étrangers, notamment du fait de leur proximité plus grande avec la faune sauvage. On en a déduit que des mécanismes associés à des changements d’affectation des terres agricoles situées en bordure de forêts et à des altérations de la faune naturelle pourraient entrer en jeu dans leur apparition (Morvan et al., 2000; Patz et al., 2004). On a aussi suggéré récemment que les chauves-souris pourraient être le réservoir du virus Ebola et que les singes pourraient contracter la maladie plus ou moins comme les hommes (Leroy et al., 2005). Les roussettes, des chauves-souris frugivores, sont aussi des hôtes importants d’autres maladies infectieuses émergentes, dont les virus de Nipah et du SRAS (Field et al., 2001; Lau et al., 2005).

Schéma causal de l’écologie des maladies infectieuses

L’accroissement démographique, combiné à l’augmentation de la consommation des ressources et de la production de déchets, provoque un changement environnemental régional, reflété par les tendances en matière d’utilisation des terres et les variations du couvert forestier. Bien que le déroulement varie d’une région à l’autre, le changement comprend trois processus caractéristiques liés à l’utilisation des terres, à savoir l’urbanisation, l’intensification de l’agriculture (y compris la production et la distribution de produits alimentaires) et l’altération des habitats forestiers.  

Les trois catégories d’utilisation des terres – habitat urbain, agricole et naturel – représentent un continuum d’écosystèmes suivant un gradient allant de domestique à naturel (de gauche à droite sur le graphique). Trois tendances écologiques sont associées à ces changements: domestication (ou péri-domestication) des vecteurs et des réservoirs; invasion de l’habitat domestique par des espèces sauvages opportunistes, par exemple certains rongeurs et arthropodes hématophages (moustiques, tiques, moucherons etc.); et invasion de l’habitat naturel par des espèces férales telles que cochons, chèvres, rats, souris, chiens et chats. Ces espèces deviennent des réservoirs de pathogènes, surtout dans les forêts perturbées et fragmentées adjacentes aux habitats humains. La convergence d’hôtes et de réservoirs humains et animaux et d’espèces vecteurs à l’intérieur des écosystèmes, de même que les mouvements, les déplacements et les mélanges à travers le continuum d’écosystèmes, affectent la dynamique hôte-pathogène de plusieurs manières qui favorisent l’émergence de maladies, ainsi:

  • Les pathogènes ont plus de possibilités de changer d’hôte (notamment de s’adapter à un nouvel hôte).
  • La transmission est amplifiée et la possibilité d’une évolution plus rapide est accrue, avec des cycles de transmission multiples et interdépendants.
  • Le taux d’infection des pathogènes dépasse le seuil requis pour produire une épidémie ou une maladie endémique, en raison des densités de population sans précédent du vecteur, du réservoir et des populations humaines sensibles.
  • En évoluant, les agents pathogènes augmentent leur caractère pathogène et infectieux et leur capacité à éviter d’être détectés par le système immunitaire, aussi les possibilités d’interaction des cycles d’infection endémique et des souches pathogènes, ainsi que la densité et la variabilité génétique des populations de pathogènes, sont-elles accrues.

Sources: Wilcox et Colwell, 2005; Wilcox et Gubler, 2005.

Maladies d’origine hydrique

Les maladies d’origine hydrique sont une autre catégorie de maladies infectieuses indirectement associées aux forêts ou à leur gestion. La faune sauvage des forêts peut intervenir ou non dans leurs cycles naturels, mais leur transmission (aussi bien entre animaux hôtes que vers l’homme) est facilitée par l’altération de la qualité et des régimes des eaux de surface, qui peut être liée à la déforestation des montagnes et à une gestion inappropriée des bassins versants (notamment à cause du surpâturage, de l’élimination de la végétation ripicole et de la canalisation des cours d’eau). Les pathogènes d’origine hydrique comprennent les virus entériques rotavirus et norovirus et les bactéries Campylobacter spp. et Vibrio cholerae, qui provoquent des millions de décès chaque année, en particulier parmi les nourrissons. La bactérie Vibrio cholerae, qui vit en symbiose (association réciproquement profitable) avec des crustacés marins et d’estuaire, est responsable de 1 million à 2 millions de cas de choléra chaque année selon les estimations (OMS, 2006). Tous ces pathogènes sont présents aussi bien à l’intérieur des terres que dans les eaux côtières de surface, en particulier (mais pas uniquement) dans l’eau contaminée par des excréments humains ou animaux. Les autres MIE généralisées qui sont transmises par l’eau impliquent des protozoaires appartenant aux genres Cryptosporidium et Giardia qui, avec Campylobacter spp., sont maintenus par les ongulés sauvages. Avec la leptospirose, l’une des MIE zoonotiques les plus répandues du monde pouvant avoir pour hôtes naturels ou accidentels pratiquement toutes les espèces de mammifères, ces pathogènes sont souvent associés à des bassins versants boisés écologiquement perturbés, abritant des populations denses de cochons et de rats. Des épidémies de leptospirose se sont déclarées avec une fréquence accrue dans le monde, dans des zones rurales et urbaines exposées aux inondations et ayant des infrastructures de drainage et d’assainissement insuffisantes, conditions assez typiques de tous les environnements urbains, péri-urbains et ruraux pauvres des régions développées et en développement (Vinetz et al., 2005; Wilcox et Colwell, 2005).

LES MÉCANISMES D’ÉMERGENCE DES AGENTS PATHOGÈNES HUMAINS

Le rôle des forêts et de leur gestion dans l’émergence de maladies infectieuses humaines semble impliquer trois dynamiques distinctes mais interdépendantes:

Ces changements sont souvent liés au défrichement des forêts et au développement des habitats de lisière qui s’accompagnent d’un morcellement du paysage forestier et d’une perturbation de la structure verticale et de la diversité au sein des peuplements forestiers. L’accroissement de la densité de certains hôtes et vecteurs de pathogènes étend en effet l’habitat de ces derniers et augmente la prévalence de l’infection chez les hôtes. L’augmentation du nombre d’hôtes et/ou de vecteurs et de leur taux d’infection a pour effet d’accroître non seulement la fréquence de leurs contacts avec les hommes mais aussi la probabilité que l’hôte ou le vecteur soit infectieux. Elle permet surtout à l’agent pathogène de persister indéfiniment et à la maladie de devenir endémique.

L’un des exemples les mieux documentés de ce processus est celui de la maladie de Lyme, une MIE causée par une bactérie spirochète des zones tempérées du genre Borrellia, transmise par les tiques. L’écologie de son émergence dans le nord-est des Etats-Unis a fait l’objet d’études approfondies, qui ont permis de comprendre ce qu’elle implique sur le rôle de la gestion des forêts dans la maladie en général (Allan, Keesing et Ostfeld, 2003). La maladie de Lyme comprend un cycle selvatique complexe dans lequel le vecteur donne la préférence à différentes espèces d’animaux hôtes durant les divers stades de son cycle vital. L’abondance du pathogène semble être essentiellement fonction de l’abondance de deux espèces animales qui prolifèrent dans les paysages forestiers morcelés, à savoir la souris à pattes blanches, qui fait office de «super propagateur», et le cerf de Virginie, hôte optimal pour les tiques adultes. Ces espèces sont adaptées aux lisières des forêts et elles ont moins de prédateurs dans ces
paysages que dans des blocs de forêts d’un seul tenant. En outre, la communauté de vertébrés est moins diversifiée dans les forêts fragmentées, de sorte que les taux de transmission du pathogène sont dans l’ensemble plus élevés, les souris à pattes blanches étant parmi les hôtes vertébrés à partir desquels se dissémine le mieux ce microparasite.

Considérant le fait que les communautés de vertébrés de forêt intacte ont une sorte d’effet de dilution sur les pathogènes et compte tenu du rôle des prédateurs dans la régulation des populations de rôdeurs et d’ongulés dans des écosystèmes préservés, certains environnementalistes ont classé la régulation de l’émergence des pathogènes parmi les services rendus par les écosystèmes forestiers. On peut estimer que les fonctions éco-hydrologiques des forêts d’altitude et des bassins versants préservés servent aussi à limiter l’émergence des pathogènes d’origine hydrique, en «captant» et en filtrant les ruissellements chargés de pathogènes et en modulant l’amplitude des débits de pointe durant les tempêtes saisonnières.
La perte de ces fonctions favorise la transmission des pathogènes et leur maintien dans les populations hôtes, en accroissant la quantité de pathogènes humains contenus dans les excréments animaux. Les épidémies de choléra et de leptospirose surviennent fréquemment quand un grand nombre de personnes ont été exposées à des agents pathogènes provenant du sol et des sédiments ou en suspension dans les eaux de crue (Wilcox et Colwell, 2005).

La fragmentation des forêts altère la dynamique des maladies en influant sur le nombre et la distribution des hôtes et des vecteurs, et par voie de conséquence sur l’abondance ou la dispersion des pathogènes
www.forestryimages.org/4166001/J.D. Ward/USDA Forest Service

CONCLUSION

Les maladies infectieuses émergentes sont aujourd’hui considérées comme des défis majeurs pour la science, la santé et le développement humain. Les changements rapides associés à la mondialisation, en particulier le développement des services de transport, mêlent les populations, les animaux domestiques, la faune et la flore sauvages à leurs parasites et à leurs agents pathogènes, à une fréquence et selon des combinaisons sans précédent.

Le rôle des forêts, l’effet potentiel sur celles-ci et les conséquences pour la gestion des ressources forestières sont importants. Les pratiques et les changements d’affectation des terres forestières, surtout en l’absence de réglementation et de prévision, conduisent fréquemment à une prévalence accrue de zoonoses et de maladies transmises par des vecteurs, et accroissent parfois la prévalence de maladies capables de provoquer des pandémies catastrophiques. Il doit en être tenu compte dans l’utilisation des terres forestières et dans la planification et la gestion de leurs ressources.

Compte tenu de l’impact considérable qu’ont les MIE sur les hommes et le développement économique, notamment des conséquences économiques des maladies sur l’agriculture et la foresterie, une collaboration est indispensable entre les secteurs de l’agriculture, des forêts et de la santé publique pour établir des politiques et des pratiques visant à la prévention et au traitement de ces maladies. Il faudra pour cela renforcer considérablement la réglementation, la surveillance et le dépistage des pathogènes dans les systèmes de transport.

La recherche sur les MIE – en particulier concernant l’épidémiologie écologique des zoonoses et des maladies transmises par des vecteurs associées aux forêts – doit être intégrée avec la gestion et la planification des ressources forestières. Il faut mettre davantage l’accent sur l’intégration de la recherche et de la pratique, par exemple en élaborant des directives de gestion forestière propres à faciliter le traitement et la prévention de ces maladies. Cela suppose d’intensifier les recherches interdisciplinaires et les collaborations entre forestiers, environnementalistes spécialisés en forêts et experts des maladies infectieuses de l’homme et des animaux sauvages, pour mieux comprendre le rôle et l’impact des forêts et de l’utilisation et de la gestion des terres forestières sur les MIE.

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