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Les stratégies de lutte antiérosive

La lutte antiérosive classique consiste généralement à appliquer des recettes: structures antiérosives et techniques culturales qui ont montré quelque part et en d'autres circonstances , des aptitudes à retenir l'eau et à ralentir l'érosion. Dès lors, il n'est pas étonnant que la majorité des projets comportant la lutte antiérosive ait abouti depuis 50 ans à des échecs (Hudson, 1991).

En ce qui nous concerne, nous passerons en revue et analyserons l'efficacité de pratiques antiérosives, des structures de gestion de eaux de surface et les problèmes posés par certains systèmes de production, et enfin, nous tenterons de montrer comment utiliser pratiquement le modèle empirique de Wischmeier (Roose, 1977, 1987 et 1992).

Nous avons vu au début de cet ouvrage, comment l'Etat a été amené à aborder les problèmes de lutte antiérosive d'un point de vue aval ou du point de vue de l'intérêt général des citadins qui tendent à protéger la qualité des eaux (stratégies d'équipement rural). Mais ici, nous aborderons ces problèmes de lutte antiérosive du point de vue amont, en vue de répondre aux problèmes de dégradation des terres des paysans: nous parlerons de stratégies de développement agricole.

LES STRATEGIES D'EQUIPEMENT

Dans ce cadre, le bassin versant est l'unité physiographique naturelle d'aménagement, en particulier pour la lutte antiérosive. On procède de la façon suivante:

- On dresse d'abord la carte des potentialités des terres.

Les américains (USDA) ont défini huit classes de terre en fonction de leurs contraintes pour les grandes cultures.

Les classes 1 et 2 ont des pentes faibles (de O à 2 %) et sont plus ou moins bien drainées. Ces terres conviennent pratiquement à toutes les cultures aménagement particulier autre que le drainage.

Les classes 3 à 6 concernent des versants cultivables dont les contraintes à la culture augmentent en fonction de la faible épaisseur du sol, du taux de cailloux, des pierres empêchant la mécanisation et en fonction de la pente.

Les classes 7 et 8 doivent être couvertes de végétation permanente, de forêts de protection ou de pâturages extensifs. Ils ne permettent pas la culture.

Mais chacun doit trouver sa propre classification de potentialité des terres en fonction du climat et des conditions morphologiques et pédologiques locales; par exemple, en milieu semi-aride soudano-sahélien du plateau Mossi, on distingue traditionnellement le haut de toposéquence cuirassé ou gravillonnaire à forte pente qui est réservé à l'élevage, au parcours extensif, le glacis à faible pente dans lequel on distingue d'abord une zone sableuse peu profonde dont l'usage est limité et par ailleurs le bloc de culture sera situé sur la zone limono argileuse du bas glacis et enfin les sols de bas de pente qui sont toujours plus ou moins hydromorphes.

A côté de la carte d'aptitude des sols, il faudra dresser la carte des risques actuels d'érosion et la carte d'occupation des sols. De la comparaison de ces trois cartes au 10.000ème on peut dresser une carte d'intervention et d'équipement rural en vue de l'aménagement du bassin.

- Il faut ensuite définir les structures permanentes de l'aménagement.

D'abord, le réseau routier, le réseau de drainage, les ponts qui permettent de circuler dans le bassin, en particulier en vue de prélever les récoltes. Ensuite, un système de lutte antiérosive, par exemple:

• des terrasses progressives, définies par des bandes de terre labourées vers l'aval, s'appuyant sur des bandes d'arrêt enherbées ou des talus;

• un système de planches mis au point par l'ICRISAT pour les vertisols sur des pentes inférieures à 2 % (Pathak et al., 1985);

• un système de gradins à pente nulle pour les zones à forte pression démographique;

• un système de banquettes de diversion telles qu'elles sont connues en Afrique du Nord ou un système de terrasses individuelles, pour les vergers.

- Enfin, il faut définir un système de production tenant compte du milieu écologique mais aussi du milieu humain (besoins des populations, rentabilité des productions, marché local, niveau de connaissance des populations et autosuffisance alimentaire). Il faudra donc développer des rotations, un système de fertilisation et d'amendement, localiser les terres qui seront réservées à la foresterie, celles qui seront utilisées en parcours, les blocs de culture, et les zones irriguées ou drainées. Enfin, prévoir un système de drainage, des exutoires aménagés, la stabilisation des rivières et des ravines, autant que l'organisation du marché régional et des transports.

TABLEAU 31 : Techniques culturales et structures antiérosives en fonction du mode de gestion des eaux de surface (d'après Roose, Ndayizigiyé et Sekayange, 1992)

Modes de gestion de l'eau

Structures

Techniques culturales

AGRICULTURE SOUS IMPLUVIUM
Zone aride à semi-aride

Impluvium, citerne
Drain, digues sur les oueds
Terrasses discontinues

Labour, cuvettes
Microbassins localisés
Zaï

INFILTRATION TOTALE
Zone semi-aride (P < 400 mm) ou zone humide sur sol très perméable

Fossés aveugles
Terrasses radicales
Gradins

Labour + billons cloisonnés
Paillage

DIVERSION
Climat semi-humide, mois très humides. Sol peu perméable

Fossés de diversion
Banquette algérienne
Terrasse radicale drainante

Billons obliques ou dans le sens de la pente

DISSIPATION DE L'ENERGIE DU RUISSELLEMENT
Tous climats, sols semi-perméables. Pentes pas trop raides

Cordons ou murs de pierres
Talus enherbés, lignes d'herbes
Haies vives

Agroforestrie
Labour motteux
Cultures alternées/prairie
Paillis

Dans le cadre de cette stratégie d'équipement rural, l'ingénieur chargé par le pouvoir central d'aménager un bassin versant, définit autoritairement les zones à mettre en défens, les zones où les parcours des animaux seront organisés et l'ensemble des conditions de production dans la région.

LES STRATEGIES DE DEVELOPPEMENT AGRICOLE

Dans le cadre de cette approche de développement rural, l'ingénieur sera amené avant tout à répondre aux besoins des paysans. Il va procéder en trois étapes:

- Tout d'abord, une première étape de mise en confiance et de dialogue avec la population au cours de laquelle il procédera, avec des paysans, à des enquêtes pour appréhender le système agraire, définir les systèmes de production traditionnels, préciser les lieux, époques, et la façon dont se posent les problèmes d'environnement des paysans. Il cherchera ensuite les relations entre ces problèmes de ruissellement et d'érosion et le système d'exploitation du milieu; il s'informera sur la façon dont les paysans conçoivent, observent ces problèmes d'érosion, et quelles sont les solutions qu'ils entrevoient. Enfin il recherche avec eux les méthodes pour augmenter l'infiltration des eaux de pluie en vue d'augmenter la biomasse et les rendements, la productivité du travail des paysans et enfin, comment couvrir le sol par les végétaux en vue de réduire les risques d'érosion. Après avoir pris connaissance des problèmes posés et des éléments de solution entrevus par les paysans, il peut soumettre à leurs discussions, des éléments de réponse plus techniques.

- Deuxième phase: l'expérimentation chez les paysans. Il s'agit cette fois d'estimer dans les champs des paysans les risques de ruissellement et d'érosion en fonction des types d'averse et ensuite de comparer différentes techniques culturales ou structures antiérosives dans des champs de démonstration chez les paysans et de quantifier, le plus précisément possible, la faisabilité, l'efficacité et la rentabilité de chacun des éléments de solution. A la fin de cette phase qui durera nécessairement 3 à 5 ans, doit être prévue une évaluation des réalisations à la fois par les paysans et par les techniciens.

- La troisième phase comporte un plan d'aménagement non plus seulement de parcelles élémentaires, mais de l'ensemble d'un versant, d'une colline, d'un bassin versant ou d'un terroir occupé par une communauté rurale. A ce stade, on comparera la carte d'aptitude des terres, la carte des dégâts actuels et des risques d'érosion, la carte d'occupation des sols (photo aérienne au 10.000ème) pour définir les aménagements acceptables par les paysans, de chacun des segments fonctionnels du paysage, en commençant d'abord par le bloc cultivé, par le sommet ensuite et finalement par le bas-fond.

L'étude de ces aménagements de terroir demandera nécessairement une approche plus poussée des aspects socio-économiques, et une participation de la population rurale dès la conception du projet et à chacune des phases d'enquête, de démonstration, d'expérimentation et de généralisation au niveau du terroir. En observant les modes de gestion traditionnelle des eaux et de la fertilité, on pourra choisir des méthodes mieux adaptées d'une part aux conditions écologiques de la région et d'autre part, au contexte socio-économique des populations locales.

La GCES s'appuye sur la gestion raisonnée de l'eau et des nutriments. La gestion des nutriments DOIT associer la fumure (organique et minérale) à la lutte antiérosive. La gestion de l'eau doit aboutir à utiliser les eaux disponibles en vue de maximaliser la productivité des terres.

Si on trace une diagonale à travers l'Afrique de l'Ouest depuis le Sahara jusqu'à la zone subéquatoriale, on peut définir quatre modes de gestion des eaux en fonction des conditions climatiques et de la perméabilité des sols. A chacun de ces modes correspondent des techniques culturales et des structures antiérosives particulières.


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