Variations de la composition

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Dans les espèces animales, c'est le débit lacté qui influence le plus la composition du lait, tandis que dans l'espèce humaine, après les variations individuelles, c'est la durée de la gestation qui conditionne le plus la composition. En effet, celle-ci présente des variations interindividuelles qui, pour certaines substances (matières grasses), peuvent aller du simple au quintuple

La composition du lait varie aussi chez un même sujet en fonction d'un ensemble de facteurs: heure de la journée (variations diurnes de l'azote, du zinc et du magnésium), début ou fin de la tétée (lipides et vitamines liposolubles), stade de lactation (protéines anti-infectieuses) (figure 1 ) ou saison (vitamine D).

Effet des durées de gestation et de lactation

Durée de gestation (prématurité). Les mères accouchant prématurément donnent moins de lait que celles qui donnent naissance à des nouveau-nés à terme, mais leur lait est plus riche en protéines, en moyenne de 20 pour cent environ (tableau 11). Cela correspond d'ailleurs bien au besoin de ces deux catégories d'enfants.

TABLEAU 11 Variations de la composition du lait en cours de lactation de mères ayant accouché avant terme (PT) ou à terme (T) (moyennes)

Nutriments Type de lait

Jours de post-partum

3 14 28
Lactose (g/litre) PT 59,6 62,1 69,5
T 61,6 67,8 72,6
Lipides (g/litre) PT 16,3 44,0 40,0
T 17,1 34,8 40,1
Protéines (g/litre) PT 32,4 21,7 18,1
T 22,9 15,7 14,2
Energie (kcal/litre) PT 514 723 701
T 487 642 697
Sodium (mEq/litre) PT 266 197 126
T 223 110 85
Chlore (mEq/litre) T 269 145 131
Potassium (mEq/litre) T 185 154 150
Calcium (mg/litre) T 2 140 2 580 2 490
Phosphore (mg/litre) T 1 100 1 680 1 580
Magnésium (mg/litre) T 250 260 250

Source : Gross 1987.

Le taux de lactose est plus bas dans le «lait de prématuré». Pour les lipides, les variations interindividuelles sont plus marquées que celles liées à la durée de gestation.

Le «lait de prématuré» est plus riche en ions sodium et chlore, et cela indépendamment de l'effet de volume (plus le débit est bas, plus les taux ioniques sont élevés). Pour les autres minéraux, les différences sont minimes (potassium) ou inexistantes (calcium, phosphore et magnésium).

En ce qui concerne les éléments immunitaires, on observe peu de variations des immunoglobulines M et G. mais le «lait de prématuré» contient davantage d'immunoglobuline A. Cela perdure pendant au moins trois mois. On observe le même phénomène pour deux protéines anti-infectieuses, le Iysozyme et la lactoferrine.

TABLEAU 12 Teneur énergétique du lait de femme dans différents pays (kcal/litre)

Pays

Mois écoulés depuis l 'accouchement

1 3 9
Hongrie 609±89 597±104 -
Suède 737±175 794±215 833±200
Guatemala 558±73 564± 59 582±83
Philippines 610±114 606±123 597±83
Zaïre 586±110 573±110 619±110

Source: OMS 1987.

Durée de lactation. La teneur énergétique du lait de femme reste à peu près constante au cours de la lactation (tableau 12).

La composition en protéines des laits est qualitativement très semblable, mais quantitativement très différente au cours des derniers mois de lactation.

Le taux de matières grasses augmente entre le deuxième et le dixième jour de lactation et sans doute légèrement même au-delà (parfois jusqu'au trentième jour).

En examinant les concentrations des acides gras (en particulier des cinq plus importants qui constituent plus de 90 pour cent de la teneur totale), on note que le profil reste à peu près constant au cours de la période de lactation. Seul l'acide linoléique passe de 14 pour cent environ à un mois à près de 20 pour cent à deux mois de lactation.

Les concentrations d'électrolytes comme le sodium et le chlore, qui sont étroitement liés, diminuent lorsque la lactation avance. Le stade de la lactation n'influe pas sur les concentrations des autres minéraux.

Les taux de zinc, de cuivre et de manganèse tendent à diminuer avec le temps. Celui de manganèse tend toutefois à augmenter en cas d'allaitement prolongé (supérieur à 6 mois).

Effet du régime alimentaire de la mère

TABLEAU 13 Variations de la composition de laits de mères en fonction de l'état de nutrition

Communauté Lipides

(g/litre)

Lactose

(g/litre)

Protéines

(g/litre)

Calcium

(mg/litre)

Bien nourries
Etats Unis 45,0 68,0 11,0 340
Royaume-Uni 45.8 69.5 1 1,6 299
Alexandrie, Egypte (bonne santé) 44,3 66,5 10,9  
Brésil (statut économique élevé) 39,0 68,0 13,0 208
Mal nourries
Inde 34,2 75, 1 10,6 342
Afrique du Sud (bantoue) 39,0 71,0 1 3,5 287
Brésil (statut économique bas) 42,0 65,0 13,0 257
Ibadan, Nigéria 40,5 76,7 12,2 -
Pakistan 27,3 62,0 8-9 284
Chimbu, Nouvelle-Guinée 23,6 73,4 10,1 -

Source: Goldman et Goldblum

De manière générale, la malnutrition protéoénergétique affecte plus la production lactée que la qualité du lait. Même en situation de carence protéique extrême (Kwashiorkor maternel), l'essentiel des composants du lait (lactose, matières grasses et azote total) se trouve non modifié (tableau 13). Cela se vérifie aussi pour les composants anti-infectieux du lait (IgA sécrétoires, lactofetrine, lysozyme), qui se maintiennent à des taux normaux, voire légèrement accrus (Iysozyme) en situation nutritionnelle critique.

La consommation de matières grasses se reflète dans le lait de la mère allaitante: on trouve davantage de précurseurs de l'acide arachidonique chez des mères végétariennes. Les taux lactés en oligo-éléments (zinc, cuivre, sélénium, fer et iode) sont en partie tributaires des habitudes de consommation alimentaire maternelle (fibres).

La consommation maternelle en vitamines influence certains taux lactés.

Un apport en vitamine K. par exemple, s'accompagne d'une augmentation immédiate dans le lait. Il n'est par contre pas possible de manipuler les teneurs en vitamine D du lait par l'intermédiaire du régime alimentaire de la mère.

Effet de la prise de médicaments

Au fil des années, la liste des médicaments susceptibles de se retrouver dans le lait humain ne cesse de s'allonger. Certaines médications (cocaïne, cyclosporine, ergotamine, lithium, phénindione, etc.) sont contre-indiquées en période d'allaitement, car ces substances sont toxiques pour le nourrisson. Il en va de même pour des drogues (amphétamine, héroïne, phénylcyclidine, etc.) dont l'usage est illicite.

Lors de l'administration à la mère allaitante de radioéléments (gallium 67, iode 131), l'allaitement maternel doit être arrêté pour un temps souvent court. Cette durée est fixée d'après la demi-vie du radioélément impliqué.

Bon nombre de médicaments dont l'usage est habituel doivent être prescrits avec circonspection, car les répercussions lointaines de leur emploi prolongé sur l'enfant, mal connues, peuvent ne pas être négligeables.

Effet de facteurs d'environnement

Le lait maternel est l'ultime maillon d'une chaîne alimentaire. C'est tout au long de cette chaîne que peut se produire une contamination par des toxiques, soit des produits de synthèse chimique. soit des substances naturelles concentrées par l'homme (métaux, sources de rayonnement). Ces produits proviennent de l'activité humaine (rejets industriels et domestiques, insecticides). L'exposition aux substances toxiques peut être chronique (polluants) ou accidentelle (explosion nucléaire, catastrophe écologique).

Un ensemble de substances chimiques a été mis en évidence dans le lait maternel, mais seul un petit nombre d'entre elles s'y retrouvent de manière répétée ou durable. Il s'agit essentiellement des substances lipophiles. Les polluants accumulés dans les tissus adipeux sont d'ordinaire des substances préalablement ingérées à petite dose, mais de façon chronique; leur dégradation par l'organisme est faible ou leur conversion métabolique donne naissance à une autre substance souvent chimiquement proche (transtormation du DDT en DDE par le foie). Leur élimination spontanée étant lente, ces polluants très liposolubles finissent par s'accumuler dans le tissu adipeux, d'où ils sont mobilisés avec les lipides (amaigrissement volontaire rapide, utilisation des lipides endogènes pour la lactation). C'est pourquoi leur concentration exprimée en unités par 100 g de matière grasse peut être de 20 à 30 fois supérieure à leur concentration mesurée par 100 ml de lait ( Rogan, Bagniewska et Damstra, 1980).

Organohalogènes. On distingue, dans ce groupe de substances, trois classes de polluants majeurs: les pesticides organochlorés, les polychlorobiphényles (PCB) et la famille des dioxines et benzofuranes. Ce dernier groupe ne constitue pas un ensemble de substances de synthèse à proprement parler: il s'agit plutôt d'«impuretés de synthèse» générées involontairement lors de la production des pesticides organochlorés, et très toxiques.

Pesticides organochlorés. Leur nature de pesticide implique un usage dispersif, donc répandu et difficile à maîtriser. Leur présence dans le lait maternel (DDT) a été stigmatisée au cours des années 70 et signalée à l'échelle universelle à des taux fort variables. Il en est de même pour le produit de conversion du DDT, le DDE, dont l'organisme ne se débarrasse que lentement, notamment via la sécrétion lipidique du lait maternel. A titre d'exemple, un nourrisson strictement allaité ingérera pendant 6 mois (avec les 4,5 kg de graisses lactées ainsi consommées) environ 29 mg de DDE en Hongrie, 14 mg au Guatemala, 4 mg au Philippines et en Suède, et 3 mg au Zaïre (OMS, 1987).

La vérité exige qu'on précise que nul ne sait si ces quantités sont vraiment toxiques et nuisibles pour l'enfant. A vrai dire aucun cas d'intoxication infantile imputable au lait de femme ne semble avoir été rapporté avec certitude à ce jour. Il n'en faut pas moins sous-estimer les risques: le DDT est en soi un toxique, mais à des doses élevées et en consommation aiguë. Une ingestion de 16 à 282 mg/kg (soit de 1 à 20 g pour un adulte de 70 kg) a donné lieu à des accidents, mais non mortels.

D'autres organochlorés doivent être cités: la dieldrine, l'heptachlorépoxide ainsi que le lindane et ses dérivés. Leur toxicité est ici bien établie, toute exposition grave pouvant entraîner des convulsions subintrantes et la mort. Chez ceux qui en réchappent, des troubles hépatiques fonctionnels sont décrits.

Actuellement, les pesticides organophosphorés sont utilisés en agriculture intensive et l'utilisation des pesticides organochlorés est interdite. La circulation de ces substances dans notre écosystème n'est donc pas interrompue, suite à leur usage passé et massif et à leur dispersion, encore de nos jours, dans un grand nombre de pays en développement. C'est pourquoi la prudence reste de mise et divers organismes (OMS, Food and Drug Administration) ont établi des seuils de sécurité fixant le maximum de la consommation acceptable pour ces produits (tableau 14). Ces valeurs se trouvent être de 100 à 1 000 fois plus basses que les quantités aiguës jugées toxiques. L'ingestion occasionnelle qui dépasse par exemple de deux ou trois fois ce seuil de sécurité n'est donc pas forcément dangereuse.

Polychlorobiphényles (PCB). Ces produits (isolants) ont été très utilisés dans les pays industrialisés. Leur production est censée être abandonnée, mais leur existence (transformateurs) et leur élimination progressive reste une cause de souci. Leur présence dans le lait humain est le fait d'un nombre limité d'isomères, mais les concentrations mesurées dans le lait des mères belges en 1977, 1982 et 1987 restent étonnamment stables.

Dioxines et furanes. Une polémique sur le degré de toxicité de ces substances (aussi présentes dans le lait humain) persiste dans la littérature médicale, empêchant d'affirmer nettement l'ampleur du risque lié à leur ingestion et notamment de savoir s'il existe, pour ces substances, un taux «admissible». Quoiqu'il en soit, un grand nombre des risques sont associés à l'exposition à ces substances. Il faut citer en premier une incidence accrue de cancers et de malformations foetales, ainsi que l'acnée chlorée décrite à Seveso, en Italie, après l'accident survenu en 1976 (Roberts, 1991a et b).

TABLEAU 14 Doses journalières admissibles ou tolérables des différentes substances organohalogènes et métaux établies par différents organismes

Substances (Organismes et années) µg/kg de poids corporel Dose journalière
BPC (DGPS 1* Tolérable temporaire
DDT (total)

(OMS, 1984)

20 Admissible
HCB g BHC

(OMS, 1989)

8  
T-HCH

(OMS, 1977)

10 Admissible
Oxychlordane

t-nonachlore

(OMS, 1982)

1 Admissible temporaire
Epoxyde d'hoptachlore

(OMS, 1991)

0,1 Admissible
Aldrine et dieldrine

(OMS, 1977)

0,1 Admissible
Plomb

(OMS, 1993)

25 Tolérable temporaire
Cadmium

(OMS 1993)

7 Tolérable temporaire

*Ce niveau a été proposé, mais n'a pas été etabli.

Métaux lourds. Le méthylmercure (produit de l'action bactérienne convertissant le mercure métal), le cadmium et le plomb ingérés avec la viande ou le poisson traversent la barrière placentaire durant la grossesse (peu pour le cadmium) et se retrouvent ensuite en partie dans le lait humain. Le taux de plomb du lait est environ 10 fois inférieur au taux sanguin maternel. En pratique, les teneurs mesurées au cours d'études conduites aux Etats-Unis et au Canada restent bien en deçà des normes journalières établies par l'OMS (plomb: 25 µg/kg de poids corporel; cadmium: 7 µg/kg de poids corporel) (décisions du JECFA, 1993)3.

La femme et le nourrisson se trouvent ainsi tous deux à la fin d'une longue chaîne alimentaire et il est certain due les polluants atteignent le lait de emme davantage que les laits animaux. Rien ne permet pourtant de dire que la présence de ces polluants industriels atténue d'une manière quelconque les avantages de l'allaitement (au sein). En retour, ces allégations rassurantes ne doivent pas non plus faire relâcher les efforts de décontamination et d'assainissement du milieu environnant.

Radioactivité. L'accident de Tchernobyl (26 avril 1986) a constitué une expérience involontaire en ce qui concerne le risque de contamination radioactive de l'environnement par le césium 134 et 137 et l'iode 131. En Autriche, où les retombées semblent avoir été les plus fortes, des enquêtes ont été effectuées afin de mesurer la radioactivité (Lechner et al., 1986; Haschka, et al., 1987).

D'une manière générale, on a constaté une augmentatio du taux d`iode 131 dans le lait de femme durant les 2 semaines qui ont suivi l'incendie de l'usine nucléaire, cela en raison de la demi-vie brève de cet élément radioactif. Le taux du lait humain aux périodes les plus critiques n'a cependant pas dépassé le dixième à peine du taux détecté dans le lait des vaches qui broutaient directement les herbages contaminés.

Les taux de césium 134 et 137 ont augmenté progressivement dans le lait de vache au cours des 6 à 8 semaines qui ont suivi l'accident. Cette augmentation n'a pas été constatée dans le lait humain.

Effet des traitements

Les méthodes de conservation et surtout les traitements préalables (pasteurisation) auxquels le lait est soumis en vue de sa conservation jouent un rôle souvent délétère sur ses constituants protéiques. Les protéines de nature anti-infectieuse sont les plus altérées, notamment lors du traitement par la chaleur (tableau 15). Un lait traité ainsi protège mohair l'état de santé du nourrisson, ce qui peut retentir sur son état de nutrition.

Importance nutritionnelle de la flore digestive associée à l'allaitement

TABLEAU 15 Impact du traitement thermique conservateur sur le maintien des protéines du lait humain

Constituants

Pourcentage de perte

Traitement par la chaleur

Congélation et conservation
(62,5 °C , 30 min) (70-73 °C, 15-30 min ) (-20°C 3 mois)
IgA 0-33 33-100 0-3
IgG 34 97 0-Significatif
IgM 100   Significatif
Lactoferrine 0-63 94-100 0
Lysozyme 0-23 35-100 0-10
C3   100 7
Lymphocytes 100   85-100
Macrophages 22   57

Source Williams et Baum, 1984

La période infantile est la seule qui permette au régime alimentaire d'influencer la flore intestinale. L'enfant allaité est colonisé en prédominance par des bifidobactéries (90 pour cent), alors que l'enfant nourri au lait en poudre voit les entérobactéries prendre le dessus (figure 3). Les raisons de ces différences ont déjà été évoquées, comme les conditions de pH ou la présence en quantités substantielles de lactoferrine dans le lait maternel, par exemple.

En période néonatale, cette flore intervient largement dans la récupération colique du lactose ayant échappé à l'hydrolyse lactasique. Jusqu'à 10 pour cent du lactose alimentaire peut atteindre, intact, le colon tandis que, chez les sujets lactose déficients, cette proportion est encore plus élevée.

La fermentation colique (selon la flore en présence) permet de récupérer de 60 à 90 pour cent des disaccharides ayant échappé à la digestion intestinale. Ceux-ci sont convertis en acides gras courts volatiles et rapidement absorbés, actifs en termes énergétiques. La part d'énergie que le nourrisson et l'enfant récupèrent de la sorte n'a pas encore été précisée.

FIGURE 3 Flore fécale chez les enfants allaités (a) et nourris au biberon (b)


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