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Résoudre les conflits opposant droit forestier coutumier et droit forestier officiel dans le Pacifique Sud-Ouest

J.S. Fingleton

James S. Fingleton, avocat international spécialisé en droit du développement, notamment en ce qui concerne la propriété foncière, l'aménagement et la conservation des forêts et des ressources naturelles, travaille à Canberra (Australie).

Examen du nouvel équilibre des rôles en matière d'aménagement forestier entre autorités coutumières et pouvoir officiel dans le Pacifique Sud-Ouest

Introduction

De nombreux pays en développement des tropiques vivent essentiellement des revenus de l'industrie forestière. Pourtant, déçus par la contribution globale de l'industrie forestière traditionnelle au développement économique national, et de plus en plus conscients que beaucoup de méthodes d'utilisation et d'aménagement des forêts ne sont pas viables à long terme, nombre d'entre eux se tournent vers de nouvelles solutions. De plus en plus, ils reconnaissent qu'il faut associer les collectivités vivant sur les terres forestières, ou à proximité, à la planification et à l'aménagement des forêts. Cette participation locale directe est essentielle pour tirer parti des connaissances et des techniques traditionnelles d'aménagement forestier, pour promouvoir un développement écologiquement viable et associer directement les populations locales aux bénéfices de la production forestière. Cette optique se reflète dans la déclaration de principes non contraignante visant un consensus mondial sur l'aménagement, la conservation et le développement durable des forêts, adoptée par la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED) à Rio de Janeiro, en juin 1992. Plusieurs paragraphes de cette déclaration recommandent la participation des divers partenaires et couches de la société - y compris les collectivités locales, la population indigène et les habitants des forêts - à la conservation et à l'aménagement des forêts (Lanly, 1992).

La nécessité et la volonté de promouvoir la participation directe des habitants des forêts mettent en lumière un conflit fondamental dans la gestion quotidienne des forêts de nombreux pays. Il s'agit du conflit entre le droit officiel représenté par les organismes forestiers et le droit coutumier des collectivités locales. Le système forestier des pays en développement est souvent fortement marqué par un passé colonial relativement récent où la société était divisée en une petite élite de dirigeants et la grande masse de gouvernés, où l'économie était soit «moderne» soit «de subsistance» et où le droit était soit celui des sociétés «civilisées» soit celui des populations dites «primitives». Sans doute ces dichotomies sont-elles dépassées, mais elles montrent bien que le droit officiel et la coutume ont servi deux maîtres différents, que cette dualité penchait en faveur du système officiel, et qu'il faudra inverser l'équilibre du pouvoir et des avantages en faveur des collectivités traditionnelles si l'on veut promouvoir leur participation à l'aménagement forestier.

Le système juridique d'un pays peut être considéré comme un accord entre l'Etat et la population sur les méthodes de gouvernement. Le pouvoir de l'Etat est contrebalancé par celui des citoyens, et cet équilibre des pouvoirs reflète le degré de démocratie d'un pays. Le présent article examine le pouvoir coutumier et le pouvoir traditionnel dans plusieurs pays du Pacifique Sud-Ouest et le passage progressif du pouvoir de l'Etat vers celui des collectivités indigènes. L'analyse est centrée sur les changements de politiques et de législation concernant les forêts. Les pays examinés sont essentiellement ceux où l'auteur a travaillé en tant que consultant auprès des gouvernements pour les politiques et les législations forestières ou pour des questions connexes. Aux fins de comparaison, l'Indonésie, qui lie l'Asie et le Pacifique, est également examinée. En conclusion, il est proposé à titre d'hypothèse d'utiliser la foresterie communautaire comme un lien entre le «droit officiel» des départements forestiers et la «coutume» des villageois.

Coutume et droit forestier officiel

En ce qui concerne le rôle de la coutume dans le système juridique des pays, la région du Pacifique Sud-Ouest se caractérise, en gros, par un mouvement qui va d'est en ouest, en partant des pays très influencés par la coutume de Polynésie comme le Samoa-Occidental - et en remontant vers l'ouest à travers la chaîne mélanésienne - Fidji, Vanuatu, îles Salomon, Papouasie-Nouvelle-Guinée jusqu'aux pays moins marqués par la coutume d'Asie du Sud-Est, l'Indonésie faisant le lien entre les deux catégories. L'analyse qui suit respectera cette progression d'est en ouest.

Samoa-Occidental

Le Samoa-Occidental est un petit pays isolé, dont le relief est essentiellement aride et montagneux. Son économie est dominée par l'agriculture villageoise. Ces dernières années, le taux relatif de déboisement a été beaucoup plus élevé que celui de la forêt amazonienne au Brésil (Gouvernement du Samoa-Occidental, 1991). Près des deux tiers du déboisement annuel est attribuable à l'agriculture ou à d'autres défrichements (et non à l'abattage commercial). La population polynésienne est très homogène, et le fa 'a Samoa (coutumes et traditions du Samoa) soutient une organisation sociale accordant une plus grande place à la dignité et à la réussite des groupements familiaux qu'aux individus eux-mêmes.

Le Samoa-Occidental est exceptionnel pour la place qu'il accorde au droit coutumier et à ses institutions dans un système moderne de gouvernement. La Constitution interdit d'aliéner les terres de droit coutumier (sauf de façon temporaire pour le bien collectif), si bien qu'environ 80 pour cent du pays sont placés sous régime coutumier. A la base du fa'a Samoa, il y a le matai, système par lequel le détenteur du titre de matai est le gardien temporel des biens de ses descendants et exerce son pouvoir sur ses membres et ses terres. Chaque village est gouverné par un fono ou conseil de chefs matai, qui prend les décisions concernant le village qui dépassent les pouvoirs des groupements familiaux. Les institutions traditionnelles les plus importantes sont reconnues officiellement sur le plan juridique, en particulier celles qui concernent l'administration du village.

Données de base pour six pays du Pacifique Sud-Ouest

Pays

Superficie (km²)

Population (1990)

Régime forestier

1. Samoa-Occidental

2 395

157 700

Pratiquement toutes en régime coutumier

2. Fidji

18 272

725 000

Pratiquement toutes en régime coutumier

3. Vanuatu

12 190

146 400

Toutes en régime coutumier

4. Iles Salomon

27 556

324 000

Pratiquement toutes en régime coutumier

5. Papouasie-Nouvelle-Guinée

462 243

3 528 500

Toutes en régime coutumier

6. Indonésie

1 918 663

184 600 000

Sous le contrôle de l'Etat

Sources: Pour les pays nos 1 à 5, PPS (1992); pour l'Indonésie, Collins, Sayer et Whitmore (1991).

La plus grande partie de la forêt naturelle restante est située sur des terres coutumières, et la majorité des pertes annuelles de forêts sont provoquées par les villageois qui défrichent en vue de cultiver. Ainsi, pour améliorer l'aménagement de la forêt naturelle au Samoa-Occidental, il faudra faire participer activement les collectivités locales à la planification. Malheureusement, la législation forestière actuelle ne s'y prête pas.

La loi de 1967 sur les forêts, qui suit étroitement la loi néo-zélandaise de 1949, est un exemple de législation forestière de la vieille école. Elle accorde à l'Etat le contrôle absolu des opérations commerciales en interdisant la vente d'arbres, sauf sous licence accordée par le gouvernement. Ces licences peuvent être octroyées pour toutes les classes de terres, après paiement de redevances aux propriétaires. Dans le cas des terres coutumières, le propriétaire peut demander l'octroi d'une licence à une personne, ou le gouvernement peut prendre lui-même une concession ou un prêt sur la terre et l'accorder ensuite à la personne de son choix. Cette solution relègue le propriétaire au rôle de spectateur passif qui se contente de recevoir des redevances quand on exploite son bois. D'autres clauses de la loi sur les forêts visent la conservation et la protection des bassins versants, mais elles sont tributaires de l'intervention de l'Etat. Si l'Etat ne possède pas la terre, il doit l'acquérir ou lui donner le statut de «terre protégée» pour une durée maximale de cinq ans, en indemnisant tous ceux dont les intérêts sont lésés (FAO, 1991). Ces mesures n'essaient pas d'encourager la communauté à conserver et à protéger des terres; elles ne cherchent pas non plus à faire participer la population aux prises de décision en matière de gestion des ressources.

L'examen des politiques forestières au Samoa-Occidental, qui est actuellement entrepris par le gouvernement, accorde un rôle à la foresterie communautaire, mais uniquement pour le développement des ressources forestières en complément des plantations d'Etat. Cela est regrettable car on néglige le rôle vital que les collectivités pourraient avoir dans l'aménagement économique des forêts naturelles restantes, ainsi que dans la conservation des forêts et la protection des bassins versants. Cette étude est en cours, et il est donc encore temps d'en élargir la portée à l'aménagement des forêts et de tirer parti de l'atout majeur que représente le système de gouvernement villageois du pays.

Fidji et Vanuatu

Au sud-ouest des îles Samoa se trouve Fidji, pays de traditions à la fois polynésienne et mélanésienne. Là aussi, plus de 80 pour cent des terres relèvent du régime coutumier, et le droit coutumier est inscrit de par la Constitution dans le système juridique du pays. La législation forestière de Fidji est à l'étude aussi dans le cadre d'une réforme complète du secteur forestier visant à assurer une participation plus active et totale des propriétaires fonciers (FAO, 1992). A l'heure actuelle, les droits sur le bois sont acquis sur les terres de régime coutumier par l'entremise d'un conseil fiduciaire local mécanisme protecteur et paternaliste.

Plus à l'ouest, se trouve le Vanuatu dont la Constitution proclamée lors de l'indépendance, en 1980, stipule que toutes les terres du pays appartiennent à leurs propriétaires coutumiers indigènes et que les réglementations coutumières sont le fondement du droit de propriété et d'usage des terres. En 1982, une nouvelle loi forestière a été adoptée; un de ses principes de base consiste à garantir un cadre juridique adéquat aux opérations d'abattage commercial de grande ampleur, dans les forêts naturelles et les plantations, par le biais d'opérations en association entre les propriétaires fonciers coutumiers, l'Etat et les agents commerciaux (FAO, 1981). A Fidji comme au Vanuatu une accentuation du rôle du droit coutumier est nécessaire pour renforcer la participation communautaire à la planification et à la mise en œuvre de l'aménagement forestier.

Iles Salomon

La Constitution de 1978 de ce groupe d'îles mélanésiennes (dont quelques-unes sont en Polynésie) reconnaît expressément que le droit coutumier fait partie intégrante du système juridique national. Près de 90 pour cent de la population vit en milieu rural, et la structure communautaire traditionnelle reste forte. Environ 85 pour cent des terres appartiennent en régime foncier coutumier à des groupements familiaux traditionnels, de même qu'une partie équivalente des forêts naturelles. Le bois est, après le poisson, le principal produit d'exportation. Sur les terres de droit coutumier, où la grande majorité des opérations forestières commerciales ont lieu, les redevances versées aux propriétaires fonciers constituent une grande partie du revenu rural. Sous la pression des besoins de liquidités de l'Etat et des collectivités locales, les forêts ont été exploitées intensivement depuis une dizaine d'années. En 1991, 13 sociétés étrangères travaillaient à des opérations d'abattage - dont 12 sur des terres de régime foncier coutumier - avec des contrats autorisant à couper plus de 1 million de m³ de bois par an. Ce chiffre dépasse largement le rendement maximal équilibré et, par conséquent, si les îles Salomon n'améliorent pas considérablement leurs méthodes d'aménagement forestier, leurs riches ressources en bois tropicaux ne seront bientôt plus qu'un souvenir.

Dans les îles Salomon, la foresterie se caractérise par le pouvoir juridique accordé aux propriétaires fonciers coutumiers les autorisant à négocier directement avec les sociétés d'exploitation la vente de leurs droits sur le bois. Mais il n'en a pas toujours été ainsi, car pendant une dizaine d'années au moment de l'indépendance, le droit forestier a été entièrement transformé, depuis l'époque où seul le bois appartenant au gouvernement ou acquis par lui pouvait faire l'objet d'une licence d'abattage jusqu'à celle où toutes les forêts étaient ouvertes aux sociétés d'abattage au titre d'accords négociés directement avec les propriétaires coutumiers (FAO, 1989). Ironiquement, ces dispositions qui visaient à renforcer la position des propriétaires fonciers coutumiers ont eu l'effet inverse, et les opérations d'abattage «ont détruit le tissu social villageois, laissant les communautés rurales divisées et démoralisées», (ibid.).

A Fidji, le régime foncier coutumier prévaut sur plus de 80 pour cent des terres

On peut tirer une leçon utile de cette expérience coûteuse. Le droit forestier colonial plaçait l'Etat dans une position dominante, mais son optique était très étroite, barrant pratiquement l'accès aux ressources forestières intéressantes des terres coutumières. Après l'indépendance, l'accroissement du pouvoir d'autodétermination des propriétaires fonciers a coïncidé avec l'expansion de la foresterie industrielle à toutes les terres forestières du pays. Il en est résulté un renversement de l'équilibre des pouvoirs de l'Etat vers les propriétaires fonciers coutumiers. L'Etat a perdu sa capacité de planifier les activités du secteur forestier, et les opérations d'abattage sont laissées à l'initiative des sociétés et des propriétaires, sans stratégie à l'échelle nationale. L'Etat n'est plus en mesure de servir le secteur efficacement, car le rythme d'abattage dépasse largement les capacités administratives dont il dispose pour surveiller les opérations, faire appliquer les licences, contrôler l'environnement et même percevoir ses revenus. Ni l'Etat ni les propriétaires n'y ont gagné; c'est bien la preuve que le transfert des pouvoirs en faveur des propriétaires fonciers coutumiers n'est pas, en soi, le moyen de consolider leur position.

En 1988 et 1989, avec l'assistance technique de la FAO, le Gouvernement des îles Salomon a révisé ses politiques et sa législation forestières et adopté une nouvelle politique forestière. Malheureusement, bien que la nouvelle politique prône le remplacement de la législation forestière existante, et qu'un projet de législation préparé sous l'égide de la FAO soit disponible depuis 1989, cette réforme fondamentale est restée dans l'impasse. Les efforts du gouvernement visant à mettre en œuvre une nouvelle politique se basent donc sur une législation dépassée et inappropriée. En ce moment même, les élections du Parlement national doivent avoir lieu, et le nouveau gouvernement devra examiner la question de la réforme de la législation forestière s'il veut mettre fin au gaspillage actuel et à la mauvaise gestion des forêts. Les îles Salomon sont bien placées pour se lancer dans des opérations mixtes associant les propriétaires coutumiers aux autres parties intéressées, mais si l'on ne met pas un frein aux activités actuelles, il ne restera plus à exploiter que des forêts sans intérêt.

En Papouasie-Nouvelle-Guinée, la production de bols à grande échelle a commencé à la fin des années 70

Papouasie-Nouvelle-Guinée

La Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui est de loin le plus grand des pays mélanésiens, se compose de la moitié de l'île de la Nouvelle-Guinée (l'autre moitié constituant la province indonésienne d'Irian Jaya) et des archipels adjacents situés dans les mers de Bismarck et des Salomon. La Papouasie-Nouvelle-Guinée est, avec l'Indonésie, la Malaisie et les Philippines, un des quatre plus gros producteurs de bois de la région Asie et Pacifique, bien que ses forêts se caractérisent généralement par une plus grande diversité dans les essences, une plus faible densité commerciale et des conditions d'accès plus difficiles. Environ 98 pour cent de la superficie du pays est en régime foncier coutumier et, comme dans les autres pays indépendants des îles du Pacifique, la coutume fait partie intégrante du système juridique national. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, la production de bois sur grande échelle n'a démarré qu'à la fin des années 70, mais en 1983 le pays exportait plus de 1 million de m³ de bois rond chaque année, devenant le troisième exportateur de grumes de la région. Cependant, cette croissance rapide a coûté cher au pays car dans la course aux profits, pratiquement toute idée de planification a été abandonnée, les hommes politiques et les fonctionnaires ont été corrompus, les propriétaires et le Trésor public ont été grugés, et l'environnement social et physique a été dévasté (Papouasie-Nouvelle-Guinée, 1989).

Les problèmes forestiers du pays résultent d'une suppression rapide des arrangements réglementant l'accès commercial aux forêts et d'une mauvaise administration de ce qui restait de contrôle sur les forêts. Avant l'indépendance, l'administration coloniale contrôlait sévèrement les opérations forestières, et tout accord autorisant des abattages sur des terres coutumières devait obligatoirement passer par le gouvernement. Au Samoa-Occidental et dans les îles Salomon, les propriétaires pouvaient négocier directement avec les sociétés d'abattage (même si les opérations ne pouvaient démarrer qu'après l'octroi d'une licence par le gouvernement), tandis qu'en Papouasie-Nouvelle-Guinée le gouvernement commençait par acheter aux propriétaires fonciers coutumiers leurs droits sur le bois, puis en disposait selon ses plans de développement industriel. Pourtant, en 1971, un membre du corps législatif est parvenu à faire adopter une loi forestière sur les contrats privés. Cette loi a ouvert une brèche dans le monopole de l'Etat, par laquelle, à partir de la fin des années 70, un véritable flux de contrats privés s'est engouffré. Comme son nom l'indique, cette nouvelle loi autorise les propriétaires à disposer de leur bois comme ils l'entendent, mais l'Etat conserve un droit de regard car c'est lui qui déclare qu'une zone est une «zone forestière locale» dans laquelle des contrats peuvent être passés, et son autorisation est nécessaire pour qu'un contrat soit valable. Cependant, les autorisations requises sont presque toujours accordées automatiquement. Il n'est pas étonnant que les propriétaires aient cherché à négocier directement la vente de leur bois, mais leur triste expérience montre que ces contrats de vente privés les dépouillent tout autant de leurs biens que ceux qui étaient passés par l'entremise de l'Etat.

Une nouvelle politique forestière nationale a abouti à l'entrée en vigueur de la loi forestière de 1991, à un réaménagement administratif qui a transformé l'autorité forestière en une société, et à l'introduction d'une certaine décentralisation de la planification et des prises de décision. Un plan forestier national, qui sera établi sur la base d'un inventaire forestier, comprendra notamment une évaluation des coupes annuelles autorisées dans chacune des 19 provinces. Les propriétaires auront le choix entre deux solutions: signer directement avec de tierces parties des accords d'abattage, ou remettre leurs droits sur leur bois à la nouvelle autorité forestière. Toutefois, le Plan forestier national déterminera l'ampleur des opérations forestières autorisées dans chaque province.

Les nouvelles dispositions sont longues, complexes et bureaucratiques, car elles prévoient au moins 11 étapes entre le moment où une zone de production forestière est identifiée et celui où le permis d'exploitation nécessaire est octroyé. Mais comme l'administration forestière précédente avait pris des mesures trop hâtives et bâclées, cette période de réflexion sera la bienvenue. Cette nouvelle loi forestière contient une clause prévoyant la constitution en société des groupements de propriétaires fonciers coutumiers, avant que des négociations en vue d'un accord forestier ne puissent être entamées. La Papouasie-Nouvelle-Guinée possède une loi unique en son genre: la loi sur la constitution en société des groupements fonciers, autorisant la reconnaissance juridique du statut de société des clans et autres groupements traditionnels de propriétaires et accordant à ces derniers un pouvoir de décision sur les questions qui concernent la terre et les autres ressources naturelles. Cette clause est essentielle pour renforcer l'autorité des propriétaires fonciers coutumiers.

Indonésie

Ce grand pays, situé en grande partie en Asie mais aussi en Mélanésie, met actuellement en place une réforme de son secteur forestier dans le cadre du Programme d'action forestier tropical. Le Programme d'action forestier indonésien vise à améliorer les méthodes d'aménagement dans toutes les catégories de forêts, en particulier le rôle du secteur privé qui doit non plus exploiter mais aménager les ressources, ainsi qu'à renforcer la participation des collectivités locales. Environ 62 pour cent de la population, estimée à 176 millions d'habitants en 1988, vivent dans les îles intérieures (Java et les îles avoisinantes) qui toutes ensemble ne représentent que 8 pour cent du territoire national. Les îles extérieures regroupent près de 60 pour cent des zones forestières d'Asie du Sud-Est et plus de 90 pour cent de toutes les forêts d'Indonésie (Banque mondiale, 1990). Aux termes de la Constitution indonésienne, la terre et les autres ressources naturelles sont contrôlées par l'Etat, pour le bien de la collectivité. Par conséquent, bien que le système juridique indonésien reconnaisse le droit de possession coutumière de la terre (adat), le pouvoir de l'Etat, est beaucoup plus important car il doit en contrôler l'usage pour sauvegarder l'intérêt public. La planification par l'Etat, revêt une importance primordiale; la terre ne peut être utilisée qu'en respectant la classification établie par l'Etat, et cette dernière peut être changée sans consulter le propriétaire. L'autorité de l'Etat, prédomine, et le pouvoir coutumier est limité par la planification en vigueur.

La loi fondamentale sur la foresterie de 1967 prévoit un plan général de développement et de conservation aux termes duquel toutes les forêts du pays sont classées comme suit: protection ou production, réserves, conversion (conversion éventuelle à des usages non forestiers). L'Etat a usé de son pouvoir constitutionnel pour affecter des ressources au titre de programmes de développement agricole et économique, et de lutte contre la pression démographique et la pauvreté. Les forêts ont donc été abattues pour leur bois et pour installer des populations venant de zones surpeuplées, mais l'Etat, est conscient de la nécessité de modifier ses politiques et ses lois pour prendre en considération le rôle multiple des forêts et mieux aménager le domaine forestier national, notamment par la participation communautaire. Il est temps d'agir car on s'inquiète depuis longtemps de voir endommager les précieuses forêts indonésiennes par des méthodes d'abattage destructives encouragées par la permissivité de la loi sur la foresterie (Banque mondiale, 1990).

Conclusion

Les pays peuvent envisager des réformes visant à accroître la participation communautaire à la planification et à l'aménagement des forêts, pour différentes raisons; certains espèrent améliorer la productivité et la rentabilité économiques; d'autres visent des objectifs politiques et sociaux de démographie et d'autonomie; d'autres encore estiment que cette réforme est essentielle à un développement durable et harmonieux. Sans prendre parti sur la nécessité de renforcer la participation communautaire, le présent article cherche à démontrer que ce renforcement n'aura pas l'effet voulu à moins qu'il ne s'accompagne d'un rééquilibrage des pouvoirs entre l'Etat, et les collectivités utilisatrices des forêts (cette condition n'étant cependant pas suffisante en soi). L'accent est mis sur le droit forestier officiel où sont pondérés les droits, les pouvoirs et les possibilités d'une part, et le statu quo de l'autre, et qui à l'heure actuelle penche nettement en faveur de l'Etat, de ses fonctionnaires et de ses clients.

Etant donné l'inégalité actuelle entre le droit officiel et la coutume, tout rééquilibrage des pouvoirs entre l'Etat, et la population doit émaner de l'Etat, lui-même, selon la loi officielle. L'examen des îles du Pacifique qui précède montre que, avec des traditions fortes et la place prédominante de la coutume et du régime foncier coutumier, le pouvoir des propriétaires en matière d'aménagement forestier s'est accru ces derniers temps. Le Samoa-Occidental ne suit ce mouvement que depuis peu, bien que le pays ait depuis longtemps un système de gouvernement villageois bien installé pour s'occuper des questions forestières. Il semblerait, d'après ce qui précède, que les îles Salomon soient allées trop loin dans ce sens, accordant trop de pouvoirs aux propriétaires aux dépens de l'Etat, Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui avait suivi ce chemin, fait marche arrière non sans avoir essuyé des pertes. Le Vanuatu essaie d'associer les parties intéressées propriétaires, Etat et agents commerciaux dans des entreprises communes, tandis que Fidji revoit son système actuel qui consiste à effectuer toutes les transactions forestières par l'intermédiaire d'un conseil fiduciaire local. L'expérience des îles du Pacifique montre les dangers d'un affaiblissement de l'Etat, mais le cas de l'Indonésie prouve qu'un contrôle sévère de l'Etat, n'est pas une garantie contre la surexploitation des forêts. Ce qu'il faudrait, c'est un meilleur équilibre entre l'Etat, et les collectivités, du point de vue quantitatif et qualitatif.

Le concept de foresterie communautaire pourrait être la solution pour équilibrer les intérêts publics et privés de l'Etat, et des collectivités utilisatrices des forêts. Il est un peu dangereux d'utiliser ce terme, car sa popularité toute nouvelle amène à l'employer à tout propos (Gilmour et Fisher, 1991). Il est utilisé ici au sens large et englobe, d'un côté, la reconnaissance du droit d'accès aux forêts des populations rurales pour assurer leur subsistance et, de l'autre, certaines activités de foresterie industrielles sur la base d'entreprises mixtes associant les propriétaires fonciers coutumiers. La caractéristique essentielle de la foresterie communautaire est le fait que la collectivité qui vit de la forêt participe directement aux prises de décision et au partage des bénéfices. L'octroi du pouvoir aux propriétaires coutumiers ne doit pas être total, mais il doit être réel et significatif. Dans le monde entier, les pays intègrent de plus en plus la foresterie communautaire à leurs systèmes nationaux, mais si leurs législations et leurs administrations forestières ne sont pas entièrement révisées pour garantir la participation directe des utilisateurs des forêts, cette intégration restera théorique et ne pourra donner aucun des effets escomptés ou souhaités. Pour que la foresterie communautaire serve de lien stratégique entre le droit forestier officiel et ses représentants, et le régime coutumier et ses représentants, de nombreux ajustements juridiques et administratifs, mais surtout comportementaux, seront nécessaires.

Bibliographie

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Gouvernement des îles Salomon. 1989. Forest Policy Statement. Honiara.

Gouvernement du Samoa-Occidental. 1991. Draft Western Samoa Forestry Policy Review. (Inédit)

Lanly, J.-P. 1992. Les questions de foresterie à la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement. Unasylva 43(171): 61-67.


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