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Les interventions alimentaires et nutritionnelles

Comme l’ont mentionné les chapitres précédents, les causes profondes de la dénutrition chronique sont multiples, de sorte qu’une amélioration durable de l’état nutritionnel peut exiger le déploiement simultané d’actions dans différents domaines.

Dans de nombreux cas, ces causes sous-jacentes sont la pauvreté et l’accès difficile à la nourriture. Il faut donc commencer par ouvrir aux pauvres un meilleur accès à la nourriture pour amorcer le processus visant à la sécurité alimentaire des ménages. Cela peut se faire en augmentant la production et la disponibilité alimentaires, les revenus et les biens de capital des nécessiteux, ou en leur assurant la protection de la sécurité sociale.

L’axe de la sécurité alimentaire des familles rurales pauvres se situe au niveau de la petite agriculture et de la transformation artisanale des aliments, qu’il faut donc promouvoir. Ces activités sont génératrices de nourriture, d’emploi et de revenu.

En général, une augmentation du revenu réel se traduit par un progrès de la consommation alimentaire et de l’état nutritionnel. Les gains obtenus en combinant des cultures de rapport et l’élevage peuvent aussi filtrer jusque dans la communauté et fournir des opportunités d’emplois non agricoles. L’ouverture du crédit aux pauvres, et particulièrement aux femmes et aux autres personnes non solvables, peut déclencher une création de revenus et améliorer la sécurité alimentaire des ménages. Les femmes ont une propension certaine à dépenser une part de tout revenu additionnel pour l’alimentation et les autres nécessités de base de leur famille.

ENCADRÉ 61
ANALYSE PARTICIPATIVE DES PROBLÈMES ALIMENTAIRES ET NUTRITIONNELS DE LA COMMUNAUTÉ

Cet aide-mémoire propose une série de thèmes à discuter avec la communauté. Il doit être adapté ou modifié pour chaque communauté. Il devra être utilisé plutôt pour stimuler le dialogue que comme questionnaire.

Les systèmes alimentaires locaux et leur évolution

  • Comment les familles obtiennent-elles leur nourriture?

  • Que produisent-elles? Qu’achètent-elles? Quelles sont les autres sources d’aliments?

  • Est-ce que cette situation a changé au cours des dernières années? Comment? Pourquoi?

  • Comment ces changements sont-ils perçus?

Production pour la consommation familiale

  • Quels aliments produit la famille?

  • Combien de mois les réserves alimentaires durent-elles?

  • Quelles sont les périodes de pénurie alimentaire?

  • Que fait la population pour résoudre ce problème?

Habitudes alimentaires, préférences et croyances

  • Combien de repas les membres de la famille font-ils par jour? A quelle saison?

  • Quels aliments consomment-ils? Mangent-ils entre les repas?

  • Est-ce que les enfants mangent différemment? En quoi? A quel âge (nourrissons, enfants d’âge préscolaire)?

  • En quoi les habitudes alimentaires changent-elles en période de pénurie? Comment obtienton la nourriture dans ce cas?

  • Si la famille avait davantage de ressources, quels aliments aimerait-elle consommer en plus grande quantité ou plus souvent?

  • Certains aliments sont-ils considérés comme spécialement bénéfiques ou à éviter dans certaines circonstances? Lesquels? Par qui?

Préparation et utilisation des aliments

  • Comment la nourriture est-elle préparée au niveau de la famille? Où? Sur quel type de foyer? Combien de fois par jour?

  • Des plats spéciaux sont-ils préparés pour les enfants? Comment?

  • Comment les membres de la famille sont-ils servis? Qui mange le premier?

Etat nutritionnel

  • Est-ce que la malnutrition est une notion courante dans la communauté?

  • Qu’est-ce que la communauté entend par malnutrition?

  • Est-elle répandue?

  • Y a-t-il beaucoup d’enfants ou d’adultes maigres dans la communauté?

  • Comment les gens décrivent-ils ou expliquent-ils cette situation? Que font-ils à cet égard?

Aspects sociaux

  • Quels sont les foyers les plus pauvres dans la communauté? Pourquoi?

  • Ont-ils des problèmes de pénurie alimentaire? Ont-ils des enfants souffrant de malnutrition?

Source: D’après FAO, 1994b.

Les projets agricoles et l’industrie alimentaire à forte composante de maind’oeuvre sont souvent riches en opportunités de développement socio-économique et social et, par voie de conséquence, d’amélioration durable de l’état nutritionnel et de la sécurité alimentaire des pauvres.

Dans le passé, le fait de n’avoir pas incorporé des objectifs nutritionnels dans les politiques et les programmes de développement agricole a généralement fait manquer l’occasion d’inscrire les efforts pour renforcer la sécurité alimentaire des ménages et améliorer le bien-être dans un cadre de développement durable. Les améliorations soutenues de l’état nutritionnel peuvent s’obtenir de la meilleure façon possible en accélérant la production agricole, en augmentant la production alimentaire, en intégrant des considérations nutritionnelles dans les politiques, les programmes et les grands projets de développement agricole, en exécutant des interventions nutritionnelles ciblées et, enfin, en aidant les communautés locales à s’attaquer à leurs propres problèmes alimentaires et nutritionnels.

Dans une communauté où les indicateurs anthropométriques de l’évaluation nutritionnelle montrent que l’IMC des adultes est satisfaisant mais que la croissance des enfants est médiocre, il est nécessaire de favoriser aussi l’éducation nutritionnelle, le contrôle des maladies infectieuses et la prise en charge parentale, plutôt que de se limiter à améliorer la productivité agricole et la situation économique. Une analyse critique de la répartition des aliments à l’intérieur de la famille peut également se révéler pertinente.

Si la mortalité et la morbidité des enfants de moins de cinq ans s’inscrivent parmi les problèmes majeurs, l’attention doit sans doute se tourner vers la promotion de l’allaitement maternel et d’un sevrage bien conduit. Lorsque le faible poids du nouveau-né s’affiche comme le signe le plus évident d’une malnutrition, il faut se soucier d’améliorer l’état de santé et de nutrition des femmes, et notamment évaluer l’importance de l’anémie ferriprive et la traiter. Cependant, il n’est pas possible de prévenir la dénutrition chronique en prescrivant des interventions spécifiques; il faut ajuster les interventions à la nature précise des problèmes et les concevoir, les analyser et les choisir en concertation permanente avec les communautés concernées.

Les carences spécifiques en micronutriments: vitamines et minéraux

L’appellation de carences en micronutriments se rapporte principalement aux trois déficiences minérales et vitaminiques qui constituent un problème de santé publique: la carence en fer, la carence en iode et la carence en vitamine A. Ces carences affectent sérieusement l’état nutritionnel, la santé et le développement d’une partie importante de la population de nombreux pays industrialisés ou en développement. Elles contribuent au retard de croissance, à la morbidité, à la mortalité, au dommage cérébral et à la réduction des capacités intellectuelles et de travail des adultes et des enfants.

L’anémie ferriprive

Certains aspects de la biochimie du fer dans le métabolisme de l’homme ont été étudiés au chapitre 7 à propos de la disponibilité et de l’assimilation du fer hématique et non hématique des aliments. Les effets importants de l’interaction de certains composants alimentaires avec le fer ont été mis en lumière. Il s’agit spécialement de la vitamine C, qui augmente la disponibilité du fer non hématique. Les besoins particuliers des femmes et des enfants ont été identifiés, ainsi que les effets des parasitoses et des infections sur l’état du fer dans l’organisme.

L’anémie par carence en fer, ou anémie ferriprive, réduit le potentiel de l’individu et exerce des effets négatifs sur l’apprentissage, la productivité et les profits. L’anémie conduit à la baisse de l’activité physique et du rendement du travail, à cause de la diminution de l’oxygène transporté des poumons vers les tissus et de l’anhydride carbonique dans l’autre sens. Une carence en fer peut également mener au dysfonctionnement musculaire.

Mis au régime pauvre en fer, un individu normalement nourri commence par épuiser ses réserves tissulaires. On est de plus en plus certain que le fer stocké peut jouer un rôle dans la prédisposition aux infections et dans la morbidité qu’elles entraînent.

Dans un grand nombre de pays en développement, l’anémie, avec la malnutrition, fait partie des causes majeures de morbidité et de mortalité infantiles. L’anémie qui frappe le nourrisson ou le jeune enfant ouvre la porte à la perte d’aptitudes cognitives, à la diminution de l’activité physique et à la réduction de la résistance aux infections. L’administration de suppléments de fer aux écoliers touchés par une carence se traduit par des progrès dans les tests sur l’apprentissage et le rendement scolaire. La supplémentation en fer peut aussi augmenter l’appétit des enfant dénutris et, par suite, accélérer leur rétablissement de la malnutrition et leur croissance physique.

La carence en fer chez la femme en âge de procréer augmente les risques associés aux complications de la grossesse, à la prématurité et à l’insuffisance pondérale du nouveau-né; elle fait entrer ce dernier dans la vie avec des réserves de fer en dessous de l’optimum. Les grossesses fréquentes aggravent souvent ces problèmes et compromettent encore plus l’état de santé et de nutrition de la mère et de ses enfants à venir.

Estimation de la prévalence et des causes de l’anémie

L’estimation de la prévalence de l’anémie dans une communauté s’appuie souvent sur l’examen des femmes et des enfants, qui forment les groupes à plus haut risque. La figure 32 présente une illustration de la prévalence de l’anémie chez la femme enceinte à l’échelle mondiale. On estime que plus de 60 pour cent des femmes enceintes et 45 pour cent des femmes non enceintes sont anémiques dans les pays en développement (figure 33).

FIGURE 32
Prévalence de l’anémie chez les femmes enceintes, 1988

Source: OMS, 1992 (cité dans ONU CAC/SCN, 1992).

Les symptômes de l’anémie sont très variés et peuvent relever d’autres causes qu’une carence en fer. La manière la plus pratique d’estimer la prévalence de l’anémie dans une communauté consiste à déterminer le taux d’hémoglobine sanguine de ses membres. Les taux d’hémoglobine en deçà desquels il est admis que les différents membres de la famille accusent une anémie sont indiqués au tableau 54. Le taux d’hémoglobine dépasse rarement 16 g pour 100 ml. Les prélèvements sanguins sont normalement effectués en clinique et font partie des examens de routine de la femme enceinte. Il arrive que les enfants soient examinés à l’école dans le cadre d’enquêtes spéciales ou avant que ne soit défini un programme de lutte contre certains désordres nutritionnels.

On peut analyser les causes de l’anémie à partir d’enquêtes alimentaires dont les résultats permettront d’établir le niveau et le type du fer ingéré, couplées avec l’analyse de la situation sanitaire pour déterminer les causes des pertes de fer ou de sa mauvaise assimilation lors de la digestion. L’analyse peut aussi comporter l’étude de l’environnement et de la situation sociale, y compris le niveau d’instruction et de revenu de la population, ainsi que des conditions sanitaires locales, particulièrement en ce qui concerne la disponibilité d’eau potable et l’usage des latrines.

FIGURE 33
Proportion de personnes anémiques dans les pays en développement

Source: DeMaeyer et al., 1989.

A partir de cette analyse, on peut proposer un certain nombre d’activités, dans les limites des ressources disponibles. Dans la mesure du possible, il faut associer la communauté concernée à toutes les étapes de l’identification et de l’analyse de ses problèmes nutritionnels. Il appartient aussi à la communauté de faire la sélection définitive des actions à entreprendre, avec les conseils du personnel du programme et des organisations locales.

TABLEAU 54

Taux d’hémoglobine dans l’anémie

Groupe

Taux d’hémoglobinea
(g/100 ml)

Enfants de 6 mois à 5 ans

11

Enfants de 6 à 14 ans

12

Hommes

13

Femmes (non enceintes)

12

Femmes (enceintes)

11

a Un taux d’hémoglobine inférieur à ces niveaux indique qu’il y a anémie.

Légère: taux inférieur aux valeurs données mais supérieur à 10. Modérée: de 7 à 10. Sévère: au-dessous de 7.

Source: ONU CAC/SCN, 1991.

Sélection des interventions curatives et préventives de l’anémie ferriprive

L’éducation sanitaire et nutritionnelle est une des principales stratégies d’intervention qui peut être mise en oeuvre pour augmenter l’apport d’aliments riches en fer, folate et vitamine C et pour réduire la consommation de substances interférentes. Dans un programme d’éducation nutritionnelle, les sujets qui devraient être étudiés à propos de la prévention de l’anémie ferriprive du jeune enfant comprennent la promotion de l’allaitement maternel et la préparation domestique des aliments de sevrage appropriés. Parmi d’autres activités de soutien, il convient de mentionner la supplémentation, c’est-à-dire la fourniture de fer médicinal à l’individu et l’enrichissement, c’est-à-dire l’addition d’un micronutriment, en l’occurence le fer, à un aliment déterminé (encadré 62). Dans les régions où les parasitoses et le paludisme font partie des causes majeures de l’anémie, la lutte contre ces maladies doit constituer un élément important de la stratégie d’ensemble. Si l’ankylostomiase sévit, des campagnes périodiques et répétées de déparasitage aideront à réduire les pertes de fer.

Selon l’étendue du problème, un programme de supplémentation médicale peut se justifier. Cependant, une supplémentation de grande ampleur doit s’appuyer sur un véritable programme logistique, qui peut se révéler coûteux. Un programme de supplémentation peut être réalisable sur une courte période s’il est financé par un projet, mais il faut l’incorporer dans le système de santé publique de la communauté pour qu’il puisse se prolonger dans le temps. Sinon, il risque de s’effondrer dès que les fonds du projet sont épuisés. Il faut aussi veiller à ce que le supplément de fer soit effectivement pris pendant les quatre à six mois du traitement, comme il est souvent prescrit: c’est un autre défi de la supplémentation.

L’amélioration des apports alimentaires, qui est une approche à plus long terme et qui peut entraîner un changement durable de la situation, constitue en fait la stratégie de choix. La production et la consommation d’aliments végétaux riches en fer et en folate, comme les légumes à feuilles vertes, doit être encouragée en même temps que celle des fruits riches en vitamine C, qui favorisent l’absorption du fer. Il faut, si possible, encourager aussi la production et la consommation des produits laitiers, et plus généralement des produits d’origine animale. Toutefois, une piètre alimentation est plus souvent le résultat de la pauvreté que de l’ignorance, et la solution finale repose sur les mesures économiques et sociales qui peuvent garantir une répartition plus équitable des ressources, y compris de la nourriture.

ENCADRÉ 62
CRITÈRES DE SÉLECTION D’UN PROGRAMME D’INTERVENTION POUR COMBATTRE L’ANÉMIE FERRIPRIVE

· Supplémentation. Il s’agit en général d’un supplément médicinal fourni à des groupes à risques, tels que les femmes enceintes ou les mères allaitantes, les enfants et parfois les travailleurs.

· Enrichissement en fer ou acide ascorbique, ou les deux. Il convient d’identifier un aliment approprié et de mettre au point une préparation nutritionnelle satisfaisante.

· Education nutritionnelle et sanitaire. Elle est plus difficile avec le fer qu’avec certains autres nutriments.

· Lutte contre les parasites. Traitement des individus parasités par des ankylostomes, par Schistosoma haematobium, S. mansoni ou S. japonicum, ou par d’autres parasites; amélioration des conditions d’hygiène, de l’approvisionnement en eau et des connaissances sur la transmission de l’infection.

· Mesures économiques et sociales. Interventions visant à améliorer les conditions économiques et le niveau de vie.

Source: OMS, 1977.

A moyen terme, l’enrichissement des aliments est l’intervention la plus efficace (par rapport à son coût) qui puisse être mise en oeuvre pour faire reculer l’anémie ferriprive dans les milieux urbains et ruraux. Cette stratégie implique l’identification d’un aliment déjà consommé régulièrement par la majorité des membres du groupe cible et qui servira à véhiculer le fer. En Inde, par exemple, on a fortifié le sel en fer. Un avantage considérable de cette approche est qu’aucun système spécial de distribution n’est requis, puisque la distribution du produit fortifié se fait à travers les réseaux commerciaux existants.

L’encadré 63 décrit brièvement le programme national de lutte contre l’anémie nutritionnelle de la République-Unie de Tanzanie


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