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Rôle de la télédétection dans l'évaluation et la cartographie des épandages artificiels des crues dans les hautes steppes tunisiennes


Abdelkarim Daoud, Faculté des lettres et sciences humaines, Sfax, Tunisie

Jean Trautmann, Université Louis Pasteur, Strasbourg, France

Resumé

L'insuffisance et l'irrégularité des précipitations dans les hautes steppes tunisiennes rendent nécessaire le recours à des apports d'eau supplémentaires dans tout effort d'intensification de l'agriculture.

Les différentes civilisations anciennes ont pratiqué des techniques ingénieuses de mobilisation des eaux de ruissellement, parmi lesquelles l'épandage artificiel des crues. Mais, face aux besoins toujours croissants en eau d'irrigation, les agriculteurs des hautes steppes tunisiennes ont eu de plus en plus souvent recours aux eaux des nappes phréatiques, captées par puits de surface équipés de motopompes. Cette "modernisation" de l'agriculture a entraîné un abandon presque total des techniques traditionnelles de mobilisation des eaux, transmises et enrichies de génération en génération et bien adaptées à ce milieu naturel fragile. L'exploitation effrénée de ces nappes a entraîné le rabattement inquiétant de leur niveau piézométrique.

Cette communication tente d'étudier, à partir d'exemples précis, le résultat du retour actuel aux techniques anciennes d'épandage des eaux de crue. Ce retour s'effectue maintenant par la mise en place d'ouvrages modernes de dérivation qui favorisent l'infiltration des eaux de ruissellement pour augmenter la recharge artificielle des nappes phréatiques. Associée aux enquêtes effectuées sur le terrain, la télédétection permet d'évaluer l'étendue des épandages artificiels, de la cartographier et de repérer les sites potentiellement favorables à la mise en place de nouveaux ouvrages.

Abstract

The irregularity and deficit in the rainfall in the High Tunisian Steppes renders irrigation necessary in any effort towards intensification of agriculture.

Various ancient civilisations applied ingenious techniques for the use of runoff water, among which artificial flood spreading. But, with ever-increasing water requirements for irrigation, the farmers in the High Tunisian Steppes have increasingly turned to using groundwater by means of motorpumps in dug wells. This modernization of agriculture has led to the almost total abandonment of traditional water mobilizing techniques, passed on and enriched from one generation to the next. The unrestrained exploitation of that groundwater table has led to a worrying drawdown of its level.

The result of the present return to the old flood spreading techniques is presented in this paper with specific examples. This return now takes place using modern diversion structures which favour infiltration of the surface runoff and increase the recharge of the water table. Remote sensing coupled with ground observations make it possible to evaluate the areas of artificial spreading, to map them and to pinpoint the sites which are suited to the construction of the diversion structures.


Introduction

Les plaines de Sidi Bouzid et d'Al Hichria appartiennent aux hautes steppes orientales tunisiennes. Les conditions contraignantes du milieu, caractérisées essentiellement par la faiblesse des précipitations et leur irrégularité interannuelle et intersaisonnière, expliquent le recours à l'irrigation comme moyen d'intensifier la production agricole. Dans une première partie, ce travail présentera les conditions du milieu et fournira un bref aperçu historique de l'irrigation dans ces hautes steppes en analysant l'impact du recours démesuré à l'exploitation des nappes phréatiques. Dans une seconde partie, nous nous intéresserons aux aménagements hydrauliques mis en place pour remédier à la baisse du niveau piézométrique des nappes et provoquer leur recharge par l'épandage artificiel des crues. Enfin, dans une troisième partie, ce travail analysera l'apport de la télédétection dans l'évaluation et la cartographie des épandages artificiels, la recherche de nouveaux sites pour de futurs aménagements, afin d'assurer une exploitation rationnelle et judicieuse des ressources offertes par le milieu naturel.

L'eau, enjeu fondamental dans le développement de la région

Les contraintes du milieu

Les plaines de Sidi Bouzid et d'Al Hichria forment deux larges cuvettes synclinales entourées d'axes anticlinaux de faible altitude (figure 1). L'axe Nord-Sud constitue la limite Est de ces deux plaines. Le Djebel Melloussi-Majoura limite la plaine d'Al Hichria au Sud et le Djebel Al Kebar constitue sa limite Nord. Celui-ci limite donc la plaine de Sidi Bouzid au Sud, elle-même limitée au Nord par les hauteurs de Bir al Hafey. Entre les Djebels et les fonds de cuvettes, les glacis, aux sols de texture sablo-limoneuse, ont généralement des pentes faibles. Les hauteurs annuelles des précipitations sont d'environ 250 mm. L'étude de leur répartition saisonnière montre des pointes en automne et au printemps et une sécheresse absolue en été, pouvant parfois se prolonger en automne. Mais la sécheresse estivale peut parfois être brusquement interrompue par des pluies orageuses, causant des inondations plus ou moins importantes. Ces pluies contribuent à gonfler le total annuel, sans être pour autant efficaces pour l'infiltration, puisqu'elles peuvent tomber en l'espace de quelques heures. Dans ces conditions, le recours à l'irrigation paraît indispensable.

L'irrigation et les nappes phréatiques

Il ressort de ce qui précède que le milieu présente beaucoup plus de contraintes que d'avantages. Les conditions naturelles contraignantes rendent en effet l'irrigation nécessaire à tout effort d'intensification de la production agricole. Les besoins en produits agricoles régionaux, et surtout extrarégionaux, des centres urbains littoraux ne peuvent être satisfaits par la simple agriculture pluviale. L'insertion de plus en plus accentuée de la région dans l'économie de marché va entraîner une intensification progressive de la production et les cultures maraîchères irriguées vont devenir progressivement la spéculation agricole majeure. Le principal aspect de cette intensification est l'exploitation des nappes phréatiques par puits de surface. Les conditions édaphiques des cuvettes de Sidi Bouzid et d'Al Hichria sont favorables à l'emmagasinement de l'eau infiltrée, que cette eau provienne des chutes de pluies ou du débordement des oueds à la faveur des grosses crues.

FIGURE 1

Croquis de localisation et topographie du Gouvernorat de Sidi Bouzid (Documents Atlas du Gouvernorat de Sidi Bouzid, Direction générale de l'aménagement du territoire, SETA, Tunis, 1992)

La nappe phréatique de Sidi Bouzid peut, à juste titre, être considérée comme la plus importante de toute la Tunisie (Koschel et Zarrouk 1976; Daoud et Trautmann 1994). Bien qu'individualisée par des anticlinaux de faible altitude qui l'entourent, la plaine de Sidi Bouzid couvre une superficie de 600 km2 environ. En pente très faible, cette plaine est drainée par l'oued Al Fakka et son principal affluent, l'oued Sarig Adh-Dhiba. La nappe de Sidi Bouzid a des potentialités annuelles évaluées à 25 millions de m3. De plus, les dépôts du quaternaire, d'une épaisseur de 50 mètres dans la partie amont de la plaine, ont permis de constituer une très importante réserve d'eau restée longtemps inexploitée.

Quant à la nappe de Horchane-Braga, correspondant à la cuvette d'Al Hichria, elle se trouve au Sud de la première, les lignes de crêtes du Djebel Al Kebar constituant une ligne de partage des eaux entre les deux bassins versants. Cette nappe est beaucoup moins importante que la première, puisque ses possibilités annuelles sont évaluées à environ deux millions de m3 seulement (Gassara 1980). La plaine d'Al Hichria n'est pas drainée par des oueds importants, en revanche une multitude de petits ruisseaux et de torrents dévalant principalement du flanc Sud-Est du Djebel Al Kebar le disséquent fortement. En traversant les piémonts sablo-limoneux de faible pente, leurs lits deviennent relativement larges et faiblement encaissés. Lors des crues qui suivent les averses, même celles de faible intensité, l'oued Oumat Téboul peut arriver jusqu'à Garet-En-Njila (Garaa : niveau de base local dans une dépression, constituant un collecteur des eaux de ruissellement).

Bref aperçu historique sur l'irrigation : d'une exploitation "écologique" à une exploitation minière des ressources en eau

De toutes les transformations profondes subies par le paysage rural de notre zone d'étude depuis quatre décennies environ, l'irrigation par puits de surface peut être considérée comme l'une des plus importantes, en raison des modifications économiques et sociales qu'elle a induites et des déséquilibres écologiques qu'elle a engendrés.

Tout comme le reste des hautes steppes tunisiennes, les plaines de Sidi Bouzid et d'Al Hichria ont connu l'irrigation depuis bien longtemps. La région de "Gammouda", décrite par beaucoup de voyageurs et chroniqueurs arabes ayant visité la région au Moyen Age, correspond à l'actuelle région de Sidi Bouzid. D'après ces descriptions, elle aurait possédé des vergers et jardins irrigués, particulièrement de part et d'autre de l'oued Al Fakka (Abdelawahab 1954). Cette irrigation était pratiquée à partir des puits de surface, mais surtout à partir de dérivations construites par les populations locales, dans le cadre des travaux communautaires exécutés par les différentes fractions de tribus. Ces dérivations consistaient en des élévations de terre, renforcées par des branchages. Elles étaient mises en place en forme d'arêtes de poisson de chaque côté des berges de l'oued Al Fakka. Leur rôle était de diriger les eaux des crues vers les champs pour provoquer leur submersion. Quelques jours après l'infiltration des eaux, les populations locales labouraient, semaient et attendaient les nouvelles pluies et les nouvelles crues pour que les épis soient de nouveau irrigués. Ces ouvrages de dérivation, appelés localement "M'goud", étaient fragiles, peu résistants aux grandes crues, mais faciles à reconstruire. Au début du siècle, plusieurs "M'goud" étaient aménagés sur l'oued Al Fakka (Penet 1910). Cet auteur n'a pas caché son admiration pour ces aménagements qu'il décrit de façon précise. Malgré leur simplicité, ils ont permis aux sociétés traditionnelles qui occupaient cet espace de faire face au manque d'eau et d'utiliser les crues à leur profit. De plus, ils ne mettaient pas en péril l'équilibre fragile de l'écosystème. Bien au contraire, ces techniques simples mais bien maîtrisées permettaient de le conserver. Si la plaine d'Al Hichria n'a pas connu les mêmes aménagements, on peut toutefois affirmer que l'irrigation y est également un usage ancien, particulièrement autour du village de Mlikat. Les vestiges d'un ancien aqueduc romain existent encore dans la partie centrale du flanc SE du Djebel Al Kebar.

Si, au début des années soixante, la nappe phréatique de la plaine de Sidi Bouzid était captée par 300 puits de surface seulement, ayant en totalité un débit fictif continu de 22,2 l/s, aujourd'hui le nombre de puits a dépassé 2 500 et le débit fictif continu y est de 2 000 l/s (Daoud et Trautmann 1994) (figure 2). Dans certains secteurs de la plaine, comme ceux de Zaàfria, Sandoug, Ceddaguia ou Oum Laàdham, la densité dépasse 30 puits/km2. Plus de 90% des puits sont aujourd'hui équipés de motopompes. De même, la plaine d'Al Hichria compte désormais plus de 1 200 puits de surface, dont environ la moitié se trouve sur le piémont Sud-Est du Djebel Al Kebar. Ces puits de surface, qui captent la nappe de Horchane-Braga, sont presque tous équipés de motopompes. Le résultat de cette augmentation spectaculaire du nombre de puits de surface a été l'accroissement du volume d'eau pompée. S'il ne dépassait pas un million de m3 par an pour la nappe de Sidi Bouzid au début des années soixante, il est estimé aujourd'hui à plus de 54 millions de m3. Et compte tenu du fait que la nappe a des possibilités de 25 millions de m3 par an, on peut en déduire que le taux de surexploitation dépasse 100 %. Le phénomène de surexploitation de la nappe phréatique de Horchane-Braga, dans l'état actuel de nos connaissances, ne peut pas être évalué correctement mais dépasse largement, selon les services régionaux de l'agriculture, le taux de 100 %. Ainsi, le niveau piézométrique des nappes a sensiblement baissé, si bien que les irrigants sont obligés aujourd'hui de creuser une sonde au fond du puits et de l'approfondir toujours davantage pour réussir à capter l'eau. Dans la plaine de Sidi Bouzid, le rabattement a atteint par endroits plusieurs mètres, entraînant l'intrusion d'eau salée provenant de la bordure de la nappe.

Les épandages artificiels des eaux des crues : solution possible au problème du déficit hydrique

Limites des mesures coercitives

Les premières mesures prises par l'administration de l'agriculture pour faire face aux problèmes posés par l'exploitation excessive des nappes phréatiques furent coercitives. En effet, dès la fin des années soixante-dix, une série de mesures administratives furent prises, comme la création d'un "périmètre de sauvegarde" englobant la quasi-totalité de la plaine de Sidi Bouzid. La sauvegarde envisagée consistait dans l'obligation d'obtenir l'autorisation préalable du Ministère de l'agriculture pour toute opération de forage ou d'équipement d'un puits de surface. De plus, un "périmètre d'interdiction" fut également institué. Ce périmètre délimite les zones de la plaine où le rabattement est le plus spectaculaire et où l'intrusion d'eau salée est la plus inquiétante. Les résultats de ces mesures furent limités. Le creusement et l'équipement clandestins des puits se sont poursuivis parce que les irrigants ont toujours manifesté une volonté d'accroître leurs superficies irriguées. Dans le cadre d'une économie de marché, et compte tenu des investissements consentis par les irrigants, il est clair que ce ne sont pas les paramètres de l'écologie qui valent et guident leur choix. Nos enquêtes sur le terrain (Daoud 1987) ont montré que, si le premier investissement de l'épargne de l'irrigant allait vers la construction en dur, le second allait, dans la plupart des cas, au creusement d'un deuxième puits, surtout si le premier était exploité en commun avec des frères ou dans le cadre du clan. L'individualisme prend en effet le pas dans ce domaine sur l'esprit communautaire et sur les survivances de la société segmentaire.

Les épandages artificiels des crues : une technique ancienne longtemps oubliée ou délaissée

Le passage d'une société tribale à une société paysanne (Attia 1977), accompagnant les profondes transformations économiques connues par toute la région, a entraîné l'abandon presque total des pratiques communautaires de gestion des crues. La petite hydraulique traditionnelle, basée sur les petits ouvrages de dérivation, a été progressivement délaissée pour céder la place aux solutions "techniques" et "modernes" : puits de surface équipés en groupes motopompes électriques ou diesel. Le pompage de l'eau à partir d'un puits de surface peut durer jusqu'à 14 heures par jour avec un débit de 1,5 à 2 litres/s. C'est donc d'une véritable hémorragie qu'il s'agit, d'autant plus qu'une frénésie s'empara des agriculteurs pour le forage des puits, surtout au milieu des années 70, au moment où le système de crédit offrait pour cela beaucoup de facilités et où l'État s'engageait à fond dans ce choix. Les réserves en eau des nappes phréatiques, constituées progressivement à l'ère quaternaire, vont être alors largement entamées. Outre l'irrigation par submersion, les ouvrages traditionnels d'épandage artificiel des crues favorisaient l'infiltration aux dépens du ruissellement et permettaient ainsi une recharge artificielle des nappes. L'absence ou l'abandon des ouvrages de dérivation en amont ont entraîné le déversement de quantités substantielles d'eau des crues en aval, dans les fonds de cuvettes plus ou moins salées (Sebkahat Al Akrech et Naggadha pour le cas de l'oued Al Fakka ; Sebkahat An Njila par le cas de la plaine d'Al Hichria). Pour la plaine de Sidi Bouzid par exemple, la quantité d'eau écoulée par l'oued Al Fakka et qui ne fait que transiter par la plaine pour se déverser dans les sebkhat ou dans l'oued Naggadha est estimée à 17 millions de m3 d'eau. (Koschel et Zarrouk 1976). Il est donc clair que l'épandage artificiel est un moyen efficace pour favoriser l'infiltration et la recharge des nappes.

Localisation spatiale des principaux ouvrages modernes d'épandage des crues

Ces ouvrages sont situés principalement dans la plaine de Sidi Bouzid sur l'oued Al Fakka. Les ouvrages de Nouael, à l'intersection de la route Tunis-Gafsa avec l'oued Al Fakka, et ceux de Zaafria, un peu en amont du village du même nom, constituent un bon exemple de la possibilité de remettre aujourd'hui en valeur, mais par des procédés nouveaux, les techniques anciennes d'épandage (Daoud et Trautmann 1994). Des ouvrages de dérivation, construits en béton, peuvent entraîner un épandage efficace des eaux des crues, irrigant ainsi des superficies considérables, et provoquant la recharge de la nappe en évitant l'écoulement des eaux vers l'aval. Les ouvrages de Nouael et Zâafria sont prolongés par des canaux secondaires et tertiaires devant jouer le rôle des anciens "Mgouds" et provoquer l'épandage artificiel des crues.

La cartographie des épandages artificiels

Le problème méthodologique

Il est évident que les ouvrages modernes d'épandage ont contribué à accroître les superficies irriguées utilisées principalement pour les cultures de céréales ou de fourrages, intercalées parfois avec des plantations d'oliviers. Ils ont également favorisé l'infiltration des eaux des crues, entraînant par là même la recharge des nappes. Mais la question reste de savoir quel est le volume de cette recharge artificielle et quel est l'impact spatial des épandages réalisés. S'il est difficile actuellement de quantifier avec précision le volume d'eau gagné par la nappe, grâce à cette recharge artificielle, il est toutefois certain qu'après chaque crue les irrigants remarquent une remontée du niveau piézométrique. A la remontée du niveau de la nappe s'ajoute l'amélioration de la qualité chimique de l'eau. L'apport de la télédétection est considérable dans la cartographie des zones irriguées par épandage artificiel et dans la reconnaissance des sites pouvant accueillir de nouveaux ouvrages d'épandage.

Apport de la télédétection : exemple des plaines d'épandage de l'oued El Fekka et d'Al Hichria

Cet apport peut être appréhendé à partir de deux scènes SPOT (scènes SPOT XS K64 J280) sur la région de Sidi Bouzid. La première, datant du 26 juin 1988, caractérise une période de sécheresse (figure 3). La seconde, datant du 3 février 1990, a été prise deux semaines après les pluies exceptionnelles qui se sont abattues sur la région le 20 janvier 1990 (figure 4).

FIGURE 3

Situation en période de sécheresse de Garet An Djila et de la plaine de Al Highriyya. Image SPOT du 26 juin.1988 (extrait). KJ 064-280. (Document CNES/Spot Image 1988. Traitements CNT Tunis, 1995)

FIGURE 4

Image SPOT du 3 février 1990. KJ 064-280. Composition colorée XS 1,2,3. (1) Sidi Bouzid. (2) Oued Al Fakka. (3) zone d'épandage de crue de l'Oued Al Fakka. (4) Djebel Al kbar. (5) Djebel Ar Rakhmat. (6) Djebel Al Hfay. (7) Djebel Al Malousi. (8) Garat An Njila. (9) Al Hishriyya. (Document CNES/Spot Image 1990. Traitement SERTIT Strasbourg, 1994)

FIGURE 5

Situation en période humide de Garet An Djila et de la plaine de Al Hishriyya. Image SPOT du 3 février 1990 (extrait). KJ 064-280. (Document CNES/Spot Image 1990. Traitements SERTIT Strasbourg, 1994)

En ce qui concerne la plaine d'épandage de l'oued Al Fakka, l'analyse comparée des deux scènes permet de voir l'étendue spatiale des inondations qui ont suivi les pluies du 20 janvier 1990. Tous les ouvrages d'épandage de Nouael, de Zâafria, ainsi que ceux situés plus en amont, ont bien fonctionné. La figure 2 montre les zones particulièrement inondées par ces épandages surtout autour du petit village de Zâafria sur la rive gauche de l'oued Al Fakka, et sur le territoire des Nouael et des Horchane dans la zone d'Al Mzâra, sur la rive droite.

Plus en aval, l'image satellite permet de découvrir un phénomène de "capture" qui s'est produit entre l'ouvrage de dérivation de Zâafria rive gauche et l'oued Sârig Adh-Dhiba. Cet oued, qui descend du piémont nord du Djebel Al Kebar, a charrié des débits considérables à la suite des pluies, comme en témoignent l'élargissement spectaculaire de son lit, et les dégâts causés à la route reliant Sidi Bouzid à Bir El Hafay, totalement emportée sur une longueur d'environ 100 mètres. Outre son propre débit, cette capture l'a enrichi des apports d'eau supplémentaires venant de la dérivation des eaux de l'oued Al Fakka. C'est à notre avis la raison des dégâts causés aux cultures et aux habitations dans la zone d'Al Gdàra et d'An-Nsayriyya. La dérivation de Zâafria rive droite a joué le rôle d'un véritable oued après les pluies de janvier 1990. Il serait alors souhaitable, pour éviter que cette situation ne se répète, de mettre en place des canaux tertiaires, branchés sur les canaux secondaires de la dérivation.

Concernant la plaine d'Al Hichria, l'image SPOT du 3 février 1990 a révélé l'étendue impressionnante du plan d'eau dans la Garèt An-Njila (figure 5). En dehors des courtes périodes qui suivent les pluies, ce fond de cuvette est généralement à sec, comme le révèle la scène du 26 juin 1988. Les traces des écoulements qui ont suivi les pluies de janvier 1990 sont encore visibles sur la scène du 3 février 1990 : l'oued Oum at-Téboul, qui descend du flanc SE du Djebel Al Kebar, a un tracé bien individualisé sur cette scène qui montre clairement que cet oued s'est déversé dans la Garaà. Mais cette scène révèle également des traces d'importants écoulements ayant rejoint la Garaà par son extrémité NE, avec des méandres bien dessinés et de petits plans d'eau encore apparents, plus de dix jours après les pluies. Ce lit d'oued n'existe pas sur la carte topographique au 1/50 000 de la région (feuille NI-32-XVI-4c Jbal Bou-Dinar). Il nous semble, d'après la comparaison de la carte topographique et de la scène SPOT, que ces écoulements sont nés de la jonction de deux petits oueds : l'oued Nasir et l'oued Ahmed qui descendent du Djebel Al Kebar, entre les villages d'El Mlikat et d'Awlad Amor, et qui coulent ensuite vers le SO pour rejoindre Garaàt An-Njila.

Ils traversent donc en diagonale tout le piémont du Djebel Al-Kebar, à travers les plantations d'oliviers, sur sols sableux ou sablo-limoneux (figure 6).

Il nous semble donc judicieux de prévoir, dans l'aménagement futur des piémonts, la mise en place d'ouvrages de dérivation des eaux de crues dans les parties amont des oueds Oum at-Téboul, Nasir et Ahamed, ouvrages dimensionnés de manière à permettre un épandage efficace des eaux qui puisse éviter leur écoulement vers la Garàa et favoriser ainsi la recharge de la nappe phréatique (figure 6).

D'après les calculs effectués à partir de la scène du 3 février 1990, l'étendue du plan d'eau dans la Garat An-Njila avait une superficie de 1 550 hectares. De plus, nous avons pu découvrir, d'après nos enquêtes sur le terrain, que l'épaisseur de la lame d'eau approchait parfois le mètre. Ce volume d'eau, livré à l'évaporation, pourrait être, par ces aménagements, en grande partie récupéré pour une meilleure utilisation, d'autant plus que les populations locales, particulièrement les Azara et les Aouafi, ont clairement manifesté leur intention d'étendre leurs superficies irriguées par puits de surface. Ainsi, outre leurs parcelles irriguées dans leurs territoires, ils exploitent des terres en métayage ou en location situées beaucoup

FIGURE 6

Aménagements hydro-agricoles du piémont SE du Djebel Al Kbar (Hautes steppes tunisiennes)

plus en aval, près de la Garat An-Njila. Ces terres sont irriguées à partir de puits de surface possédés par les métayers ou les locataires à 3 ou 4 km plus en amont, étant donné que la qualité chimique de l'eau disponible localement sur les exploitations en aval est de moindre qualité (eau plus salée). L'eau est conduite du puits amont vers les parcelles par des tubes PVC de 7 cm de diamètre. Ceci entraîne un surcoût très important pour les irrigants.

Conclusion

L'exploitation des nappes phréatiques des plaines de Sidi Bouzid et d'Al Hichria répond beaucoup plus aux critères économiques (satisfaire la demande régionale et extra-régionale en produits maraîchers) qu'aux paramètres écologiques de préservation et de gestion des ressources offertes par le milieu naturel. Pour que cette région continue à être un des principaux pourvoyeurs du pays en produits maraîchers et que les irrigants améliorent leurs conditions de vie, les cultures irriguées doivent encore s'y développer afin de relever le double défi de l'emploi dans les campagnes et de la sécurité alimentaire. Pour cela, l'aménagement hydraulique par la réalisation d'ouvrages de dérivation du cours des oueds tient compte à la fois des impératifs de sauvegarde des ressources en eaux souterraines et de réhabilitation des aires dégradées. Pour réaliser ces ouvrages et évaluer leur impact, la télédétection constitue un outil particulièrement efficace, surtout si elle peut être utilisée après les périodes de fortes crues. Cependant l'aménagement ne peut garantir le développement durable des populations rurales que s'il tient compte de tout un système dans lequel s'imbriquent les facteurs physiques, socio-économiques et politiques.

Remerciements

Les auteurs remercient le Centre National de Télédétection de Tunis et le SERTIT de Strasbourg pour l'aide apportée dans le traitement des scènes SPOT.

Bibliographie

Abdelwahab, H.H. 1954. Les steppes tunisiennes (région de Gammouda) pendant le moyen-âge. In Cahiers de Tunisie n°5. 16 p.

Attia, H. 1977. Les hautes steppes tunisiennes. De la société pastorale à la société paysanne. Thèse d'Etat. 700 p.

Daoud, A. 1987. L'hydraulique dans la plaine de Sidi Bouzid. Faculté des Lettres et Sciences humaines de Sfax, Département de Géographie, Tunisie.

Daoud, A. 1995. Les périmètres publics irrigués de la région de Sidi Bouzid (hautes steppes tunisiennes). Politiques de l'Etat et stratégies paysannes. Colloque de l'Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC).

Daoud, A. et Trautmann, J. 1994. Les aménagements hydrauliques en milieu semi-aride. Exemple de la plaine de Sidi Bouzid (hautes steppes tunisiennes). In Développement et environnement au Maghreb. Colloque de la Faculté des lettres de Sfax, avril 1994.

Gassara, A. 1980. Contribution à l'étude hydrogéologique du bassin de Horchane-Braga (Sidi Bouzid). Thèse de Doctorat de 3ème cycle. Université Pierre et Marie Curie, Paris.

Koschel, R. et Zarrouk, M. 1976. Etude hydrologique préliminaire de la nappe phréatique de Sidi Bouzid. Ministère de l'Agriculture, Direction des ressources en eau.

Penet, P. 1910. L'irrigation de la plaine de Gammouda. Extrait du Bulletin de la Direction de l'agriculture et de la colonisation. Tunis.

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