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Télédétection spatiale et modélisation du fonctionnement hydrologique des petits bassins versants


I. Problématique de la modélisation

Philippe Gineste

Laboratoire commun de télédétection, CEMAGREF-ENGREF, Montpellier, France

Resumé

En dépit des progrès fondamentaux accomplis dans la compréhension des cheminements de l'eau, les modèles hydrologiques, même les plus sophistiqués, ne permettent de prédire avec confiance ni les flux internes à un petit bassin, ni même les débits à son exutoire.

Abstract

Despite fundamental progress in the understanding of runoff processes, it is argued that even the most sophisticated models do not allow for a sure prediction of the internal fluxes within a catchment. This must also cast doubt on predictions made in terms of discharge.


Introduction

Parce que l'eau intervient dans l'ensemble du fonctionnement du milieu naturel (Ambroise, 1991), qu'elle est le vecteur privilégié d'éléments transportés en solution ou en suspension, l'importance de la tâche des hydrologues dans la résolution des questions environnementales actuelles et à venir est considérable et de plus en plus reconnue. Les hydrologues sont d'ores et déjà confrontés à une réelle demande, qui émane d'ailleurs souvent de disciplines connexes, que ce soit en termes d'analyse des effets des pratiques agricoles, en termes de prévisions des chemins de l'eau pour le calcul des transports géochimiques et sédimentaires, ou plus récemment encore en termes de prédictions des flux de matière et d'énergie à l'interface sol-végétation-atmosphère.

L'hydrologie est par conséquent en pleine mutation. Le bassin versant (espace géographique collectant les précipitations en amont d'un point de la rivière définissant son exutoire) ne peut plus être considéré comme un tout indifférencié (Ambroise, 1991), comme une « boîte noire » qui ne reproduit en sortie que le seul débit observé à l'exutoire. « D'où provient l'eau des ruisseaux ? » (Hewlett, 1961). Quels sont les chemins parcourus depuis l'instant où une goutte de pluie rencontre la surface de la terre ? Telles sont au contraire les questions fondamentales qui se posent à l'hydrologie depuis plus d'une trentaine d'années.

De nombreuses études de terrain, conduites à l'échelle du versant ou des petits bassins versants, ont apporté une bien meilleure compréhension des cheminements de l'eau, qui à son tour a permis, grâce aux progrès concomitants des moyens informatiques, le développement d'une nouvelle génération de modèles dits distribués ou spatialisés. Contrairement aux modèles globaux, ceux-ci appréhendent le fonctionnement hydrologique d'un bassin versant en tentant de représenter les processus du ruissellement dans l'espace. Y parviennent-ils ? En ont-ils les moyens ? On propose, dans un premier temps, d'analyser la problématique de la modélisation du fonctionnement hydrologique des petits bassins versants dans l'optique de mettre en perspective l'apport potentiel de la télédétection radar discuté par la suite (Gineste, partie II).

Rappel sur les modèles globaux

Historiquement, on a surtout demandé aux hydrologues de prédire le débit à l'exutoire d'un bassin versant. Les approches globales se sont d'abord imposées; elles sont dites empiriques ou conceptuelles.

Modèles empiriques

Les modèles empiriques caractérisent globalement les relations pluies-débits par des traitements de séries chronologiques où n'intervient en général aucune donnée sur la nature physique du bassin (Ambroise, 1991) : c'est typiquement le cas des modèles régressifs pluie-débit et des méthodes basées sur les fonctions de transfert, comme celle de l'hydrogramme unitaire (Sherman, 1932). L'utilisation récente des réseaux de neurones (Hsu et al., 1995) relève également de cette catégorie.

Techniques de référence en ingénierie, ces méthodes présentent néanmoins de sévères limitations : chroniques souvent insuffisantes, extrapolation aux épisodes extrêmes par conséquent dangereuse, hypothèse de stationnarité en dépit des variations climatiques et des modifications du milieu d'origine anthropique, etc.

Modèles conceptuels

Ces modèles considèrent le bassin versant de façon conceptuelle comme « un assemblage de réservoirs d'humidité interconnectés » (Ambroise, 1991) qui sont censés représenter plusieurs niveaux de stockage suivant une dimension verticale (végétation, surface, sol, nappe). Cette ébauche de spatialisation permet en principe de simuler les flux d'échange entre les réservoirs et non plus les seuls débits. Le premier modèle de ce type, SWM, comporte huit réservoirs et 27 paramètres (Crawford et Linsley, 1966). Plus récemment, la famille des modèles GR (Edijatno et Michel, 1989) présente l'avantage de ne comporter que deux, trois ou quatre paramètres.

Cependant, les paramètres de vidange des réservoirs de ce type de modèle, issus de relations empiriques, apparaissent sans grande signification physique. Ils sont obtenus par le calage du modèle sur le débit observé à l'exutoire du bassin; les tentatives pour relier ensuite les valeurs obtenues aux caractéristiques spatiales du bassin n'ont pas donné jusqu'à présent des résultats satisfaisants. L'approche permet en revanche d'introduire de façon empirique l'influence de l'état hydrique des sols sur la réponse du bassin à la pluie (Loumagne et al., 1991).

Des modèles aux processus

La distinction précédente entre modèles empiriques et conceptuels tient au concept de réservoir, mais peut se révéler ambiguë (Ambroise, 1991). Comme le souligne d'autre part Grésillon (1994), l'histoire de la modélisation hydrologique est au moins partiellement liée à la compréhension des mécanismes du ruissellement.

FIGURE 1

Le concept hortonien du ruissellement

Par exemple, la méthode de l'hydrogramme unitaire, le principe du découpage du bassin en surfaces isochrones, ou encore la plus ancienne méthode rationnelle (Kluichling, 1889) s'inscrivent dans un schéma de ruissellement de surface géné-ralisé à l'ensemble du bassin (Grésillon, 1994), où chaque partie du bassin contribue au débit de la rivière avec un délai de transfert essentiellement fonction de sa distance à l'exutoire. Le concept hortonien (Horton, 1933) d'une partition de la pluie entre infiltration et ruissellement de surface (figure 1) est ainsi implicite dans la plupart des approches de modélisation.

Du fait d'une lente maturation des connaissances sur les processus du ruissellement, cette conceptualisation se retrouve aussi plus récemment lorsque des modèles de production à la parcelle, comme le SCS curve number (USDA, 1972), sont introduits dans un système d'information géographique dans l'optique d'en agréger les diverses contributions, c'est-à-dire la fraction de pluie non infiltrée par chaque parcelle. Cela suppose théoriquement que les parcelles sont hydrauliquement indépendantes, ou du moins que leur contribution relative reste stable quel que soit l'épisode, à savoir la même hypothèse qui permettrait de justifier les piliers de la technique de l'hydrogramme unitaire (Grésillon, 1994) : invariance et linéarité de la réponse d'un bassin à une impulsion de pluie nette (production unitaire). Ces hypothèses cependant semblent bien fragiles au regard de la diversité des processus de génération des débits récemment identifiés en climat humide à tempéré et de leur variabilité spatiale et temporelle (cf. Ambroise, 1991).

Rappel sur les processus de génération des débits

Nombreux sont les hydrologues et forestiers qui se sont interrogés sur la réalité du mécanisme hortonien (Ward, 1984), à cause de l'existence de crues rapides sur des bassins très perméables et de l'observation plutôt rare d'un réel écoulement de surface si ce n'est aux abords des ruisseaux sur des terrains déjà saturés (Fernow, 1902). Mais il a fallu attendre la technique de séparation isotopique des hydrogrammes (Crouzet et al., 1970) pour confirmer ce doute puisqu'un hydrogramme de crue se révèle presque toujours composé majoritairement d'eaux présentes dans le sol avant l'événement pluvieux (Grésillon, 1994).

FIGURE 2

Les mécanismes d'écoulement subsuperficiel rapide

Divers mécanismes ont été proposés pour tenter d'expliquer ce ruissellement subsuperficiel rapide (figure 2) : écoulement latéral ou hypodermique (Hursh, 1936), écoulement dans la macroporosité du sol (Hursh, 1944; Beven et Germann, 1982) ou encore écoulement par intumescence de la nappe (Vaidhianathan et Singh, 1942; Sklash et Farvolden, 1979).

Le concept de surfaces saturées contributives d'aire variable (Hewlett, 1961; Hewlett et Hibbert, 1967) présente l'intérêt de concilier des apports souterrains par intumescence de nappe et des apports de surface par refus d'infiltration lorsque celle-ci affleure la surface du sol (figure 3). Le concept d'extension des zones contributives proposé par Cappus (1960) s'oppose radicalement à la vision d'un ruissellement généralisé à l'ensemble du bassin, même si l'extension des zones saturées, variable au fil de la saison comme au cours de l'averse, n'est en fait pas limitée au strict voisinage des ruisseaux. Plus généralement, la saturation dépend des conditions hydriques initiales du bassin, et survient à la surface d'un sol quand sa transmissivité n'est plus suffisante au regard des flux amonts (O'Loughlin, 1981) comme à la faveur de convergences topo-graphiques, d'une épaisseur de sol localement réduite, ou encore de nappes temporaires perchées sur un horizon moins perméable (figure 4). Elle s'accompagne ici et là d'une exfiltration d'eaux plus ou moins souterraines.

Développement et problématique des approches spatialisées

Après un bref aperçu des différents types de modèles spatialisés, on soulève le problème d'un manque de réalisme lorsque des équations physiques sont utilisées avant de questionner la pertinence d'une calibration globale de ces modèles.

FIGURE 3

Le concept de surfaces saturées contributives d'aire variable

FIGURE 4

Localisation des surfaces saturées (d'après Ward, 1984)

Les différents types d'approches spatiales

Les modèles conceptuels spatialisés

Il s'agit de modèles à réservoirs impliquant une discrétisation de l'espace en des unités spatiales que l'on considère homogènes (Ambroise, 1991). C'est le cas par exemple du modèle CEQUEAU (Morin, 1991). Chaque unité est constituée comme un assemblage de réservoirs, et non plus le bassin dans son ensemble. Cela permet en principe de tenir compte de la répartition spatiale des caractéristiques du milieu, aux dépens cependant d'une augmentation du nombre de paramètres à calibrer.

Les modèles basés sur le concept de similarité hydrologique

Ces modèles découlent du concept de zones contributives variables et de l'analyse des facteurs qui contrôlent l'extension des zones saturées. L'idée originale revient à postuler que le comportement hydrologique local de tout point du bassin peut être indexé sur la base d'une analyse de la topographie et des caractéristiques des sols. L'aptitude relative des sols d'un bassin à se saturer dépend alors uniquement d'un indice qui fait intervenir la pente locale, la surface amont drainée, et éventuellement la transmissivité du profil si elle est connue.

TOPMODEL (Beven et Kirkby, 1979) est le prototype de ce type d'approche, dite semi-distribuée, où l'emploi d'un indice de similarité hydrologique régit la spatialisation des processus du ruissellement et évite ainsi les calculs d'échange entre les mailles des modèles distribués. Ce modèle a été développé, sur la base d'approximations de la physique des écoulements de la zone saturée, dans l'objectif de fournir une description spatiale des processus de façon réaliste tout en ne conservant qu'un minimum de paramètres de calibration.

Les modèles physiques distribués

Historiquement, les approches distribuées ont été développées à des fins de recherche parallèlement aux progrès de l'informatique. Elles utilisent les équations de la physique des écoulements et ont permis d'explorer les conséquences de certaines hypothèses dans tel ou tel cadre théorique particulier, comme par exemple l'influence de la topographie sur la prédominance d'un certain type d'écoulement (Freeze, 1972).

Plus récemment, ces modèles physiques ont cherché à représenter finement le comportement d'un bassin réel. L'intérêt a priori des équations physiques réside dans le fait que leurs paramètres sont en principe mesurables. Beaucoup d'espoirs se sont alors portés sur la capacité prédictive des modèles distribués, en termes de conséquences d'un changement d'occupation du sol notamment (Abott et al., 1986). Mais ces modèles se heurtent à la complexité et à l'hétérogénéité du milieu naturel.

Réalisme des équations physiques ?

Ce n'est qu'au prix d'hypothèses fortes que l'on parvient à décrire les écoulements de surface à partir de l'hydraulique de Barré de St Venant. La géométrie des versants est approchée par une cascade de plans contigus sur lesquels s'écoule une lame d'eau que l'on suppose latéralement uniforme, d'où le terme d'écoulement en nappe (figure 5). Un coefficient empirique, le facteur de friction, relie les variables de vitesse, d'épaisseur de nappe et de débit afin de traduire la résistance du sol à l'écoulement. Ce coefficient, variable avec la texture superficielle des sols, la strate herbacée ou encore l'intensité de la pluie, dépend également du nombre de Reynolds; il peut par conséquent varier sur plus de deux ordres de grandeur le long d'un versant (Dunne, 1978). La pratique cependant conduit à en estimer une valeur « moyenne » par bassin par le calage du modèle.

FIGURE 5

Schéma d'écoulement en nappe (d'après Kibler et Woolhiser, 1972)

 

Mais peut-on envisager de spatialiser ce paramètre de friction alors que de véritables écoulements en nappe n'ont, semble-t-il, été observés que sur des versants à la fois lisses et courts (Planchon, 1991) ? L'eau, d'une part, tend par nature à converger; à l'instar d'une goutte d'eau bombée sur un plan horizontal, les écoulements se concentrent pour minimiser leur surface de contact avec le sol. D'autre part, la microtopographie et la végétation de certains versants forcent les écoulements à prendre des chemins plus ou moins tortueux, dont les contours s'accentuent ensuite au fil des crues. Une épaisseur moyenne de « nappe » de l'ordre de quelques millimètres n'est souvent plus alors qu'une abstraction utile pour estimer le flux agrégé d'un ensemble de petites rigoles se concentrant elles-mêmes jusqu'au ruisseau (Emmet, 1970).

Concernant les écoulements dans le sol, le phénomène de la macroporosité semble tout d'abord trop mal connu pour pouvoir être intégré dans un modèle physique. De plus, rien ne justifie théoriquement que l'on puisse appliquer les équations de Richards (1931), qui sont hautement non linéaires et ont été établies pour des milieux homogènes simples, à l'échelle d'une maille élémentaire de l'ordre de quelques centaines de m², par conséquent fortement hétérogène. Ce faisant néanmoins, les paramètres intervenant dans ces équations deviennent effectifs, car ils sont censés intégrer le changement d'échelle qui s'opère. Ils ne sont alors plus mesurables comme tout paramètre d'un modèle typiquement conceptuel (Beven, 1989).

Pertinence d'une calibration globale des modèles spatialisés ?

A ce stade, les approches physiques ne diffèrent pas fondamentalement des approches conceptuelles spatialisées. Le problème est donc l'inflation des paramètres de calibration qui résulte de la discrétisation appliquée, même si la plupart d'entre eux se révèlent forcément peu sensibles. Beven (1989) cite l'exemple de l'application du SHE au petit bassin du Wye : 2 400 paramètres, dont 40 finalement retenus. A titre de comparaison, on admet en général que trois ou quatre paramètres sont en principe suffisants pour reproduire un débit mesuré à l'exutoire d'un bassin (Beven, 1989; Sorooshian, 1991).

Aussi, dès lors que l'on dépasse une poignée de paramètres, la calibration du modèle risque de conduire à plusieurs jeux de paramètres optimaux du point de vue des performances de simulation des débits, mais qui recouvrent bien des différences quant aux écoulements internes (Grayson et al., 1992). Il semble donc illusoire d'espérer simuler le fonctionnement spatialisé d'un bassin versant sur la seule base de l'évolution temporelle du débit à son exutoire car l'indétermination sur les flux internes est alors trop importante. L'essentiel des informations supplémentaires que peuvent acquérir les modèles distribués, l'occupation du sol notamment, se dilue dans la prolifération des paramètres de calibration et ne peut par conséquent guère s'exprimer en termes de pouvoir prédictif.

Enfin, la nature particulière de TOPMODEL apporte un éclairage important sur la problématique de calibration des modèles. Parce que le modèle n'implique qu'une poignée de paramètres (approche semi-distribuée), leur optimisation, a priori, n'est pas plus délicate que celle d'un modèle global. TOPMODEL fournit donc en principe une information sur la dynamique de l'extension des zones saturées qui nous renseigne approximativement sur les chemins de l'eau, c'est-à-dire sur les lieux où la pluie s'infiltre ou ruisselle directement sur des zones d'exfiltration. Cependant, les travaux les plus récents (Duan et al., 1992; Beven, 1993) montrent qu'en dépit du faible nombre de paramètres, de nombreuses paramétrisations permettent une simulation des débits adéquate; mais les paramètres sont franchement dispersés dans l'espace des paramètres, et s'ils se compensent mutuellement à un niveau global, les schémas internes sont malheureusement variables.

Ambroise (1991) rappelle par ailleurs que la calibration d'un modèle joue également un rôle implicite de compensation sur les seuls paramètres de calibration de l'ensemble des erreurs liées à la structure des modèles (limite théorique des équations et approximations utilisées pour en simplifier la résolution), et à l'insuffisance et aux limites des données disponibles en termes de conditions initiales. Aussi n'est-il pas étonnant que les seules chroniques pluie-débit ne soient pas assez contraignantes pour permettre de discriminer, au sein d'une structure de modélisation spatialisée, le jeu de paramètres qui correspondrait à la représentation spatiale des processus la plus probable.

Conclusions

Le problème d'échelle

Si aux larges échelles spatiales (>100 km²) et temporelles (bilan annuel), de simples formulations empiriques semblent permettre des estimations de débit raisonnables (Dooge, 1994), les difficultés s'accumulent aux plus petites échelles à cause du caractère saisonnier du climat et de la végétation, et de la variabilité spatiale des caractéristiques du bassin.

C'est ce que Beven (1995) appelle le problème d'échelle; on ne sait pas vraiment déduire de la description physique et géomorphologique d'un bassin une connaissance des mécanismes qui y prédominent et de la relation pluie-débit (Grésillon, 1994). Au terme de cette analyse, il apparaît que les modèles qui « prétendent » dépasser l'empirisme des approches purement globales ne sont qu'une réponse pragmatique à ce problème; elle présuppose des mesures de débit à l'échelle appropriée qui sont censées permettre l'apprentissage des modèles, à savoir la calibration de leurs paramètres.

Les prédictions dans ce contexte semblent alors d'autant plus risquées que l'adéquation entre les processus modélisés et les processus observés sur le bassin est mal vérifiée, et que les conditions hydrologiques sont différentes de celles enregistrées sur la période de calibration du modèle.

Adéquation entre processus modélisés et processus observés

Les modèles hydrologiques, mêmes les plus sophistiqués, ne sont que de grossières approximations d'une réalité complexe et aujourd'hui encore ils sont essentiellement utilisés pour prédire les débits de réponse d'un bassin aux événements pluvieux extrêmes à partir d'un « minimum » d'observations pluies-débits préalables. Quand bien même l'intérêt ne porterait pas à présent sur les flux internes aux bassins, il convient de veiller à ce que la modélisation soit basée sur une représentation sensiblement correcte des mécanismes du ruissellement identifiés sur le bassin, afin que l'extrapolation temporelle qui est pratiquée puisse être guidée sur la base la plus rationnelle qui soit.

Fort heureusement pour l'hydrologie des régions arides ou semi-arides, le mécanisme hortonien, implicite dans la plupart des approches globales de modélisation, est largement reconnu comme dominant. Cependant, les concepts associés de production et de transfert s'inscrivent dans un schéma agrégatif discutable : l'eau produite à la surface des zones les plus éloignées du réseau hydrographique risque fort de se réinfiltrer en chemin peu après la fin de la pluie, d'où l'intérêt d'une approche spatialisée, mais qui souffre actuellement d'une représentation « hydraulicienne » des écoulements, jugée inadéquate.

Dans les climats humides à tempérés, TOPMODEL, parce qu'il exploite astucieusement le concept de zones contributives d'aire variable, jouit d'une popularité croissante. L'attrait pour ce modèle tend néanmoins à déplacer son utilisation au-delà de ses frontières théoriques, là où les conditions d'un affleurement de la nappe phréatique ne sont pas satisfaites, alors que son application devrait être réservée aux bassins qui présentent une extension visible des zones saturées.

Vers une calibration des modèles plus robuste

Comme le montrent les récents travaux sur TOPMODEL, l'échec actuel des modèles spatialisés à simuler les flux internes à un petit bassin vient du fait que les seules données pluie-débit ne suffisent pas à l'apprentissage de ce type de modèle, fût-il semi-distribué. Si cela pose problème concernant la prévision de l'extension des zones saturées, cela soulève également certains doutes quant à la confiance que l'on peut accorder aux prédictions des modèles en simples termes de débit.

Alors qu'un jeu de paramètres peut sembler optimal pour une période et une méthode de calibration donnée, ce même jeu est certainement bien moins performant que d'autres paramétrisations sur d'autres périodes. Aussi, la démarche classique qui consiste à ne rechercher qu'un optimum particulier pour appliquer ensuite ce jeu de paramètres en prédiction atteint ses limites. Comme le dit si bien Ambroise (1991), il semble ainsi paradoxal, et même déontologiquement problématique, de se contenter d'une modélisation déterministe qui ne permet pas d'assortir les prédictions des modèles d'une marge d'incertitude ou d'un intervalle de confiance.

Une approche stochastique à la calibration des modèles est nécessaire. Elle n'est pas suffisante (Gineste, partie II); il s'agit encore de chercher toute information sur l'état interne d'un bassin susceptible de contraindre plus efficacement la calibration des modèles.

Biblographie

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