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IV. Conclusion


IV. Conclusion

Que signifie être chef de famille pour une femme rurale en Afrique subsaharienne? Quelles sont ses conditions de vie? Quelles sont ses responsabilités Quel en est l'impact sur ses activités? Quelles sont leurs contraintes vécues? Quel pouvoir est le sien? Telles ont été les questions soulevées tout au long de cette réflexion.

Si les hommes deviennent chef de famille en raison de normes culturelles et religieuses, les femmes en acquièrent le statut par défaut ou contrainte, rarement par choix. Les différentes crises économiques et politiques ont accru leur nombre et les rendent de plus en plus responsables de la gestion des familles, des ressources et du développement tout court. La remarque faite, devant une assemblée féminine, par le préfet de Tahoua (Mali) et que rapporte Marie Monimart, est éloquente à cet égard: «Le développement, c'est vous, car lorsque cela ne va pas, les hommes s'en vont» (1994:231). Et l'on devrait bien préciser: «les femmes restent». Aujourd'hui, entre 15 et 25% des familles d'Afrique subsaharienne ont des femmes à leur tête.

Les contraintes que les femmes rencontrent, comme chefs de famille, sont principalement celles liées à la culture et à l'économie.

Sur le plan culturel, c'est le modèle familial qui est d'abord en jeu: inégalité entre les statuts et les rôles sociaux des sexes, difficulté de partage du pouvoir. Le pouvoir, ici, se détermine en terme de dynamique des rapports sociaux entre hommes et femmes. Il est inscrit dans la capacité qu'ont les individus à participer à l'autorité, à réaliser leurs objectifs et à contrôler leurs productions matérielles et spirituelles. Les rapports de domination entre les sexes consacrent l'autorité masculine. Il est important de repenser ces rapports, pour pousser les communautés à engager tous leurs membres dans les décisions et actions du développement. Mais il est également important de reconnaître que les femme négocient leur participation au pouvoir par les rôles qu'elles jouent dans l'entretien matériel et moral de la famille. Lorsqu'elles deviennent soutien exclusif de la famille, elles renforcent les espaces de pouvoir que leur délimite la culture. Elles mènent une négociation permanente entre, d'une part, leur statut de fait de chef de famille et leurs responsabilités très lourdes, et, d'autre part, les prérogatives que confère le statut et qui ne leur sont pas accordées d'emblée. La nécessité de résister et de survivre, celle de faire vivre les familles dans des contextes actuels particulièrement contraignants, «ont appris aux femmes à sortir de leur rôle soumis traditionnel et à affronter les pressions familiales et communautaires; elles ont commencé à œuvrer ensemble pour l'amélioration de leurs conditions de vie et de celles de leur communauté. Elles ont utilisé leurs traditions culturelles pour alerter les hommes et les femmes sur les inégalités et les injustices dans leurs sociétés» (DAWN, 1992:101).

Les rapports de domination et d'inégalité établis entre les sexes sont donc, en partie, à l'origine des autres contraintes: lacunes en matière de formation et d'éducation; difficultés à accéder aux ressources matérielles et financières, à bénéficier des intrants économiques et technologiques qui confèrent du pouvoir; obstacles à la participation aux centres de décision économiques et politiques; complicité, silence ou impuissance des lois devant l'iniquité. Il est indispensable d'équilibrer les rapports entre les sexes, de repenser les attitudes culturelles et les systèmes juridiques d'inspiration laïque ou religieuse sur le pouvoir dans la famille.

Le contexte économique et politique de l'Afrique subsaharienne aggrave la situation des chefs de famille des deux sexes. A ce niveau, le débat va au-delà des femmes elles-mêmes, au delà de la lutte contre les structures de leur domination. Les soubresauts de la démocratie, les conflits ethniques et régionalistes, la dévaluation des monnaies, l'emprise d'un système planétaire où les riches s'enrichissent de plus en plus et les pauvres n'en finissent pas de s'appauvrir, ont introduit des déséquilibres qui affectent concrètement les femmes, les hommes et la société globale. La pauvreté est le mal qui touche le plus les femmes rurales chefs de ménage. Elle résulte essentiellement de l'accès inégal aux ressources, du contrôle de la production, du commerce et des finances par le pouvoir national et multinational de l'argent. Ce pouvoir, comme le souligne dans leur introduction, les auteurs de Femmes et Multinationales, a a su se greffer parfaitement sur le dynamisme interne de formations sociales plus anciennes: le système patriarcal d'Afrique et d'Europe, la société de classe et son corollaire, l'État et les structures mises en place par l'ancien système colonial»((1981:8). Au Sommet Social de Copenhague (1995), les débats n'ont pas manqué sur la menace de l'explosion sociale à l'échelle mondiale, sur l'élimination de la pauvreté, sur la création d'emplois productifs pour tous. Ces mêmes questions avaient été soulevées dans les grandes conférences de la Décennie Mondiale des Femmes - Mexico (1975) - Copenhague (1980) - Nairobi (1985) et dans celles plus récentes sur l'Environnement à Rio de Janeiro (1992), les Droits Humains à Vienne (1994) et la Population et le Développement au Caire (1994). On ne pourra pas améliorer l'existence des femmes en général, celle de femmes à la tête de familles désertées par les hommes en particulier, sans un modèle différent de développement qui permette aux communautés et aux individus de se prendre en charge et de subvenir à leurs propres besoins. Et, comme l'affirme la Déclaration Alternative de Copenhague, adoptée par les ONGs présentes au Sommet Social, en mars 1995, pour se démarquer de la déclaration officielle, «il s'agit d'innover et d'élaborer des réponses locales aux besoins des communautés, de promouvoir l'énergie des femmes, en toute égalité avec les hommes, et de mettre à profit les valeureuses traditions de chaque peuple ainsi que les nouvelles technologies».

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