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Le maïs prospère

Jean-Pierre MARATHÉE
Division de la production des plantes et de la protection végétale, FAO, Rome

Résumé. Le concept «maïs prospère» est décrit. Les éléments qui le composent visent à réduire les coûts de production, diversifier les productions autour du maïs, utiliser la biomasse de la plante entière et augmenter les opportunités d'emploi à l'échelon du village. Les principales voies qui pourraient permettre d'aider les petits paysans qui cultivent le maïs à améliorer leur niveau de vie sont passées en revue.

Mots clés. Mais, prospérité, biomasse, valorisation, intrants, diversification, engrais vert, stockage.

Abstract. The concept of "prosperity with maize" is herein described. The elements composing it aim to reduce production costs, diversify the production related to maize, utilize the biomass of the whole plant, and increase employment opportunities ait the village level. The principal means of helping small farmers to improve their standard of living by producing maize are analyzed.

Le manque de débouchés réguliers et rentables des cultures vivrières est souvent en Afrique un des principaux freins, sinon le principal, à l'augmentation de la production. Cela est particulièrement vrai pour le maïs: les années de bonne pluviométrie, les paysans se voient, dans de nombreux pays, obligés de brader à bas prix leur production «excédentaire».

L'idée est d'assurer la «prospérité» des petits paysans grâce à la valorisation optimale du maïs et de ses sous-produits à l'échelon de la ferme. Elle repose sur les quatre éléments suivants:

On utilise une approche intégrée à l'échelon du village, qui a d'abord été imaginée et mise en place pour le riz. Le concept «riz prospère» est né à l'IRRI (International Rice Research Institute). L'idée a, par la suite, été développée par la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations), qui l'a en particulier mise en pratique dans un projet régional «riz prospère» qui touche quatre pays de l'Afrique de l'Ouest (Burkina Faso, république de Guinée, Mali et Sénégal).

Davantage de maïs, mais à un coût minimal

Le choix variétal

La création variétale et l'amélioration des variétés locales est le travail des instituts nationaux de recherche, qui travaillent souvent en collaboration avec des organismes internationaux comme l'IITA (International Institute of Tropical Agriculture), le CIMMYT (Centro Internacional de Mejoramiento de Maíz y Trigo), le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et la FAO. Les variétés améliorées devront très tôt sortir de la station de recherche pour être testées en milieu paysan. Les critères suivants serviront au choix de la variété:

Les techniques culturales

Les techniques culturales sont mises au point à partir d'une recherche menée en milieu paysan; elles tiennent compte des contraintes des agriculteurs. Les techniques suivantes contribuent à augmenter les rendements et donc à diminuer le prix de revient par unité produite:

Mieux utiliser les intrants achetés

On cherche à mieux utiliser les équipements, les engrais, à modérer l'usage des pesticides grâce à l'utilisation de variétés résistantes ou tolérantes en combinaison avec la lutte intégrée.

Produire des intrants à la ferme, à la parcelle

Les intrants suivants peuvent être produits à la ferme semences de qualités, insecticides et engrais verts.

Il est possible de produire des semences de qualité améliorée par des techniques simples démontrées en milieu paysan: épuration au champ et conditions de stockage améliorées.

De nombreuses études ont été faites sur les insecticides à base de neem. Des extraits de neems sont efficaces pour le contrôle de Sitopholus zeamais en post-récolte par exemple; toutefois, l'éthanol dégagé aurait un effet négatif sur la germination (KOSSOU, 1989). Des extraits de feuilles et de fruits pourraient être utilisés pour des traitements insecticides en cours de végétation.

La longueur de la saison des pluies dans les zones où le maïs est cultivé permet très souvent de cultiver un engrais vert avant ou après la culture du maïs. Un certain nombre d'espèces peuvent être utilisées à cette fin. Parmi celles-ci, on peut citer Crotallaria mucuna, dont les graines sont comestibles, Sesbania rostrata, qui possède 5 à 10 fois plus de nodules que la plupart des légumineuses (IRRI, 1988), Vigna sinensis, etc. Ces espèces peuvent aussi être utilisées comme aliment du bétail.

Améliorer la récolte, le séchage, le stockage

L'égrenage peut être fait par des machines actionnées à la main et fabriquées artisanalement. Deux de ces machines peuvent être citées: Cobmaster, qui est capable avec trois personnes d'égrener 250 kg/heure, et Neco, qui nécessite quatre personnes pour la faire marcher et peut égrener 450 kg/heure.

La FAO a beaucoup travaillé les opérations de postrécolte et a contribué à la mise au point de constructions simples pour le séchage et le stockage des grains (FAO, 1987).

Le séchage solaire a été amélioré par l'adjonction d'un toit rudimentaire en plastique, ou à l'aide d'une structure un peu plus élaborée qui consiste en une enceinte en pisé munie de trous d'aération et recouverte de plastique.

Les cribs pour le séchage et le stockage du maïs permettent de ramener l'humidité des épis de 28-35 % à 12-18 %, alors que la plupart des constructions traditionnelles, insuffisamment ventilées, obligent les paysans à laisser sécher les épis sur pied, empêchant une éventuelle deuxième culture après mais ou des cultures associées ou relais. Par ailleurs, les cribs peuvent aussi être utilisés pour le stockage du maïs grain en sacs. Un bon séchage et un bon stockage limiteront les pertes dues aux insectes et aux rongeurs, et éviteront le développement de mycotoxines.

En raison de leur prix de revient relativement élevé, les cribs et les nouveaux systèmes de stockage sont souvent boudés par les agriculteurs. Le projet de la FAO au Bénin, «Systèmes de stockage décentralisés» BEN/87/01 7, étudie les stockages traditionnels et leurs améliorations pour proposer aux paysans des perfectionnements qui ne nécessitent pratiquement pas d'investissements.

Diversifier les systèmes de culture et les activités autour du maïs

La diversification des cultures

Un autre moyen pour le petit paysan d'augmenter ses revenus est de diversifier au maximum sa production dans un système de culture à base de maïs. Cette diversification peut se faire de différentes façons.

Les épis de maïs peuvent être récoltés frais, leur valorisation sera abordée ultérieurement. Sur le plan agricole, ce type de production présente l'avantage d'être récolté environ trois semaines plus tôt que le maïs grain; il laissera donc plus de temps pour faire une deuxième culture.

Les systèmes de culture à base de maïs peuvent être très diversifiés. Les cultures associées sont déjà traditionnellement faites dans beaucoup de pays africains. Elles peuvent être améliorées. Il a été démontré dans de nombreux pays qu'il était possible d'associer le maïs avec des légumineuses à graines, à raison de deux lignes de légumineuses (niébé, soja ou archivé) pour deux ou quatre lignes de maïs, en conservant jusqu'à 80 ou 100 % du rendement du maïs.

Dans les zones du sud où le maïs est cultivé, la longueur de la saison des pluies permet généralement de faire deux cultures. Ces deux cultures peuvent être soit consécutives, la seconde étant semée après la récolte de la première avec ou sans labour, soit en relais. Dans le cas de la culture relais, la seconde culture est semée en intercalaire environ deux à trois semaines avant la récolte de la première culture. Après la récolte du grain, la légumineuse est coupée et laissée sur le sol pour former un mulch pour le maïs. Cette technique de chevauchement des cultures offre les avantages suivants:

Une variante pour assurer deux récoltes lorsque la saison des pluies est trop courte est de semer une légumineuse comme engrais vert en début de saison des pluies et de semer ultérieurement le maïs grain entre les lignes, de telle façon qu'il puisse mûrir en fin de saison des pluies. Cette technique est assez courante en Amérique centrale où les légumineuses suivantes sont semées avant le maïs: Stilobium deeringianum, Canavalla ensiformis, Vigna unguiculata, etc. (GONZÀLEZ et ai., 1989). Bien qu'elle ne permette pas de double récolte de grains, cette technique offre des avantages semblables à la culture relais décrite précédemment, en ce qui concerne l'enrichissement du sol par la légumineuse et l'effet mulch.

La Direction de la recherche agronomique du Bénin, l'Institut tropical royal des Pays-Bas (KIT) et l'IITA ont mis au point ensemble une technique de restauration de la fertilité des sols du plateau de Adja dans la province de Mono. Cette technique consiste à semer Mucuna pruriens, var. utilis, un mois après le semis du maïs durant la première saison des pluies. La légumineuse se développe en un épais couvert végétal pendant la deuxième saison des pluies. Durant la saison sèche, la mucuna meurt et forme un mulch sec qui fertilisera la culture du maïs de la première saison des pluies de l'année suivante. La mucuna sera à nouveau semée en culture relais un mois après le semis du maïs. Cette technique présente un double avantage:

La culture en couloir mérite aussi d'être mentionnée ici. Cette technique a fait l'objet de nombreuses recherches de la part de l'IITA pour l'Afrique. Nous rappellerons ses principaux avantages:

Un certain nombre de légumineuses arbustives sont utilisées pour la culture en couloir; parmi celles-ci, nous pouvons citer Leucaena leucocephala, Sesbania sesban, Calliandra calothyrsus, Cassia spectabilis et Cajanus cajan. La culture en couloir peut aussi être utilisée dans des dispositifs antiérosifs pour la mise en place de terrasses sur des sols à faible pente.

L'intégration de l'élevage

La plus grande part de la production mondiale de maïs est utilisée pour l'alimentation animale. En Asie du Sud-Est par exemple, en 1992, 36 % seulement du maïs grain produit a été utilisé pour l'alimentation humaine. L'utilisation du maïs, aussi bien la plante que le grain, devrait être développée dans les villages africains. Le maïs grain trouve naturellement sa place dans les petits élevages de volailles (production de viande et d'oeufs), il peut compléter l'alimentation des petits ruminants et des porcs. La paille de maïs peut être traitée à l'alcali, ce qui augmente sa digestibilité: deux kilos de paille ainsi traitée ont à peu près la même valeur énergétique qu'un kilo de grain. L'enrichissement de la paille en azote par traitement à l'urée est une technique très simple qui peut être réalisée à l'échelon villageois; avant traitement, la paille peut être hachée; des hachoirs manuels très simples existent. L'azolla cultivé dans les mares pourrait avantageusement compléter l'alimentation des animaux en matière azotée. L'intégration de l'élevage à la ferme permet, par la production de fumier, d'améliorer la fertilité des sols. Ce fumier peut être utilisé soit directement, soit mélangé à des déchets végétaux pour la fabrication de compost. Du biogaz peut être produit à la ferme avec des dispositifs très simples à partir de la fermentation anaérobie de fumier et de débris végétaux.

Des essais d'élevage de l'escargot géant africain (Achatina achatina) ont été menés en Côte-d'Ivoire et au Bénin. Un marché intéressant existe pour ces escargots en Afrique de l'Ouest (ZONGO et ai., 1990). L'élevage pourrait être fait à la ferme à partir d'une alimentation à base de farine de maïs.

Les premières transformations

La création de mini-minoteries villageoises et de petites unités de transformation des céréales est possible. Des études ont été menées par le Programme régional de promotion des céréales locales au Sahel (PROCELOS) et le CIRAD (BRICAS et OUEDRAOGO, 1989).

Les groupements villageois de service

La création d'unités de transformation peut conduire à la création de groupements villageois de service. Des groupements de service (formes précoopératives) pourraient aussi commercialiser des intrants et des produits transformés, passer des contrats de vente de produits bruts avec des industriels ou des intermédiaires et gérer les stocks dans les villages.

Mieux valoriser toute la biomasse

Les épis frais

Les épis de maïs peuvent être vendus pour consommation en vert. Ce marché, qui existe déjà à la périphérie des villes, peut être développé. Il existe des variétés sucrées qui seraient probablement plus attractives pour les consommateurs. La production de maïs en vert présente pour l'agriculteur plusieurs avantages: augmentation et étalement des revenus, étalement de la production dans le temps en faisant des semis échelonnés. Le maïs immature, récolté au stade laiteux, permet aussi de faire un certain nombre de préparations culinaires à partir de lait de maïs obtenu par pressage d'épis verts à travers un tissu.

La tige et la feuille

Nous avons déjà vu les utilisations possibles des tiges et des spathes comme fourrage, la possibilité de traitement à la soude, à l'alcali, avec de l'urée, la production de fumier et de biogaz.

La paille de maïs peut aussi être utilisée pour la production de champignons. Les champignons sont riches en protéines (20 à 40 % en poids sec), en vitamines et en sels minéraux. La culture de champignons peut procurer aux paysans du travail et des revenus supplémentaires. Après la culture, le compost peut être utilisé comme engrais organique ou pour l'alimentation animale. Les champignons suivants ont été cultivés avec succès dans des projets de l'IRRI à partir de paille de riz: Voivariella, auricularia et pleurotus (IRRI). Ils pourraient être cultivés de la même façon à partir de paille de maïs hachée. Voivariella peut être cultivé en plein champ entre deux cultures; les champignons peuvent être récoltés au bout de deux semaines. Auricularia et pleurotus peuvent être cultivés sur des sacs contenant des pailles.

Coupée en morceaux, la paille de maïs devrait pouvoir être utilisée comme combustible dans la plupart des foyers améliorés.

La rafle

La rafle est un bon combustible qui peut être brûlé directement; elle est largement utilisée en Europe pour le séchage des grains de maïs dans les usines de production de semences. En Afrique, elle pourrait facilement être brûlée dans la plupart des foyers améliorés qui ont vu le jour pendant ces dernières décennies. La rafle peut aussi être utilisée pour fabriquer du charbon de bois. La cendre de rafle est riche en potasse et peut être utilisée pour la fabrication artisanale de savon.

La rafle présente une grande résistance mécanique; il y aurait lieu de voir comment elle pourrait être utilisée pour la fabrication de matériaux de construction simples.

Les nouveaux produits alimentaires

Considérées à l'échelon de chaque région, les utilisations alimentaires du maïs en Afrique sont relativement limitées (le Bénin est une exception). Des efforts ont été faits pour commercialiser des produits diversifiés à base de maïs. A Ziguinchor, au Sénégal, dans le cadre des activités de PROCELOS, les produits suivants à base de maïs ont été commercialisés dans les kiosques (MULLER, 1990):

Cet exemple de PROCELOS, qui travaille dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, montre qu'il existe de réelles possibilités de diversification et de commercialisation de nouveaux produits transformés à base de maïs. L'Amérique latine, à qui l'on doit le procédé de nixtamalisation, pourrait certainement fournir encore de nouvelles recettes et utilisations du maïs.

La nixtamalisation

La nixtamalisation est une technique de cuisson alcaline du grain de maïs, qui est réalisée en Amérique centrale depuis l'époque précolombienne. Le processus comprend les opérations suivantes:

La tortilla sera fabriquée à partir clé la masa par moulage et cuisson. En fait, la masa peut être préparée sous des formes gastronomiques diverses. La nixtamalisation du maïs a une grande incidence sur sa valeur nutritionnelle. Bien qu'il y ait une perte globale clé la plupart des amino-acides du grain, la qualité, clés protéines assimilables est améliorée, surtout en ce (lui concerne la lysine pour laquelle le maïs est déficitaire. La teneur en niacine (vitamine B3), qui est un facteur anti-pellagre, est aussi augmentée. Il ne fait aucun doute que la consommation de maïs nixtamalisé a permis aux populations indiennes du continent américain, dont la nourriture était presque exclusivement à base de maïs, de survivre.

Conclusion

Cet exposé a montré ce qu'est, dans l'esprit clé la FAO, le concept «maïs prospère». Les principales voies pouvant permettre à l'agriculteur de mieux valoriser ses productions ont été passées en revue. Elles peuvent être regroupées en deux volets principaux:

Ces deux volets feront l'objet de présentations et de discussions en ateliers, ce qui devrait permettre l'émergence de nouvelles idées.

Ainsi, je voudrais que chacun d'entre nous puisse repartir avec de nouvelles idées sur la façon d'aider les petits paysans qui cultivent le maïs à mieux vivre.

Il serait probablement souhaitable que nous puissions nous rencontrer tous les deux ou trois ans pour mettre en commun nos expériences dans ce domaine. Dans cet esprit, je propose qu'à la fin du séminaire, nous discutions de la création d'un réseau maïs prospère pour l'Afrique de l'Ouest. Ce réseau (ou sous-réseau) pourrait être créé dans le cadre du réseau maïs de la CORAF avec un financement conjoint de la CORAF et de la FAO.

Références bibliographiques

BRICAS N., OUEDRAOGO J.C., 1989. Orientations et propositions d'action pour la valorisation des céréales au Burkina Faso. Plan céréalier, phase 2, proposition de politique céréalière.

FAO, 1987. On-farm maize drying and storage in the humid tropics. Bulletin n° 40. Rome, Italie, FAO Agricultural Services.

FAO, 1992. Maíze in human nutritition. FAO Food and Nutrition Séries, n° 25. Rome, Italie, FAO.

GONZÁLEZ A., VARGAS E., GORDON R.M., DE GRACIA N., 1989. Evaluación de leguminosas intercaladas en el cultivo de maíz. Proyectos Collaborativos en Agronomia, Desarollo y Mejoramiento de Germoplasma en Maíz. Programma Régional clé Maíz de CIMMYT para Centroamerica, Panama y el Caribe, 1989: 214216.

IRRI 1988. Sesbania, a promising légume for fixing nitrogen in rice and maize fields. New release. Philippines, IRRI.

IRRI Mushroom production démonstration, a component of prosperity through rice. Philippines, IRRI.

KOSSOU D.K., 1989. Evaluation des différents produits du neem Azadirachta indica (A.) Juss pour le contrôle de Sitophilus zeamais Motsch sur le maïs en postrécolte. Insect Sci. Applic., 10(3):365-372.

MINISTÈRE DE LA COOPÉRATION ET Du DÉVELOPPEMENT, 1980. Alternatives pour la transformation du maïs. Dossier technologies et développement. Paris,

France, ministère de la Coopération et du Développement.

MULLER F., 1990. Commercialisation de produits transformés à base de maïs à Ziguinchor. Bamako, PROCELOS.

ZONGO D., COULIBALY M., DIAMBRA O.H., ADJIRI E., 1990. Note sur l'élevage de l'escargot géant africain Achatina achatina. Nature et faune, 6(2): 32-43.


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