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La mort des forêts de l'Afrique tropicale

Par ANDRÉ MARIE A. AUBRÉVILLE

Conservateur des Eaux et Forêts, France

LORSQU'ON regarde une carte de la végétation de l'Afrique on voit dans la zone équatoriale une large tache qui représente un immense massif de forêts denses de 4.800 kilomètres de largeur, comptée suivant un parallèle terrestre, allant depuis le Sierra-Leone, jusqu'aux grands lacs de l'Afrique orientale; il couvre partiellement le Libéria, la Côte-d'Ivoire, la, Côte de l'Or, le Nigeria, le Cameroun, l'Afrique équatoriale française et le Congo belge.

1. Richesses de la forêt tropicale.

En présence de cette surface forestière considérable il semble que le monde dispose d'une formidable réserve de bois que l'on pourrait utiliser largement, sinon aujourd'hui du moins demain si les besoins mondiaux en bois s'accroissant toujours on atteignait la limite d'exploitabilité des forêts de la zone tempérée.

La forêt équatoriale

Les forêts équatoriales africaines sont en effet très peu exploitées en général et le volume de bois qu'elles renferment peut s'exprimer en chiffres impressionnants.

Elles occupent des régions particulièrement favorisées par le climat; pluies abondantes, régulièrement réparties dans l'année, à l'exception parfois d'une courte saison sèche qui dure trois mois au maximum; température presque constante de 25°-26° centigrade on moyenne; humidité atmosphérique très élevée; déficit de saturation très faible. Ce sont des conditions peu agréables pour l'homme mais propices à là végétation; c'est pourquoi ces terres sont le domaine privilégié de la forêt et des cultures industrielles telles que le palmier à huile, la plante au rendement oléagineux le plus élevé, l'hévéa, le cacaoyer, certains caféiers, le bananier, etc.

Au delà de cette zone centrale l'Afrique continentale est vide de grandes forêts; sur une très grande carte apparaîtraient minuscules quelques forêts en Guinée française, dans l'Ouganda, au Kenya, au Tanganyika et dans l'Angola. Le taux de boisement en forêts du type humide est donc en réalité très faible si on le rapporte à l'ensemble de l'Afrique tropicale.

Sa régression. - Lorsqu'on, étudie le climat de l'Afrique on est étonné de s'apercevoir, que dans une large frange autour de la forêt guinéo-équatoriale, dont l'épaisseur varie de quelques dizaines à deux ou trois centaines de kilomètres, le climat est le même qu'en forêt; toutes les conditions climatiques y sont encore favorables à l'existence de la forêt dense humide. A sa place s'étendent de vastes savanes de hauts herbages, tantôt piquetées d'arbustes on de petits arbres espacés, tantôt nues; elles alternent avec des cultures vivrières et quelquefois avec des boqueteaux de haute forêt.

Les formations végétales étant les effets du milieu et plus particulièrement des climats, il existe dans ces régions préforestières une anomalie étonnante.

On peut être tenté de penser, en présence de ce contraste et de cette contiguïté entre une forêt exubérante et une savane, que la première, puisqu'elle est aidée par le climat, recouvre lentement la seconde et que nous sommes les spectateurs d'une phase de la transgression de la forêt sur des territoires où elle n'a jamais eu le temps de s'installer.

Cette explication est inexacte, car le continent africain est un vieux socle émergé depuis les temps primaires, et certainement depuis ces temps la forêt a pu occuper toutes les aires où les conditions du milieu lui étaient favorables, d'autant mieux que nous connaissons d'autre part la rapidité avec laquelle elle s'installe aujourd'hui encore sur des alluvions récemment exondées.

L'étude floristique de la flore ligneuse des régions de savanes préforestières permet de conclure, sans aucun doute, à une régression de la forêt. Les espèces de petits arbres et d'arbustes qui se multiplient dans ces savanes devenues boisées sont peu nombreuses; elles appartiennent à une flore héliophile banale qui colonise, dans toute l'Afrique tropicale, les espaces découverts; ces espèces sont des émigrantes venues de pays au climat plus sec; leur rusticité, leurs facilités de propagation, leur résistance à tous les facteurs de destruction, leur faculté de rejeter de souche et de drageonner vigoureusement, leur confèrent le grand pouvoir envahisseur de toutes les mauvaises herbes. Elles n'appartiennent pas à la flore de la forêt dense à l'intérieur de laquelle elles ne pourraient d'ailleurs vivre.

Processus de régression. - Comment s'est effectué le recul de la forêt dense? Le processus continue à se dérouler sous nos yeux.

La cause initiale est imputable aux défrichements des populations indigènes qui, habitant dans une forêt compacte et continue, sont dans l'obligation de l'abattre pour mettre leurs cultures au soleil.

Ces défrichements ne sont pas particuliers à l'Afrique; dans tous les pays tropicaux les indigènes emploient les mêmes méthodes de préparation des terrains de culture par l'abattage de la forêt suivi de l'incinération des arbres coupés ou même laissés debout. Après une ou deux récoltes, ils abandonnent le sol épuisé; une végétation basse, dense, d'arbustes, de petits arbres et de lianes, dite brousse secondaire, s'y installe rapidement. Elle est constituée d'espèces différentes de celles de la forêt primitive. Les indigènes vont alors défricher d'autres parcelles de forêt où le sol humifère, enrichi des cendres de l'incinération de la végétation ligneuse, pourra donner des récoltes suffisantes.

Comme toutes les populations indigènes se livrent depuis des temps immémoriaux à cette agriculture primitive transhumante, les forêts anciennes ont été remplacées en grande partie par des forêts secondaires. Celles-ci, lorsque le milieu demeure toujours favorable à la forêt, reconstituent lentement la forêt première; mais il n'en est pas toujours ainsi: la repousse de la forêt est très médiocre lorsque le sol est excessivement appauvri ou lorsque ce sol en pente est arraché par l'érosion, on encore, lorsque le climat local comporte une saison sèche assez longue et assez aride; dans ces cas, souvent le sol au lieu de se recouvrir d'une forêt secondaire est envahi par une savane de hautes graminées ou par des champs de fougères.

Mais alors que la forêt primitive était incombustible, les brousses secondaires chétives, les savanes et les fougeraies se dessèchent assez en saison sèche pour pouvoir être incendiées. C'est ainsi que les feux qui brûlent chaque année les savanes, réussissent à pénétrer toujours un peu plus à l'intérieur des forêts, en brûlant les herbages et les brousses secondaires très appauvries qui ne leur offrent plus qu'une résistance insuffisante.

Le recul de la forêt est très sensible quand - cas fréquent une population indigène localement assez nombreuse défriche de préférence sur les lisières, ouvrant des brèches par lesquelles les feux s'engagent, ou encore en montagne, lorsque les cultures sont établies sur des pentes assez fortes recouvertes d'une mince couche de terre.

C'est ainsi que la zone préforestière actuelle présente des paysages très particuliers: lambeaux vestiges de forêt ancienne encore inattaquée ou protégée contre les feux par des obstacles topographiques, crêtes rocheuses, vallées très humides; mélange confus de brousse basse, restes de l'ancienne brousse secondaire consécutive aux défrichements, et de savanes de hautes herbes; savanes nues avec quelques grands arbres demi-calcinés, témoins du déboisement récent; savanes plus anciennes, déjà peuplées d'arbustes et de petits arbres d'une flore xérophile étrangère aux pays.

Caractères de la régression ancienne et du recul actuel. - A l'époque actuelle deux facteurs interviennent en sens opposé dans la vitesse de recul de la forêt dense africaine.

Les populations indigènes se déplaçant en règle générale des pays de savanes vers la forêt attaquent d'abord la forêt lisière et la font reculer; elles défrichent donc des forêts de plus en plus humides qui ont un plus grand pouvoir de reconstitution spontanée et de résistance au feu. La progression des savanes tend ainsi à se ralentir par rapport aux temps passés où les défricheurs rencontrèrent des forêts moins résistantes sous des climats plus secs; plus ils avancent vers le coeur de la forêt équatoriale, mieux, la «savanisation» est tenue naturellement en échec. En revanche, l'intensité de défrichement est devenue plus grande avec le développement présent de l'agriculture, celui des cultures industrielles notamment, l'augmentation de la densité de certaines populations, le développement économique en général qui suscite de nouveaux déplacements démographiques.

Le recul actuel de la forêt dense humide peut paraître lent; certains même le nient parce qu'ils n'aperçoivent aucun changement profond d'une année à la suivante, sauf quelquefois le grignotement des lisières par les feux de brousse qui, sur les sols secs, réussissent à pénétrer de quelques mètres parfois dans, les sous-bois. La transformation de la forêt en savane se fait en effet tout en profondeur; elle affecte de très larges zones périmétrales; il y a dégradation lente de tout l'ensemble, évolution des paysages, qui ne peuvent être sensibles d'une année à l'autre; en quelque sorte la forêt se dissout presque invisiblement dans la savane.

Autrefois il n'en fut pas ainsi dans les pays plus secs alors sujets aux défrichements: le feu de savane était susceptible d'incendier directement les sous-bois et peut-être la futaie elle-même; le recul était alors franc et rapide. C'est parce que toutes les forêts qui pouvaient être brûlées facilement ont été brûlées depuis longtemps déjà, avant l'arrivée des Européens, que nous ne voyons plus aujourd'hui dans les pays a climat nettement forestier que des savanes, nues on encombrées par une flore forestière émigrante récente, ou la forêt dense humide actuelle qui se défend assez bien contre les; défrichements et les feux qui viennent mordre ses lisières. La régression de la forêt équatoriale se poursuit de nos jours, mais à un rythme beaucoup plus lent qu'autrefois.

Si les feux de savanes ne sévissaient pas chaque année la reconstitution de la forêt se produirait spontanément sur une grande partie de l'aire qu'elle a perdue; toutes les expériences qui ont été faites montrent même que cette réinstallation est rapide lorsque le sol est demeuré encore humifère et qu'il a conservé une bonne structure. Quelques observateurs ont signalé des cas d'extension actuelle de la forêt; il s'agit vrai semblablement plutôt d'une réoccupation par la forêt de surfaces antérieurement perdues, dans des circonstances particulières qui interrompent les ravages annuels des feux de brousse.

Les défrichements à l'intérieur de là forêt dense humide entraînent à la longue de grandes modifications dans la composition floristique des peuplements. Les espèces d'arbres de la forêt primitive tendent à être remplacées par des espèces héliophiles à croissance rapide. Il y a des cas heureux où les secondes sont économiquement plus intéressantes que les premières, c'est, par exemple, le cas de l'okoumé, Aucoumea klaineana Pierre, au Gabon, et, sur les aires incendiées dans les forêts de haute altitude de l'Afrique orientale, du Juniperus procera Hochst.

Les Forêts sèches et les savanes boisées. - La forêt équatoriale est une masse impressionnante concentrée au centre de gravité de l'Afrique, mais elle ne représente qu'un faible pourcentage de la superficie totale de l'Afrique tropicale, même si l'on n'y compte pas le Sahara et les déserts maritimes de la Côte des Somalis et de la Côte occidentale de l'Afrique australe.

L'Afrique tropicale soumise au régime classique de deux saisons bien accusées, une saison de pluies et une longue saison sèche, est couverte sur des étendues immenses par des savanes boisées et des forêts claires de petits arbres qui sont quelquefois assez serrés pour ressembler à une véritable forêt des pays tempérés, mais dont le sol serait occupé par une prairie de graminées.

Chaque année ait début de la saison sèche cette Afrique sèche brûle entièrement; des lignes de feu parcourent toutes les savanes, toutes les forêts claires. Ce ne sont que des feux d'herbes; les arbres et les arbustes ont leur feuillage grillé niais eux-mêmes ne brûlent ordinairement pas. Après le passage des feux le sol est couvert d'une poussière noire de charbon et de cendres, les fûts noircis des arbres paraissent calcinés. La nature parait morte, mais que survienne seulement une pluie d'orage ou quelques rosées, un gazon tendre recouvre aussitôt le sol, les arbres reverdissent; la nature est rajeunie, plus belle qu'avant le passage des feux où elle n'était que feuillages desséchés et grillés.

Chaque année les mêmes phénomènes se produisent; il semble qu'ils se soient toujours déroulés ainsi; c'est une erreur.

En réalité, nous assistons à l'agonie d'une flore et à des stades du dessèchement et de la dégradation de l'Afrique tropicale.

Ce qui est grave, c'est qu'en général personne ne s'en aperçoit, comme les familiers d'un grand malade, condamné depuis des années, prennent presque l'habitude de le voir souffreteux, oubliant qu'il fut autrefois en parfaite santé, et ne voient pas les lents progrès du dépérissement; cependant un jour il succombe.

En Afrique tout le monde est arrivé à penser que les feux, la savane et les maigres peuplements forestiers constituaient un état d'équilibre qui existait depuis toujours; certains phytogéographes qui n'ont pas encore saisi la genèse de ces formations disent de ces savanes boisées qu'elles constituent des formations «climatiques.»

Cependant il n'est que de regarder ces arbres et ces arbustes pour voir les blessures des fûts rabougris, les cimes décharnées qui ne peuvent jamais se développer normalement, les rameaux étant partiellement brûlés chaque année, et pour, constater que les rejets de souche, les semis, sont impitoyablement calcinés chaque année, sauf quelques-uns qui réussissent à prendre péniblement le dessus, à la longue.

Ce n'est que grâce à une vitalité merveilleuse des souches, à leur puissante facilité de rejeter et de drageonner, à l'adaptation des écorces épaisses et souvent liégeuses, que cette végétation ligneuse peut encore subsister.

Par ailleurs, le naturaliste ne peut que s'étonner de cette communauté d'herbages et d'arbres qui est l'alliance de deux inconciliables, les herbages étouffant les semis et les jeunes plants, l'ombrage des arbres tuant les graminées héliophiles.

Dans le feu annuel qui, en éclaircissant toujours le couvert forestier, permet à la savane de proliférer, celle-ci périrait avec les années ou les siècles, selon la nature du milieu.

Le paysage des savanes boisées, qui est le paysage typique de l'Afrique, est artificiel, sauf dans les régions prédésertiques. Il résulte de la dégradation par les feux ou par les défrichements suivis de feux, d'antiques forêts denses, fermée s, avec sous-bois arbustif, sans tapis de graminées, forêts d'un type tout à fait différent de la forêt équatoriale humide; mais sa formation remonte dans la nuit des temps.

2. Restes de la forêt sèche

Toutes ces forêts qui ont couvert autrefois l'Afrique sèche d'un immense manteau continu ont disparu, sauf quelques vestiges qu'il faut avoir la patience de découvrir (laits des régions presque inhabitées; on a alors la surprise d'y retrouver, en communautés fermées, toutes les espèces d'arbres ou d'arbustes que l'on a l'habitude de voir, toujours isolées, dans les savanes boisées, à l'état plus ou moins rabougri; là est leur véritable habitat; on peut alors y distinguer des communautés d'espèces variables avec le climat et le sol, tandis qu'on rencontre ordinairement toutes ces espèces cri mélange confus et incompréhensible. Un sous-bois compact d'arbrisseaux, d'arbustes sarmenteux et de lianes, couvre le sol, sous des futaies de 12 à 20 m. de haut, tantôt claires tantôt denses, selon le sol. C'est ainsi qu'il existait des formations diverses: à Anogeissus; à Isoberlinia-Uapaca-Monites; à grandes légumineuses Burkea-Erythrophleum tetrapleura-Prosopis; à Parkia-Pterocarpus; à Brachystegia-Isoberlinia; à Cryptosephalum; à Detarium-Parinari-Afzelia; à Combretum-Terminalia; à Anogeissus-Boswellia; etc., dont on peut encore retrouver des massifs importants en Afrique australe (Rhodésie du Nord, Katanga, Angola), plus rares et moins grands dans l'Oubangui-Chari, en Guinée française, en Casamance, etc.

Ces derniers massifs sont en voie de disparition, à échéance brève ou longue selon les cas. Le processus de leur dégradation est visible: tantôt les défrichements et les feux en sont les agents, mais souvent les feux seuls suffisent. Les sous-bois en effet sont très vulnérables au feu pendant la dure saison sèche; l'incendie peut les détruire. En général, le feu chemine par couloirs dans la forêt, selon le vent et l'état de sécheresse des fourrés; il la découpe isole des parcelles plus vertes et plus résistantes. Les staminées s'installent aussitôt après dans les clairières; à la saison sèche suivante elles fournissent un excellent aliment au feu qui repartira à l'attaque pour de nouvelles progressions. Les arbres de futaie résistent plus ou moins, à cause de la protection de leur écorce épaisse et de la profondeur de leur enracinement; cependant souvent ils sont blessés au pied, et, comme les blessures s'aggravent à chaque passage annuel des flammes, nombreux sont ceux qui finissent par périr.

C'est ainsi que les forêts s'éclaircissent, sans être détruites d'un seul coup, et que les savanes prennent la place qui est perdu par la végétation ligneuse; c'est ainsi qu'au cours des siècles les savanes ont remplacé peu à, peu la forêt. Celle-ci aurait disparu depuis longtemps sans la puissante vitalité des souches et de certaines espèces qui réussissent à se maintenir eu dépit de toutes les vicissitudes; mais la dégradation ne peut que s'accentuer puisque le feu revient chaque année.

Le feu est mis à la savane sèche par les indigènes pour de multiples raisons, les unes valables, les autres moins. Ces hauts herbages secs gênent le noir: ils entravent la marche; ils gênent la chasse, l'agriculteur aussi; le moyen simple de les supprimer est d'y mettre le feu. En réalité, en maintenant ou en accentuant ainsi le, découvert du sol, on favorise toujours plus le développement des herbages, mais l'homme de la brousse ne se soucie évidemment que de résoudre les difficultés immédiates; ces herbages l'étouffent, il y met tout naturellement le feu,

Pour les mêmes raisons, déjà l'homme primitif a mis le feu à la forêt sèche et dense. Les sous-bois sarmenteux, lianoïdes, épineux souvent, étaient difficilement pénétrables; c'est pour se déplacer dans cette forêt que l'homme a allumé les premiers incendies.

Quand la population a augmenté, que des guerres ont éclaté entre peuplades pour la dispute de territoires de chasse ou de pêche, les mouvements des populations vaincues et chassées, ceux des conquérants, ont multiplié les occasions des incendies.

Plus tard, avec le développement de l'agriculture et de l'élevage, cultivateurs et pasteurs ont, à leur tour défriché et mis le feu à la forêt.

L'ère des grands feux qui ont transformé la face de l'Afrique doit donc se situer très anciennement; elle est si lointaine qu'aucun homme n'a pu eu garder le souvenir; la transformation a été radicale et générale; sans les massifs qui ont été épargnés jusqu'aujourd'hui il serait difficile de le concevoir.

Les conséquences de la disparition des forêts

Conséquences pour la production du bois. - L'Afrique tropicale tend vers la savanisation générale. Au point de vue, local et mondial, de l'économie forestière, les conséquences en sont sérieuses.

L'Afrique, sauf dans les régions de forêt équatoriale, est déjà importatrice de bois; son développement, l'accroissement de ses populations, ne pourront qu'aggraver cette situation. Dans les pays IL climat très sec, les défrichements inconsidérés autour des centres habités ont déjà abouti à raser complètement tous les boisements, de sorte que les femmes, pour les besoins de leur cuisine, sont parfois obligées d'aller chercher des fagots de bois de feu à plusieurs heures de marche, qu'elles ramènent à la ville sur leur tête, ou de les acheter très cher au marché. Les bois d'oeuvre manquent; il n'y a plus de bois droits, sauf dans des galeries forestières très éloignées. Le problème du bois se pose partout dans ces régions sèches et peuplées, très embarrassant pour les populations comme pour les services publics.

Les ressources des grandes forêts denses équatoriales dépassent considérablement les besoins des populations locales; elles fournissent un commerce d'exportation qui n'est pas négligeable et qui pourrait être beaucoup plus important encore en Côte-d'Ivoire, Côte de l'Or, Nigeria, Cameroun, Gabon, Moyen-Congo, Congo belge.

Les réserves de bois existantes sont encore formidables, surtout si on les compare aux prélèvements relativement minimes des exportations actuelles; la situation d'avenir est cependant inquiétante car, avec l'extension des défrichements, toutes ces belles réserves s'évanouissent un peu plus chaque année en fumée, ainsi que nous l'avons montré plus haut.

Les forêts secondaires constituées d'arbres de taille moyenne ou petite, de bois tendres, altérables, généralement sans usages, occupent des étendues de plus en plus grandes; en moyenne on considère que les zones forestières comprennent un à deux tiers de forêts secondaires sans grande valeur.

Si l'on n'y prend garde, il est possible qu'un jour, lorsque le manque de bois obligera à faire un sérieux appel aux essences africaines, les fameuses forêts équatoriales ne puissent donc plus fournir qu'un appoint insignifiant à la production mondiale.

Cependant dans certains pays, le climat et certaines essences offrent des possibilités merveilleuses de production rapide de bois; il serait possible par une sylviculture très simple de faire des pays riverains du Golfe de Guinée, depuis la Côte-d'Ivoire jusqu'au Gabon, de riches pays forestiers, sans qu'une semblable transformation impliquât des efforts financiers démesurés.

Conséquences sur l'habitabilité de l'Afrique - Mais les conséquences présentes et futures de la disparition des forêts sur l'habitabilité de l'Afrique sont beaucoup plus graves que les incidences sur la production en bois, car c'est la vie future de l'humanité sur un continent qui est en cause.

La suppression de la couverture forestière en Afrique a des conséquences sur le climat et la conservation des sols et des réserves d'eau, qui sont infiniment plus grandes que partout ailleurs dans le monde.

D'abord, ainsi que nous l'avons montré, il s'agit d'un phénomène général qui affecte la majeure partie, de l'Afrique tropicale, c'est-à-dire qu'il atteint des proportions qui l'élèvent au niveau d'un facteur climatique général.

Il a pour effet direct d'exposer pendant toute la saison sèche, qui dure de quatre à neuf mois (abstraction faite des pays prédésertiques et désertiques), un sol dénudé, noirci, d'une part, à l'irradiation élevée du rayonnement solaire dans les régions intertropicales, d'autre part à une évaporation intense résultant soit de l'échauffement direct du sol, soit de l'atmosphère sèche et des vents desséchants qui règnent durant cette saison.

Il en résulte une modification défavorable de la structure physique du sol, qui le rend moins résistant aux forces d'érosion que déchaînent les pluies violentes qui succèdent brusquement à la longue saison sèche; puis d'une perte des réserves d'eau que viennent évidemment compenser les pluies suivantes, mais qui compte cependant dans le bilan hydrique annuel du soi.

L'exposition du sol aux échauffements excessifs suivis de violents lessivages est évidemment favorable à l'érosion sous toutes ses formes: érosion par ravine nient ou par décapage (gully erosion and sheet erosion) selon le relief, et surtout peut-être stérilisation des couches de terre cultivable par entraînement en profondeur des produits nutritifs des plantes, destruction des complexes colloïdaux argilo-humiques, tous éléments importants de la fertilité. Les sols africains dénudés se détruisent ou s'appauvrissent dans des conditions de rapidité inconnues dans les pays tempérés où l'insolation est moins intense et de plus courte durée totale.

A ces causes d'appauvrissement il faut ajouter celle qui résulte de la perte de carbone et d'azote par la calcination de la végétation à l'époque des feux de brousse.

C'est pourquoi, et aussi parce qu'ils ne disposent généralement pas d'engrais pour compenser les prélèvements des récoltes, les rendements des agriculteurs indigènes sont ordinairement dérisoires, et que l'Afrique agricole est très pauvre. Les indigènes ne s'en étonnent pas, habitués depuis si longtemps à ces rendements médiocres; d'ailleurs, quand le sol est épuisé, ils se déplacent et vont défricher d'autres terres boisées; car il y a encore des terres boisées, dont les boisements sont dégradés mais dont les sols sont encore propres aux cultures; cela durera tant qu'il y aura des terres nouvelles à cultiver, mais non pas éternellement.

3. Ce qui a été perdu - reste de forêts à Madagascar

Un effet de l'érosion, consécutif au déboisement sur des plateaux mollement ondulés, se manifeste curieusement dans certaines régions. Il existe, à faible profondeur dans le sol, des horizons concrétionnés ferrugineux et latéritiques, d'origine fossile probablement. Lorsque les couches superficielles sont érodées, ils apparaissent en surface et se durcissent alors en nue carapace ferrugineuse ou latéritique impropre à porter une végétation autre qu'une maigre prairie; ces pays (Guinée française, Oubangui-Chari) sont alors transformés en demi-désert bien que les pluies y soient abondantes.

Altération des régimes pluviométriques.- L'Afrique est un continent mal situé par rapport aux grand courants aériens de la circulation atmosphérique générale. Sur la face atlantique, les alizés marins s'en éloignent; sur l'océan Atlantique nord, les alizés s'en écartent, soufflant du Nord-Est vers le Sud-Ouest; dans l'Atlantique sud, symétriquement, ils soufflent vers l'Amérique du Sud, du Sud-Est vers le Nord-Ouest; ce ne sont que des filets d'alizés qui, déviés par les basses pressions continentales, rafraîchissent des côtes atlantiques; ils n'apportent par ailleurs pas de pluie, mais seulement de l'humidité et des brouillards.

Pendant l'hiver de l'hémisphère Nord, l'Afrique boréale est balayée par des vents desséchants issus du Sahara, alizés continentaux, appelés «harmattan» en Afrique occidentale, «courant égyptien» en Afrique nilotique, qui exercent leur influence desséchante jusqu'au Golfe de Guinée en Afrique occidentale, jusqu'à l'Equateur et peut-être au delà en Afrique centrale. Dans l'Afrique du Nord-Est souffle alors là mousson d'hiver asiatique, vent ordinairement sec mais qui, après son passage sur l'océan Indien, apporte quelques faibles pluies d'hiver en Erythrée et dans les Somalis.

A la même époque de l'année, qui est la saison chaude et pluvieuse de l'Afrique australe, celle-ci est sous l'influence de l'alizé de l'océan Indien qui souffle dans la direction générale Sud-Est, Nord-Ouest; il déverse des pluies dans les régions littorales, mais il se dessèche assez rapidement et ses apports de pluie dans l'intérieur du pays paraissent peu considérables. Pendant l'hiver austral (été boréal) il est attiré et dévié puissamment par la masse du continent asiatique surchauffé; il contribue donc, en s'éloignant de l'Afrique, à alimenter le formidable courant aérien de la mousson asiatique d'été; mais l'Afrique orientale ne reçoit que très peu de pluies.

Ainsi, si l'Afrique est mal desservie par les grands courants aériens d'origine marine, elle est au contraire exposée largement aux vents secs, vents d'origine continentale qui lui enlèvent une part de ses réserves d'eau, ou vents marins déshumidifiés.

Une grande et heureuse exception existe cependant, sans quoi l'Afrique serait desséchée depuis longtemps; la mousson atlantique équatoriale, qui souffle de l'océan Atlantique équatorial du Sud-Ouest, vers le continent, lui apporte des pluies surabondantes en été; attirée par les dépressions barométriques intérieures, elle pénètre profondément jusqu'au coeur du continent, jusqu'aux rives sud du Sahara, et traverse même le continent, de part en part, jusqu'à l'Abyssinie.

L'apport d'humidité marine de la mousson est considérable; néanmoins toutes les évaluations qui ont été faites en Afrique pour estimer quelle est, dans les pluies, la part de la vapeur d'eau due à l'évaporation terrestre et celle des vents marins, ont montré que plus de la moitié, ou même les deux tiers étaient dus à l'évaporation terrestre.

Or l'évaporation terrestre est sous la dépendance des réserves d'eaux du sol; tout ce qui contribue à diminuer celles-ci affaiblit celle-là; donc le déboisement entraînant la perte de sols qui sont des réservoirs où l'eau, s'accumule en exposant les sols à une évaporation interne et au dessèchement durant la longue saison sèche, ne peut que diminuer la, réserve d'eau de l'Afrique et, à la longue, la pluviosité.

Les forêts sèches qui couvraient la plus grande partie de l'Afrique tropicale, forêts basses sans très grands arbres, souvent simples bushs, n'avaient pas un très grand intérêt pour la production de bois, sauf toutefois un intérêt local, mais leur plus grande utilité était de protéger les sols, à la fois contre l'érosion et contre la dessication de la saison sèche quand soufflent les vents desséchants et que l'irradiation solaire est intense. Leur destruction généralisée a vraisemblablement eu, dès avant l'époque contemporaine, des effets péjoratifs sur le climat, et des effets néfastes certains sur les sols.

La contraction en surface des forêts équatoriales a eu d'autres effets. Les grands massifs équatoriaux exercent en effet des actions climatiques à distance par l'effet de leur pouvoir évaporant considérable permanent. L'humidité qu'ils déversent dans l'atmosphère contribue à alimenter non seulement les pluies locales mais aussi, par sa diffusion rapide dans les régions déboisées plus chaudes qui entourent les régions de forêt, à accroître la pluviosité de ces régions. Lorsqu'au début de ce siècle on a étudié en Europe l'influence des forêts par la pluviosité, on a cherché à prouver expérimentalement cette influence au-dessus d'une forêt particulière, et les résultats n'ont pas été décisifs. Ils ne pouvaient l'être car seules de très vastes forêts, comme celles des régions équatoriales, peuvent avoir une puissance évaporatrice suffisante pour exercer une action climatique. De plus, l'humidité évaporée par la forêt est entraînée par les courants ascendants vers les couches supérieures de l'atmosphère où des courants aériens la transportent souvent loin de la forêt productrice, avant que, pour les causes diverses, elle puisse se condenser en précipitations atmosphériques.

La présence des grandes masses forestières équatoriales concourt donc à humidifier des régions sèches qui peuvent en être très éloignées et à élever leur pluviosité. Ces forêts ont une action qui peut, á ce point de vue, être comparée à celle des mers ou des grands lacs; la forêt équatoriale africaine est climatiqeument l'équivalent de profonds golfes de l'océan Atlantique qui seraient creusés dans le socle massif de l'Afrique. La mousson, qui souffle de la mer vers l'intérieur, abandonne assez rapidement la majeure partie de sa vapeur d'eau d'origine marine, sur les régions littorales; elle serait bientôt trop sèche pour déverser des pluies abondantes au coeur de l'Afrique si elle n'était réhumidifiée sur son parcours par la vapeur d'eau évaporée par les fleuves, les marécages, le soi et la végétation. L'action des forêts équatoriales guinéennes prend alors toute son importance au début et à la fin de la saison sèche, quand les sols dénudés après brûlage ou couverts des savanes sèches, sont superficiellement desséchés, et que seules elles peuvent encore exercer une action réhumidifiante sur la mousson; sans elles la saison des pluies des régions soudanaises serait probablement de plus courte durée.

La pluviosité des régions présahariennes méridionales, desséchées, sans aucune réserve d'eau importante, est sous l'influence directe de la mousson atlantique: lorsque celle-ci se fait sentir avec intensité les pluies sont relativement abondantes, dans le cas contraire l'année est extrêmement, sèche et la disette survient pour l'homme et ses troupeaux. Cette pluviosité dépend, au début et à la fin de la saison sèche; de l'humidification de la mousson par les forêts des régions côtières du Golfe de Guinée.

Asséchement général des climats de l'Afrique intérieure. - Ce que nous venons d'écrire sur l'influence des forêts africaines sur le milieu rend vraisemblable, après la destruction généralisée des forêts de l'Afrique intérieure, la manifestation d'une accentuation de la sécheresse des climats continentaux qui n'a pu qu'accélérer la dégradation de la végétation et des sols et précipiter l'Afrique dans un état désertique aggravé.

Ces changements dans la physionomie de la végétation de l'Afrique et l'évolution corrélative des milieux - sols et climats - se sont produits, surtout, ainsi que nous l'avons exposé, à une période ancienne, bien antérieure à la pénétration européenne.

Ils continuent évidemment encore de nos jours, autant qu'il y a encore des forêts à détruire.

On peut demeurer cependant étonné de la facilité avec laquelle des superficies aussi vastes ont pu être incendiées par l'homme dans des temps qui sont évidemment courts par rapport à l'âge des formations forestières qui couvraient l'Afrique.

La résistance des forêts à l'incendie est très variable avec leur type: la forêt dense humide se défend spontanément très bien contre toutes les causes de destruction; défrichements et feux de lisières; certains types de forêts denses sèches ou demi-sèches s'adaptent au feu, se dégradent, prennent des facies de forêts claires très ouvertes ou de savanes boisées, mais demeurent, et, sans les attaques périodiques des feux, pourraient se reformer et reconstituer à la longue les peuplements primitifs; d'autres formations forestières, au contraire, disparaissent totalement avec la plus grande rapidité: c'est le cas, par exemple, des forêts de l'ouest de Madagascar aujourd'hui en grande partie disparues, des forêts du Bas-Congo et du Mayombé en Afrique australe, des forêts du Fouta-Djalon en Guinée française, et probablement do beau coup d'autres. Tout se passe comme si ces forêts, si aisément réduites en savanes, n'étaient pas en équilibre biologique avec le climat actuel qui serait devenu plus sec que les climats qui régnaient aux époques très anciennes de leur installation.

Une telle hypothèse n'est pas invraisemblable, mais il est impossible d'y trouver une confirmation dans les statistiques météorologiques: celles-ci, pour quelques rares stations africaines, sont anciennes peut-être de cinquante ans seulement - un simple instant de la vie de la terre.

Ce qui est certain c'est que les climats de l'Afrique tropicale ont changé plusieurs fois à l'époque quaternaire et probablement aussi dans les âges géologiques antérieurs.

Il y a eu, simultanément avec les glaciations des zones tempérées, des périodes de sécheresse et de grande pluviosité qui, alternativement, favorisaient l'extension des déserts et des forêts équatoriales.

Au Sahara, les vestiges des anciens systèmes hydrographiques, les traces d'une occupation humaine, certains faits de l'époque historique même, les restes d'une flore tropicale dans le sud de l'Atlas en Afrique du Nord, prouvent incontestablement l'existence des périodes humides; au sud du Sahara, au Sénégal, au Soudan, au Niger, au Tchad les «ergs» morts fixés aujourd'hui par la végétation, les manteaux de sables étendus sur de grands espaces montrent inversement que le désert s'est étendu beaucoup plus au sud que ses limites actuelles.

La végétation forestière de l'Afrique occidentale présente une étrange imbrication de flores d'origines différentes, qui ont suivi les progressions et les reculs des climats avec lesquels elles étaient en harmonie, mais elles ont laissé sur place des groupes d'espèces qui se sont maintenues, plus ou moins adaptées aux nouvelles conditions du milieu, et dont la présence paraît écologiquement anormale.

Il n'est donc pas impossible que la destruction des forêts sur la plus grande partie de l'Afrique tropicale ne soit qu'une conséquence à, retardement d'un asséchement des climats.

Les forêts adaptées à des conditions climatiques favorables aujourd'hui disparues se seraient cependant maintenues jusqu'à nous, ainsi que certains l'ont fait, car il est bien connu que la forêt se crée une ambiance spéciale, propice à sa régénération et à sa pérennité, qui l'isole en quelque sorte dans une certaine mesure du climat général (climat aérien, climat standard). Mais à l'âge où les peuplades humaines se sont multipliées en Afrique les feux ont rompu le précaire et faux équilibre qui était établi entre les forêts et le climat asséché; ce fut le signal de la mort de ces forêts; le sol fut livré à toute puissance du soleil tropical et des vents desséchants.

Conclusions

Le déboisement de l'Afrique est un fait actuel; c'est aussi à notre avis, et plus encore, un fait ancien; les générations actuelles achèvent une oeuvre de mort, commencée peut-être avant l'aube des temps historiques et qui atteignit son summum à l'époque inconnue des premières grandes invasions de l'homme en Afrique.

L'homme a brûlé comme il chasse, pour pouvoir vivre dans une nature hostile. Mais en détruisant, trop il a aggravé les conditions difficiles que lui fait le climat tropical.

Maintenant que l'on connaît le fléau qui a rongé et qui continue d'affliger l'Afrique, il serait nécessaire d'enrayer et de combattre le mal.

L'homme noir en Afrique est fréquemment sujet à toutes sortes de misères: disettes, famines, maladies, épidémiques, déficience physiologique, etc. Toutes les nations civilisées intéressées à la vie de l'Afrique s'efforcent de remédier à toutes ces causes d'infortune des populations indigènes, mais il serait impossible d'améliorer définitivement leur sort dans un milieu qui ne serait pas favorable à leur vitalité.

Les progrès sociaux des populations indigènes sont liés aux progrès de leur agriculture, à leurs possibilités de production, à l'existence de bonnes conditions d'habitabilité de leur pays. Or les conséquences de la destruction généralisée des forêts conduisent, ainsi que nous l'avons montré, à faire au contraire de l'Afrique, un continent de moins en moins favorable au développement de l'humanité, sauf dans quelques secteurs privilégiés.

Mais est-il possible d'entreprendre une action efficace pour la protection de l'Afrique, de ses sols et de sa couverture forestière? Certainement oui. Le mal et les remèdes sont connus dans leur ensemble.

Il faut évidemment poser des limites aux pratiques inconsidérées des feux, des défrichements, de toutes les destructions sans raison valable; ici, il faut changer de méthode agricole; là, interdire toute culture; parfois favoriser et aider des déplacements de populations des régions trop arides et trop pauvres vers des pays plus riches; rendre plus productif le travail des populations; leur créer de nouvelles ressources par des cultures appropriées au milieu, reboiser quelquefois, protéger souvent.

Dans ce domaine beaucoup d'études et d'expériences ont déjà été entreprises dans différents pays; mais de là à l'action généralisée qu'il faudrait mener il y a très loin.

A notre avis, le sauvetage de l'Afrique, oeuvre grandiose de persévérance et de plusieurs générations, ne peut réussir que si elle est une entreprise internationale. Sans un programme commun, adapté évidemment à chaque pays, exécuté simultanément partout où il est actuellement possible d'intervenir, les gouvernements responsables de l'Afrique hésiteront toujours à agir, car s'ils sont laissés à leur seule initiative, ils préféreront remettre à demain, les dépenses nécessaires, ils se refuseront à appliquer chez eux les réglementations, à conseiller des pratiques, qui ne seraient pas appliquées en même temps chez le voisin parce qu'elles peuvent être l'occasion de quelques ennuis.

Nous pensons aussi que, si intelligentes, méritoires et opportunes quelles soient, des mesures appliquées dans des secteurs trop restreints seront toujours insuffisantes et manqueront d'efficacité parce que disproportionnées à l'échelle du continent africain.

Toutes les nations africaines sont intéressées; les masses forestières exerçant des actions à distance, en réalité tout ce qui se fait dans un pays peut avoir des répercussions dans d'autres pays lointains.

L'union des initiatives, la communauté des études, la simultanéité des entreprises, nous paraissent être une nécessité sous peine d'inefficience.

Nous pensons que, dans le cadre, des organismes internationaux, un bureau pour la défense des sols et des forêts de l'Afrique pourrait être utilement chargé, d'abord, de l'étude de toutes ces questions; il pourrait ensuite naturellement devenir l'animateur de la politique de protection qui devrait inspirer tous les gouvernements, recommandant, proposant les mesures à prendre, surveillant l'évolution d'un continent qui apparaît aujourd'hui condamné à la savanisation, a la stérilité, et, dans, certains cas, à la désertification.

Les cliché illustrant cet article ont été obligemment prêtés par le Ministère de la France d'outre-mer.


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