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VINGT-CINQUIÈME CONFÉRENCE RÉGIONALE DE LA FAO POUR L'ASIE ET LE PACIFIQUE

Yokohama (Japon) 28 août - 1er septembre 2000

DÉVELOPPEMENT AGRICOLE DURABLE ET RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ À L'AUBE DU NOUVEAU MILLÉNAIRE:
QUELQUES RÉFLEXIONS ET LES LEÇONS DE LA CRISE ASIATIQUE

Table des matières



I. INTRODUCTION

1. Au cours des trois dernières décennies, les pays de la région Asie-Pacifique ont enregistré un taux de croissance économique et agricole élevé, qui s'est traduit par une diminution sensible de la fréquence de la pauvreté. C'est toutefois dans cette région que l'on recense encore aujourd'hui le plus grand nombre d'individus pauvres et en situation d'insécurité alimentaire de la planète. L'agriculture demeure la principale source de travail et de moyens de subsistance de la plupart des habitants des pays en développement d'Asie et du Pacifique, en particulier en milieu rural.1

2. Ces dernières années, d'importants changements ont caractérisé l'environnement politique et externe du secteur agricole. Il existe aujourd'hui une plus grande convergence des politiques nationales vers la libéralisation économique, l'ouverture des marchés et l'exportation, avec un resserrement des relations intersectorielles et des liens avec l'économie mondiale. Il est important de bien comprendre les conséquences d'une telle tendance à la mondialisation, à la commercialisation, à l'urbanisation et à la privatisation, face à l'épuisement des ressources naturelles, à la croissance de la population et à la dégradation de l'environnement, et d'en tenir compte dans la formulation de politiques nationales de sécurité alimentaire durable et de lutte contre la pauvreté. Les trois Conventions de Rio sur la biodiversité, le changement climatique et la désertification, qui introduisent de nouvelles règles de conduite et ouvrent des perspectives nouvelles pour la planification agricole à l'échelon national et l'économie, sont également révélatrices de la mondialisation des questions liées à l'environnement et des problèmes de durabilité.

3. Des leçons doivent être tirées de l'instabilité macro-économique à laquelle les pays ont été confrontés lors de la récente crise économique en Asie. Pendant plusieurs décennies, les "économies tigres" de la région ont soutenu la prospérité économique et fait des pas de géant dans la lutte contre la pauvreté et l'insécurité alimentaire. Ces pays se sont pourtant montrés vulnérables face à de grands chocs économiques qui ont risqué de réduire à néant les progrès réalisés au fil des années.

4. Avec en toile de fond la complexité grandissante des difficultés rencontrées par le secteur agricole et la récente expérience acquise lors de la crise asiatique, ce document présente quelques perspectives touchant le développement agricole durable et la réduction de la pauvreté à l'aube du nouveau millénaire. Pour ce faire, il passe brièvement en revue les divers modèles de croissance économique dans la région et examine les performances de l'agriculture et la situation régionale en matière de pauvreté, puis il se penche sur les principaux problèmes récurrents et nouveaux enjeux pour un développement agricole durable dans l'avenir.

II. CROISSANCE ÉCONOMIQUE, DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ

5. La plupart des pays de la région ont enregistré une augmentation sensible du revenu global et par habitant tout au long des années 80 et jusqu'au milieu des années 90. Entre 1965 et 1996, la production nationale a progressé à un taux annuel moyen allant de 4,6 pour cent en Asie du Sud à 7,4 pour cent en Asie orientale et dans le Pacifique, soit un niveau bien supérieur à la croissance de la population. Dans ces sous-régions, le revenu par habitant a de ce fait avancé de 2,2 pour cent et de 5,5 pour cent, respectivement.

6. Plusieurs facteurs ont été associés à la performance de croissance différentielle. La croissance a été plus rapide dans les pays qui ont investi en capital humain et au niveau des infrastructures tout en adoptant des politiques orientées vers le marché. L'action conjuguée de ces mesures a renforcé la compétitivité économique, apporté une plus grande souplesse de réaction face à l'évolution des conditions économiques et favorisé la participation du secteur privé, les investissements étrangers et l'intervention sur le marché mondial. La croissance de la production agricole a été relativement rapide dans les pays à économie ouverte et dans les pays en transition, tandis qu'elle a été plus lente là où il existait des problèmes d'ajustement, des entraves structurelles ou des conditions atmosphériques défavorables.

7. Le secteur agricole a connu une forte croissance entre 1971 et 1990. Si la superficie arable totale et celle des terres cultivées en permanence sont restées stationnaires dans la région, en revanche les techniques améliorées, l'irrigation, les intrants et les politiques tarifaires ont stimulé la production. L'élevage et la production halieutique ont également progressé grâce à une augmentation de la demande et à l'accroissement du revenu disponible des consommateurs. Une hausse sensible de la productivité a été enregistrée dans l'ensemble de la région, pour ce qui concerne le riz, le blé, le maïs et les légumineuses. La production céréalière a ainsi augmenté plus rapidement que la production agricole globale, contribuant à une nette avancée de la production alimentaire par habitant. Entre 1969/71 et 1990/92, l'apport énergétique alimentaire par habitant est passé de 2 060 kcal/jour à 2 680 cal/jour en Asie orientale et du Sud-Est, atteignant 2 290 cal/jour en Asie du Sud.

8. La technologie a été la pierre angulaire de l'avancée de la production agricole, considérant notamment la raréfaction des terres cultivables et l'accroissement de la population. Elle a permis d'améliorer la productivité et d'augmenter la production de nombreuses cultures, comme par exemple le riz, le maïs, les légumineuses, la canne à sucre, les oléagineux, le caoutchouc et les cultures horticoles. La diversification accrue des cultures a stabilisé la production. De nouvelles techniques de manipulation après-récolte et de transformation de l'huile de palme, des fèves de cacao et du caoutchouc naturel ont également été mises au point et largement adoptées. Dans bien des pays, l'électrification des zones rurales a contribué dans une large mesure à l'amélioration de la productivité agricole. Si la biotechnologie doit encore être pleinement exploitée dans la région, certaines de ses applications sont toutefois déjà manifestes avec la modification des plantes, des animaux et des microbes.

9. Des tendances analogues ont été observées dans les secteurs de l'élevage et des pêches (ainsi que, dans une certaine mesure, dans le domaine forestier). Le croisement de races bovines locales compatibles avec des races exotiques productives a amélioré la production animale, notamment pour l'industrie laitière. D'importants programmes de sélection et de création de variétés nouvelles de cultures fourragères et pour l'élaboration de nouveaux systèmes de culture ont été réalisés dans divers pays. De la même façon, dans le secteur des pêches, des techniques ont été mises au point pour la pisciculture et l'élevage de crevettes en eaux saumâtres, la reproduction de poissons d'eau douce en captivité, l'élevage en cage et les systèmes intégrant cultures, élevage et pisciculture. Les nouvelles techniques ont été largement adoptées par les pêcheurs artisanaux comme par la communauté agricole en général.

10. Dans les pays de la région Asie-Pacifique, les secteurs de l'industrie et des services ont connu une expansion plus rapide que l'agriculture. De ce fait, la part du secteur agricole dans les comptes nationaux s'est rapidement amoindrie au fil du temps. Entre 1970 et 1990, elle est passée de 39 à 20 pour cent en Asie orientale et dans le Pacifique, et de 44 à 28 pour cent en Asie du Sud. Toutefois, cet affaiblissement ne s'est pas accompagné d'un effritement proportionnel du nombre des travailleurs agricoles. En 1990, en Asie orientale et dans le Pacifique, 69 pour cent de la population active travaillait dans le secteur agricole, contre 79 pour cent en 1970. En Asie du Sud, le fléchissement a été de 73 à 64 pour cent.

11. Ce déséquilibre structurel a contribué à accentuer les disparités de revenu entre les secteurs. Des contraintes en termes de ressources humaines et des entraves politiques et institutionnelles ont freiné les transferts intersectoriels de travailleurs venant du secteur agricole et ralenti la diversification de l'économie rurale. Comme les ménages agricoles revendiquent une part décroissante du revenu national, ils s'appauvrissent plus rapidement que leurs contreparties non agricoles. Le déséquilibre de performance de croissance entre les régions géographiques au sein des pays a ajouté une nouvelle dimension aux écarts de revenu et de chances. Dans les pays dont l'économie est en plein essor, la croissance du secteur industriel et de celui des services a fait augmenter le prix des facteurs de production. Les ressources et la main-d'œuvre disponibles pour l'agriculture se sont raréfiées. Une pénurie de main-d'œuvre agricole a été observée dans certaines zones où il a fallu faire appel à des travailleurs migrants. Il convient de noter que le processus de transformation structurelle ayant soustrait à l'agriculture les travailleurs qualifiés, plus jeunes et productifs, la main-d'œuvre résiduelle pour s'occuper des exploitations agricoles est désormais constituée principalement de femmes, de personnes âgées et de travailleurs non qualifiés.

12. Les phases de croissance ont largement contribué à atténuer la pauvreté dans la région. Cet essor a accru le revenu que les populations pauvres tirent de leur principal atout (leur travail) et amélioré leur accès aux services sociaux, comme l'éducation, la santé et la nutrition. Une situation généralisée de pauvreté et de dénuement a toutefois persisté dans certains secteurs, en raison d'une incapacité de prendre part au processus de croissance. Certains ont été lésés dans cette transition vers une croissance durable parce que, dépourvus d'actifs ou ne présentant pas les aptitudes voulues, par incapacité physique ou pour d'autres problèmes de mobilité, ils n'ont pas été en mesure de saisir les occasions offertes. D'autres encore se sont vus privés de leurs droits acquis par des interventions publiques visant à favoriser une croissance économique durable et ont subi le choc des ajustements effectués.

13. Dans la région, la pauvreté demeure un phénomène essentiellement rural. La pauvreté urbaine elle-même est en partie un effet indirect de la pauvreté rurale. Les trois quarts environ des individus en situation de pauvreté vivent en milieu rural. C'est dans les ménages ruraux agricoles et sans terre que l'on trouve la plus grande concentration de personnes démunies. Avec plus de 3,44 milliards d'habitants, la région compte plusieurs des pays les plus peuplés de la Terre. Bien que le taux d'accroissement de la population de la région soit passé de 2,36 pour cent par an dans les années 60, à 1,43 pour cent dans les années 90, certains pays enregistrent une croissance démographique de plus de 2 pour cent par an, avec une très forte densité de population. Dans certains cas, le nombre absolu d'individus pauvres a augmenté, malgré une diminution du pourcentage de population vivant en dessous du seuil de pauvreté.

14. Alors que dans les économies en rapide expansion l'exigence est d'accroître le revenu des populations rurales pour réduire les disparités intersectorielles et assurer un développement humain équilibré, les pays à faible revenu qui ont à résoudre le problème de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire sont aux prises à des difficultés bien plus grandes. Ils se heurtent à un capital humain de faible niveau, à des entraves institutionnelles et infrastructurelles qui limitent la productivité, à un accès limité au capital et aux techniques modernes, et à des problèmes de commercialisation.

15. L'insécurité alimentaire et la pauvreté sont des phénomènes étroitement liés pour les petits agriculteurs pauvres et marginaux. L'absence d'un revenu suffisant et fiable est au cœur même de l'insécurité alimentaire et de l'incapacité de se procurer des moyens de subsistance durables. Un accès insuffisant ou nul aux services de santé et d'hygiène, à la nourriture et aux sources d'énergie modernes, expose les individus pauvres à la malnutrition et aux maladies, compromettant ainsi leur productivité. Des catastrophes ont également été à l'origine de l'insécurité alimentaire de certains groupes de population vulnérables dans la région.2 L'accroissement de la densité démographique, la migration vers des régions vulnérables et la dégradation de l'environnement qui en découle, amplifient les effets de ces désastres. L'impact profond et dévastateur en termes de hausse des prix et d'instabilité de l'accès à la nourriture a souvent entraîné les individus en situation de pauvreté transitoire dans un véritable engrenage de pauvreté. Les tendances actuelles des changements dans l'environnement mondial, ainsi que la récente augmentation de la variabilité du climat due au phénomène El Niño, constitueront des chocs additionnels et pourraient contribuer à affaiblir ultérieurement la résistance des systèmes de production alimentaire traditionnels.

16. Conformément au modèle de croissance économique, la fréquence de la malnutrition a considérablement diminué dans la région au cours des dernières décennies. Entre 1979/81 et 1995/97, le pourcentage de population souffrant de malnutrition a quasiment diminué de moitié dans la région, passant de 32 à 17 pour cent. La bataille contre la faim est toutefois loin d'être gagnée. De vastes couches de population souffrent de malnutrition aiguë; la région compte près des deux tiers (plus de 525 millions de personnes) des individus sous-alimentés du monde en développement. La dénutrition est plus fréquente en Asie du Sud où elle frappe entre 19 et 37 pour cent de la population, soit plus d'un tiers (284 millions) de la population mondiale souffrant de malnutrition. La moitié des enfants de moins de cinq ans présentent une insuffisance pondérale, contre 33 pour cent en Afrique et 21 pour cent en Asie orientale et du Sud-Est. Les carences nutritionnelles importantes sont la manifestation d'un faible revenu et d'une pauvreté diffuse qui font obstacle à une consommation alimentaire correcte et à un cadre de vie sain.

17. L'essor considérable de la région Asie-Pacifique au cours des décennies précédentes, ainsi que le caractère parfois limité des résultats obtenus, soulignent combien une croissance soutenue et généralisée du revenu est importante pour réduire la pauvreté. L'expérience montre pourquoi le développement agricole et rural est un élément essentiel de toute stratégie de lutte contre la pauvreté et l'insécurité alimentaire.

III. LA CRISE ÉCONOMIQUE ASIATIQUE ET SES RÉPERCUSSIONS SUR LE SECTEUR DE L'AGRICULTURE ET LES POPULATIONS DÉFAVORISÉES

18. La crise asiatique a éclaté à la mi-juillet 1997 de façon plutôt inattendue, dans le contexte d'une croissance économique rapide et malgré la présence d'indicateurs macro-économiques apparemment solides. Elle a entraîné des ajustements radicaux dans des conditions d'extrême volatilité. La profondeur de cette crise surprendra par la suite bien des analystes économiques. Il s'agit certainement d'un exemple très clair des situations d'instabilité dans lesquelles le secteur agricole et rural pourrait se trouver à la suite du renforcement de ses liens intersectoriels et avec le marché mondial. La crise a fait naître la crainte de la libéralisation et de la mondialisation des marchés, notamment dans un contexte de pauvreté et d'insécurité alimentaire. Que peut-on faire pour atténuer, s'il n'est pas possible de les éviter, les effets négatifs d'une telle instabilité dont l'apparition peut être aussi soudaine que celle de la crise asiatique?

19. Dans les pays directement touchés, les indicateurs macro-économiques révèlent que la crise a été surmontée et que la reprise a commencé en 1999. Une croissance économique positive est à nouveau enregistrée, avec même dans un ou deux cas le retour au niveau de croissance précédant la crise. La situation s'annonce plus favorable dans l'ensemble de la région. L'espoir est revenu tandis que les perspectives sombres ont fait place à un regain d'optimisme. Les paragraphes suivants repassent brièvement en revue la genèse de la crise et ses conséquences pour le développement agricole durable et la lutte contre la pauvreté. Les leçons tirées de cette expérience devraient permettre d'élaborer une stratégie pour une croissance soutenue et "de qualité" tout au long du XXIe siècle.

20. Les origines de la crise asiatique sont en grande partie financières. Le recours à des emprunts à court terme pour financer les investissements était excessif et le ratio d'endettement élevé. D'autres facteurs ont contribué à accélérer la crise: l'évolution technologique du marché financier mondial, une grave sécheresse, plusieurs catastrophes naturelles et une situation d'incertitude politique. L'important déficit des transactions courantes et la faiblesse du cadre financier et normatif ont rendu les monnaies vulnérables aux attaques spéculatives. Les mesures à court terme prises pour défendre les taux de change n'ont pas eu l'effet escompté, tandis que les cotes internationales de crédit se sont effondrées et que le flux des prêts et des investissements privés s'est pratiquement tari. Le pessimisme s'est généralisé, déclenchant un véritable exode des investissements étrangers. L'intégration des marchés financiers et les techniques d'information modernes ont eu une profonde influence sur l'ampleur du repli économique et sur la vitesse à laquelle l'instabilité s'est propagée aux économies de la région qui présentaient des conditions macro-économiques similaires.

21. La crise économique asiatique a causé bien des difficultés au secteur de l'agriculture, des pêches et des forêts. Il lui a fallu plus que jamais absorber la main d'œuvre déplacée, concourir aux recettes en devises, accroître les disponibilités alimentaires intérieures afin de freiner la tendance à la hausse des salaires et des prix, et produire des ressources pour les investissements nationaux. Au niveau des ménages agricoles et ruraux, les effets de la crise économique se sont fait sentir principalement par le biais du taux de change et de l'emploi.

22. La dépréciation monétaire tendait à corriger la distorsion du taux de change, c'est-à-dire la surévaluation des monnaies nationales, et a renforcé les prix relatifs des produits agricoles commercialisables, stimulant ainsi la production agricole et augmentant les recettes. Comme en agriculture les facteurs de production sont essentiellement des produits locaux, ce secteur pourrait continuer à contribuer aux recettes en devises et favoriser de la sorte la reprise économique. Toutefois, dans plusieurs pays l'exploitation effective de ce potentiel était fonction de la capacité de réaction des ménages agricoles face à l'évolution des prix relatifs. Dans les zones pauvres, des contraintes structurelles ont empêché une réponse rapide au niveau de la production. Cette capacité de réaction limitée a été dans une large mesure le reflet des investissements insuffisants du passé en termes d'infrastructures rurales, de techniques appropriées et de services de soutien, ce qui met une fois de plus en lumière la nécessité d'un cadre politique plus adéquat pour les organisations autogérées d'agriculteurs, notamment en matière de commercialisation et pour une meilleure adaptation aux débouchés commerciaux. La diminution des dépenses publiques a également limité, du moins dans les premiers temps de la crise, les ressources disponibles pour la fourniture de biens publics aux agriculteurs.

23. La réponse au niveau des disponibilités agricoles a également été restreinte par des taux d'intérêt élevés et un resserrement du crédit pour le capital d'exploitation, notamment pour l'achat d'intrants essentiels (semences et engrais, par exemple), la commercialisation et la distribution des produits agricoles, y compris les activités d'exportation et d'importation. Face à cette faible réaction au niveau des approvisionnements, les prix des biens de consommation ont fortement et rapidement augmenté parallèlement à la dévaluation des monnaies. Le brusque renchérissement des denrées alimentaires dans les secteurs frappés par la crise a mis en danger la sécurité alimentaire des ménages et en partie annulé les progrès réalisés dans la lutte contre la pauvreté au cours des trois dernières décennies. Il y a eu dans certains cas une forte augmentation de la fréquence de la pauvreté. Avec l'avancée de la contagion et la dépréciation en chaîne des monnaies nationales, les profits substantiels dérivant de la compétitivité relative à l'exportation ne seraient revenus qu'aux producteurs les plus performants.

24. La variation du prix des produits de base a des effets particulièrement perturbateurs au niveau des populations pauvres. Toute augmentation même modeste du prix des denrées alimentaires se répercute négativement sur leur état nutritionnel, notamment sur celui des femmes enceintes, des mères allaitantes et des enfants en bas âge et d'âge préscolaire. La hausse des prix agricoles pendant la crise asiatique a affecté le bien-être des habitants pauvres des villes qui consacrent une bonne partie de leur revenu à l'achat de nourriture. Les travailleurs du secteur non structuré, privés d'emploi par la crise, ont également dû subir la perte de toute couverture sociale. La montée du prix des aliments a également eu des conséquences défavorables dans les zones rurales où les plus démunis sont généralement des acheteurs nets de denrées de base et ont un accès limité, voire nul, aux programmes de soutien du revenu.

25. Les effets de la crise sur les ménages agricoles par le truchement de l'emploi ont été le plus souvent négatifs. La demande urbaine a régressé, notamment pour ce qui est des produits agricoles dont la consommation est étroitement liée au revenu, comme les produits de l'élevage et les produits horticoles. L'emploi rural non agricole a fléchi, de même que les envois de fonds aux familles de la part de membres travaillant dans des secteurs non agricoles. Le renversement du flux migratoire de main-d'œuvre sous l'effet de la crise a fait baisser les salaires ruraux et a en partie annulé tout accroissement du revenu intervenant par le biais du taux de change. De plus, les coûts réduits de la main-d'œuvre n'ont pas eu d'effets salutaires dans le contexte rural, où la réaction au niveau des approvisionnements a été lente comme on l'a vu plus haut, du fait de l'existence de contraintes structurelles et d'autres facteurs préexistants.

26. Les analyses ex-post ont révélé que les producteurs de produits exportables recourant dans une moindre mesure aux intrants importés, pourraient avoir tiré un certain profit de la crise, ou tout au moins ne pas en avoir trop souffert. La dévaluation des monnaies a été favorable à ces produits en raison de la hausse des prix sur le marché intérieur. En outre, le prix relatif des produits non exportables a fléchi et les facteurs de production s'en sont écartés. Comme ces produits sont généralement associés aux segments les plus pauvres de la société, ces populations ont ressenti les effets de la baisse des niveaux de consommation et des recettes de production.

27. Mettre le secteur agricole et rural à l'abri d'instabilités potentielles telles que la crise asiatique par des moyens qui donnent lieu à une distorsion des prix intérieurs, va à l'encontre du but recherché. Cela rendrait ce secteur moins dynamique et moins résistant, et l'exposerait davantage aux chocs économiques et extérieurs.

28. L'expérience de 95 pays a été rapportée à l'occasion d'une table ronde ministérielle de la FAO sur la crise asiatique qui s'est tenue à Bangkok en juin 1999. Dans l'écrasante majorité (77) des 88 pays qui ont enregistré des phases d'expansion économique, le revenu des populations pauvres a augmenté, avec une répartition plus équitable des revenus dans plus de la moitié des cas. En revanche, dans les 7 pays qui ont été victimes d'un repli économique, il y a eu une détérioration à la fois du niveau de revenu des populations démunies et dans la répartition des revenus. Dans la région, la sensibilité des indicateurs de pauvreté à la croissance économique est largement documentée.

29. La crise asiatique a également mis clairement en évidence la capacité de maintenir les niveaux de consommation et de bien-être pendant les bouleversements transitoires en puisant dans l'épargne, lorsque des augmentations de revenu avaient été produites par la croissance économique dans les décennies précédentes. Compte tenu de la dynamique de la croissance et de la pauvreté, la crise asiatique enseigne que des mesures qui favorisent une réduction durable de la pauvreté sont essentielles pour prévenir les effets néfastes de l'instabilité transitoire et des chocs économiques pour les populations pauvres et en situation d'insécurité alimentaire. En outre, il a été amplement démontré que les programmes sociaux et d'emploi ciblés jouent un rôle important, en contribuant à atténuer les difficultés transitoires que connaissent les populations pauvres en période de récession et en les empêchant de tomber dans l'engrenage de la pauvreté à la suite de la liquidation de leurs biens, de l'abandon scolaire des enfants ou de la privation de soins médicaux essentiels.

IV. PROBLÈMES RÉCURRENTS ET NOUVEAUX ENJEUX POUR UN DÉVELOPPEMENT AGRICOLE DURABLE ET POUR LA RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ

30. Soutenir la croissance économique pour une réduction à long terme de la pauvreté présente des difficultés considérables pour les pays de la région Asie-Pacifique. Le problème récurrent de la pression exercée par la population et de la transition démographique, et celui de la dégradation des ressources naturelles semblent être plus pressants que jamais. De nouveaux défis se font également jour, sous l'action à la fois des mêmes facteurs qui ont alimenté la récente croissance et des nouvelles tendances mondiales en matière d'échanges et de financement. Du fait de leurs répercussions notables sur l'agriculture durable et la lutte contre la pauvreté, il est essentiel de leur donner toute l'attention qu'ils méritent. Les questions soulevées ne prétendent pas être exhaustives, mais seulement attirer l'attention sur certaines considérations stratégiques touchant l'agriculture durable et la réduction de la pauvreté à l'aube du nouveau millénaire.

Pression exercée par la population et transition démographique

31. D'ici à 2020, 750 millions d'individus viendront grossir la population de la région, qui augmentera ainsi de 22 pour cent. La région devrait par ailleurs subir une rapide transformation rurale et urbaine, avec une augmentation de 36 à 48 pour cent du rapport de la population urbaine dans les deux prochaines décennies. L'accroissement du revenu des habitants et le déplacement des populations rurales vers les villes, contribuent à la diversification du mode d'alimentation. La demande de céréales se modifie, avec l'abandon des céréales secondaires au profit des céréales fines, tandis que la consommation de produits de l'élevage, de fruits, de légumes et d'aliments transformés tend à augmenter. Si les revenus continuent de croître à un rythme proche des tendances récentes, les pays de la région contribueront pour plus de moitié au renforcement de la demande mondiale de céréales et encore plus largement (57 pour cent) à celui de la demande de viande. Si la demande de céréales pour la consommation directe (riz) commence à s'affaiblir, en revanche la demande dérivée de céréales (maïs destiné à l'alimentation animale) est en forte hausse, sous la poussée notamment d'une consommation de viande en rapide augmentation. Non seulement la demande de produits alimentaires et de matières premières agricoles augmentera, mais sa composition même se modifiera sensiblement par effet de l'accroissement du revenu, de l'urbanisation et d'une nouvelle prise de conscience nutritionnelle. La région est-elle en mesure de satisfaire une telle demande? Tout espoir n'est pas perdu. Dans le passé, la situation de l'offre et de la demande pour les produits alimentaires et agricoles a été encore plus alarmante que celle qui se profile aujourd'hui. Les pays très peuplés de la région ont fait preuve d'une remarquable capacité de relever les défis d'une demande en expansion malgré l'existence de graves contraintes au niveau des ressources. Ces prévisions ont toutefois de profondes implications en termes de disponibilité et d'adéquation des ressources en terre, en eau et en main-d'œuvre à des fins agricoles, de même que pour l'environnement et les techniques à mesure que le secteur de l'agriculture s'adapte aux forces du marché.

32. La pression démographique a des effets préjudiciables sur la pauvreté et sur la sécurité alimentaire. Toutefois, pauvreté et sécurité alimentaire ont à leur tour un impact sur la transition démographique vers des taux de fécondité réduits dans les pays en développement. Du fait de cette interrelation avec la santé et la fécondité, la pauvreté et la sécurité alimentaire devraient donc constituer un élément important des stratégies visant à ralentir la croissance de la population, à réduire la dégradation de l'environnement et à promouvoir le développement socio-économique.

Dégradation du patrimoine naturel et pénurie d'eau

33. La pression démographique exige un lourd tribut du patrimoine naturel, au même titre que des politiques inopportunes et un cadre institutionnel inadéquat. Dans la région, une bonne partie des terres cultivées se situent dans des zones fragiles, arides et semi-arides, et sont caractérisées par des pentes abruptes et/ou des sols pauvres. La fertilité réduite ou en diminution des sols constitue un problème grandissant. Des efforts constants s'imposent donc dans la région d'une part pour améliorer le régime d'occupation des terres et renforcer les capacités institutionnelles afin de garantir aux populations pauvres un meilleur accès à la terre, et d'autre part pour préserver et tenir compte des droits des populations locales sur les ressources naturelles. La diminution des ressources par habitant et la lente progression des offres d'emploi productif non agricole dans de nombreuses zones de la région, ont accentué la pression exercée par les populations pauvres sur les ressources naturelles par des modes d'exploitation agricole non viables. Il existe en effet des liens évidents entre le patrimoine naturel, la productivité agricole, la santé et l'état nutritionnel de la population, et la pauvreté.

34. La pénurie d'eau est liée à la dégradation des ressources. Face à de sévères limites à l'expansion des terres cultivables, la pénurie d'eau a ralenti l'expansion annuelle des superficies irriguées, qui est passée de 2,15 pour cent en 1965-1979, à 1,45 pour cent entre 1980 et 1994. L'eau est inégalement répartie entre les pays, entre les régions au sein des pays, entre les saisons et entre les différents groupes ethniques et catégories de revenu. Considérant l'action dégradante de la pression exercée par une population en rapide expansion sur le patrimoine naturel, cette répartition peut avoir de profondes répercussions sur la sécurité alimentaire à long terme et sur la stabilité sociale en ce nouveau millénaire. Un autre aspect est économique. Les prix payés par les usagers de l'eau ne correspondent pas à la valeur réelle d'une ressource aussi rare. L'aménagement de nouvelles sources d'eau pour répondre à une demande grandissante, devient de plus en plus onéreux. La demande d'eau dans les villes et de la part de l'industrie entre de plus en plus souvent en conflit avec les besoins en eau de l'agriculture.

35. Résoudre le problème de l'eau ne sera pas chose facile. Les solutions apportées seront probablement différentes d'un pays à l'autre, en fonction des conditions de départ, comme le niveau de développement économique, l'état du patrimoine naturel, les modes de culture et la capacité institutionnelle de mettre en œuvre et de s'engager dans une réforme de la politique de gestion de l'eau. Une analyse attentive s'avère nécessaire pour assurer une utilisation efficace et durable de l'eau par des aménagements politiques et institutionnels qui ne lèsent pas les groupes vulnérables de la société. Il s'agit de concevoir et mettre en œuvre une politique tarifaire, des droits d'utilisation de l'eau et un système d'irrigation appropriés pour encourager un usage efficace de l'eau, attirer les investissements et promouvoir une utilisation durable de l'eau.

Crise financière, ajustement structurel et impact sur les populations pauvres

36. A la fin des années 90, bien des pays ont traversé une période de crise financière et d'instabilité économique, avec une augmentation des frais de service sur la dette extérieure et une accentuation du déséquilibre budgétaire et extérieur. Une gestion macro-économique prudente s'impose pour relancer la croissance et éviter l'érosion des résultats obtenus dans la région en termes de réduction de la pauvreté.

37. Si la réaction de l'offre à de telles mesures n'est pas rapide, le processus d'ajustement nuit alors à certaines couches de la société du fait d'un brusque renchérissement des produits de base et des services sous l'effet de la dévaluation de la monnaie. La tentation de ne pas procéder à des ajustements peut être forte, mais cela serait alors au prix d'un atterrissage potentiellement brutal dans les années suivantes. L'argument qui plaide en faveur des programmes d'ajustement est que ceux-ci produisent dans le temps un flux d'avantages plus important que lorsque l'ajustement a été évité.

38. L'expérience indique que les mesures d'ajustement ne doivent pas systématiquement désavantager les populations pauvres, même à court terme. Lorsque celles-ci sont touchées, le plus souvent la raison n'en est pas l'ajustement en soi, mais plutôt la composition des instruments politiques. C'est la façon même dont les dépenses publiques sont réduites qui influe sur les effets de l'ajustement au niveau de la pauvreté.

39. Dans les zones rurales, la réponse de la production à la hausse du prix des biens exportables (y compris des denrées alimentaires de base) est plus forte lorsque l'infrastructure rurale et le capital humain sont de meilleure qualité. Empêcher la diminution des investissements publics dans les infrastructures rurales et les services sociaux de base en période d'ajustement est donc essentiel pour réaliser les objectifs de croissance et d'équité.

40. La crise asiatique a constitué une menace pour la lutte contre la pauvreté dans l'avenir en faisant douter, dans certains segments, de l'efficacité de la croissance économique pour atténuer la pauvreté et valoriser le capital humain. Les acquis du passé en termes de réduction de la pauvreté, de valorisation des ressources humaines et de promotion des investissements, dans la région, sont sans équivalent dans l'histoire récente et ne peuvent être effacés, même si la croissance a été négative dans les deux et quelques années qui ont suivi la crise. Il serait donc avisé de ne pas s'écarter d'une stratégie de réduction de la pauvreté fondée sur la croissance, dont l'efficacité a été prouvée dans le passé.

Mondialisation, inégalité et pauvreté

41. La mondialisation est source d'inquiétudes quant au risque d'exacerber ainsi l'inégalité, de perpétuer la pauvreté dans certains segments de la société et d'alimenter l'incapacité des pays en développement de se protéger des chocs extérieurs. En effet, les invitations à ralentir les efforts déployés dans cette direction, se sont multipliées lorsque les pays qui s'en étaient ouvertement réjoui, ont commencé à vaciller sous l'effet de la crise asiatique. Ces appels s'apparentent au régime des mesures de réglementation inadaptées, assez populaire dans les années 50 et au début des années 60, mais qui n'a pas pour autant réussi à assurer la croissance et à réduire la pauvreté. Pourtant, l'expérience internationale prouve que l'ouverture des marchés des produits de base et la recherche d'un avantage comparatif conformément à la dotation en facteurs, favorisent la croissance et l'équité dans les pays en développement riches en main-d'œuvre, mais manquant de capitaux. Il est toutefois important que la libéralisation suive un calendrier et un ordre judicieux. Des politiques compensatoires ciblées peuvent s'avérer nécessaires. Il s'agit par ailleurs de promouvoir des mécanismes institutionnels susceptibles d'améliorer la transparence et l'efficacité des échanges internationaux et des opérations financières, et permettant de détecter et de signaler les situations de détresse imminentes.

42. On observe ces dernières années un sentiment général d'acceptation, voire de résignation, envers la mondialisation de l'agriculture. Le resserrement des liens entre les petites exploitations agricoles grâce aux échanges commerciaux n'est peut-être pas manifeste au niveau des petits villages agricoles, mais leur importance apparaît de plus en plus clairement. Entre 1970 et 1996, les échanges agricoles de la région Asie-Pacifique (en valeur nominale) se sont multipliés par huit environ, c'est-à-dire qu'ils ont progressé quasiment au rythme de la croissance des échanges mondiaux de produits agricoles. En 1997, la part globale des échanges agricoles (exportations + importations) de l'Asie a représenté 18 pour cent du commerce mondial des produits de l'agriculture.

43. L'agriculture est désormais soumise aux disciplines de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) concernant d'autres produits, avec quelques exceptions spécifiques. L'accord de l'OMC sur l'agriculture vise à promouvoir des relations commerciales ouvertes et non discriminatoires, basées sur des principes de réciprocité, de transparence et de réduction des droits de douane. La tarification des barrières non tarifaires et la suppression progressive des subventions et des mesures de protection sont des éléments clés de la libéralisation des échanges dont sont convenus les pays signataires. Ces accords prévoient un traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement en vue de faciliter leur intégration dans le système commercial mondial. Des délais de mise en application plus longs sont notamment prévus, de même que des engagements de réduction inférieurs et des dispositions concernant l'assistance technique et financière. Les pays membres de l'OMC doivent se conformer aux engagements, qui ont de profondes répercussions sur les politiques et les institutions agricoles. Les pays non membres pour leur part ne seront pas à l'abri des effets du cadre ou de la structure des réformes de l'OMC, car ils sont eux aussi concernés par l'évolution de l'environnement commercial, ou doivent remplir certaines conditions avant de pouvoir adhérer à l'OMC.

44. Pour saisir les nouvelles occasions offertes, les pays doivent surveiller et évaluer périodiquement la conjoncture nationale dans le contexte d'un environnement commercial en évolution. Bien des pays de la région continuent d'avoir un accès limité à certains marchés d'exportation en raison de problèmes de conformité aux prescriptions sanitaires et phytosanitaires dans les marchés de destination. Il leur faudrait mettre en place ou renforcer les capacités, l'infrastructure et l'accréditation nécessaires pour répondre aux normes commerciales internationales. De nombreux pays en développement sont encore dénués de la masse critique minimale de spécialistes techniques et juridiques nécessaire pour pouvoir bénéficier du traitement spécial et différencié auquel ils ont droit et défendre efficacement leurs intérêts lors des prochaines négociations. Les pays de la région souhaiteront peut-être renforcer leurs capacités nationales d'expertise et d'analyse sur les divers accords relatifs à l'agriculture.

Science et technologie modernes

45. La science moderne est un puissant moteur de la transformation de l'agriculture et de la croissance économique. Dans les pays en développement pauvres en ressources, une technologie appropriée est la clé d'une sécurité alimentaire durable et de la réduction de la pauvreté. Quels qu'en soient les défauts, réels ou présumés, la "révolution verte" a contribué à conjurer une famine généralisée et a permis à des millions d'individus d'échapper à l'insécurité alimentaire chronique. Son impact sur la pauvreté et le développement rural a été plus profond dans les zones rurales où les conditions initiales étaient plus favorables, notamment l'état du capital humain et des infrastructures matérielles, la répartition des avoirs et la qualité de la gouvernance.

46. Des préoccupations grandissantes au sujet de la dégradation de l'environnement et de la durabilité des systèmes d'agriculture intensive, ont conduit à envisager des techniques de remplacement. Il existe une certaine tendance à promouvoir l'agriculture à faible apport d'intrants qui vise à limiter le recours aux engrais chimiques en les remplaçant par des substances nutritives organiques. Il s'agit notamment d'utiliser les résidus de récolte, le fumier de ferme et le compost pour améliorer la fertilité des sols. Cette agriculture à faible apport d'intrants est grande consommatrice de main-d'œuvre agricole et demande un savoir accru et une meilleure gestion des exploitations agricoles. Quelques doutes surgissent quant à sa pertinence, en relation notamment avec le problème de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire en milieu rural.

47. Les techniques à faible apport d'intrants sont gourmandes en main-d'œuvre et requièrent des volumes considérables de biomasse, notamment d'engrais organiques, pour produire les quantités de compost nécessaires à assurer une augmentation marginale du rendement agricole. Les petits exploitants peuvent en effet juger insuffisante la rentabilité de ces techniques. Les revenus agricoles peuvent progresser plus lentement que dans d'autres secteurs agricoles modernisés, sauf là où il existe un créneau commercial pour les produits cultivés à l'aide de matières organiques et pour lesquels les consommateurs sont disposés à payer un prix majoré. Ces débouchés sont toutefois généralement très limités pour les petites exploitations agricoles de subsistance éloignées des centres urbains ou des centres de consommation. En fait, l'une des principales difficultés auxquelles se heurte le secteur agricole n'est pas la façon dont l'agriculture traditionnelle peut soutenir une productivité à de faibles niveaux pour les générations futures. Le problème est plutôt de savoir comment transformer l'agriculture traditionnelle en un système moderne durable, notamment dans les zones montagneuses écologiquement fragiles et économiquement défavorisées, afin de réduire la pauvreté. En outre, sans une évolution technologique, l'agriculture stagnera, la croissance de l'emploi productif et du revenu s'arrêtera, tandis que l'état nutritionnel et de santé se détériorera, entravant ainsi le processus de transition démographique dans les pays en développement.

48. D'autres stratégies possibles pour atténuer les effets négatifs d'une utilisation massive d'intrants sur l'environnement, s'appuient sur la science et la technologie. Il s'agit notamment de la lutte intégrée contre les ravageurs (IPM) et du système de nutrition intégrée des plantes (IPNS). La première est une stratégie de lutte durable contre les ennemis des cultures, non polluante et sans danger pour l'environnement, qui prévoit l'association appropriée de plusieurs techniques. Le système IPNS s'adresse aux problèmes du maintien de la fertilité des sols et de la productivité agricole, et vise à accroître les profits des agriculteurs en utilisant les différentes sources d'éléments nutritifs pour les végétaux - matières organiques, engrais verts, fixation biologique de l'azote et autres inoculants - en complément des engrais minéraux.

49. En raison de son impact sur la production et sur l'environnement, la structure de l'offre et de la demande d'énergie constitue un autre domaine d'évolution technologique. Actuellement, dans la plupart des zones rurales de la région, l'énergie consommée, notamment pour la cuisson des aliments, provient en bonne partie de la biomasse traditionnelle. L'amélioration de la situation économique et, dans certains cas, la diminution des ressources énergétiques ligneuses, détermineront une modification de ces modèles. Des millions de foyers se tournent d'ores et déjà vers des combustibles modernes comme le kérosène, le GPL et l'électricité. Dans certains pays, la consommation de charbon est encore en expansion. L'intensification des cultures demandera un apport énergétique direct et indirect de plus en plus important. L'irrigation, la mécanisation, le transport, la transformation et la conservation exigeront une intensité énergétique majeure et des sources d'énergie plus fiables. Le double défi de satisfaire de tels besoins énergétiques sans pour autant affecter excessivement et irréversiblement l'environnement devra être relevé par tous les pays de la région. Les progrès techniques réalisés dans l'utilisation de sources d'énergie renouvelables comme l'énergie solaire, éolienne, verte et hydrique, offrent de nouvelles possibilités pour des systèmes énergétiques plus durables. Les résidus des cultures, de l'élevage et de la forêt, ainsi que d'autres formes de biomasse, pourraient apporter une contribution notable, le secteur agricole devenant ainsi un important producteur d'énergie. Les compétences scientifiques et techniques de la région dans bien de ces domaines devraient être mobilisées pour en accélérer et diffuser l'application.

50. Les récents progrès réalisés dans le domaine de la biotechnologie et de la technologie de l'information, présentent un intérêt potentiel considérable. La biotechnologie offre la possibilité de réduire les risques liés à la production en augmentant la résistance à la sécheresse, la résistance aux ravageurs et la capacité de fixation de l'azote de variétés améliorées. Elle peut également améliorer la teneur en micro-nutriments des aliments afin d'atténuer les problèmes de dénutrition chez les plus démunis. Dans un contexte de libéralisation des échanges, l'augmentation de la productivité et la diminution des coûts de production pour renforcer la compétitivité des exploitants, sont des conditions préalables pour une amélioration du revenu agricole et de la sécurité alimentaire des populations pauvres à travers la baisse des prix. La récente révolution dans le domaine de la technologie de l'information et des communications (TIC) a produit un effondrement des coûts d'utilisation de cette technologie. Elle a rendu les communications possibles et abordables, en particulier dans les zones rurales. La TIC et Internet ont offert des possibilités considérables pour la vulgarisation agricole, la diffusion d'informations sur les prix et d'autres questions intéressant spécifiquement les agriculteurs, et ce à un coût raisonnable.

51. L'exploitation de ce potentiel technologique exige un intérêt correspondant au niveau des politiques du secteur public. Le développement de la technologie de l'information et des communications a offert de nouvelles possibilités au secteur public (et privé) pour l'échange et la diffusion d'informations sur les marchés, de nouvelles techniques et autres messages de vulgarisation. Quant à la biotechnologie, l'exploitation de ses avantages potentiels en termes d'agriculture durable et de réduction de la pauvreté, nécessite un engagement de la part du secteur public au niveau de la recherche adaptative pour la mise au point de biotechnologies adaptées aux petits exploitants des pays en développement. Les considérations relatives aux éventuels risques pour la santé et l'environnement associés aux organismes génétiquement modifiés et à leurs produits, et au partage équitable des bénéfices de l'application de la biotechnologie aux ressources génétiques, sont des questions clés qui requièrent une attention particulière et des mesures adéquates de la part du secteur public, par exemple une réglementation efficace en matière de biosécurité, la création et la mise en œuvre de systèmes appropriés régissant les droits de propriété intellectuelle et commune, et une législation antitrust.3

52. La découverte de nouvelles applications de la science moderne à l'alimentation et à l'agriculture, grâce à la recherche et au développement, doit être soutenue. La rentabilité des investissements dans la recherche-développement agricole demeure élevée. Cependant, après plusieurs décennies de croissance régulière, on constate aujourd'hui un ralentissement considérable du flux des fonds consacrés à la recherche et au développement agricoles. Des efforts concertés sont nécessaires afin de revigorer le soutien institutionnel désormais languissant en faveur de la recherche et du développement agricoles.

Urbanisation rapide et caractère "urbanisant" de l'insécurité alimentaire

53. Un processus d'urbanisation rapide a été observé dans les pays de la région au cours des dernières décennies. Si la pauvreté touche principalement les zones rurales, de plus en plus de pauvres et d'individus souffrant de malnutrition vivront dans les villes dans un avenir pas si lointain. L'inégalité des conditions et des causes mêmes de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire dans certaines poches en milieu urbain laisse à penser qu'il n'existe pas de solution universelle au problème de l'insécurité alimentaire dans les villes. Les interventions politiques et de programme requises pour réduire la pauvreté dans les zones urbaines ne seront probablement de la même nature que celles à mettre en œuvre en milieu rural. Les populations pauvres des villes tendent à se déplacer fréquemment, ce qui rend leur ciblage plus difficile. De plus, les réseaux d'aide sociale qui constituent souvent d'importants mécanismes de sauvegarde en périodes de détresse, peuvent ne pas être aussi développés dans les villes que dans les campagnes.

V. CONCLUSION - LES TÂCHES POUR L'AVENIR

54. Améliorer la productivité et diversifier l'agriculture et l'économie rurale pour créer des emplois et de nouvelles sources de revenu qui permettent de réduire la pauvreté et le dénuement, restera le principal souci des décideurs dans la région. Une croissance soutenue à grande échelle dans le secteur agricole et rural est la stratégie à mettre en œuvre pour lutter contre la pauvreté rurale dans la plupart des pays de la région. Dans cet effort stratégique, le secteur s'inscrit dans un paysage en profonde mutation, au sein d'un environnement concurrentiel à l'échelle mondiale. Il est pris dans un engrenage où les coûts des investissements et de la main-d'œuvre augmentent par rapport aux prix à la production. L'industrialisation soustrait à l'agriculture la force de travail plus jeune, mieux qualifiée et plus productive, tandis que la mondialisation et la libéralisation des échanges exigent de meilleurs résultats grâce aux applications agricoles de la science et de la technologie modernes. Trouver la juste formule pour soutenir la croissance agricole dans un contexte en évolution rapide et dynamique, requiert une vision stratégique, des initiatives axées sur l'avenir et des approches innovatrices.

55. En ce nouveau millénaire, le secteur agricole est appelé à satisfaire une demande grandissante et évolutive de produits alimentaires, d'énergie et de matières premières agricoles. Comment y parvenir tout en préservant l'intégrité d'un patrimoine naturel en diminution pour les générations futures, constitue un autre problème de taille. Pour relever un tel défi, le secteur de l'agriculture devra rechercher et adopter sans relâche des techniques qui soient à la fois durables et plus productives. L'investissement dans la recherche agricole pour la production d'une série de techniques adaptables destinées notamment aux petits exploitants, est donc une priorité absolue des politiques gouvernementales, parallèlement à la mise en place d'institutions de soutien. Or, le soutien national et international à la recherche et au développement agricoles et à la diffusion de la technologie s'est affaibli. Il s'agit là d'un problème tout à fait pressant, car cet affaiblissement survient à un moment où les questions à traiter (par exemple, la durabilité, l'agriculture non irriguée et la productivité des petites exploitations agricoles) sont particulièrement complexes et cruciales.

56. Le développement agricole durable et la lutte contre la pauvreté requièrent un environnement politique et institutionnel propice qui établisse des droits de propriété clairement définis et applicables, réduise les frais de transaction et favorise le développement décentralisé à grande échelle des activités économiques dans les zones rurales. Il s'agit en effet d'établir, préalablement ou en concomitance avec les réformes politiques, un cadre institutionnel qui assure le fonctionnement efficace du système d'échanges commerciaux. L'expérience de la crise asiatique a renforcé l'idée selon laquelle, pour soutenir les bénéfices de l'ouverture économique, il est nécessaire de mettre en place des institutions et des capacités nationales adéquates.

57. Parmi les objectifs politiques, il devrait y avoir celui d'assurer aux producteurs ruraux, à titre individuel ou par le truchement d'organisations de leur choix, l'accès aux moyens, aux connaissances et aux marchés afin qu'ils puissent saisir les occasions offertes avec souplesse et d'une manière compétitive. Cela demande des investissements dans la valorisation des ressources humaines et en terre, pour une meilleure information et vulgarisation, et au niveau des voies d'accès reliant les fermes aux marchés, et des infrastructures connexes. Le renforcement des capacités humaines favorise la mobilité de la main-d'œuvre et accroît la productivité. Les techniques d'irrigation à petite échelle induites par le secteur privé et maîtrisées par les exploitants, permettent d'améliorer la base de ressources des petites exploitations agricoles et leur offrent des possibilités de choix ainsi que la souplesse nécessaire pour s'adapter aux conditions du marché. Les investissements dans l'infrastructure rurale engendrent des marchés efficients, réduisent le coût des opérations commerciales en milieu rural et favorisent la diversification de l'agriculture et de l'économie rurale.

58. L'expérience démontre que la réforme des orientations générales devrait tenir compte de l'avantage comparatif à l'échelon national des secteurs privé et public concernant les fonctions économiques et les services de soutien. Il est apparu notamment que le secteur public devrait concentrer ses efforts sur les cas de défaillance du marché afin d'améliorer l'efficacité des activités du secteur privé, d'assurer la compétitivité et la qualité du service, et pour atteindre les objectifs de bien-être social à long terme de protection de l'environnement et des ressources communes et d'un développement régional équilibré.

59. Les pays d'Asie et du Pacifique ne peuvent tourner le dos à des réformes de politique générale axées sur le marché. L'expérience prouve que protéger le secteur agricole et rural par des mesures qui entraînent une distorsion des prix intérieurs en affaiblit la résistance et augmente sa vulnérabilité aux chocs économiques et extérieurs. Toutefois, la crise asiatique a également montré que les avantages de la mondialisation vont de pair avec des marchés financiers solides, transparents et dûment réglementés. Il s'agit là d'un autre objectif important, qu'il convient de poursuivre résolument dans l'avenir.

60. Pour relever les défis du XXIe siècle en termes de développement agricole durable et de réduction de la pauvreté, les pays doivent suivre et évaluer périodiquement les tendances nouvelles et adapter les politiques, les institutions et les techniques en conséquence. A cet égard, la Conférence pourra si elle le souhaite inviter la FAO à fournir aux pays membres qui en feront la demande, un soutien direct et des services de renforcement des capacités nationales pour la réalisation des analyses sectorielles nécessaires et pour l'examen des différentes questions de politique générale et des choix possibles en matière de sécurité alimentaire et pour la réduction durable de la pauvreté rurale dans la région.

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1  Par définition, le terme agriculture couvre les cultures, l'élevage, les pêches et les forêts.

2  Voir le document APRC/00/3 - Food insecurity and vulnerability in Asia and the Pacific: World Food Summit follow-up.

3  Voir aussi le document APRC/00/5 - Implications and development of biotechnology.