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V. La sécurité en mer dans les pays en développement


Dans de nombreux pays en développement, les pêcheries sont dotées d'un budget modeste et ont une faible priorité à l'échelon national, car elles ne sont pas considérées comme un élément important de l'économie du pays[47]. En conséquence, il est difficile de trouver les fonds nécessaires pour améliorer leur situation.

Les problèmes rencontrés par les pêcheurs en matière de sécurité en mer dans les pays en développement, en particulier dans les petites îles, sont par ailleurs tout à fait différents de ceux rencontrés dans les pays développés. Les principales différences sont les suivantes:

1. La flotte de pêche est surtout constituée de petits navires simples et souvent non motorisés (canoës, pirogues et boutres), dotés d'un équipement de navigation, de communication et de sécurité limité. Nombre de ces flottes sont exploitées à partir de plages et de lieux abrités, tout à fait à l'écart des administrations des pêches qui, fréquemment, ne les inspectent pas. Faute de contacts et de collecte de données, les administrations méconnaissent souvent les problèmes posés par la sécurité en mer. Même lorsqu'elles en ont conscience à l'échelon local, elles signalent rarement ces problèmes à l'administration centrale comme étant prioritaires.

2. Il n'y a pas suffisamment de personnel formé sur le plan technique pour servir de membres d'équipage, d'instructeurs ou d'inspecteurs.

3. La SAR peut être très coûteuse et doit être organisée de la manière la plus rationnelle possible dans chaque zone. Pour ce faire, il peut être nécessaire que différentes institutions publiques, comme celles qui organisent le suivi, contrôle et surveillance et la sécurité en mer, coopèrent.

4. Les infrastructures nécessaires à la mise en application des lois et des règlements font défaut dans de nombreux pays en développement, surtout lorsque les communautés de pêcheurs sont dispersées le long de la côte, que les installations portuaires sont limitées et que le débarquement sur la plage est fréquent.

5. La perception fondamentale de la valeur de la vie humaine varie selon les cultures, ce qui influe sur la motivation de chaque société à investir des ressources dans les mesures de protection. Dans de nombreux pays en développement, pratiquement aucune pression politique n'est exercée pour obtenir des investissements en faveur de la sécurité en mer. Cette situation est compliquée par l'absence de représentation organisée, telle que syndicats et groupes de pression, qui rend difficile toute action coordonnée.

Les problèmes fondamentaux de sécurité sont communs à tous les pays en développement, mais la situation au niveau local varie énormément. Nombre des principaux problèmes entraînant d'importantes pertes de vies humaines peuvent être résolus à peu de frais; l'objectif est de sensibiliser à cet égard les autorités responsables, et de faire en sorte que cette prise de conscience se traduise par des mesures correctives efficaces. Les campagnes publiques de sensibilisation à la sécurité, les programmes portant sur la formation/éducation et sur la mise à disposition d'équipements de sauvetage, et l'organisation de la SAR, doivent être adaptés spécifiquement à chaque pays.

La flotte de pêche

L'essentiel de la flotte des pays en développement est formée de petits navires, souvent non pontés et non motorisés. Comme l'indique la figure 3, plus de quatre navires non pontés sur cinq se trouvent en Asie ou en Afrique[48]. Cette proportion n'a pas beaucoup changé pendant la période d'accroissement spectaculaire de la flotte non pontée, qui a augmenté d'environ 60 pour cent, soit un million de navires, entre 1970 et 1995.

Figure 3. Nombre de navires de pêche non pontés par continent

La figure 4 indique qu'en Afrique, un navire non ponté sur cinq seulement est équipé d'un moteur, tandis qu'en Asie, un navire non ponté sur trois est motorisé. En Europe et en Amérique du Nord, les navires de pêche non pontés et non motorisés sont très rares.

Figure 4. Nombre de navires de pêche non pontés, motorisés et non motorisés, par continent

Normes de construction et inspection

Les navires sont souvent construits par des personnes inexpérimentées qui copient des embarcations traditionnelles et des modèles importés, mais, compte tenu de la recherche du moindre coût, de l'inadéquation des matériaux de construction et du manque d'expérience, ils finissent par construire des navires généralement peu solides. Dans nombre de cas, ils ne sont pas conformes aux règlements nationaux (lorsqu'ils existent), qui ne sont pas mis en application. Cette situation tient aux qualifications des services d'inspection des navires (lorsqu'ils existent). La plupart des inspecteurs n'ont pas reçu de formation pour effectuer des visites sur des navires de tous types afin de vérifier leur état, au niveau normalement requis à des fins de classification ou d'assurance. Par ailleurs, peu nombreux sont les divers inspecteurs attachés aux divisions des pêches qui peuvent se vanter d'une formation en construction navale, génie maritime ou architecture navale[49].

Dans certaines régions, l'inspection des bateaux implique simplement que les pêcheurs qui n'ont pas les moyens d'acheter l'équipement prescrit, ont recours à des tractations malhonnêtes, comme la corruption. Une autre façon de s'en sortir est d'emprunter l'équipement pendant la période d'inspection. Là où des autorisations de pêche sont exigées, l'état de navigabilité, l'inspection relative à la sécurité et la délivrance de brevets aux patrons ne sont pas toujours stipulés[50].

Assureurs et bailleurs de fonds

Les accidents sont très fréquents et, compte tenu des risques courus, les assureurs hésitent à offrir une couverture, même avec des primes élevées. Cette attitude empêche les pêcheurs de bénéficier de crédit pour des navires neufs, car les banques sont peu disposées à accorder des prêts avec pour garantie des navires dont la qualité, en l'absence de normes de construction ou d'inspections validées, est douteuse. Les assureurs et les banquiers des pays en développement ont souvent des connaissances très limitées en ce qui concerne les opérations de pêche, l'importance des campagnes de pêche et la nécessité de remboursements souples, etc., et ils ont tendance à rejeter les demandes, ou à exiger des primes élevées ou des garanties autres que le navire (qui ne sont pas disponibles). En conséquence, les pêcheurs sont rarement assurés et, s'ils disparaissent en mer, leurs familles subissent une perte de revenu outre la perte personnelle.

L'institution de mutuelles gérées par l'intermédiaire de coopératives de pêcheurs, pour l'assurance-vie et/ou l'assurance des navires, réduirait la perte financière à long terme subie par la proche famille en cas d'accident. En outre, on pourrait espérer que les membres de la mutuelle, qui chercheraient à réduire au minimum le nombre de demandes d'indemnités financées sur leurs fonds, coopéreraient en vue de s'assurer que leurs navires sont bien entretenus et équipés pour éviter les accidents.

Les programmes d'assurance destinés aux pêcheurs des pays en développement, qui en sont encore au premier stade de développement, se heurtent à plusieurs contraintes institutionnelles, financières et techniques: dépenses administratives élevées, couverture insuffisante des besoins d'assurance et taux de perte élevés. Parmi les facteurs jugés essentiels pour le succès des régimes d'assurance dans le secteur halieutique figurent la participation active des organisations de pêcheurs à leur conception et à leur mise en œuvre, l'incorporation de prescriptions concernant l'assurance à la réglementation et à l'aménagement de la pêche, et la contribution financière de l'Etat à la réassurance et à la couverture des pertes dues aux catastrophes naturelles[51].

Navires de petite taille s'aventurant au large

L'effort de pêche étant fortement concentré à proximité de la côte, les ressources côtières sont généralement surexploitées et soumises à une pression intense. Il faut absolument diversifier la pêche, ce qui toutefois n'a pas été possible dans certains cas, faute de compétences et d'équipement.

La motorisation a permis aux pêcheurs de s'éloigner beaucoup plus de la côte qu'auparavant, souvent dans des embarcations inadaptées puisqu'elles ont été conçues pour la pêche côtière. Dans bien des cas, ils connaissent mal la pêche hauturière et ne peuvent pas tirer parti de l'expérience des générations précédentes qui n'ont pêché que dans des eaux côtières. La sortie peut durer plusieurs jours, alors que les navires sont parfois conçus pour des sorties d'un jour seulement. À Sri Lanka, pourtant, la pêche hauturière s'est énormément développée au cours de la dernière décennie. En 1998, environ 1 100 petits navires pontés d'une longueur comprise entre 9 et 13 m se sont aventurés jusqu'à la côte de Somalie et sont restés en mer un mois à la recherche de thons, de requins et de marlins.

Les bateaux de pêche côtière contraints de s'aventurer au large courent en outre le risque d'abordage avec les grands navires de commerce ou de pêche, nationaux ou étrangers.

Il est reconnu que les situations de détresse sont principalement imputables à des pannes de moteur dues au mauvais entretien et au manque de pièces détachées, surtout lorsqu'elles se produisent loin des côtes avec des moyens de communication limités. Dans de nombreuses embarcations, on s'est débarrassé des voiles et des pagaies et, en cas de panne de moteur, il n'y a donc plus aucun moyen de propulsion. Faire en sorte que les pièces détachées et le matériel nécessaires à l'entretien normal du moteur soient facilement disponibles est une tâche prioritaire. De nombreux pays en développement ayant des problèmes de devises, les pièces détachées et le matériel doivent être achetés en «monnaie forte», ce qui comporte de multiples démarches bureaucratiques et une grande perte de temps si l'article doit être importé. Dans ces conditions, il n'est pas rare que des navires soient utilisés avec un matériel dont on sait qu'il est défectueux, même si les propriétaires ont l'argent nécessaire pour payer l'article voulu en monnaie locale. Ceci s'applique également à l'équipement de sécurité tel que extincteurs et gilets de sauvetage[52].

Equipement de sécurité

Dans de nombreuses régions, il n'existe pas de prescriptions minimums concernant l'équipement de navigation tel que compas, cartes ou même radio à transistors, qui peut être utilisé pour prendre des relèvements à partir des stations radio. Dans ces conditions, la navigation dépend uniquement de la visibilité et, même lorsqu'ils existent, les services des prévisions météorologiques ne peuvent pas être utilisés.

Le manque d'équipement est très fréquent et souvent grave. Parfois, les navires ne sont même pas visibles faute de feux ou de réflecteurs radar à bord.

En cas de panne de moteur ou autres mésaventures, pour organiser le sauvetage, il faut tout d'abord pouvoir établir un contact avec d'autres navires ou avec des stations à terre. Près de la côte, les radios VHF (ondes métriques) ayant habituellement une portée de 30 milles marins (si le poste récepteur est placé en hauteur) peuvent être utilisées. Dans de nombreux pays, le réseau de stations radio VHF est insuffisant, voire inexistant. Les radios VHF peuvent être néanmoins utiles pour permettre à des navires travaillant ensemble pour plus de sécurité de communiquer directement. Même si les radios VHF seraient financièrement à la portée des artisans-pêcheurs, c'est la batterie ou l'énergie électrique dont elles ont besoin qui pose problème, car sur de nombreux navires, elle n'est pas produite par le moteur hors-bord.

Le sort du canal 16, le canal universel de détresse VHF écouté actuellement par tous les navires et les postes de surveillance à terre, est en cours d'examen, en prévision de l'adoption du nouveau système mondial de détresse et de sécurité en mer (SMDSM) qui, en l'absence d'équipements radio à terre répondant aux prescriptions, sera fondé sur la communication via satellite. La sécurité des artisans-pêcheurs, qui n'ont pas les moyens d'acheter un équipement coûteux, a suscité des inquiétudes. Cependant, les progrès techniques et la baisse des prix pourraient entraîner assez rapidement une évolution spectaculaire des moyens de communication à la disposition des artisans-pêcheurs.

Il peut sembler évident que les pêcheurs souhaitent avoir à bord de leur navire l'équipement de sauvetage de base - trousses de premiers secours, bouées et gilets de sauvetage, réserves d'eau et de vivres, pièces détachées pour le moteur et avirons ou voile en cas de panne de moteur - mais ils sont très pragmatiques et nombre d'entre eux s'opposent à l'idée de transporter et de payer du matériel qu'ils jugent superflu. Sur les petits navires, l'espace est précieux et il pourrait être intéressant de concevoir un équipement de sécurité polyvalent. À titre d'exemple, une voile qui pourrait servir d'ancre flottante ou de cagnard ou bien qui protégerait du soleil a plus de chance d'être embarquée. Un gilet de sauvetage qui n'est pas trop épais et peut être porté pendant le travail, ne prend pas d'espace supplémentaire, et un réflecteur radar qui peut également servir d'héliographe, est plus facilement accepté. Le prix est également important. De nombreux pêcheurs s'en sortent à peine financièrement et l'équipement de sécurité risque simplement de leur sembler trop cher. Lorsqu'il dispose d'argent, le pêcheur peut décider qu'il vaut mieux investir dans un nouvel engin qui lui permettra d'augmenter la prise, plutôt que dans un équipement de sécurité qu'il n'utilisera peut-être jamais.

Le fossé entre les normes approuvées au plan international pour l'équipement de sécurité tel que les gilets de sauvetage, et les moyens financiers des pêcheurs des pays en développement, nous place devant un dilemme. Parfois, le choix semble être entre un équipement répondant à une «sous-norme» ou pas d'équipement du tout. Dans tous les cas, la fourniture de l'équipement de sécurité pose souvent un problème. Dans de nombreuses régions, il est nécessaire de soutenir ou de créer un système permettant de fabriquer localement ou d'importer facilement l'équipement approprié, parallèlement à des filières efficaces de vente aux pêcheurs, garantissant une disponibilité immédiate à tout moment[53].

Le coût d'un meilleur équipement de sécurité devrait être évalué par rapport aux coûts élevés des opérations de SAR qui doivent être lancées lorsque des navires sont portés disparus.

Les progrès techniques ont permis d'améliorer notablement l'équipement de sécurité, en particulier l'équipement de navigation et de radiocommunication et la drome de sauvetage. Cependant, un nombre élevé d'accidents sont dus à la mauvaise utilisation de cet équipement à bord des navires; on peut donc en conclure que, même si la technologie moderne peut dans une large mesure favoriser une navigation sans danger, utilisée par des hommes n'ayant pas reçu de formation, elle risque de provoquer des catastrophes. Les manuels d'instructions sont souvent difficiles à comprendre. Une formation pratique est fortement recommandée pour les hommes de quart afin de s'assurer qu'ils savent utiliser correctement le pilote automatique, connaissent ses limites et, surtout, se sont familiarisés avec la procédure de désenclenchement pour changer de cap[54].

Formation des instructeurs, des inspecteurs et des pêcheurs

Avant de concevoir les programmes de formation destinés aux inspecteurs, aux nouveaux stagiaires ou aux pêcheurs, il faut se poser plusieurs questions:

1. Dans quel cadre le programme de formation sera-t-il exécuté?
2. Qui est responsable des normes et de la délivrance des brevets?
3. Qui doit être formé?
4. Où aura lieu la formation?
5. Qui décidera des éléments du programme de formation?
6. Qui assurera la formation?

Cadre

Le cadre dans lequel les programmes de formation sont mis en œuvre est souvent dicté par les dispositions légales concernant la sécurité des navires et l'inspection dans chaque pays. S'il n'en existe pas, il faut créer un cadre juridique, faisant de préférence partie intégrante de la gestion des pêches dans un contexte plus large. Le cadre nécessaire pour cette législation, qui pourrait être mis au point par des organismes nationaux, intergouvernementaux et internationaux, sera utilisé par les gouvernements des divers pays en étroite coopération avec les parties prenantes (propriétaires des navires, associations de pêcheurs et autres groupes d'usagers concernés) et adapté aux besoins spécifiques de chaque pays.

Il est essentiel de s'assurer que les règlements tiennent compte des caractéristiques diverses des différents types de pêcheries. Des règles qui pourraient convenir à un type particulier de navire ne s'appliquent pas nécessairement à d'autres types de bateaux ou de pêches. Une législation mal adaptée va à l'opposé de l'effet recherché, car elle est perçue comme peu réaliste et impossible à mettre en application et entraîne le non respect des règles. Si certaines réglementations obligatoires sont mal adaptées ou ne peuvent pas réellement être respectées, elles porteront sérieusement atteinte à la confiance que les propriétaires et les pêcheurs auront dans les autres réglementations, peut-être entièrement justifiées, et nuiront de manière générale à la mise en conformité spontanée.

Il existe des programmes de formation dans la plupart des pays où la demande est suffisante et où la délivrance de brevets est exigée pour l'équipage. Les difficultés apparaissent lorsque la demande concernant ces cours est très faible, et que les moyens et la motivation nécessaires pour les assurer font défaut. Avant de mettre en place des instituts de formation, il faudrait étudier attentivement la demande permanente, et au cas où elle n'atteindrait pas un certain minimum, par exemple l'équivalent de 20 étudiants à plein temps, d'autres méthodes de formation devraient être envisagées: proposer des cours à des intervalles raisonnables (tous les cinq ans) ou une formation dans un pays voisin. La mise en place de réseaux régionaux ou de centres de formation devrait encourager ce type de coopération[55].

Autorité responsable

Il faut désigner l'autorité responsable de la formation et de la délivrance des brevets. Compte tenu des faibles effectifs du personnel des services publics, cette responsabilité pourrait incomber à des services qui ne s'occupent pas normalement de formation ni d'éducation (garde-côte, capitaine de port, Marine nationale, etc.), ou à l'inverse elle pourrait incomber à quelqu'un du secteur de l'enseignement qui normalement ne s'occupe pas de la pêche. Cette situation pourrait créer des problèmes car elle exige une collaboration entre différents services et départements administratifs.

Qui sera formé

Les principaux groupes cibles sont les petits pêcheurs, mais d'autres groupes bénéficieraient également de la formation, notamment: les inspecteurs et les futurs stagiaires, les responsables des pêches, qu'ils agissent en qualité de vulgarisateurs ou s'assurent que les règlements de la pêche sont suivis; les responsables chargés de la protection des pêcheries; les concepteurs et les constructeurs de bateaux; enfin, les responsables de la recherche et sauvetage. En outre, il pourrait être utile de fournir des informations ou de donner des cours aux banquiers et aux assureurs, qui, bien souvent, n'ont que des connaissances limitées sur les pêches et ont donc des difficultés à offrir une assurance ou un financement adéquat aux pêcheurs.

Sites de formation

Les activités de formation devraient être menées aussi près que possible du lieu de travail des pêcheurs, pour des raisons tant économiques qu'éducatives. Pour les navires de pêche artisanale, il n'est pas nécessaire de disposer d'installations centralisées avec des simulateurs de radar, des centres de lutte contre l'incendie, etc. comme pour la formation concernant les navires plus grands. Partout où cela est possible, la formation devrait être axée sur un groupe bien défini, par exemple une coopérative de pêcheurs, et avoir lieu hors saison ou en dehors des heures de travail. Très souvent, les cours donnant de bons résultats sont organisés en début de soirée dans l'école locale.

Eléments du programme

Les éléments du programme devraient être adaptés à la situation locale et le niveau devrait être tel que tous les stagiaires puissent suivre. Dans certains pays en développement, le degré d'instruction est très faible et les taux d'analphabétisme parmi les pêcheurs des zones rurales sont élevés; autrement dit, il n'est pas opportun de diffuser une documentation écrite à l'intention des inspecteurs ou des petits pêcheurs des pays développés, même si elle est traduite dans la langue locale. Ils sont peut-être illettrés, mais les pêcheurs savent presque toujours compter et une formation pratique, s'appuyant sur des illustrations et sur le bon sens, peut donner des résultats satisfaisants.

Autant qu'on puisse le prévoir, Internet deviendra probablement la principale source de matériel pédagogique. Des cours de formation à la sécurité y sont déjà proposés et des supports de formation analogues pourraient être mis au point en vue d'une utilisation comme matériel didactique dans différents pays en développement[56]. La FAO, qui connaît bien la situation locale des pêcheries d'un si grand nombre de pays en développement, pourrait remplir cette tâche.

Instructeurs

Dans les pays en développement, les gens qui ont les connaissances générales maritimes voulues pour former des inspecteurs et/ou des pêcheurs sont peu nombreux. D'ordinaire, le choix se porte naturellement sur le capitaine de port, le garde-côte ou le vulgarisateur. Cependant, les instructeurs doivent être eux-mêmes convenablement préparés pour être en mesure d'assurer une formation appropriée. Il est essentiel qu'une relation de confiance mutuelle s'établisse entre l'instructeur et les stagiaires, et que la formation soit adaptée de manière à répondre aux besoins de chaque groupe particulier. Il a été mis en évidence qu'une attitude privilégiant les gros navires est à proscrire et que les instructeurs doivent être capables de s'identifier à leurs stagiaires et de comprendre que c'est au problème de ces pêcheurs qu'il faut s'attaquer[57].

Recherche et sauvetage

Quelles que soient les méthodes employées, la recherche et sauvetage (SAR) est toujours une opération coûteuse. Dans de nombreux pays en développement, elle peut paraître insurmontable, surtout lorsque la superficie des mers est très importante par rapport à la superficie terrestre. Dans ce cas, la recherche par voie aérienne est la plus efficace, mais elle comporte des coûts prohibitifs et constitue une lourde charge financière imprévue pour les services publics, qui n'en ont pas vraiment les moyens.

Les programmes et l'équipement de sécurité en mer des pays du «Nord» ont été élaborés dans des environnements de travail où les conditions en mer sont rudes et où l'équipement est relativement bon marché par rapport à une main d'œuvre onéreuse. Les méthodes du Nord reposent donc sur un équipement solide exploité dans des conditions extrêmement difficiles. Ces solutions ne doivent pas être transposées dans les pays en développement. Dans les pêcheries artisanales tropicales, la main-d'œuvre est bon marché mais, relativement parlant, l'équipement est extrêmement onéreux. Par ailleurs, en moyenne, les conditions en mer ne sont pas aussi difficiles. Dans les pays en développement, les programmes de sécurité en mer pourraient faire de nécessité vertu, mettant au point des méthodes qui reposent davantage sur leur main-d'œuvre bon marché et faisant le meilleur usage possible d'un équipement modeste, qui ne doit résister que dans des conditions moyennement difficiles[58].

Afin de faciliter la SAR, il faudrait mettre en place sur chaque site de débarquement un système selon lequel, avant leur départ, tous les navires indiqueraient dans quelle zone générale ils pensent pêcher et quand ils prévoient rentrer à la base[59]. Lorsque cela est possible, des contacts radio périodiques devraient être établis avec tous les centres côtiers participants à certaines heures de la journée, afin de s'assurer que le système d'alerte fonctionne et de recevoir les messages concernant les conditions locales.

Il est important de coordonner les initiatives des institutions existantes, des ONG, des familles des pêcheurs et des autres intervenants, qui pourraient prendre part à l'organisation et à l'exécution des opérations de SAR et des autres activités relatives à la sécurité en mer en formant des organisations locales de sécurité en mer pouvant également se réunir à l'échelon national. Ces organisations contribuent à assurer une continuité essentielle pour l'efficacité des activités visant à la sécurité en mer (campagnes de sensibilisation, cours de formation à la sécurité, mobilisation de fonds et pression auprès des pouvoirs de décision). Enfin et surtout, elles fournissent également un grand nombre de bénévoles qui participent en cas de besoin aux opérations de SAR.

En faisant intervenir des bénévoles, on réduit considérablement les dépenses publiques de SAR. C'est ainsi qu'en Norvège, le coût annuel de fonctionnement de la flotte de sauvetage, gérée par l'Etat, en station auprès des industries offshore qui emploient 3600 travailleurs, s'est élevé en 1989 à environ 500 millions de NOK, tandis que celui de l'ONG (Société norvégienne de sauvetage en mer) assurant un service correspondant à 30 000 pêcheurs a été de 350 millions de NOK (en 2000). D'après les statistiques de la Société norvégienne de sauvetage en mer, les garde-côtes chargés du sauvetage en mer ont sauvé en moyenne de 30 à 40 vies chaque année pendant les 25 dernières années. Compte tenu des vies et des biens sauvés, l'Institut norvégien d'économie des transports estime que la contribution de la Société norvégienne de sauvetage en mer à l'économie nationale est de l'ordre de 1 milliard de NOK par an[60].

Contrôle et mise en application

Du fait de la nature même des communautés de pêcheurs des pays en développement, il est difficile de mettre en œuvre des règles et des réglementations concernant l'état de navigabilité des navires et la formation/brevets des équipages. Un nombre impressionnant d'unités de pêche sont réparties le long de côtes très étendues et sur de nombreuses îles, souvent éloignées. Dans bien des régions, les ports sont rares et distants les uns des autres et le débarquement sur la plage est fréquent. Les ports constituent des points naturels de contrôle et de mise en application des règlements, et lorsqu'ils n'existent pas, un dispositif de remplacement doit être mis en place grâce à une action concertée entre les institutions publiques et les utilisateurs, tels que les propriétaires des navires et les organisations de pêcheurs.

Encadré 5. Organisations bénévoles de sécurité en mer

L'exemple de l'Association islandaise de recherche et sauvetage montre comment une organisation bénévole a été créée et s'est développée au point de devenir un mouvement de masse et l'un des piliers nationaux de la sécurité en mer. Lorsque cette association a été fondée en 1929, la flotte islandaise était composée pour l'essentiel de petits navires (d'une longueur inférieure à 20 m) pontés et motorisés, naviguant dans des conditions météorologiques extrêmement dures. Dès le début, les femmes - veuves, filles et mères de pêcheurs - ont participé très activement à cette organisation. L'objectif premier était de constituer des groupes de SAR dans toutes les communautés de pêcheurs de la côte. Ces groupes étaient formés d'hommes mais, parallèlement, les femmes ont créé leurs propres groupes affiliés. Leurs principales tâches étaient de rassembler des fonds pour acheter l'équipement de SAR, bâtir des abris là où se produisaient souvent des naufrages, et construire des embarcations de sauvetage placées dans des ports stratégiques le long de la côte. L'Association islandaise de recherche et sauvetage a participé activement à la formulation de recommandations concernant les règlements en matière de sécurité et a milité pour leur promotion auprès des autorités.

Une autre tâche importante de l'Association a été d'organiser et d'assurer dans les communautés de pêcheurs des activités d'éducation à la sécurité. Elles ont d'abord été confiées à des instructeurs invités, qui proposaient des conférences à un auditoire venant de sa propre initiative mais, avec le temps, elles ont pris de l'ampleur et, aujourd'hui, l'Association gère la formation à la sécurité (d'une durée de 40 heures), publique et obligatoire pour les pêcheurs travaillant sur des navires de plus de 12 m. Les cours sont assurés à bord d'un navire-école bien équipé, qui se rend périodiquement dans les communautés de la côte.

L'Association s'est développée au point de devenir un élément essentiel de la sécurité en mer en Islande, un consultant respecté et un proche collaborateur des autorités, capable de réunir immédiatement, pour des opérations de SAR en mer ou à terre, des centaines de bénévoles bien formés, hommes et femmes, dotés de l'équipement le plus moderne et prêts à intervenir dans toutes les circonstances, qu'il s'agisse de navires naufragés ou échoués, d'éruptions volcaniques, d'avalanches ou d'autres catastrophes naturelles imprévues.

La plupart des pays en développement disposent, sous une forme ou une autre, d'un système de suivi, contrôle et surveillance. Ce système, qui a été conçu principalement pour la gestion des pêches, couvre la recherche halieutique, la collecte des données, les statistiques, etc. Il est cependant perçu de manière générale comme une opération de police comportant la vérification des navires en mer, l'accent étant donc mis sur la surveillance[61]. Le suivi, contrôle et surveillance, n'a pas pour objet de vérifier les aspects liés à la sécurité, comme l'état de navigabilité du navire et la formation/brevets de l'équipage. Il est généralement placé sous les auspices du Ministère des pêches (ou de son équivalent) ou du Ministère de la justice, alors que la sécurité en mer est le plus souvent gérée par le Ministère des transports. L'utilisation du cadre ainsi mis en place, à des fins de contrôle et de mise en application des réglementations concernant la sécurité en mer, nécessite donc une coopération interministérielle.

La FAO est en train de préparer pour la région de l'Afrique de l'Ouest une proposition intéressante regroupant les services de suivi, contrôle et surveillance, de SAR et de sécurité en mer, afin de porter au maximum leur efficacité pour un coût aussi faible que possible. Nombre des services offerts dans ces trois domaines peuvent être mis en commun et, pour améliorer leur efficacité, il est proposé qu'ils soient administrés en tant qu'appareil unique par un comité national de coordination.

Immatriculation des navires

Pour des raisons économiques, biologiques et sociales, il est très important pour la gestion des pêches de créer et de tenir un registre des navires de pêche. Afin de pouvoir établir un lien entre la taille et la capacité de la flotte de pêche, et le rendement prévu de la ressource, il est nécessaire de délivrer des autorisations de pêche à des navires immatriculés. Par ailleurs, l'immatriculation des navires est essentielle pour contrôler leur état de navigabilité dans le cadre d'un système officiel d'inspection, de préférence en association avec la délivrance des autorisations de pêche. Suivre les navires grâce à l'immatriculation permet de jeter les bases nécessaires pour recueillir divers types de statistiques, qu'elles concernent la prise, le nombre de personnes employées ou les problèmes de sécurité. Les registres sont également essentiels pour repérer les navires, qu'il est indispensable de pouvoir identifier aux fins de la SAR. Pour des raisons de sécurité et d'aménagement, tous les navires devraient être immatriculés et leur nom et/ou leur numéro d'immatriculation devraient être peints ou gravés sur leur coque. En outre, l'article III (responsabilité de l'Etat du pavillon) de l'Accord visant à favoriser le respect contient une prescription concernant le marquage de tous les navires de pêche[62]. Le nom du navire et son port d'attache doivent être imprimés, peints ou écrits sur les gilets de sauvetage, les bouées et les autres équipements flottants se trouvant à bord.

Bien évidemment, la création et la mise à jour des registres des navires et des équipages est une tâche qui demande un effort soutenu et une bonne coordination de la part de l'administration. Pour faciliter cette initiative, des directives offrant un cadre pour les systèmes d'immatriculation seraient utiles dans les pays en développement. Le rapport des missions de la FAO pour le compte du Ministère gambien des pêches (1995) présente les grandes lignes de directives pour l'établissement d'un registre permanent des accidents survenus sur les navires de pêche. La FAO a publié des directives techniques ayant pour objet d'appuyer la mise en oeuvre du Code de conduite pour une pêche responsable. Les données requises, jugées souhaitables aux fins de l'application d'un plan d'aménagement[63], sont notamment les suivantes: renseignements sur le nom et le type de navire, date et lieu de construction, longueur du navire, marquage, type d'engin, indicatif d'appel radio international, adresse ou port d'immatriculation, nom et adresse du propriétaire (voir tableau 3 des directives techniques). Ces éléments seraient également utiles à des fins de gestion de la sécurité, ce qui confirme une fois de plus que la gestion des pêches et la gestion de la sécurité sont des questions qui vont de pair et ne devraient pas être administrées séparément.

Encadré 6. Suivi, contrôle et surveillance, sécurité en mer des artisans-pêcheurs et SAR menés conjointement - une solution commune

En Afrique de l'Ouest, 80 pour cent de la flotte de pêche n'est pas motorisée, le taux annuel d'accidents mortels parmi les pêcheurs est environ dix fois plus élevé que dans les pays développés (environ 1 000 pour 100 000) et la plupart des pays ont ouvert leur ZEE aux flottes industrielles étrangères. Une zone côtière comprise entre 3 et 12 milles marins est réservée aux artisans-pêcheurs, mais les services locaux de suivi, contrôle et surveillance ont du mal à empêcher les navires industriels de pénétrer dans ces eaux.

Les principaux éléments de la solution proposée résident dans les avantages mutuels de la coopération entre les artisans-pêcheurs et les autorités chargées de contrôler leurs activités.

Il est suggéré qu'une partie des embarcations de pêche artisanale soit équipée de radios VHF et serve de système de détection signalant les incursions des navires industriels dans les eaux réservées au secteur artisanal. Ces navires-radio pourraient également être intégrés au groupe de sécurité des pêcheurs, alertant les stations côtières en cas d'urgence et prenant part aux opérations de SAR.

Par ailleurs, ce système de suivi, contrôle et surveillance reposant sur une technologie intermédiaire comprendrait une chaîne de stations radars côtières peu onéreuses, équipées de radars de 12 volts (de type yacht) installés sur de grands poteaux téléphoniques, afin de suivre jour et nuit les positions des navires de pêche industrielle près de la côte. Ces stations côtières seraient dotées d'un personnel composé conjointement d'une équipe d'officiers de marine et de fonctionnaires du Ministère national des pêches, et équipées d'un canoë de pêche motorisé, légèrement modifié et renforcé leur permettant d'intervenir en cas d'incursion présumée en montant à bord du navire en question et en l'examinant, c'est-à-dire en tenant lieu de suivi, contrôle et surveillance. De même, elles rempliraient une fonction de SAR, en intervenant en cas de signaux de détresse, en organisant et en effectuant des opérations de SAR en coopération avec les groupes de sécurité des pêcheurs.

Le fait de ne pas laisser la flotte industrielle pénétrer dans les eaux côtières et de servir d'équipes de SAR devrait créer un climat de confiance et de bonne volonté, qui faciliterait la troisième fonction du système de suivi, contrôle et surveillance à technologie intermédiaire, à savoir étendre ses activités à la pêche artisanale en patrouillant et en supervisant leurs opérations.


[47] Il y a des exceptions, notamment les pays suivants: Bangladesh, Mozambique, Namibie et Erythrée, ainsi que de nombreux petits Etats insulaires.
[48] Les figures 3 et 4 sont extraites de La flotte de pêche mondiale, dans La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 1998: 66-69. FAO, Rome, 1999.
[49] Turner, J. FAO Technical Cooperation Programme Draft, Regional Project Proposal, Development of Standards for the Construction and Survey of Small Fishing Vessels. May 1999.
[50] Ben -Yami, M. Safety at sea, the tragedy of official default. In Samudra, 23: 24-28, Sept 1999.
[51] Regional Conference on Insurance and Credit for Sustainable Fisheries Development in Asia, Tokyo, 1996. summarized in Fisheries Insurance Programmes in Asia , FAO Fisheries Circular No. 948.
[52] Prado, J. et Smith, A. Les accidents à bord de petits bateaux de pêche dans les pays en développement, quelques mesures préventives. International Symposium on Safety and Working Conditions on Fishing Vessels. Université de Québec, 1989.
[53] Johnson, J. Outline of actions which can be taken to improve artisanal safety at sea. Report of FAO Mission for the Gambia Fisheries Department, 1995.
[54] Safety Bulletin 3/99 MAIB, November 1999.
[55] Turner, J. A guide for the implementation of safety programmes in fisheries, in International Symposium on Safety and Working Conditions aboard Fishing Vessels, University of Quebec, Rimouski: 397- 403, 1989.
[56] Krisnhnan, O.G. Web-based information: Safely in the net. In Samudra 23: 34. 1999.
[57] Fitzpatrick, J.et Smith, A. The Training of Fishermen: a Small island Approach. Second International Symposium on Safety and Working Conditions abord Fishing vessels. Bamio, Spain. 15-17 Sept 1992.
[58] Johnson, J. Intermediate technology MCS and appropriate technology for artisanal sea safety: a solution in common. Draft version. February 2000.
[59] Johnson, J. Outline of actions which can be taken to improve artisanal safety at sea. FAO report to the Gambia Fisheries Department. 1995.
[60] The Norwegian Society for Sea Rescue http://www.nssr.no/Engelsk.htm
[61] FAO Report on an Expert Consultation for Fisheries Management. Rome, FAO, 1981.
Suivi - activité permanente des caractéristiques de l'effort de pêche et des rendements
Contrôle - dispositions réglementaires applicables à l'exploitation des ressources
Surveillance - degré et types d'observations nécessaires pour veiller au respect des dispositions réglementaires imposées aux activités de pêche.
[62] Chaque partie s’assurera que le marquage de tous les navires de pêche permet de les identifier facilement conformément aux normes généralement acceptées, telles que les Spécifications du marquage et de l’identification des bateaux de pêche, FAO, 1989.
[63] Directives techniques de la FAO pour une pêche responsable N°4, Aménagement des pêcheries. Rome, 1997.

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