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II. Éléments déterminant le niveau de contrôle

Ces dernières années, le risque posé par les mouvements transfrontières de ravageurs et de maladies s'est aggravé, tandis que la capacité de contenir de tels mouvements a diminué, notamment parce qu'il faut de plus en plus tenir compte de considérations internationales et de la capacité du secteur privé lorsqu'il s'agit de concevoir et d'établir des services de protection efficaces. Même si l'implication d'un plus grand nombre de parties prenantes peut se traduire parfois par des décisions plus efficaces et plus rationnelles, cela ralentit le processus d'application de ces décisions. En dépit de ces tendances, les décisions concernant les mesures de protection à prendre contre les ravageurs et les maladies continuent de répondre à des considérations essentiellement nationales, et la responsabilité à cet égard incombe principalement à des organismes nationaux.

Les éléments nationaux et internationaux ci-après affectent à des degrés divers les efforts déployés par les pays pour combattre les ravageurs et maladies transfrontières:

Quelques pays sont plus vulnérables que d'autres aux invasions de ravageurs et de maladies transfrontières. La coopération internationale est un moyen de réduire les disparités qui caractérisent les capacités de contrôle appliquées ou les ressources disponibles dans des régions ou des pays voisins. Il importe, pour définir des méthodes internationales de lutte contre les ravageurs et maladies transfrontières, d'identifier les régions vulnérables, les points d'entrée probables et les contraintes existantes.

Les différences qui existent entre les divers pays et régions tiennent à l'impact économique apparent des ravageurs et maladies animales, à la situation politique et l'existence de troubles civils, à la nature du régime de réglementation, y compris pour ce qui est des ressources disponibles à des fins de prévention et d'application de mesures, et aux attitudes et points de vue concernant les risques; et aux conditions biologiques et physiques.

FACTEURS ÉCONOMIQUES

Comme les mesures à prendre pour contenir la propagation des ravageurs et des maladies transfrontières dépendent directement de facteurs nationaux et de la disponibilité de ressources financières, les régions les plus pauvres du monde sont celles qui sont les plus affectées. Il n'existe cependant pas de corrélation directe entre le niveau de revenu d'un pays et la possibilité pour les services zoosanitaires et phytosanitaires d'appliquer des mesures pour protéger l'agriculture des menaces de l'extérieur. Indépendamment des facteurs susmentionnés, les considérations économiques ci-après entravent les efforts faits pour prévenir la propagation des ravageurs et des maladies transfrontières:

CONFLITS POLITIQUES

La dissolution de l'ancienne Union soviétique et la formation de nouveaux blocs commerciaux ont accru le risque d'introduction de ravageurs et de maladies en provenance de pays voisins. Les nouveaux gouvernements qui ont été constitués ont dû créer des institutions nouvelles et promulguer de nouvelles mesures de réglementation sanitaires et phytosanitaires. À la suite de ces réalignements politiques, de nouvelles relations commercialesse sont nouées qui peuvent parfois faciliter la propagation de ravageurs et de maladies transfrontières. Renforcer les moyens sanitaires et phytosanitaires dans ces pays avoisinants peut beaucoup aider les pays qui appliquent de rigoureux régimes de quarantaine à intensifier la protection de leur secteur agricole.

Les troubles civils entraînent un effondrement complet des mécanismes de contrôle phytosanitaire et zoosanitaire ainsi que déplacements massifs de populations. Celles-ci se déplacent souvent avec tout ce qui leur appartient, y compris leur bétail - et leurs maladies avec. C'est ainsi que la peste bovine a été introduite en Turquie, à la fin des années 80 pendant le conflit Iran-Iraq par les populations ayant cherché refuge dans l'est du pays.

Faute d'inspections et de contrôles frontaliers, et du fait des mouvements de personnel militaire et de réfugiés, les régions où sévissent des troubles civils ou des conflits sont exposées à l'entrée de ravageurs et de maladies. L'aide alimentaire de l'extérieur a été accusée d'avoir introduit des organismes nuisibles dans plusieurs pays d'Afrique. Tel a été le cas pour la grande pyrale des céréales, introduite involontairement en République-Unie de Tanzanie en 1979 (voir carte 9). La propagation de la crysomèle des racines du maïs (Diabrotica virgifera) en Europe, après son introduction en Yougoslavie due aux mouvements de troupes militaires, est bien connue.

RÉGIMES DE RÉGLEMENTATION

Les systèmes de réglementation mis en place pour contenir les ravageurs et maladies transfrontières sont fortement tributaires des actions à la fois des pouvoirs publics et des secteurs privés. En outre, l'efficacité de tels systèmes est dictée par le niveau des ressources que les pouvoirs publics peuvent dégager, et par les capacités techniques existant au sein du pays concerné. Le secteur privé est également investi d'une lourde responsabilité en matière de surveillance, d'inspection et de déclaration. Différents pays tolèrent les risques d'introduction de ravageurs et de maladies transfrontières à des degrés divers. Il se peut que les systèmes de réglementation soient impuissants ou insuffisants pour pouvoir relever les défis nouveaux que présente la lutte contre les ravageurs et les maladies transfrontières, soit en raison de défaillances systémiques, soit parce que les mesures de précaution sont tournées. Par exemple, sept des 11 foyers primaires de fièvre aphteuse apparus en Europe entre 1991 et 1996 ont sans doute été causés par l'importation illégale de bétail ou de produits dérivés.

FACTEURS BIOLOGIQUES ET ÉCOLOGIQUES

Les mouvements de plantes, d'insectes et de pathogènes en Europe ou dans les Amériques ont eu un impact aussi bien bénéfique que néfaste considérable. Toutefois, ces mouvements ont été moins importants que l'arrivée d'espèces provenant de l'autre côté de l'Atlantique ou du Pacifique. La principale menace causée par les mouvements transfrontières de ravageurs des plantes provient des mouvements intercontinentaux entre les quatre grandes masses terrestres (les Amériques, l'Europe/l'Afrique, l'Asie et l'Australasie) en raison de la séparation écologique de ces régions bien distinctes. De plus, le commerce de plantes et d'animaux s'est développé entre toutes ces régions.

La carte 10 illustre les différentes zones écologiques du monde qui constituent une barrière aux mouvements de ravageurs. Souvent, les problèmes les plus graves et les plus inattendus surgissent lorsqu'un organisme franchit des barrières naturelles. Toutefois, les mouvements à l'intérieur d'une même zone peuvent également être importants; tel est le cas, par exemple, du risque que la mouche méditerranéenne des fruits ne s'introduise au Chili en provenance d'autres régions d'Amérique du Sud. Quelle que soit la zone écologique des mouvements, nombre de plantes, d'animaux et de microbes rangés dans la catégorie des ravageurs sont simplement plus envahissants et parviennent à l'emporter sur les autres espèces en raison de leur adaptabilité et de leur élasticité génétique. Ces espèces, ou parfois sous-espèces, peuvent changer de vecteurs ou peuvent avoir déjà une large gamme de vecteurs, ce qui leur permet de survivre et de s'établir dans de nouvelles régions géographiques plus efficacement que les espèces concurrentes. Ce mécanisme biologique est ce qui rend particulièrement nocifs les ravageurs introduits ou exotiques.

JUSTIFICATION ÉCONOMIQUE DE LA LUTTE

La plupart des mesures de précaution tendent à empêcher l'entrée et/ou la propagation d'un ravageur ou d'une maladie pouvant être transporté par l'homme, qui pourrait introduire l'organisme dans un endroit non affecté jusqu'à ce moment-là - par exemple à l'occasion de voyages ou d'échanges - ou par contagion naturelle. Nombreux sont les ravageurs et animaux infectés qui franchissent chaque année les frontières, sans pour autant, le plus souvent, entraîner une réaction des pouvoirs publics, soit parce que l'impact économique prévisible est mineur, soit parce que l'environnement du pays n'est pas favorable, soit parce que les moyens disponibles ne permettent pas de détecter leur introduction, soit encore parce qu'il n'existe aucune mesure connue permettant de s'y attaquer efficacement.

Certains mouvements de ravageurs et de maladies constituent néanmoins une menace certaine pour l'agriculture et/ou la sécurité alimentaire et appellent donc une intervention. La question de savoir quelle doit être la méthode voulue pour cette intervention est une décision à la fois publique et privée qui est dictée par la sévérité du risque et l'impact que peut causer le ravageur ou la maladie dont il s'agit. Deux concepts économiques, celui de bien public et celui d'externalité peuvent aider à comprendre quelles sont les circonstances dans lesquelles le soin de les combattre doit être laissé aux exploitants et celles où il importe pour les pouvoirs publics d'agir.

Un bien public est un bien dont profite un groupe nombreux (voire tout le monde) sans pour autant réduire la quantité de ce bien dont dispose chacun. Les traits distinctifs d'un bien public à l'état pur sont la non-exclusion et la non-rivalité au niveau de la consommation. À la différence d'un bien purement privé - lorsqu'un éleveur vaccine une vache - la recherche sur les vaccins est un bien public qui est souvent fourni par l'État. Le problème que peuvent susciter les biens publics est celui des «profiteurs», c'est-à-dire de ceux qui pensent que le bien sera fourni qu'ils prennent ou non à leur charge une partie de son coût. En outre, les individus ou les pays peuvent être incités à déguiser la demande effective de ce bien, parfois en la sous-estimant ou parfois en l'exagérant, selon le gain escompté ou le coût prévisible.

Il existe une externalité lorsque l'action (ou l'inaction) d'un individu (ou d'une entreprise) impose un coût ou crée un avantage pour un tiers et dont il n'est pas tenu compte par la personne qui agit. Un exemple d'externalité négative pourrait être le suivant: alors qu'une maladie transmissible affecte les troupeaux d'une communauté, un éleveur décide de ne pas participer au programme de lutte contre la maladie. Même si cette non-participation peut être la meilleure stratégie, elle peut créer dans la région un réservoir de maladie qui pourrait toucher les animaux compris dans le programme d'éradication.

Lorsqu'un ravageur ou une maladie n'affecte qu'une région réduite ou un petit nombre d'individus (exploitants ou autres personnes exposés), ou si les conséquences de son introduction ne sont pas graves, une intervention privée de la part des personnes affectées peut constituer une solution économiquement efficace. Cette réaction pourrait se traduire par une action en justice ou par des négociations privées, et dépendra de la situation socioéconomique des parties affectées et de la mesure dans laquelle ces dernières sont disposées à tolérer un risque. Lorsqu'un ravageur ou une maladie n'affecte qu'un pays ou une seule région d'un même pays, les effets d'externalité sont relativement limités. La réaction sera plus généralement une intervention des pouvoirs publics, mais elle pourrait être fondée sur des considérations et des préférences purement internes et pourrait être mise en œuvre assez rapidement. Dans le cas de ravageurs et de maladies transfrontières, toutefois, la menace risque d'affecter de vastes régions et des populations nombreuses de sorte que, pour les gérer comme il convient, il faut mettre en œuvre au plan régional ou international une action guidée par les autorités publiques. Cela requiert un système permettant de déterminer quelles sont les mesures de protection qui auront un caractère supranational ou au contraire national et d'appliquer efficacement les décisions qui auront été adoptées au plan international.

La maîtrise des ravageurs et des maladies transfrontières exige la fourniture de biens publics aux échelons mondial ou régional. Le mouvement transfrontières de maladies et de ravageurs impose aux pays d'introduction une externalité négative que le pays d'origine a, dans une certaine mesure, l'obligation de prévenir ou de minimiser. Les mesures prises par un pays pour protéger les autres pays d'une invasion par des ravageurs et des maladies au moyen de mesures de contrôle et grâce à la diffusion d'informations au moment opportun peuvent être considérées comme un bien public. Comme dans le cas de la protection de la santé humaine, un système mondial de protection phytosanitaire et zoosanitaire constitue un bien public mondial dont peuvent profiter tous les pays et toutes les populations sur un pied d'égalité.

Les aspects spécifiques de la maîtrise des ravageurs et des maladies qui relèvent clairement du domaine des biens publics sont la surveillance, la diffusion d'informations et la recherche sur l'amélioration des méthodes de prévention ou de diagnostic. L'élaboration de règles convenues et de protocoles est une autre activité que peuvent efficacement appuyer les institutions publiques, encore que le succès dans ce domaine soit tributaire de la participation d'un nombre de pays aussi élevé que possible.

Le cadre proposé par Jamison, Frenk et Knual6 dans le contexte de la santé humaine s'applique également à la fourniture de biens publics internationaux dans le domaine de la santé végétale et animale. Il en ressort que les services de base devraient être fournis au plan international à tous les pays car ils répondent à la définition des biens publics mondiaux. Ces fonctions concernent l'information, l'élaboration de normes et de règlements, la formulation de politiques et la recherche-développement. D'autres services devraient être fournis aux pays en développement qui ne disposent que de ressources limitées pour les assurer eux-mêmes, compte tenu également des externalités qui seraient en leur absence imposées à d'autres pays. Ces fonctions devront tendre à renforcer la capacité et à améliorer l'efficacité des institutions chargées de la protection phyto- et zoosanitaire. Ce cadre tient compte de l'interdépendance des pays dans la lutte contre les ravageurs et maladies transfrontières ainsi que des disparités caractérisant l'aptitude des différents pays de participer à ce combat.

Quel degré de protection faut-il assurer et par qui?

L'un des défis auxquels sont confrontées les autorités nationales et internationales responsables de la protection pytosanitaire et zoosanitaire est de déterminer quel est le degré de protection le mieux approprié, et qui devrait assurer cette protection.

Il est plus facile de répondre à ces deux questions en théorie que dans la pratique. Les précautions à prendre pour empêcher le mouvement de ravageurs et de maladies transfrontières peuvent être adoptées par des individus, par un ou plusieurs gouvernements, par des organisations internationales ou par tous ces moyens ensemble. Pour être efficaces, les efforts de précaution déployés dans le domaine de la protection phytosanitaire et zoosanitaire par un individu, un gouvernement ou une organisation doivent être proportionnels aux dommages à prévoir en l'absence de protection. L'équité exige que la charge représentée par l'adoption des mesures de protection soit supportée par ceux qui imposent le risque ou qui lui permettent de se propager (dans le cas d'un risque évitable) ou par ceux qui bénéficient de la protection ou, plus souvent, par les uns et les autres.

Dans la pratique, il est difficile d'évaluer les dommages qui peuvent se produire à cause de l'introduction d'un ravageur ou d'une maladie animale transfrontières. Les pays s'inspirent de l'expérience passée tout en se fondant sur une évaluation scientifique de l'organisme pour essayer de déterminer l'étendue des dommages prévisibles. Ce faisant, ils devraient peser les pertes que risquent de causer un foyer de maladie ou l'introduction d'un ravageur, d'une part, et le coût des mesures de précaution à prendre pour les empêcher, de l'autre. Or, la difficulté de mesurer aussi bien la probabilité scientifique que l'importance économique des dommages peut empêcher les autorités de déterminer le degré de protection le plus efficace. En outre, les pertes qu'un ravageur ou une maladie peut effectivement causer aux cultures ou au bétail peuvent être plus que compensées par les pertes de débouchés commerciaux auxquelles est exposé un pays infecté. Aussi est-il difficile de déterminer le degré approprié de protection qu'un pays doit assurer lorsque le volume des échanges exposés est significatif.

Jusqu'à une date toute récente, le critère appliqué pour lutter contre les ravageurs et les maladies transfrontières consistait à choisir la plus rentable parmi plusieurs options possibles ou à fixer un but et essayer de l'atteindre sans égard à son coût. Il a cependant été publié au cours des 10 dernières années de nombreuses études tant des coûts que des avantages de la lutte contre les ravageurs et les maladies - surtout dans les pays développés - dans le but de déterminer l'ampleur de l'intervention qui se justifie dans des circonstances déterminées. Cette analyse des options envisageables a été étendue au plan international conformément aux règles de l'OMC qui obligent à réaliser des études scientifiques pour justifier les obstacles au commerce, notamment en matière de mesures sanitaires et phytosanitaires (voir encadré 10).

Les efforts entrepris aux échelons local, national et international (pesticides, vaccins, systèmes de lutte intégrée contre les ravageurs, etc.) devraient tendre à assurer le niveau «optimal» de protection (si celui-ci est connu), qui est celui où le coût marginal des mesures de précaution est égal à leur avantage marginal7. Une intervention internationale se justifie si les dommages affectent - et par conséquent l'intervention intéresse - plusieurs pays. Ainsi, selon cette approche, il ne serait recommandé d'épandre des pesticides pour combattre le criquet pèlerin que si les avantages procurés par un jour supplémentaire d'épandage (en termes de dommages évités) dépassent le coût - y compris le coût environnemental et les autres coûts cachés - d'effectuer un épandage pour un jour supplémentaire.

Il est beaucoup plus difficile d'établir et d'appliquer une norme aussi clairement définie tant au niveau transfrontières qu'au plan national. Les modèles d'intervention contre les ravageurs et maladies transfrontières ne sont pas aussi uniformes et ne reposent pas sur des recherches aussi approfondies pour éclairer le processus de décision que les interventions nationales connues. Du fait des incertitudes qui entourent les aspects scientifiques de la question, une analyse économique est difficile. De plus, les programmes internationaux font intervenir de multiples gouvernements et organisations qui ne tolèrent pas tous les risques au même degré et qui n'ont pas tous les mêmes moyens ou la même volonté de les réduire.

La question de savoir qui devrait assurer la protection est également plus compliquée dans la pratique qu'en théorie. Par suite, essentiellement, de la mondialisation du commerce agricole, ce sont de plus en plus les intérêts mondiaux des pays qui dictent les mesures qu'ils adoptent pour maîtriser les ravageurs et les maladies, bien que les secteurs agricoles nationaux continuent évidemment d'exercer une influence majeure. Les obligations internationales des pays sont définies dans l'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires de l'OMC (voir encadré 10, p. 272). Les politiques nationales sont déterminées par des considérations économiques et politiques aussi bien internes qu'internationales. Chaque pays est censé adopter des mesures raisonnables grâce à un système de quarantaine ou à d'autres interventions intégrées dans le cas des migrateurs nuisibles, pour empêcher la propagation des maladies et des ravageurs transfrontières. Les pays importateurs sont également censés mettre en place des mesures de sauvegarde pour empêcher la propagation. Toutefois, il n'est pas toujours facile de dire quelles sont les obligations qui incombent à un pays en matière de prévention de la propagation des ravageurs et maladies transfrontières. Les ravageurs et maladies transfrontières ne risquent pas tous d'affecter tous les pays; par conséquent, ces derniers ne seront pas également disposés à participer à un programme de prévention. De plus, même si un pays est exposé à un ravageur ou maladie transfrontières, son gouvernement peut considérer que ses propres mécanismes de contrôle sont suffisants pour prévenir tout dommage sur son territoire et n'est donc pas disposé à participer à une campagne internationale de protection.

Les pays peuvent ne pas s'acquitter de leurs obligations de prévenir la propagation de ravageurs et de maladies transfrontières, et ce pour plusieurs raisons. Par exemple, les connaissances techniques et scientifiques sur leur propagation sont souvent incomplètes et inexactes. Les études économiques et les études d'impact environnemental exigées par la communauté des donateurs ou les partenaires commerciaux coûtent cher. En outre, les pays n'ont pas tous accès aux mêmes technologies ou n'ont pas tous les mêmes capacités institutionnelles d'intervention.

Une troisième complication est liée au problème des «profiteurs» que soulèvent les biens publics. Ce problème se pose car les pays peuvent tous bénéficier des biens publics fournis, de sorte qu'ils peuvent répugner à intervenir de façon unilatérale. En outre, pour des raisons politiques ou humanitaires, ce sont souvent les pays donateurs qui paient la facture des services de protection tendant à aider les autres pays à combattre les ravageurs et les maladies. N'ayant pas les mêmes intérêts, il se peut que des pays donateurs fournissent une protection insuffisante par rapport au degré «optimal» requis, tandis que les pays qui ont besoin de se protéger contre les ravageurs et les maladies transfrontières exagèrent leurs besoins. Les pays affectés peuvent être découragés d'adopter des pratiques visant à améliorer ou à maintenir leurs systèmes de lutte. Telle est par exemple la situation lorsque les migrateurs nuisibles apparaissent dans un pays et se propagent dans d'autres. Pendant la période de 10 ans qui s'est écoulée entre 1987 et 1996, la lutte contre le criquet pèlerin a coûté plus de 500 millions de dollars EU, montant qui a été financé pour une large part par les pays donateurs plutôt que par les pays affectés (FAO, 1998)8. Selon certains observateurs, les conflits d'intérêts entre les pays qui participent aux organisations régionales de lutte contre le criquet pèlerin se sont traduits par un financement insuffisant des opérations de surveillance et de prévention, bien que les besoins de protection soient considérables. On peut mettre au point des solutions conciliant les intérêts en présence, mais celles-ci exigent des mécanismes de financement plus complexes - comme un cofinancement - ou des informations plus précises sur les risques et les coûts réels des invasions de criquet. En définitive, chacun s'accorde à reconnaître que même de bons systèmes ne sont pas infaillibles et que le risque de propagation des ravageurs et des maladies ne peut pas être écarté. La mondialisation ou la régionalisation des systèmes de réglementation et de contrôle a bien des avantages, cependant, si l'on veut réduire les externalités négatives et accroître le nombre de bénéficiaires des biens publics.

Lorsqu'il a été déterminé qu'une intervention internationale se justifie, il faut envisager les différentes stratégies pouvant être mises en œuvre pour combattre les organismes et maladies nuisibles et de quarantaine. Le choix de l'approche dépend des modalités de propagation du risque (cheminements naturels ou anthropiques), de la gravité des dommages prévisibles en cas d'introduction, et de la nature des options envisageables. Les autorités internationales doivent également déterminer si leur rôle doit se borner à fournir des biens publics -surveillance et recherche - ou s'étendre aussi à la préparation et à la coordination de protocoles et de campagnes de protection.

Les objectifs de tout programme de lutte contre les ravageurs ou maladies transfrontières sont d'abord de déterminer le degré «optimal» de leur présence au regard des objectifs du pays considéré, et ensuite de choisir la stratégie la plus rentable pour parvenir à ce degré de contrôle. Par exemple, une politique qui aurait pour objectif d'exclure totalement la présence de ravageurs ou de maladies tend à assurer un degré de contrôle élevé et peut être très onéreux pour un pays. Cette norme peut être atteinte si les conditions ci-après sont réunies9:

Si ces conditions ne sont pas remplies, l'application d'une norme moins élevée est plus efficace. Le degré «optimal» de protection peut varier d'un pays à un autre, selon les résultats de l'analyse.

Lutte contre les migrateurs nuisibles

La lutte contre les migrateurs nuisibles est celle qui soulève les problèmes transfrontières les plus évidents, les populations de ravageurs pouvant, après avoir constitué un foyer localisé, se transformer rapidement en une infestation sérieuse et simultanée dans plusieurs régions et pays voisins. Au début, l'accroissement rapide peut passer inaperçu dans les régions reculées et inhabitées et suivre un cheminement naturel dicté par des facteurs biologiques. Une fois les zones de culture envahies, le temps ne permet généralement pas de monter une intervention pour contenir les dommages.

Les destructions généralisées que peut causer une infestation ou un essaim de migrateurs nuisibles font des mesures de précaution un impératif politique pour de nombreux pays. À cause de la proportion élevée des dommages causés par les migrateurs nuisibles dans les régions pauvres, cela constitue une raison de plus de protéger des ressources alimentaires limitées. Les interventions sont déclenchées dès qu'apparaissent les ravageurs et tendent principalement à les éliminer lorsqu'ils se multiplient. On commence généralement par de vastes épandages de pesticides dans les régions affectées circonscrites. Il importe au plus haut point d'identifier rapidement l'apparition d'essaims dans le pays d'origine pour minimiser les dommages à d'autres pays.

Cela pose un problème classique d'externalité: l'inaction d'un ou de plusieurs pays peut entraîner des dommages énormes pour d'autres. Le pays qui doit prendre à sa charge le coût de l'intervention peut ne pas être exposé aux mêmes risques de dégâts que les pays voisins. La principale décision paie les gouvernements nationaux et les organisations internationales porte sur le moment de l'intervention: faut-il agir dès qu'apparaît un mouvement de grégarisation ou après que les essaims sont arrivés à destination? Les connaissances scientifiques et l'expérience passée ne permettent pas de dire laquelle de ces deux formules est la plus efficace et la plus rentable, mais, selon la décision qui est prise, le coût de l'opération retombe sur des pays différents.

Lutte contre les ravageurs des plantes soumis à des régimes de quarantaine

L'évolution des échanges et des pratiques commerciales enregistrée au cours des 20 dernières années a accru le nombre et la diversité des risques phytosanitaires auxquels sont confrontés les gouvernements nationaux, ce à quoi a aussi contribué la multiplication rapide des voyages d'agrément. À la différence des migrateurs nuisibles, l'introduction de ravageurs soumis à des régimes de quarantaine est souvent due à l'action de l'homme par l'importation de produits ou leur introduction accidentelle ou clandestine dans un pays. La plupart de ces introductions sont indétectables et, même si la plupart d'entre elles sont inoffensives, les efforts d'exclusion ne peuvent aboutir que grâce à une amélioration des méthodes de détection des ravageurs dont le cycle biologique comporte une période latente. Ce problème est chronique pour la lutte contre les virus et autres organismes pathogènes qu'il est difficile de découvrir au moment de l'inspection. La protection phytosanitaire au moyen de mesures de quarantaine est compliquée par la rapidité de l'évolution des courants commerciaux et de la technologie. Étant donné la facilité avec laquelle les espèces envahissantes peuvent se déplacer et la multiplicité de leurs vecteurs, les pays où le secteur agricole occupe une place importante doivent évaluer soigneusement et fréquemment les risques que les ravageurs des plantes peuvent représenter pour la production agricole. Les pays importateurs et exportateurs doivent être particulièrement vigilants dans leurs efforts systématiques de prévention (surveillance, inspection, etc.), mais aussi se doter de moyens technologiques toujours plus perfectionnés pour détecter et éviter les ravageurs. Pour s'acquitter des obligations qui leur incombent en matière sanitaire et phytosanitaire, ils doivent également dégager des ressources suffisantes pour évaluer les risques. Les données disponibles étant limitées, cela peut constituer un lourd fardeau pour les pays en développement.

Lutte contre les maladies animales

Comme dans le cas des ravageurs des plantes soumis à quarantaine, ce sont tant le pays d'origine que le pays d'accueil qui peuvent prévenir la propagation de maladies animales. L'un et l'autre doivent mettre en place des systèmes de quarantaine élaborés et sont exposés au risque de subir des pertes de production, ou même pire si une maladie s'introduit sur leur territoire. Or, les capacités des pays de fournir ces services varient souvent. Les maladies animales se propagent soit par des cheminements naturels, soit à la suite d'une intervention de l'homme. Certaines maladies ne peuvent se transmettre que par le biais d'un insecte vecteur qui ne peut se développer que si les conditions environnementales externes sont favorables et, éventuellement, lorsqu'il peut trouver un support végétal approprié10. Pour des raisons biologiques, par conséquent, ces cheminements des maladies ont une portée géographique limitée, ce qui permet de les identifier plus facilement que les mécanismes d'introduction des ravageurs des plantes.

Dans les pays où l'infrastructure vétérinaire est suffisamment développée, les mouvements d'animaux et de produits dérivés sont réglementés et contrôlés pour empêcher l'entrée puis la propagation d'agents pathogènes exotiques. En outre, dans ces régions, il existe des systèmes de surveillance des maladies dotés de solides moyens de diagnostic en laboratoire qui peuvent détecter rapidement les foyers de maladie, ainsi que des plans d'intervention afin de pouvoir faire face rapidement à une épizootie. De plus, des fonds d'urgence ont été constitués, et les agriculteurs reçoivent habituellement une indemnisation au moins partielle en cas de perte. Dans de nombreux pays, toutefois, des crédits ouverts pour les services vétérinaires sont insuffisants, voire en diminution. Les moyens de diagnostic sont limités et les mouvements d'animaux ne sont pas contrôlés, tandis qu'en règle générale, les éleveurs ne perçoivent aucune indemnisation lorsque la maladie décime leurs animaux.


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