Page précédente Table des matières Page suivante


Considérations pour l’introduction d’une technologie d’agriculture et aquaculture intégrées


Considérations socioculturelles pour l'introduction d'une nouvelle technologie d'agriculture et aquaculture intégrées

Eric Worby

Il est important de savoir quelle est la vision du monde des agriculteurs avant d’introduire de nouvelles options technologiques. Il est nécessaire de découvrir si le nouveau système peut s’intégrer à leurs intérêts, à leurs croyances, à leurs valeurs. Rappelez-vous que les agriculteurs sont eux aussi des «savants». Pendant des siècles, ils ont développé, expérimenté et adapté leurs propres technologies tout en respectant parfaitement leur milieu culturel. Si vous vous efforcez au préalable de percevoir à leur exemple la correspondance entre concept culturel et technologie, il vous sera ensuite plus facile de comprendre quelle nouvelle technologie pourrait les intéresser.

Quelques considérations générales

1. Même la science est culture. Elle consiste en un système de croyances qui rassemble certaines valeurs et objectifs et promeut une vision particulière du monde.

• Les agronomes et les économistes donnent beaucoup d'importance à la précision des mesures et à la possibilité de répéter les résultats obtenus, ainsi qu'à la maximisation de l'efficacité et de la rentabilité.

• Les agriculteurs peuvent être motivés par des objectifs et des valeurs qui diffèrent de ceux des agronomes et des économistes.

• Les agriculteurs peuvent tenir à la sécurité de leur gagne-pain à court et à long terme, tant pour eux-mêmes que pour leurs enfants. Le maintien de l'harmonie au sein de la communauté est plus importante que la maximisation du profit individuel; ou alors il se peut qu'ils préfèrent chercher à acquérir des mérites après la mort en offrant du poisson à un temple plutôt que de le vendre pour de l'argent.

2. Les règles culturelles limitent souvent les droits de certains membres d'une société donnée (par ex. les femmes par opposition aux hommes). Ce sont des facteurs culturels qui d'habitude déterminent qui prend les décisions, qui peut travaille dans les champs, qui peut aller à la ville pour vendre les produits et qui peut se rendre à une station de recherche pour participer à des démonstrations. Ces facteurs peuvent poser des limites à la souplesse des ménages et des communautés lors de l'adoption de nouvelles technologies.

Par exemple:

• Les femmes ne peuvent pas pêcher le poisson, mais ce sont elles qui le vendent.

Des différenciations sexuelles, des croyances religieuses, l'appartenance à une caste ou à un clan, peuvent entraver la répartition des bénéfices dérivant d'innovations culturales.

3. Des aspects culturels peuvent limiter l'interaction entre les vulgarisateurs ou les institutions, et les fermiers.

• Il peut être inacceptable pour des vulgarisateurs de sexe masculin de parler librement avec des femmes. Ou encore, un jeune vulgarisateur peut être embarrassé de donner des instructions à une respectable personne âgée de la communauté.

4. Les aspects culturels changent avec le temps. Souvent, les enfants ont des croyances, des attitudes et des valeurs différentes de celles de leurs parents. Cela peut créer des conflits lorsqu'il s'agit de donner une priorité à l'utilisation des ressources. Par exemple:

• Les enfants peuvent aspirer à des emplois en dehors de l'agriculture ou être moins préoccupés de respecter les tabous religieux.

5. Il faut prendre en considération la communauté et la consommation. Les communautés agricoles sont souvent divisées par des facteurs tels que la religion, la caste, la classe économique et l'appartenance politique. Une technologie donnée peut ne pas être adaptée à l'ensemble de la communauté et peut augmenter les conflits en son sein.

Contraintes à la consommation

Cela n'a aucun sens d'encourager des personnes à élever des poissons si elles-mêmes n'en mangeront pas et qu'elles ne trouveront personne pour l'acheter. Cela vaut pour tout animal d'élevage ou produit végétal qui pourrait faire partie d'une technologie agricole intégrée. Il est donc essentiel de prendre en considération les contraintes culturelles et économiques locales à la consommation avant d'essayer d'introduire une telle nouvelle technologie.

Les contraintes culturelles à la consommation peuvent inclure:

1. Croyances religieuses

Par exemple:

• Les musulmans ne mangent pas de viande de porc; beaucoup d'entre eux ne consomment pas de crustacés, mais cela dépend des habitudes locales et des préférences.

• La plupart des hindous refusent la viande de vache; certaines castes ne mangent ni viande, ni poisson, ni aucun produit animal. Ici aussi, cela varie selon les régions.

• Certains bouddhistes ne tuent ni ne consomment les animaux domestiques (y compris le poisson d'élevage), bien qu'ils mangent le poisson sauvage.

2. Croyances totémiques

• En Afrique surtout, mais aussi parmi les populations tribales d'Asie, de Mélanésie et des Amériques, il est interdit à certains peuples de manger l'animal qui représente leur clan.

3. Croyances relatives aux différenciations sexuelles

• Dans certaines sociétés, les hommes peuvent manger certains aliments qui sont interdits aux femmes, et vice-versa. Souvent, les hommes s'attendent à recevoir en premiers les aliments préférés et plus nourrissants. Ces facteurs peuvent réduire pour les femmes les bénéfices nutritionnels dérivant de la production de poisson ou de bétail. Cependant, les femmes enceintes ou qui allaitent peuvent parfois demander ces aliments.

Liste de contrôle de la consomamtion

Disponible et acceptable pour:

Intrants

Production

Engrais organique

Autres

Poisson

Viande de porc

Viande de vache

Viande de volaille

Œufs/lait

Autres

Femmes









Femmes enceintes/qui allaitent









Enfantes









Hommes









Groupes religieux/totémiques









Marchés locaux









Marchés lointains









4. Croyances relatives à l'hygiène des aliments et à la santé

• Les gens croient parfois que certains aliments ne sont pas hygiéniques ou qu'ils les rendront malades. C'est pour cette raison, par exemple, que beaucoup refusent de manger la viande de poisson d'élevage nourri avec des excréments animaux.

Vous trouverez ci-dessus une liste pour le contrôle de l'alimentation qui peut vous aider à percevoir l'influence que les croyances culturelles pourraient avoir sur l'adoption de la nouvelle technologie que vous voulez introduire. Quelle autre technologie pourrait être plus appropriée du point de vue culturel?

Cette liste vous aidera à décider si la nouvelle technologie pourra produire des biens disponibles et acceptables pour tous les membres des familles des producteurs et pour les acheteurs sur le marché. Toutefois, avant de décider si une technologie donnée est viable ou pas (voir ce volume), vous devrez encore de toute manière évaluer séparément l'ampleur à long terme de la demande et le prix sur le marché du produit agricole en question.

Temps dédié au travail

Dans la plupart des communautés agricoles, les femmes et les hommes exécutent des tâches différentes tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la ferme, ainsi qu'à la maison. Généralement, une nouvelle technologie d'un système cultural intégré exige des changements dans la façon dont les membres de l'exploitation agricole utilisent leur temps. Certains peuvent avoir plus de travail (par ex. nourrir les poissons ou le bétail, réparer les digues, vendre le poisson), et doivent réduire le temps qu'ils dédient à d'autres activités. Mais cela n'est pas toujours le cas. Il arrive que les nouvelles charges peuvent être facilement combinées aux activités existantes (par ex. le creusement d'une tranchée peut apporter de l'engrais à des cultures horticoles sur une digue, ou alors les enfants et les personnes âgées peuvent entreprendre des tâches qui ne demandent pas d'efforts particuliers mais qui sont coûteux du point de vue temps (par ex. nourrir les poissons dans un étang éloigné).

Liste du travail requis


Enfants

Femmes

Hommes

Personnes âgées

Présent

Futur

Présent

Futur

Présent

Futur

Présent

Futur

Travaux des champs










- Champs









- Préparation









- Pesticide et engrais









- Sarclage









- Récolte









Traitement après - récolte










- Céréales









- Bétail









- Poisson









Gestion du bétail










- Alimentation









- Traite, récolte du fumier









- Oeufs









- Entretien des enclos









- Garde des troupeaux









Taches ménagères










- Cuisine/nettoyage









- Construction/entretien









Surveillance des enfants









Construction d'outils/réparation









Vente des produits/achat d'entrants









Travail rémunéré









La liste du travail requis présentée ci-dessus vous aidera à réfléchir sur ces problèmes et sur la possibilité pour le ménage agricole de les résoudre facilement. Rappelez-vous cependant que les ménages diffèrent les uns des autres. Dans certains ménages, il peut y avoir de petits enfants à surveiller. Dans d’autres, une veuve âgée vit toute seule et fait la plupart des travaux elle-même, ses enfants étant partis à la ville en quête de travail. Comment un système intégré pourrait-il aider une telle personne dans une telle situation à augmenter sa production alimentaire et son revenu sans demander plus de travail de sa part? Est-ce qu’il y a des voisins, des parents ou un groupe de femmes avec qui elle peut coopérer et qui peuvent l’aider?

Pour chaque tâche de la liste, faites une croix sous «Présent» si la catégorie du membre de la famille (enfants, femmes, hommes, personnes âgées) apporte du travail substantiel dans le système existant. Ensuite, faites une croix sous «Futur» dans le cas où elle devra y contribuer une fois que le nouveau système intégré aura été adopté.

Distribution des ressources

Prise des décisions au sein du ménage

Avant d'introduire une nouvelle technologie d'intégration agriculture - aquaculture (IAA), il est important de considérer qui prendra les décisions de gestion cruciales pour sa réussite. Par exemple, les personnes âgées peuvent avoir l'autorité finale dans le ménage en ce qui concerne la vente de produits agricoles ou de bétail, mais elles prendront peu de décisions au jour le jour en ce qui concerne le taux d'empoissonnement, la distribution des aliments et la fertilisation.

Ce sont souvent les femmes qui gèrent les finances du ménage et prennent les décisions quotidiennes quant à l'achat et la préparation de la nourriture. Puisqu'en général ce sont les femmes qui doivent assurer une alimentation adéquate pour elles-mêmes et pour les enfants, elles sont souvent plus motivées que les hommes quand il s'agit d'adopter de nouvelles technologies qui peuvent offrir des bénéfices alimentaires, telles que l'élevage piscicole. Les femmes sont en outre souvent enthousiastes d'investir leur temps dans l'amélioration de la productivité d'une ressource dont elles contrôlent tant la gestion que le produit (par exemple, un étang dans le jardin).


Au sein de l'exploitation agricole

Non exploitées

Doivent être détournées

Propriété commune

Distribuées inégalement

Surexploitées

a. Terre (pente correcte du sol, drainage)







b. Source d'eau (fiable, qualité suffisante)







c. Engrais animal







d. Engrais vert







e. Ordures







f. Sous produits dérivant de la transformation de céréales







g. Semis







h. Petits-grands alevins







i. Trappes et filets à poisson







j. Outils pour la transformation d'aliments







k. Main-d'œuvre (connaissances/techniques, nombre, force, disponibilité au bon moment)







Distribution des ressources

Quand on parle ici de «distribution», on entend les moyens par lesquels les ressources nécessaires à la technologie de l'agriculture intégrée sont rendues disponibles aux agriculteurs. Certaines ressources sont disponibles à la ferme et ne coûtent rien (si elles appartiennent au ménage agricole). Néanmoins, il peut toutefois être nécessaire de les détourner d'autres utilisations, ce qui constitue ainsi un coût caché. D'autres ressources devront être empruntées, louées ou achetées.

Avant d'essayer d'appliquer une des technologies présentées dans ce volume, vous devriez essayer de répondre aux questions suivantes avec les agriculteurs avec qui vous travaillez (cela pourrait faire partie de l'exercice sous forme de dessin décrit dans le chapitre dédié au travail avec les nouveaux adeptes de l'agriculture et aquaculture intégrées).

1. Quelles sont les ressources facilement disponibles dans la plupart des exploitations agricoles de la région? (Un nouveau système ne devrait pas dépendre de ressources rares, difficiles à obtenir, ou onéreuses).

2. Quelles ressources sont sous-exploitées/non exploitées? (Un nouveau système devrait se concentrer sur leur intégration).

3. Quelles ressources sont surexploitées/non exploitées d'une manière durable? (Un nouveau système devrait faire tout son possible pour les rendre durables).

4. Quelles ressources sont de propriété commune? (Par propriété commune on entend une propriété qui est exploitée et gérée conjointement par une communauté ou par une partie de celle-ci, par ex. des pâturages, des étangs, l'eau d'irrigation, des produits forestiers. Un nouveau système devrait améliorer les bénéfices que tous les exploitants obtiennent de ces ressources).

5. Quelles ressources sont contrôlées seulement par un petit pourcentage d’agriculteurs ou non-agriculteurs? (Les agriculteurs n’investissent guère volontiers dans un système qui nécessite des ressources qui ne leur appartiennent pas ou qui ne sont pas sous leur contrôle, telles que la terre, qui pourrait être vendue, ou un plan d’eaux utilisé pour l’irrigation, qui pourrait devenir inaccessible un jour ou l’autre).

Gestion des risques: investir dans les relations sociales

Il est nécessaire de se rappeler que la plupart des exploitants agricoles, et ce dans le monde entier, ont peu de marge pour prendre des risques. Parfois, les exploitants agricoles peuvent préférer mettre de côté une somme monétaire pour s'assurer contre les catastrophes (telles que sécheresse, inondation, crise politique, instabilité du marché, devoirs sociaux et légaux) plutôt que d'investir en vue d'obtenir des rendements maximum.

Les fermiers considèrent les liens avec les amis, les voisins et les parents comme une assurance contre les risques, puisqu'ils peuvent compter sur leur aide en cas de catastrophe. C'est pour cela que les fermiers investissent dans les relations sociales - en partageant les ressources (comme l'argent, les outils et la main d'œuvre), en rendant visite, en participant aux célébrations de la communauté et aux cérémonies religieuses, et en échangeant des dons. Si un fermier récolte des poissons ou des volailles avant leur maturité, cela peut être dû au fait qu'il doit remplir des obligations sociales qui ne peuvent être remises. On ne doit pas s'attendre à ce que les exploitants agricoles prennent des décisions selon des modèles préétablis. Au contraire, les modèles de technologie intégrée devraient être suffisamment flexibles pour s'adapter aux différents besoins des agriculteurs et à ce qu'ils considèrent un risque acceptable.

La plupart des ménages agricoles connaissent bien les bénéfices, sous forme de réduction des risques, qui peuvent dériver de l'intégration. Ils pratiquent probablement déjà plusieurs activités en même temps (élevage de bétail, cultures, travail rémunéré, jardinage), afin de se protéger d'un éventuel échec d'une de ces entreprises. L'intégration de l'agriculture à la pisciculture peut augmenter la sécurité du ménage en fournissant de nouvelles sources de revenu, en augmentant la disponibilité financière dans le temps et en mettant en valeur la durabilité à long terme des ressources du ménage et de la communauté. En outre, si l'alimentation est améliorée par l'intégration, les personnes seront moins sujettes aux maladies.

Inégalité entre les ménages

Il est probable que dans chaque communauté les ménages agricoles aient un accès inégal aux ressources ainsi qu'un contrôle inégal sur leur exploitation. Souvent, l'action des agents de vulgarisation se concentre sur les «agriculteurs de premier plan ou progressistes» - ceux qui ont un plus grand accès à des ressources sur l'exploitation même ou qui ont un revenu suffisant pour les acheter ailleurs. Ceci parce qu'il est plus facile de montrer un système complet et complexe sur une seule ferme ou bien parce que ces agriculteurs sont souvent plus instruits et qu'il y a plus de chances qu'ils pensent comme le vulgarisateur. Ces exploitations agricoles sont souvent utilisées pour «démontrer» les profits qui peuvent dériver d'un système intégré. Toutefois, il y a de bonnes raisons pour ne pas se concentrer sur les agriculteurs riches en ressources quand on essaye de vulgariser une technologie.

• En général, les agriculteurs pauvres en ressources seront réticents à adopter une nouvelle technologie qui leur a été montrée dans la ferme d'un agriculteur plus riche (ils penseront «comment pouvons nous le faire sans terre et sans argent?»).

• Souvent, des agriculteurs riches en ressources contrôlent la distribution d'intrants aux agriculteurs pauvres. Le fait d'aider les fermiers riches à se développer peut réduire l'accès aux ressources des agriculteurs pauvres et donc leur rendre encore plus difficile l'adoption d'un nouveau système qui pourrait améliorer leur condition de vie.

• Quand les agriculteurs pauvres en ressources n'ont plus accès aux moyens de subsistance, ils sont contraints à exploiter les parties les plus fragiles de l'écosystème local pour gagner leur vie, ce qui mène souvent à la dégradation de l'environnement. Les nouvelles technologies devraient concentrer tous leurs efforts dans l'élimination de cette fâcheuse situation; elles devraient donner la possibilité aux communautés agricoles de gérer les ressources de l'environnement d'une manière durable en augmentant la sécurité des conditions de vie des membres les plus pauvres de la communauté.

• Rappelez-vous que les fermiers continuent à vivre en communauté après que les conseillers externes sont partis. Pour cela, il est préférable d'utiliser des vulgarisateurs qui ont une profonde connaissance de la communauté qu'ils doivent servir et d'impliquer toute la communauté dans le choix de nouveaux systèmes adaptés à la réalité locale. Si un seul fermier s'enrichit rapidement et visiblement grâce à une nouvelle technologie, les autres pourraient saboter ses investissements ou être envieux et s'isoler de la communauté.

L'intégration peut réduire les inégalités dans une communauté uniquement si les principaux bénéficiaires sont les membres les plus démunis.

• Les agriculteurs pauvres seront moins dépendants des prêts ou des faveurs des agriculteurs riches si on rend plus productives les ressources auxquelles ils ont accès.

• L'implication des agriculteurs pauvres en ressources dans la planification des nouvelles technologies intégrées peut être un moyen de renforcer leur contrôle sur leur propre vie et d'acquérir une plus grande capacité d'organisation et plus de pouvoir dans la communauté.

Autres points à considérer

Grâce à l'adoption de l'agriculture intégrée, les agriculteurs peuvent acquérir une meilleure compréhension de l'utilisation des ressources. Comment cette connaissance approfondie peut-elle amener à d'autres applications au sein des activités économiques de la population? L'aspect saisonnier de la pisciculture est important et influence le choix des moyens de subsistance en général.

La relation entre les vulgarisateurs et les agriculteurs telle qu'elle est décrite ci-dessus n'est malheureusement pas la norme. En réalité, la plupart des pays en développement n'ont jamais vu un agent gouvernemental de vulgarisation. Il serait donc nécessaire de rechercher des méthodes alternatives (et il y en a) pour évaluer et disséminer les informations.

La variété considérable des caractéristiques de chaque famille et de chaque communauté, telle que le fait de vivre individuellement ou dans des ménages communs, le niveau d'instruction et d'éducation, les activités agricoles existantes, les préférences alimentaires, les croyances religieuses et les tabous, rend difficile pour des visiteurs occasionnels, comme les vulgarisateurs, de proposer des technologies appropriées. Après des discussions au sein de la communauté et la présentation d'une gamme d'options sous une forme simple et adéquate, chaque famille peut décider de demander d'autres conseils sur les technologies qu'elle considère appropriées à sa situation spécifique.

Dans toutes les régions, les non-producteurs peuvent bénéficier de l'agriculture intégrée sous forme d'emploi potentiel et d'un plus grand accès à une alimentation moins coûteuse et plus riche en substances nutritives. Là où la pisciculture ne peut être adoptée par le secteur le plus pauvre, celui-ci pourra néanmoins être impliqué et/ou en bénéficier tout de même.

Considérations économiques pour l'introduction d'une technologie d'agriculture et aquaculture intégrées

Mahfuzuddin Ahmed et Mary Ann P. Bimbao

Comment dresser le bilan de votre exploitation agricole

Dressez d'abord une liste des coûts.

Ensuite, préparez une liste des recettes.

A la fin, dressez votre bilan ou budget.

L'importance de l'analyse économique

Comment réaliser votre cash flow mensuel

Dépenses

Recettes

Revenu net

D'autres considérations économiques

Coûts d'opportunité

Par coûts d'opportunité d'une ressource (par exemple le travail, la terre ou l'argent), on entend la valeur de la meilleure utilisation de cette ressource particulière. Cela vaut la peine d'adopter une nouvelle technologie si le revenu produit par l'utilisation des ressources de l'agriculteur est supérieur aux coûts d'opportunité (ou a ce qui aurait pu être gagné par) d'autres activités.

Par exemple, la femme d'un agriculteur passe plus de temps à la ferme à nourrir les poissons avec du son de riz et à nettoyer les digues qu'à la maison à cuisiner pour la famille. De même, les enfants aidant aux tâches de la ferme dédient ainsi moins de temps aux devoirs de l'école.

Risques et marché

Répartition du capital/revenu

La nouvelle technologie nécessitera-t-elle beaucoup de travail de la part des membres de la famille? Qui satisfera cette demande de travail? Quels sont les coûts d'opportunité des heures supplémentaires de travail sous forme de temps libre, études des enfants, travaux de ménage de la part des femmes, etc. ?

Autres points à considérer

Outre à l'orientation «économique» de l'exemple ici présenté, il existe d'autres bénéfices qui peuvent être utilisés ou obtenus grâce à l'adoption de la pisciculture. Pour les agriculteurs, les ressources économisées grâce à l'intégration du poisson au bétail, c’est-à-dire l'économie d'aliments, de main d'œuvre, etc. ou les bénéfices apportés au bétail ou aux récoltes par l'introduction du poisson, sont de première importance. Cela peut signifier par exemple que le coût total de l'étang est réparti sous forme de réserve d'eau utilisable pour l'irrigation des végétaux et l'abreuvement du bétail.

Sur le plan des choix que les ménages à petite échelle ont entre les différents moyens de subsistance, comment peuvent-ils décider quelles sont les alternatives qui vont augmenter le revenu et l'alimentation de la famille avec le moins d'investissement possible, le moins d'intrants à acheter et le moins de risques? Les systèmes culturaux proposés doivent prendre en considération ces problèmes fondamentaux.

Travailler avec des débutants en agriculture et aquaculture intégrées

Reg Noble et Clive Lightfoot

Pour développer des systèmes culturaux intégrés agriculture-aquaculture (IAA) chez de petits agriculteurs, leur participation est indispensable. Ceci est fondamental car ce sont les fermiers eux-mêmes qui en définitive conçoivent et gèrent les systèmes agricoles.

Souvent les petites exploitations agricoles sont un mélange complexe de cultures d’arbres et de bétail, qui varient selon la saison et qui utilisent toute une gamme de ressources et d’écosystèmes cultivés. Il arrive souvent que dans ces situations tellement changeantes et difficiles, les vulgarisateurs travaillant sur le terrain ne sachent ni par où, ni comment commencer.

Une possibilité est d’utiliser une technique très simple d’agriculteur à agriculteur, qui leur permet de dessiner eux-mêmes le modèle de leur exploitation agricole, avec l’aide d’autres agriculteurs et vulgarisateurs. L’importance de cet exercice dérive du fait que les agriculteurs apprennent par la pratique.

L’objectif des dessins est de permettre aux agriculteurs de visualiser leur système agricole dans son ensemble et de mieux percevoir de nouvelles possibilités d’intégrer les activités agricoles. Il peut s’agir de l’intégration de nouvelles activités au système agricole, ou de la création de liens entre des activités déjà existantes.

Si tout va bien, de nouveaux dessins peuvent suivre pour vérifier avec les agriculteurs comment évolue leur système agricole suite à l’adoption de nouvelles intégrations.

Exercices sur le terrain

Le cadre le plus approprié pour cet exercice est le milieu dans lequel vit le fermier, dans sa petite exploitation agricole ou au village. Il est en général préférable de commencer avec des groupes, plutôt qu’avec un seul agriculteur.

Non seulement les groupes permettent à un plus grand nombre de personnes de participer, mais ils offrent en outre une meilleure dynamique qu’une interaction individuelle lorsqu’on essaye de mettre des néophytes au courant de différents types d’intégration agricole.

La composition du groupe est également importante. Les groupes mixtes comprenant femmes, hommes et enfants fonctionnent en général très bien. Toutefois, le médiateur doit s’assurer de ce que ce ne soient pas des intérêts personnels qui dominent l’assemblée. Dans ce cas, des rencontres successives avec des groupes composés d’un seul sexe peuvent être utiles pour vérifier si les points de vue sont différents. Vous pouvez choisir de travailler avec des groupes d’agriculteurs qui probablement tireront bénéfice de certaines formes d’intégration. Par exemple, des producteurs de riz peuvent constituer un groupe approprié pour examiner l’intégration riz-poisson:

Si plusieurs fermiers dessinent ensemble leur système agricole, le dessin devient un bon instrument d'échanges entre pairs et l'échange d'opinions favorisera parmi eux la naissance de nouvelles idées.

Si on introduit une nouvelle activité, elle peut être ajoutée au dessin, celui-ci devenant ainsi le moyen pour en discuter les effets possibles sur le fonctionnement de l'exploitation agricole. Grâce aux dessins d'exploitations agricoles individuelles, les vulgarisateurs peuvent percevoir comment l'intégration varie d'une ferme à l'autre.

Si les agriculteurs incluent dans leur dessin le village entier, on peut alors également identifier les ressources communes qui pourraient avoir une liaison avec les activités agricoles, telles que l'aquaculture, le bétail, etc..

Résumé

Il faut faire très attention, lorsqu'on introduit dans un système agricole traditionnel de nouvelles activités telles que la sylviculture et l'aquaculture, à ne pas perturber la sécurité alimentaire et les revenus.

Avec des dessins de l’exploitation agricole, les agriculteurs peuvent mieux comprendre comment insérer une nouvelle activité et comment augmenter la production des entreprises existantes avec le moins de perturbation possible. En visualisant l’ensemble de leur ferme dans le dessin, les agriculteurs peuvent en outre élaborer eux-mêmes de nouvelles intégrations et de nouveaux systèmes de gestion.

Des diagrammes de la ferme peuvent aussi fournir des informations quant à la répartition du travail selon le sexe. Dans le diagramme ci-dessus, des symboles simples indiquent si ce sont les hommes ou les femmes ou bien les deux qui déplacent les ressources.

Principes généraux pour travailler avec des agriculteurs

Autres points à considérer

L'expérience a démontré que les méthodes décrites ci-dessus sont utiles pour qu'un «étranger» comprenne, dans de nouvelles situations, le système de tous les fermiers et non seulement celui des néophytes. Cette méthode a en outre permis aux fermiers d'apprendre comment ils peuvent améliorer d'avantage un système piscicole existant qu'ils ont géré pendant un certain temps.

D'autre part, cette méthode prend beaucoup de temps si elle est appliquée sur une plus grande échelle, par ex. dans la vulgarisation. A cet égard, pour des activités de vulgarisation à grande échelle, existe la possibilité de travailler avec les médias et les organisations de masse.

Les spécialistes de la pêche et les non-spécialistes peuvent avoir des rôles différents dans ce processus. La présence d'une équipe pluridisciplinaire s'est révélée utile dans cet exercice.

Les vulgarisateurs devraient être préparés à affronter les problèmes de communication avec les fermiers, et à les résoudre. La traduction devrait être prise en considération, non seulement pour les étrangers, mais aussi pour les ressortissants qui ne parlent pas la langue locale.

S'il est impossible de réunir toute la communauté à cause du sexe, de la caste, de la classe sociale et de l'ethnie, il faut trouver des alternatives. L'observation que souvent " les groupes mixtes incluant hommes, femmes et enfants " fonctionnent bien n'est pas toujours applicable.

L'application de cette méthode aux étangs piscicoles communautaires ou aux piscicultures collectives doit être évaluée et comparée avec d'autres méthodes.

Intégration agriculture-aquaculture et environnement

Roger Pullin

Considérations générales

La production alimentaire a toujours des conséquences sur l’environnement: l’occupation et la fragmentation d’habitats auparavant naturels, une diminution de l’abondance et de la variété de la faune et de la flore et, pour finir, des changements dans la qualité du sol, de l’eau et du paysage. La plupart des systèmes intégrés agriculture-aquaculture (IAA) utilisent peu d’intrants et sont du type semi-intensif. Cela signifie moins de dépendance d’intrants sous forme d’aliments et d’engrais, une densité inférieure d’organismes cultivés et donc moins de risques de pollution et de maladies par rapport à des systèmes d’élevage intensifs. Cet aspect est très important car ce sont les déchets de la grande quantité d’aliments nécessaires aux systèmes intensifs qui polluent l’environnement. Les systèmes semi-intensifs en synergie avec l’agriculture (culture intégrée de produits agricoles-bétail-poisson) profitent des aliments aquatiques naturels disponibles sur place, riches en vitamines et en protéines, évitant ainsi le besoin d’ingrédients alimentaires coûteux.

Des étangs d’eau douce semi-intensifs ont peu de répercussions sur l’environnement, si ce n’est le fait qu’ils occupent un habitat auparavant naturel. Dans les tropiques, où la transformation des déchets organiques a lieu très rapidement, leur évacuation et la boue excavée augmentent en général la fertilité des eaux et des terres adjacentes et évitent le sur-enrichissement.

Une attention particulière est toutefois nécessaire là où la construction d’étangs et de digues atteint des sous-sols acides riches en sulfates et là où des changements de la nappe phréatique peuvent amener en surface des sels souterrains. Des infiltrations d’eau salée à partir d’étangs côtiers peuvent également empoisonner des sols et des nappes aquifères d’eau douce. L’utilisation de produits chimiques dans l’aquaculture semi-intensive est en général limitée, mais les agriculteurs devraient toujours être très attentifs et suivre strictement les instructions lorsqu’ils utilisent des antibiotiques, des hormones et d’autres médicaments. Demandez le conseil professionnel d’un vétérinaire ou d’un spécialiste en pisciculture et soyez conscient que beaucoup de ces produits persistent dans l’environnement.

Choix des espèces de poissons

Le milieu aquatique est partagé par de nombreux utilisateurs et maintient en vie différentes espèces de flore et de faune. Au fur et à mesure que les aquaculteurs développent de meilleures espèces domestiques, la demande internationale pour celles-ci augmentera. Cela résultera en de plus nombreux transferts d’espèces exotiques, comme cela est déjà arrivé pour les cultures et l’élevage du bétail, avec d’immenses bénéfices. Toutefois, les animaux aquatiques d’élevage s’échappent souvent et forment une population sauvage qui peut: (1) remplacer ou se croiser avec les espèces sauvages, menaçant ainsi les ressources génétiques naturelles; (2) perturber les habitats naturels en provoquant la prolifération ou l’éclaircissement de la végétation, ou en augmentant la turbidité (alimentation benthique); et (3) par mégarde, introduire des organismes aquatiques pathogènes, des prédateurs et des organismes nuisibles.

Les organisations de développement et les agriculteurs doivent évaluer les avantages apportés par des espèces exotiques et les conséquences possibles de leur introduction sur l’environnement. Il arrive souvent que des programmes pour le développement et des agriculteurs expérimentent des espèces exotiques sans avoir au préalable évalué en profondeur les conséquences possibles. De telles expériences irresponsables peuvent avoir des conséquences de vaste portée, provoquant des pertes ou des dégâts à des habitats et à des ressources génétiques de grande importance. Ces dégâts peuvent être irréparables. Afin de les éviter, des codes de pratique ont été mis au point récemment mais, par rapport à l’agriculture, le développement de l’aquaculture est en retard dans la reconnaissance des risques liés aux transferts et dans l’application de ces garanties au niveau international.

Les seules directives générales données ici sont les suivantes: (1) utilisez des espèces locales et des races exploitées par des programmes locaux ou nationaux chaque fois que cela est possible; (2) s’il faut prendre en considération l’utilisation d’autres espèces, demandez l’avis d’un spécialiste afin d’évaluer les conséquences possibles et de respecter les lois et les Codes de pratique qui ont été développés dans l’intérêt de tous les agriculteurs présents et futurs.

Santé publique

En général, IAA ne comporte pas plus de risques particuliers pour la santé que l'agriculture, mais des étangs d'eau douce peuvent engendrer la propagation de maladies d'origine aquatique. Ils peuvent abriter les hôtes intermédiaires de parasites comme la bilharziose et ils peuvent constituer des milieux de reproduction pour les moustiques. Ces problèmes peuvent être réduits au minimum par un bon contrôle des plantes aquatiques et un empoissonnement adéquat. En fait, beaucoup d'espèces de poisson mangent et tiennent sous contrôle les larves de moustique mais, en général, le contrôle des mollusques par les poissons n'est pas possible.

Dans les zones infectées, les ouvriers piscicoles qui entrent dans l'étang risquent de contracter la bilharziose et d'autres maladies microbiennes d'origine aquatique (virales, bactériennes, fongiques et leptospirose).

Le côté positif est que beaucoup d'organismes pathogènes et de parasites qui contaminent le poisson élevé dans des étangs fertilisés avec des excréments animaux sont éliminés si l'étang est bien fertilisé, comme c'est le cas dans les étangs d'oxydation des eaux usées. Les problèmes liés à l'accumulation de pesticides dans le poisson élevé en rizières sont en diminution grâce à une majeure utilisation de programmes de gestion intégrée de lutte contre les ravageurs, qui utilisent des substances naturelles et des prédateurs.

Les risques d'accumulation de métaux lourds provenant des aliments pour le bétail dans les sédiments des étangs fertilisés avec du fumier et dans les poissons, sont faibles et concernent plutôt les systèmes intensifs. Cela vaut probablement aussi pour les vecteurs d'aflatoxines (poisons qui se développent à partir de moisissures dans des aliments mal conservés), mais ce phénomène n'a pas été beaucoup étudié.

Les présumés risques pour la santé des ouvriers agricoles et des consommateurs dérivant de la culture de poissons en eaux usées rendent cette pratique controversée. Toutefois, ces risques peuvent apparaître insignifiants comparés aux bénéfices nutritionnels obtenus, à condition que la manutention du poisson après la récolte soit hygiénique (faisant attention surtout à ne pas rompre les intestins et à ce que leur contenu n'entre pas en contact avec la chair du poisson), et que ces produits soient bien cuits.

Il n'existe pas de directives générales pour minimiser ces risques, si ce n'est le fait qu'il est important de connaître quelles sont les maladies d'origine aquatique présentes dans la région, et d'évaluer si la création et la gestion d'étangs peuvent augmenter considérablement le risque de contracter la maladie pour les ouvriers agricoles, les manutentionnaires et les consommateurs.

Consultez des spécialistes en santé publique.

Autres points à considérer

L'intégration d'activités agricoles par le recyclage est une pratique ancienne dans de nombreuses sociétés d'Asie, où celles-ci se sont développées au-delà des cultures sur brûlis. D'autre part, l'intégration de l'aquaculture dans ces exploitations agricoles traditionnelles n'était et n'est toujours pas beaucoup pratiquée, contrairement à ce qu'on croit communément. Elle est originaire de Chine et elle fut transférée dans de nombreuses régions d'Asie par les émigrants chinois. Elle n'est souvent restée une pratique commune qu'au sein de ces groupes.

Les étangs se caractérisent par leur utilisation multiple et les bénéfices qu'ils apportent à d'autres activités de la ferme, en particulier à la production de légumes et au bétail. Dans ce cas, l'impact des étangs semi-intensifs sur l'environnement peut être positif grâce à la conservation des habitats environnants et des espèces. La conversion des terres basses en étangs pérennes peut profiter aux habitats et aux organismes naturels environnants en augmentant la disponibilité en eau.

La lutte contre les mollusques peut être un des bénéfices apportés par l'intégration intime de la pisciculture à l'intérieur du système agricole. Des canards fourrageant dans les rizières et dans les étangs peuvent tenir sous contrôle les mollusques et autres organismes nuisibles. Si cela est fait correctement, des poissons-chats et des carpes communes empoissonnés dans des étangs et des rizières peuvent réduire les dommages provoqués par le mollusque «golden apple» au-dessous du seuil préjudiciable du point de vue économique.

D'un autre point de vue, il faut évaluer l'impact de l'environnement sur le potentiel et la pratique de IAA. Par exemple, le potentiel de IAA peut être élevé en zones périurbaines, mais la forte pollution provoquée par les industries et les ménages, la concurrence croissante pour l'eau et la terre à des prix de plus en plus élevés et le fort taux d'expansion


Page précédente Début de page Page suivante