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II. Tirer parti du piégeage du carbone moyennant un changement d'affectation des terres: une issue au problème de la pauvreté rurale?

INTRODUCTION

Le principe sous-jacent des accords issus de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED), tenue à Rio de Janeiro en 1992, était la nécessité de s'attaquer conjointement aux questions de développement et aux préoccupations environnementales en traitant les problèmes pressants de la dégradation de l'environnement auxquels le monde est confronté.

Le principe clé issu de la CNUED en 1992 était la nécessité de s'attaquer conjointement aux questions de développement et aux préoccupations environnementales.

Les accords conclus à Rio ont permis de mettre en place un nouveau système international de gouvernance de l'environnement par le biais d'une série d'accords multilatéraux concernant la protection de l'environnement (AME), notamment la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la Convention sur la diversité biologique (CDB) et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification, en particulier en Afrique. Au titre de ces conventions et d'autres AME, une série de mécanismes, visant à promouvoir la production de biens et de services environnementaux en même temps que le développement économique, ont été proposés et dans certains cas mis en œuvre.

Cette section examine les répercussions potentielles, en termes de réduction de la pauvreté, de l'un des principaux mécanismes proposés dans le cadre de la Convention-cadre sur les changements climatiques: l'introduction d'un marché des crédits d'émissions de carbone. Un groupe important de participants potentiels à un tel marché est celui des utilisateurs des terres, notamment des agriculteurs et des habitants des forêts, qui en modifiant leur mode d'utilisation des terres, peuvent produire des crédits pour réduction d'émissions. Les leçons tirées de l'analyse des effets potentiels de ce mécanisme en termes de réduction de la pauvreté et de sécurité alimentaire au niveau des groupes d'utilisateurs des terres peuvent également permettre de mieux comprendre l'impact possible des mécanismes proposés au titre d'autres AME et qui comporteront un changement d'affectation des terres.

Les changements climatiques ont prêté à controverse, mais leur origine anthropique est aujourd'hui de plus en plus largement reconnue.

CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET UTILISATION DES TERRES: CAUSES ET EFFETS

Les changements climatiques et les éléments du problème

La controverse au sujet du changement climatique, son ampleur et ses répercussions potentielles, a été considérable, les optimistes considérant le réchauffement de la planète comme une hypothèse non confirmée exagérée par les alarmistes18, et d'autres soutenant au contraire que ces changements interviennent à un rythme soutenu et croissant et qu'ils auront sans doute des effets remarquables19. La polémique dans ce domaine tient essentiellement à la difficulté de distinguer les changements provoqués par l'homme de ceux qui relèvent d'une évolution naturelle, étant entendu que le changement climatique s'inscrit dans une tendance historique, comme le prouvent les périodes glaciaires du passé. Toutefois, les effets des changements climatiques se sont manifestés ces derniers temps avec une fréquence et un degré de gravité accrus. La communauté scientifique s'accorde aujourd'hui pour reconnaître que les changements observés depuis quelques décennies sont presque certainement en grande partie le résultat d'activités humaines et des émissions atmosphériques de gaz à effet de serre qui en résultent20. Le dioxyde de carbone est le premier de ces gaz, responsable pour environ 50 pour cent de l'effet de réchauffement de l'ensemble des gaz ayant une incidence sur le climat21, mais d'autres gaz comme le méthane et l'oxyde nitreux contribuent eux aussi dans une large mesure à capturer la chaleur, accentuant ainsi le réchauffement mondial.

Dans son troisième rapport d'évaluation, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) affirme qu'au cours du XXe siècle, la température moyenne de la planète a augmenté de 0,2 oC à 0,6 oC22. Par ailleurs, le niveau des océans s'est élevé de quelque 15 à 20 cm dans le monde entier, tandis que les précipitations ont enregistré un accroissement moyen d'environ 10 pour cent. Toutefois, si l'intensification des précipitations est sensible dans les régions situées aux latitudes supérieures, la pluviosité a en revanche diminué dans bien des régions tropicales. D'autre part, les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère ont augmenté d'environ 30 pour cent au cours des deux siècles derniers.

Si rien n'est fait pour réduire ces émissions, on prévoit d'ici à 2100 un réchauffement de la planète de l'ordre de 1,4 à 5,8 oC par rapport aux niveaux enregistrés en 1990, tandis que le niveau des océans devrait s'élever de 9 à 88 cm. L'ampleur des changements prévus, compte tenu des émissions d'ozone et d'aérosol basées sur les estimations relatives à la croissance de la population, aux puits d'énergie, à l'utilisation des terres et aux avancées technologiques, a sensiblement augmenté depuis le deuxième rapport d'évaluation du GIEC daté de 1996. A l'époque, on prévoyait une augmentation du réchauffement de la planète d'environ 2 oC, avec une zone d'incertitude entre 1 oC et 3,5 oC23. Sans une diminution des émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement de la planète se poursuivra.

Un nouveau rapport de l'Académie des sciences des États-Unis énonce que le réchauffement dû à l'effet de serre et autres altérations du système climatique causées par l'homme pourraient faire augmenter la possibilité d'événements climatiques importants et soudains, à l'échelle régionale ou mondiale, dont les effets sont très difficiles à estimer mais qui seront certainement irréversibles24.

L'agriculture et la foresterie contribuent aux changements climatiques et en subissent l'influence.

Le secteur de l'agriculture25 joue un rôle de premier plan dans les changements climatiques - s'agissant à la fois de l'une des sources du problème et d'un destinataire de ses répercussions. Même sur la base des prévisions les plus modérées indiquant une hausse de 1,4 oC de la température, les conséquences prévisibles au niveau de l'infrastructure physique et socioéconomique, et pour l'agriculture, seront graves, avec notamment:

Les effets des changements climatiques se feront probablement sentir principalement dans les pays en développement en raison de leur position géographique et de leur dépendance accrue vis-à-vis du secteur agricole, particulièrement sensible aux conditions climatiques.

Les concentrations croissantes de gaz à effet de serre sont liées principalement à la combustion de combustibles fossiles et à la production de ciment, activités concentrées en grande partie dans les pays industrialisés. On estime en effet que ces pays sont responsables d'environ 70 pour cent de toutes les émissions de gaz à effet de serre produites par l'homme.

Les émissions agricoles sont, elles aussi, importantes, représentant selon les estimations de 12 à 40 pour cent des émissions dues aux activités anthropiques26. Selon les estimations du GIEC, l'agriculture et les pratiques forestières produisent environ 50 pour cent du méthane total, 70 pour cent de l'oxyde d'azote et 20 pour cent du dioxyde de carbone27.

La plus grande partie du carbone mondial est stockée dans les sols et dans les forêts, mais des quantités importantes ont été rejetées dans l'atmosphère par effet de l'activité agricole et forestière.

Le piégeage du carbone à travers l'utilisation des terres pour atténuer les changements climatiques

Les scientifiques estiment qu'environ 80 pour cent des réserves mondiales de carbone sont stockées dans le sol ou dans les forêts et que des quantités considérables de carbone contenues à l'origine dans les sols et les forêts ont été libérées par effet des activités agricoles et forestières et du déboisement28. A travers la photosynthèse, les pratiques agricoles et forestières capturent et fixent le carbone dans le sol, les plantes et les arbres, réduisant ainsi les émissions atmosphériques de gaz à effet de serre. De ce fait, des changements dans les modes d'utilisation et d'aménagement des terres pourraient permettre le piégeage ou la refixation de quantités importantes de carbone dans le sol et dans les arbres29.

Limiter le déboisement, créer des stocks forestiers plus importants en étendant les plantations, adopter des techniques agroforestières, freiner la dégradation des sols et remettre en état les forêts dégradées, sont quelques exemples de mesures susceptibles de fixer le carbone et de contrecarrer ainsi l'impact des émissions produites ailleurs30.

Cette tendance peut être renversée en augmentant les stocks forestiers et en adoptant des pratiques agricoles qui favorisent la fixation du carbone dans le sol.

D'après Dixon et al., le potentiel économique mondial du piégeage de carbone à la suite d'un changement dans l'affectation des terres se situe entre 0,5 et 2 gigatonnes de carbone par an (GtC) pour les 50 prochaines années31. Selon Lal et al., le travail de conservation du sol et la gestion des résidus pourraient permettre d'accroître de 49 pour cent la fixation agricole du carbone; de même, on pourra obtenir une augmentation de 25 pour cent en modifiant les pratiques culturales, de 13 pour cent en entreprenant des activités de restauration des sols, de 7 pour cent grâce à un changement d'affectation du territoire et de 6 pour cent avec une meilleure gestion de l'eau32.

D'après une étude conduite par Tipper et al., l'implantation de forêts sur des terres consacrées jusque-là au pâturage pourrait permettre d'augmenter le stockage de carbone dans la végétation à raison d'environ 120 tonnes de carbone par hectare, tandis que l'adoption de techniques agroforestières, comme la culture intercalaire d'arbres de haute futaie et d'arbres fruitiers avec des cultures annuelles (par exemple, de maïs) ou pérennes (comme le café), pourrait y contribuer pour environ 70 tonnes de carbone par hectare33. Enfin, la protection des forêts denses menacées peut prévenir des émissions de carbone allant jusqu'à 300 tonnes de carbone/ha et, en cas de forêts dégradées, une gestion et une restauration judicieuses pourront accroître le stockage de carbone à raison de quelque 120 tonnes de carbone/ha.

Le Mécanisme de développement propre et les programmes de paiement du carbone pour favoriser le changement d'affectation des terres

Le Protocole de Kyoto fixe l'objectif de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 5,2 pour cent par rapport au niveau de 1990 d'ici à 200834.

Le Protocole de Kyoto appelle à la fois à une réduction des émissions de gaz à effet de serre et à une absorption accrue dans les forêts et les sols.

Il reconnaît que les émissions nettes peuvent être abaissées, soit en réduisant le taux d'émission de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, soit en augmentant le rythme auquel ces gaz sont retirés de l'atmosphère grâce à leur absorption par les puits, ces deux moyens étant considérés comme complémentaires. Le captage accru de carbone est donc reconnu comme un moyen grâce auquel les pays peuvent compenser leurs émissions, par le biais de divers mécanismes. Le plus intéressant, aux fins de la réduction de la pauvreté, est le Mécanisme pour un développement propre (MDP).

Exemple d'agroforesterie: la culture du millet sous Acacia albida au Mali
Les activités agroforestières contribuent à la fixation du carbone, tout en permettant souvent d'améliorer les revenus agricoles

- FAO/15859/R. FAIDUTTI

Le MDP est un système établi à l'article 12 du Protocole de Kyoto, par lequel les investisseurs des pays de l'Annexe B (pays industrialisés ayant pris des engagements juridiquement contraignants en matière de réduction des émissions) dont les émissions de gaz à effet de serre sont supérieures aux niveaux d'engagement, peuvent obtenir des crédits de carbone des pays en développement qui, en retour réduisent leurs émissions ou renforcent leurs puits de carbone par exemple par des mesures de conservation des forêts ou des investissements dans des technologies propres35. En principe, le MDP favoriserait les investissements des pays industrialisés dans des projets visant à promouvoir le développement durable et le piégeage du carbone dans les pays en développement36. Les coûts de réduction des émissions de carbone sont nettement moins élevés dans les pays en développement que dans les pays industrialisés, ce qui est la base pour l'établissement du marché. Il est prévu que les paiements effectués aux pays en développement en contrepartie des droits d'émission puissent être utilisés pour financer le développement durable, bien que les règles d'un tel mécanisme ne soient pas encore clairement définies.

Aux termes du MDP, les pays en développement peuvent recevoir une compensation pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le piégeage accru du carbone.

L'établissement du MDP a été controversé, tout comme le fait de permettre que la fixation résultant d'un changement d'affectation des terres puisse compenser les émissions de carbone en général. Les principales objections ont été les suivantes:

Les mécanismes du MDP pour la compensation de la fixation du carbone basée sur l'utilisation des terres ne sont pas encore clairement définis mais le reboisement et le boisement donnent actuellement droit à compensation.

Malgré les problèmes inhérents aux activités de piégeage basées sur un changement d'affectation des terres, la recherche de moyens permettant d'atténuer les changements climatiques suscite un intérêt considérable, notamment en raison des faibles coûts en jeu et de la possibilité offerte de renforcer la durabilité des pratiques d'utilisation des terres. En novembre 2001, les Accords de Marrakech ont été signés par 178 pays; ils ont fixé les règles de base du fonctionnement du MDP et confirmé l'admissibilité des activités de reboisement et de boisement, en excluant toutefois la conservation des forêts (déboisement évité) et la séquestration du carbone dans le sol résultant d'activités agricoles, du moins pour la première période d'engagement s'achevant en 2012. Les Accords ont également fixé un plafond à la limite maximale des crédits de réduction des émissions pouvant être obtenus grâce à la fixation du carbone, soit environ 175 mégatonnes en équivalent dioxyde de carbone37.

Les événements récents montrent qu'au final la demande de crédits d'émissions de carbone au titre du MDP pourrait être largement inférieure aux prévisions initiales. Le retrait des Etats-Unis du Protocole de Kyoto a réduit la demande potentielle de 40 à 55 pour cent, selon les estimations. Un autre problème important susceptible de faire fléchir la demande de réductions d'émissions de carbone tient à la mesure dans laquelle la Fédération de Russie accédera au marché en qualité de fournisseur, et à quel moment. Une arrivée pleine et immédiate de ce pays sur le marché pourrait abaisser les prix d'un tiers38. Au vu de ces tendances, le prix des crédits de réductions d'émissions de carbone pourrait tomber à 3,60 dollars EU la tonne.

Des projets de fixation du carbone par un changement d'affectation des terres sont d'ores et déjà mis en œuvre.

De grandes incertitudes continuent de régner en ce qui concerne la forme finale du MDP et la façon dont le piégeage de carbone résultant d'un changement d'affectation des terres sera traité. Les Accords de Marrakech ont mis en place un comité du MDP qui s'occupe actuellement de l'élaboration de directives et de meilleures pratiques. Dans l'attente, l'utilisation des crédits de carbone pour la promotion d'un développement agricole durable suscite un intérêt considérable. Plus de 30 projets de compensation des émissions de carbone par un changement d'affectation des terres ont été élaborés sur la base d'un paiement bilatéral, bien que l'on ignore encore s'ils pourront être pris en compte pour l'obtention de crédits au titre du MDP39. Certains de ces projets s'adressent spécifiquement aux petits exploitants et aux producteurs à faible revenu. Le projet Scolel Té, réalisé au Chiapas (Mexique), en est un exemple. Dans le cadre de ce projet, les crédits de carbone résultant des activités forestières menées par des groupes et des communautés de petits agriculteurs passent par un fonds fiduciaire qui offre également une assistance technique et financière aux participants. Pour ce projet, les coûts de la fixation du carbone sont estimés à 12 dollars EU la tonne de carbone40. D'autres exemples significatifs sont notamment le projet Profafor mis en œuvre en Equateur et le projet TIST en République-Unie de Tanzanie, qui prévoient tous deux la fourniture de crédits d'émissions résultant d'activités de foresterie menées par les petits exploitants.

Divers organismes de développement, ONG et entreprises privées, comme la FAO, le Fonds international de développement agricole (FIDA), le Département du Royaume-Uni pour le développement international (DFID), la Banque mondiale, Winrock International and Ecosecurities Ltd, s'efforcent actuellement d'élaborer des informations utiles ou de formuler des projets pour réaliser le double objectif du développement durable et du captage du carbone. Il ne s'agit pas seulement de produire des bienfaits en termes de piégeage aux fins du MDP, mais aussi de concevoir d'éventuels programmes futurs dont il soit possible de tirer des paiements pour atténuer les effets des changements climatiques. La Banque mondiale propose actuellement la création d'un fonds, le BioCarbon Fund, qui visera à obtenir des réductions d'émissions de carbone efficaces en termes de coûts, tout en produisant des retombées transversales en termes de biodiversité et d'aménagement des terres41.

PAUVRETÉ ET UTILISATION DES TERRES

Les effets d'éventuels changements d'affectation des terres effectués à des fins de captage du carbone sur les utilisateurs pauvres des terres sont incertains. Peu de recherches concrètes ont porté sur l'économie des utilisateurs défavorisés qui prennent effectivement part à ces activités. Ces questions revêtent une grande importance sachant que la plupart des pauvres de la planète sont des ruraux, dont la survie est liée à des activités d'utilisation du sol. Pour comprendre quel pourrait être l'impact des programmes de paiement du carbone sur ces 800 millions de ruraux pauvres, il est nécessaire de considérer les modes d'utilisation des terres associés aux utilisateurs pauvres et leurs répercussions en termes d'émissions de carbone, ainsi que les coûts et les bienfaits privés et sociaux potentiellement liés à l'adoption de pratiques favorisant la réduction des émissions et la séquestration du carbone.

La compensation du piégeage de carbone basé sur l'utilisation des terres au titre du MDP peut elle également contribuer à la réduction de la pauvreté?

La relation entre la pauvreté et la gestion des ressources naturelles a été largement étudiée et longuement débattue. La notion de pauvreté comme cause première de la détérioration des ressources, sous forme de déboisement et de dégradation des forêts et des sols était à la base de bon nombre des accords issus du Sommet de la CNUED en 1992. Toutefois, la recherche et l'expérience acquise ces 10 dernières années dans la mise en œuvre de programmes de ce type ont montré qu'il n'existait pas de corrélation ou de lien de cause à effet, clairs et sans équivoque, entre la pauvreté et la dégradation des ressources.

Aux fins de l'analyse ci-après, les pratiques d'utilisation des terres peuvent être distinguées entre celles qui ont un impact sur les puits de carbone en surface, et notamment sur les forêts, et celles qui influent sur l'absorption du carbone par le sol. Actuellement, au vu des événements récents concernant le MDP, les activités forestières42 ont pris un plus grand relief, même si le piégeage du carbone par le sol est encore considéré comme important. Le cadre institutionnel et les règles pour la gestion mondiale des changements climatiques sont encore en pleine évolution, et le captage du carbone par le sol pourrait donner droit à des crédits au titre du MDP dans les prochaines périodes d'engagement.

En matière de foresterie, le lien entre déboisement et pauvreté n'est pas clair.

La foresterie et les modes d'utilisation des terres influant sur les puits de carbone en surface

D'une étude approfondie du lien entre croissance macroéconomique et déboisement, Wunder conclut que l'issue est ambiguë: dans certains pays, des niveaux de revenu plus élevés correspondent à des taux de déboisement importants, tandis que dans d'autres c'est l'inverse qui est vrai43. Il en déduit que les résultats sont fonction de la force relative de deux effets opposés: la croissance de la dotation en capital, qui permet le déboisement, par opposition à un «effet d'incitation par les prix» en vertu duquel le déboisement est rendu moins intéressant par le fait que des revenus plus élevés peuvent être tirés d'autres activités économiques. La force relative de ces effets dépend de la dotation en ressources du pays et du chemin de croissance suivi.

De la même façon, au niveau microéconomique, les signes de la relation entre le niveau de revenu et le déboisement sont complexes, sans aucune indication claire de causalité. D'un côté, la hausse du niveau de revenu peut renforcer la capacité des producteurs de se livrer à des activités de déboisement, grâce à un meilleur accès au capital. De l'autre côté, un degré de pauvreté élevé entraînera une dévalorisation de la force de travail, favorisant ainsi le défrichage des forêts qui est une opération à forte intensité de main-d'œuvre. Dans bien des cas, la pauvreté sera probablement associée à une dégradation des forêts plutôt qu'au déboisement, car le défrichage partiel ou temporaire des terres forestières s'inscrit plus aisément dans les limites des contraintes des utilisateurs pauvres des terres. Ceux-ci n'ont bien souvent accès aux ressources forestières que dans le prolongement des opérations d'abattage de grande envergure entreprises pour la construction de routes et autres infrastructures de base. Les utilisateurs pauvres des terres peuvent alors entrer en jeu et contribuer au déboisement.

Les modes d'utilisation des terres qui influent sur l'absorption du carbone par le sol

Les émissions de carbone résultent également de pratiques de gestion des terres causant l'épuisement des ressources en sols par effet de l'érosion, ou d'un changement dans la composition chimique et biologique du sol. Les éléments déterminants de l'impact d'un système de culture en termes d'érosion sont la mesure dans laquelle la couverture du sol est préservée, notamment en période de précipitations, et les caractéristiques du sol et sa topographie. Une cause importante d'érosion est la préparation du sol pour la production agricole, notamment par des moyens mécaniques. D'autres pratiques fréquentes favorisant l'érosion sont la production de cultures annuelles sur des terrains en pente ou la durée insuffisante des périodes de jachère dans les systèmes de culture extensive.

Le lien entre la dégradation des terres agricoles et la pauvreté est lui aussi ambigu.

La pauvreté est souvent en relation avec l'adoption de systèmes de culture sur des terrains en pente abrupte ou la pratique de cycles de jachère de courte durée, en raison notamment des contraintes au niveau de l'accès à la terre. Le recours à des moyens mécaniques pour la préparation du sol est toutefois associé négativement à la pauvreté, tout comme le labour par traction animale. La relation entre la pauvreté et les pratiques qui contribuent à la dégradation des sols est donc elle aussi ambiguë: lorsque le capital est une condition nécessaire pour l'adoption de pratiques favorisant la dégradation, les utilisateurs pauvres des terres n'y sont pas associés; en revanche, lorsque le système de culture comporte l'épuisement du patrimoine naturel sous forme de ressources en sol, celui-ci est alors associé à la pauvreté.

Les paiements pour le piégeage du carbone basé sur l'utilisation des terres n'intéresseront pas nécessairement les pauvres, à moins que des efforts spécifiques ne soient faits pour les identifier et les faire entrer en jeu.

Ces conclusions ont diverses implications quant à l'impact potentiel des programmes de paiement du piégeage du carbone en termes de réduction de la pauvreté. Lorsque la fixation du carbone est basée sur l'utilisation des terres, ces paiements n'intéresseront pas nécessairement les utilisateurs pauvres des terres; dans bien des cas, par exemple, les pauvres ne seront ni les plus compétitifs, ni les mieux placés parmi ceux qui sont susceptibles de pourvoir au piégeage du carbone par le biais d'un changement d'affectation des terres. Toutefois, l'inverse est vrai dans certains pays et dans certaines situations, mais il s'agira de les définir plus clairement pour pouvoir élaborer des programmes efficaces qui puissent permettre d'atteindre à la fois les objectifs de séquestration de carbone et de développement. Pour cela, il sera nécessaire de mieux comprendre les facteurs qui détermineront la réponse potentielle des utilisateurs pauvres des terres et qui renforceront leur compétitivité potentielle en tant que pourvoyeurs.

Les pauvres peuvent-ils être des pourvoyeurs compétitifs de services de séquestration du carbone?

LES UTILISATEURS PAUVRES DES TERRES EN TANT QUE FOURNISSEURS DE CRÉDITS DE CARBONE

La capacité potentielle des marchés du carbone de réduire la pauvreté dépend de la mesure dans laquelle les pauvres seront des pourvoyeurs déterminés et compétitifs de crédits. Les coûts de substitution supportés par les utilisateurs des terres sont un facteur déterminant pour identifier les vendeurs sérieux et le prix auquel ils fourniront leurs services. Les coûts de substitution que comporte l'adoption de pratiques permettant d'assurer la séquestration du carbone sont tout simplement les bénéfices auxquels les producteurs devront renoncer pour ce faire. Toutefois, pour calculer ces coûts, il ne s'agit pas seulement de confronter les profits tirés des différents systèmes de culture. D'autres questions, telles que le degré de sécurité alimentaire offert par le système et la durée du travail et la quantité de main-d'œuvre nécessaire, sont également des éléments importants des coûts de substitution pour les producteurs, qui détermineront à leur tour le prix auquel ceux-ci seront prêts à fournir des services de fixation du carbone. De plus, les profits qui pourront être tirés du piégeage seront fonction du degré et de la quantité totale des services de séquestration que les producteurs sont en mesure d'assurer - des facteurs qui dépendent en grande partie des conditions agroécologiques. La section ci-après étudie quel pourrait être l'impact de la pauvreté sur les coûts de substitution et sur la productivité des services de séquestration du carbone, et donc sur la capacité des producteurs pauvres d'intervenir dans les marchés du carbone.

Comment les pauvres prennent-ils leurs décisions en matière de gestion des terres?

Cette évaluation s'appuie avant tout sur un cadre conceptuel des décisions en matière de gestion des terres prises par les utilisateurs, et de leurs implications pour la production de bienfaits privés et publics. Dans ce cadre (qui est présenté de façon schématique à la figure 39), le ménage utilisateur de la terre est considéré comme l'unité décisionnelle de base. Les ménages opèrent dans certaines conditions socioéconomiques et environnementales, qui déterminent leurs décisions finales concernant l'affectation des terres. Il s'agit notamment de facteurs macroéconomiques tels que le degré d'intégration du marché, la présence d'infrastructures et les conditions agroclimatiques. Ces facteurs influeront sur les incitations et les contraintes rencontrées par les utilisateurs au moment de la prise de décisions.

Les ménages disposent en outre d'un certain patrimoine, en terre, main-d'œuvre et capital, qu'ils attribuent aux diverses activités dans leur effort pour assurer leurs moyens d'existence. Une distinction peut être faite parmi ces activités productrices de moyens d'existence entre celles qui sont fondées sur l'utilisation des terres et celles qui ne le sont pas. Les activités qui reposent sur l'utilisation des terres peuvent être destinées à produire des bénéfices en termes de production privée, ou à fournir des services environnementaux moyennant paiement. La façon dont les ménages attribuent leurs ressources aux activités d'utilisation des terres aboutit à des résultats à la fois privés et publics: bénéfices privés sous forme de produits pour leur propre consommation ou de revenu tiré de la commercialisation de certains produits, et bénéfices (ou coûts) publics sous forme de services environnementaux ou, plus précisément, de piégeage (ou d'émissions) de carbone.

A quelles conditions les pauvres seraient-ils prêts à participer à des programmes de fixation du carbone?

Les changements d'affectation des terres destinés à favoriser le piégeage du carbone peuvent être divisés en deux catégories principales, selon leurs effets: 1) les changements d'affectation donnant lieu à une modification de la source de moyens d'existence; et 2) les changements dans la gestion des terres ayant un impact (en les renforçant ou en les réduisant) sur les conditions de vie du moment. Les coûts de substitution supportés par les producteurs, et donc leur volonté de procurer des crédits de carbone, diffèrent selon chaque cas.

Le piégeage du carbone intervient parfois à la suite de changements dans les sources de moyens d'existence, par exemple du passage de l'agriculture à la foresterie.

Changements d'affectation des terres comportant une modification de la source de moyens d'existence

Un bon exemple du premier type de changement d'affectation des terres est le cas où le piégeage intervient à la suite d'un passage de l'agriculture à la foresterie. Renvoyant de nouveau à la figure 39, il s'ensuivrait une réorientation des activités, de la production privée à la fourniture de services environnementaux à partir de l'utilisation des terres. Ce changement pourrait en outre influer sur le temps ou le capital consacrés par les ménages à des activités non liées à l'utilisation du sol. Bien entendu, la mesure dans laquelle un tel changement interviendra pourra varier selon la combinaison de services agricoles et environnementaux adoptée (en fonction également des possibilités extra-agricoles).

Les pauvres peuvent, dans certaines circonstances, fournir des services de piégeage du carbone par des changements dans leurs sources de moyens d'existence, si les programmes de paiement sont correctement conçus.

Il est important de reconnaître que les activités visant à promouvoir des moyens d'existence produisent davantage qu'un simple flux de revenus ou de produits; en effet, elles apportent également une sécurité aux ménages en leur permettant de faire face à des événements imprévus, par exemple à une mauvaise récolte ou à la maladie d'un membre de la famille. Pour bien des ménages ruraux pauvres, la possibilité de satisfaire les besoins alimentaires minimaux de la famille grâce à leur propre production offre un degré de protection contre le risque d'une consommation basée sur le marché. Il s'agit là d'un avantage important pour de nombreux producteurs qui vivent dans des zones caractérisées par une faible intégration au marché ou par un mauvais fonctionnement des marchés. Le paiement de services environnementaux comme source importante de moyens d'existence pourrait donc comporter pour les producteurs pauvres un coût de substitution supérieur à celui que devraient supporter les producteurs pleinement intégrés au marché, non tributaires de leur propre production pour leur consommation. Toutefois, pour les ménages défavorisés, le paiement du piégeage de carbone pourrait représenter un bon moyen de renforcer leur sécurité, selon les délais et le degré d'incertitude que l'opération comporte. Si les paiements sont structurés de manière à apporter des avantages en termes d'assurance, les utilisateurs pauvres des terres pourraient alors être bien plus réceptifs que d'autres à ces paiements.

Les utilisateurs pauvres des terres adoptent également souvent des modes d'utilisation des terres qui leur permettent de conserver une série d'actifs susceptibles d'être réalisés rapidement en cas de crises imprévues. Une forêt sur pied représente une source potentielle de revenu dont il est possible de disposer moyennant l'abattage des arbres en cas de besoin soudain. La participation à un programme de fixation du carbone limite ou interdit l'utilisation de cette source potentielle de revenu et rend donc nécessaires d'autres formes d'assurance pour faire face aux situations de crise. Encore une fois, l'impact de ce facteur sur la disponibilité des pauvres à se procurer des crédits sera étroitement lié à la mesure dans laquelle les paiements apporteront à ces ménages une assurance, en plus d'un revenu.

Si les préoccupations en termes de sécurité peuvent se traduire pour les pauvres par des coûts de substitution plus élevés pour la fourniture de services environnementaux, en revanche les profits amoindris tirés de la production agricole sur des terres converties à un autre usage auront sans doute l'effet contraire. Le flux de revenu provenant d'une agriculture commerciale à forte intensité de capital sera probablement supérieur à celui obtenu de systèmes d'existence à faible apport d'intrants sur des terres forestières converties. Ainsi, le paiement nécessaire pour inciter un utilisateur à se priver d'un tel revenu sera probablement moins élevé pour les producteurs pauvres que pour ceux capables de participer à des systèmes plus commerciaux. De ce fait, les utilisateurs à faible revenu pourraient être des prestataires à moindre coût de services de piégeage si les programmes sont structurés de manière à répondre à leurs besoins de consommation.

Changements d'affectation des terres influant sur les sources de moyens d'existence du moment

Les coûts d'opportunité que l'adoption de pratiques influant sur les sources de moyens d'existence comporte pour l'utilisateur comprendront probablement des changements dans les pratiques agricoles pour favoriser la séquestration du carbone, et dans les pratiques de gestion des forêts pour réduire le déboisement. Dans ce cas, les éléments clés sont la mesure dans laquelle le changement influe sur les avantages privés qu'en tirent les ménages (par exemple, à la figure 39, la longueur de la flèche allant de l'agriculture au résultat) et la période de temps au cours de laquelle ces effets sont susceptibles de se manifester. Les programmes de paiement du piégeage du carbone peuvent produire des bénéfices en permettant aux utilisateurs des terres d'accroître leur productivité par des mesures dont ils étaient jusque là dans l'ignorance ou qu'ils n'avaient pas la capacité d'adopter. En alternative, ces paiements pourraient fournir aux utilisateurs une compensation en cas de baisse de productivité liée à l'adoption de pratiques favorisant le piégeage de carbone.

Dans d'autres cas, le piégeage du carbone ne comporte pas de changement au niveau des moyens d'existence, mais requiert simplement l'adoption de pratiques différentes, par exemple de nouvelles pratiques agricoles ou forestières.

Dans le premier cas, il pourrait s'agir de l'adoption de pratiques de culture sans labour ou à faible labour. Avec le temps, l'aboutissement est souvent une productivité agricole accrue et des revenus nets plus élevés pour les agriculteurs. Dans ce cas, les agriculteurs tirent un double avantage des pratiques de piégeage: ils bénéficient à la fois des paiements reçus pour procéder aux changements et de l'amélioration des conditions du milieu dans lequel ils opèrent - celle-ci déterminant une meilleure productivité des terres. Une raison importante, pour laquelle les agriculteurs démunis ne prennent pas de telles mesures, est leur incapacité d'effectuer des investissements comportant des coûts à brève échéance pour des bénéfices à long terme. Dans les groupes à faible revenu, le coût de l'accès au capital par diverses formes de crédit est généralement supérieur à celui que les groupes à revenu élevé doivent supporter, ce qui ne leur permet pas d'opérer les investissements voulus. Les paiements des services de piégeage du carbone constituent un moyen intéressant pour réduire le coût du capital pour les utilisateurs des terres à faible revenu. Ici encore, la question clé est la mesure dans laquelle les paiements sont structurés pour permettre aux producteurs de surmonter cet obstacle à l'investissement. Les paiements, qui n'apportent pas un capital suffisant pendant la phase initiale d'adoption de pratiques de piégeage par l'utilisation des terres, risquent d'être dénués d'intérêt pour les producteurs défavorisés.

Le paiement compensatoire du piégeage de carbone peut permettre aux agriculteurs de surmonter leurs contraintes en capital en adoptant des pratiques plus durables dont ils tireront avantage à longue échéance.

L'adoption de nouvelles pratiques de gestion des terres se traduit souvent par une augmentation des besoins en main-d'œuvre, soit au niveau de l'apport global, soit en termes de localisation dans le temps. Le coût de substitution des effectifs est un autre élément déterminant de la disponibilité des utilisateurs à effectuer des changements d'affectation des terres à des fins de piégeage du carbone. Ceux-ci pourraient être peu disposés à adopter de telles pratiques, même s'ils en obtiennent un accroissement global de productivité, s'ils ne sont pas en mesure de satisfaire les besoins en effectifs ou si les bénéfices qu'ils tirent de cet engagement de main-d'œuvre sont inférieurs à ceux qu'ils pourraient obtenir ailleurs. Quant aux implications pour les utilisateurs pauvres des terres, les effets pourraient être contradictoires. D'un côté, pour les démunis, les coûts de substitution relatifs à la main-d'œuvre pourraient être plutôt faibles, considérant le potentiel limité en effectifs à engager dans des activités hautement productives. Cela indiquerait que les utilisateurs pauvres des terres seraient disposés à consacrer de la main-d'œuvre à des activités de piégeage, à un moindre coût. De l'autre, ces usagers pauvres auront probablement une capacité plus limitée de renforcer les effectifs au niveau de l'exploitation, la probabilité qu'ils se trouvent dans des zones caractérisées par un marché du travail peu efficace étant plus grande. Ici, les facteurs déterminants de la participation des utilisateurs pauvres à la fixation du carbone seront la mesure dans laquelle les pratiques de gestion des terres causeront un alourdissement du coût indirect de main-d'œuvre, ainsi que l'étalement dans le temps des paiements pour le piégeage du carbone et leur importance.

Lorsque l'introduction de pratiques durables entraîne une baisse de productivité, les paiements pour le piégeage du carbone doivent compenser les agriculteurs pour leur manque à gagner.

L'autre scénario possible, celui où l'adoption de pratiques de piégeage du carbone entraîne un fléchissement de la productivité, s'accompagne pour l'utilisateur des terres d'une série de coûts de substitution analogues à ceux indiqués pour les changements d'affectation des terres. Fondamentalement, le paiement reçu en compensation de la fixation du carbone se substitue à d'autres sources de revenus (par exemple, l'abandon d'une production basée sur l'utilisation du sol au profit de la prestation d'un service environnemental, comme indiqué à la figure 39). La disponibilité du producteur à procéder à un tel changement dépendra non seulement de la mesure dans laquelle les paiements compenseront les revenus de production perdus, mais aussi de son impact sur les niveaux de consommation et sur la sécurité alimentaire. Le coût de substitution de la main-d'œuvre et du capital sera lui aussi pris en compte. Dans ce cas, la mesure dans laquelle l'introduction d'une nouvelle pratique de gestion du sol déterminera un affaiblissement permanent du potentiel productif sera probablement importante.

Les pauvres peuvent-ils être des prestataires efficaces de services de piégeage du carbone?

A quelles conditions les pauvres pourraient-ils être des prestataires concurrentiels de services de piégeage du carbone?

Si les coûts de substitution que la fourniture de services de piégeage du carbone comporte pour les utilisateurs des terres sont un élément déterminant du montant des paiements auxquels ceux-ci pourront être sensibles, il est important également de considérer quel sera leur degré d'efficacité dans le piégeage du carbone pour pouvoir en estimer la compétitivité potentielle sur le marché. Les éléments déterminants de ce facteur sont le taux et le coût auxquels le carbone peut être capturé par le biais de divers changements dans l'utilisation et la gestion des terres selon les différentes circonstances agroécologiques. Celles-ci sont déterminées par les conditions du milieu, comme indiqué à la figure 39. Il existe une hétérogénéité spatiale considérable dans la capacité physique des terres et des arbres de piéger le carbone et dans le coût des technologies à mettre en œuvre pour y parvenir. La compétitivité des utilisateurs pauvres des terres dans la séquestration du carbone sera fonction des conditions biophysiques dans lesquelles ils opèrent.

Le coût de la tonne de carbone capturée varie considérablement selon les activités, les circonstances agroécologiques et les technologies requises. Un modèle de simulation des coûts différentiels de réduction du carbone par le biais de changements d'affectation des terres, établi par Mc Carl et al., révèle que les stratégies les moins onéreuses prévoient en premier lieu la séquestration du carbone et, dans une certaine mesure, le reboisement, la fertilisation et l'utilisation de fumier44.

Travailleurs dans une pépinière forestière au Pakistan
En plantant des arbres sur des terres dégradées, les agriculteurs peuvent s'assurer des revenus supplémentaires si cette pratique génère des crédits de carbone négociables

- FAO/17523/G. BIZZARRI

Les coûts de réduction du carbone varient aussi en grande partie selon les différents types de changements d'affectation des terres. Pour le piégeage du carbone par la voie de la foresterie, en Amérique latine, les coûts estimatifs vont de moins de 1 dollar EU la tonne à 30 dollars EU la tonne45. Parmi les activités fondées sur la foresterie, celles qui prévoient la plantation d'essences à croissance rapide en peuplements homogènes dans des conditions agroclimatiques favorables ont généralement le meilleur potentiel de production de bénéfices en termes de séquestration à bas coût et à brève échéance. Cela a fait naître quelques inquiétudes quant à la capacité potentielle des programmes de paiement du carbone de stimuler des projets de plantation forestière à grande échelle, qui pourraient mettre à l'écart les petits utilisateurs des terres et avoir des répercussions négatives sur d'autres services environnementaux, notamment ceux touchant la biodiversité46. Ce risque a toutefois été spécifiquement pris en compte au moment de l'élaboration du MDP, qui prescrit des objectifs de développement durable et l'atténuation des changements climatiques. Les règles du MDP devraient donc mettre en évidence l'importance de l'identification et de la promotion d'activités d'utilisation des terres qui produisent des bienfaits croisés avec d'autres services environnementaux, avec des retombées économiques durables pour les utilisateurs des terres eux-mêmes.

La capacité potentielle de piégeage du carbone et les coûts qui y sont rattachés varient considérablement selon les sols et les conditions climatiques.

La capacité de captage du carbone des sols moyennant une modification de la gestion des terres varie considérablement selon le type de sol, son degré de dégradation et les conditions climatiques. Antle et Mc Carl ont procédé à une confrontation des différentes quantités de carbone susceptibles d'être capturées dans divers sites et selon des technologies différentes aux Etats-Unis, et ont constaté des écarts considérables47. D'après les estimations, des coûts plus élevés sont associés à l'augmentation des stocks de carbone dans des sols particulièrement dégradés. Les zones susceptibles d'avoir le meilleur potentiel physique pour le piégeage du carbone dans le sol peuvent aussi être celles où l'opération se révèle la plus coûteuse.

Pour déterminer si et quand les pauvres peuvent être des prestataires efficaces de services de piégeage du carbone, il est nécessaire d'avoir davantage d'informations concernant la répartition géographique de ces populations selon les conditions biophysiques.

Les informations fiables disponibles concernant la répartition géographique de la pauvreté selon les caractéristiques biophysiques qui influent sur le coût du piégeage de carbone sont insuffisantes. L'analyse d'études sur la corrélation géographique entre la dégradation des terres et la pauvreté a montré que plusieurs de ces travaux menés à une échelle d'analyse macroéconomique n'avaient pas mis ce lien en évidence, et que dans bien des cas le pourcentage et le nombre absolu des pauvres étaient supérieurs dans les régions ayant un potentiel agroécologique élevé48. Plusieurs études conduites au niveau local ont pourtant trouvé l'existence de corrélations entre la dégradation des terres et la pauvreté. En ce qui concerne la répartition géographique de la pauvreté relativement aux forêts, il existe de fortes concentrations de populations pauvres dans les zones forestières marginales, bien que les données dont on dispose n'aient ni l'échelle, ni la portée suffisantes pour pouvoir en tirer des conclusions générales.

Ces constatations soulignent la nécessité d'une meilleure détermination de la répartition géographique des pauvres en fonction des conditions biophysiques, à une échelle d'analyse bien plus détaillée et avec un champ d'application étendu, voire mondial. Il s'agira ensuite de déterminer, sur la base de ces données, les moyens grâce auxquels la séquestration pourrait être assurée et les coûts connexes dans les domaines susceptibles de permettre la réalisation des objectifs de piégeage du carbone et de réduction de la pauvreté.

Conception du marché du carbone, coûts d'opération et utilisateurs pauvres des terres

Il reste encore beaucoup à faire pour mettre au point les règles de fonctionnement des programmes de piégeage du carbone, tels que le MDP. La façon dont ces questions seront réglées aura probablement des répercussions notables au niveau de la capacité potentielle de ces programmes d'atteindre les pauvres. La section suivante traite certains des éléments clés de la mise en œuvre, à savoir la continuité, la conception et l'exécution du contrat, et les coûts d'opération.

Le carbone emmagasiné peut être rejeté par effet du déboisement ou à la suite d'un retour aux anciennes pratiques d'utilisation des terres. La continuité du piégeage constitue un sujet de préoccupation.

Continuité

La continuité de la fixation du carbone comme moyen pour atténuer les changements climatiques constitue un sujet de préoccupation parce que les changements d'affectation des terres effectués à des fins de piégeage du carbone sont réversibles, et que le carbone capturé peut être rejeté si les pratiques de gestion sont modifiées par la suite. En outre, les écosystèmes ont une capacité de stockage du carbone limitée - ils atteignent un point de saturation au-delà duquel le carbone ne peut plus être emmagasiné. D'après les estimations, pour le carbone capturé dans le sol par le biais de changements dans les façons culturales, le seuil de saturation est généralement atteint au bout d'une vingtaine d'années, tandis qu'en cas de fixation axée sur la forêt le délai de saturation est plus long. Le potentiel de réversibilité et de saturation des activités de séquestration pourrait constituer une sorte de facteur de réduction appliqué au prix payé pour ces services, selon la durée de la période précédant la saturation et le risque perçu d'un renversement de tendance49. D'autre part, ces facteurs soulèvent des questions importantes quant à la façon dont les paiements devraient être structurés pour favoriser le maintien des stocks de carbone dans les zones saturées, ou pour empêcher un renversement de tendance par des changements dans les pratiques d'utilisation des terres. Une fois que les utilisateurs des terres auront atteint le point de saturation du piégeage, ils cesseront probablement de soumettre ces zones à un régime d'utilisation des terres favorisant la fixation du carbone, à moins qu'ils n'en tirent des avantages privés suffisants pour justifier les coûts supportés. Dans le cas contraire, soit des paiements pour le stockage seront demandés, soit le montant de la contrepartie pour la fixation du carbone sera considérablement réduit. De la même façon, la valeur des efforts de piégeage comportant un risque de renversement de tendance élevé sera probablement considérée comme inférieure.

Les inquiétudes concernant la continuité du piégeage pourraient déterminer un abaissement des paiements prévus pour les services de séquestration assurés par les pauvres, si ceux-ci sont considérés comme susceptibles d'abandonner les pratiques de fixation. Cela pourrait bien être le cas, sachant que la nécessité pour les pauvres de se prémunir contre les risques de consommation est majeure, et leur capacité d'y parvenir plus limitée. Comme on l'a vu plus haut, la liquidation des actifs naturels est un moyen couramment utilisé pour faire face aux situations de crise imprévues, et les prestataires de services de fixation du carbone sont donc davantage susceptibles d'abandonner les pratiques de piégeage en l'absence d'autres mécanismes d'assurance. Cela pourrait se traduire par un abaissement des paiements versés aux pauvres pour le piégeage du carbone, ou par leur exclusion du marché en tant que prestataires de ce service.

Toutefois, les questions relatives à la continuité du piégeage pourraient aussi tourner à l'avantage des utilisateurs pauvres des terres s'ils sont perçus comme des fournisseurs permanents en considération des avantages généraux en termes de productivité dont ils sont appelés à bénéficier. Cela pourrait être le cas lorsque les pratiques pour la fixation du carbone, qui comporteraient pour les utilisateurs des terres des bénéfices généraux à long terme, n'ont pu être adoptées plus tôt par manque de capital; dans ce cas, les utilisateurs des terres seraient incités à poursuivre ces pratiques par les avantages privés qu'ils en tireraient plutôt que par des paiements continus. Une telle situation est susceptible de se présenter plus souvent chez les utilisateurs pauvres des terres. Renvoyant à la figure 39, il y aura dans ces cas-là une forte rétroaction positive entre l'aboutissement des services environnementaux et l'amélioration des conditions écologiques des producteurs.

Un autre problème est celui de l'incertitude quant au niveau effectif de fixation du carbone par rapport aux attentes.

Incertitude et conception du contrat

Un autre risque inhérent au marché des services de fixation du carbone tient à l'incertitude des niveaux effectifs de piégeage par rapport au potentiel prévu. Les utilisateurs des terres peuvent participer à un accord pour la fixation du carbone sur la base de l'hypothèse qu'ils seront en mesure d'assurer le piégeage d'une certaine quantité de carbone, pour constater au bout de quelques années que ces niveaux n'ont pas été atteints même lorsque les pratiques recommandées ont été suivies. De plus, les services de fixation ne donneront droit à compensation que s'ils produisent un bénéfice additionnel au-delà d'un niveau de référence estimé, qui est sujet à incertitude.

La formulation des contrats de fixation du carbone et la procédure de suivi postérieure détermineront la mesure dans laquelle ce risque sera partagé entre les acheteurs et les vendeurs. Les utilisateurs des terres pourraient être payés à l'hectare pour l'adoption de pratiques connues pour leur capacité de captage du carbone quelle que soit la quantité effectivement stockée, auquel cas le risque d'un éventuel déficit reviendrait au vendeur. L'autre possibilité serait que les utilisateurs des terres soient payés en fonction du carbone effectivement piégé, et dans ce cas ce sont eux qui assumeraient le risque. L'efficacité des deux solutions sera déterminée par les coûts relatifs associés au suivi des pratiques d'utilisation des terres plutôt qu'au tonnage effectif de carbone, et par les conditions biophysiques et économiques influant sur la fourniture de services de fixation du carbone50.

Pour les utilisateurs pauvres des terres, les contrats prévoyant un paiement à l'hectare pour l'adoption de pratiques d'utilisation des terres sont certainement plus avantageux. Ces utilisateurs ne seront probablement pas en mesure de supporter le risque associé à un éventuel déficit dans la fixation du carbone. Ils sont toutefois plus susceptibles de présenter un degré d'hétérogénéité spatiale plus élevé en termes de piégeage de carbone du fait de la superficie plus réduite de leurs territoires, d'une plus grande diversité dans les niveaux de gestion appliqués aux pratiques d'utilisation des terres, voire d'une encore plus grande hétérogénéité dans les ressources biophysiques sous leur contrôle. En outre, le suivi des pratiques d'utilisation des terres ou des résultats obtenus en termes de tonnage de carbone sera probablement bien plus coûteux chez les producteurs pauvres en considération de la superficie et du tonnage en jeu. La section suivante considère les coûts d'opération associés à la mise en jeu des producteurs pauvres.

Les coûts de la mise en œuvre et du suivi des programmes de fixation du carbone augmentent lorsque des petits exploitants pauvres sont concernés.

Coûts d'opération

Le niveau élevé des coûts d'opération51 associés à des prestataires pauvres de services de fixation du carbone constitue un obstacle notable à leur participation aux marchés du carbone. Ces coûts tiennent à la faible échelle à laquelle les utilisateurs pauvres des terres opèrent et à un degré d'incertitude plus élevé concernant leurs droits de propriété sur les terres. Ces utilisateurs sont en effet souvent dépourvus de droits sûrs et inaliénables sur leurs actifs fonciers, ou bien opèrent dans le cadre de systèmes de gestion collective qui requièrent une capacité de coordination de groupe pour pouvoir introduire des changements. D'autre part, les droits de propriété applicables à une terre donnée peuvent être de divers types, avec par exemple des droits sur les arbres, sur les ressources en eau et sur le ramassage des résidus de récolte. Les pauvres peuvent n'avoir accès qu'à un seul de ces droits de propriété pour une parcelle de terre donnée, et souvent uniquement à titre officieux. Ces facteurs se traduisent par des coûts bien plus élevés pour l'introduction de changements d'affectation des terres à des fins de piégeage du carbone et par un degré d'incertitude accru quant à la capacité de fournir des services de fixation du carbone.

Les coûts relatifs à l'identification, à la négociation, à l'établissement d'un contrat et l'exécution des paiements pour les services de piégeage sont bien entendu bien plus élevés lorsqu'il s'agit de petits producteurs, géographiquement dispersés et opérant dans des conditions agroécologiques et institutionnelles hétérogènes. La réduction des coûts d'opération associés au paiement de la fixation du carbone (ou d'un autre type de service environnemental) est une question importante qui doit être résolue pour que les pauvres puissent tirer parti de ces programmes.

Il sera nécessaire de coordonner et de renforcer la fourniture de services de fixation du carbone au niveau des groupes de propriétaires fonciers pauvres afin que ceux-ci puissent participer efficacement aux marchés du carbone. Les transactions de carbone peuvent être conduites par le truchement d'organisations déjà existantes, telles que les administrations locales, les groupements d'agriculteurs ou les ONG. L'identification des sites et des situations dans lesquelles des groupes importants d'utilisateurs des terres à faible revenu entreprennent des activités d'utilisation des terres analogues (par exemple, en matière de réinstallation ou de réforme agraire ou sur des terres en propriété collective) pourrait être importante pour une prestation plus efficace de services de fixation du carbone par les pauvres.

Assurer la participation des pauvres demandera une activité de coordination et le renforcement des capacités institutionnelles.

Il sera plus difficile de résoudre le problème des droits de propriété complexes et mal définis, même s'il est évident qu'un renforcement institutionnel s'imposera. Si un tel processus fait nécessairement intervenir les institutions gouvernementales, ne serait-ce que pour donner un caractère officiel aux éventuelles réformes, en revanche, le processus de négociation et de coordination des solutions à ce problème sera géré de manière plus efficace par les ONG, qui pourraient faciliter l'élaboration de normes et d'accords de coordination entre les parties prenantes à l'échelon local.

Il s'agira également d'identifier les situations où il existe une réciprocité élevée entre la fixation du carbone et la réduction de la pauvreté.

Le renforcement des capacités à l'échelon national pour faciliter les transactions commerciales, et la mise en place d'un système de courtage honnête et peu onéreux, seront nécessaires pour que les marchés du carbone présentent des avantages pour les pauvres. Une meilleure identification des sites et des situations susceptibles de présenter une réciprocité élevée entre la fourniture de services de piégeage du carbone et la réduction de la pauvreté, contribuera aussi largement à rendre les paiements du carbone accessibles aux pauvres. Les organisations internationales et les instituts de recherche peuvent jouer un rôle important à cet égard. Des informations fiables permettant de savoir où obtenir le piégeage du carbone à moindre coût par un changement d'affectation des terres, et dans quelle mesure les utilisateurs pauvres des terres sont associés à de telles possibilités, seront essentielles pour que les investisseurs et les fournisseurs puissent accéder à un marché du carbone qui vise des objectifs de réduction de la pauvreté et de développement durable. L'élaboration et la diffusion de profils des possibilités d'investissements, qui permettent d'obtenir des crédits de carbone à des prix concurrentiels tout en réduisant la pauvreté, pourraient renforcer dans une large mesure la capacité d'atteindre ces objectifs.

La participation des pauvres requiert des efforts particuliers, mais peut contribuer à la réalisation des objectifs d'Action 21.

CONCLUSIONS

La présente analyse laisse à penser que les utilisateurs pauvres des terres ne sont pas susceptibles de devenir les bénéficiaires de paiements pour des crédits de carbone, sans des efforts concertés en termes de renforcement des capacités institutionnelles et de l'information. Même là ou de telles mesures sont prises, les paiements pour des changements d'affectation des terres à des fins de piégeage du carbone ne constituent une panacée ni pour la réduction de la pauvreté rurale, ni pour l'atténuation des changements climatiques. Toutefois, les paiements pour la fixation du carbone peuvent jouer un rôle important pour la promotion du développement durable au niveau des populations pauvres, conformément aux objectifs de développement d'Action 21, et peuvent constituer un nouveau moyen intéressant pour le financement de ces efforts.

Les paiements pour des services environnementaux peuvent permettre aux utilisateurs pauvres des terres d'adopter des pratiques agricoles durables, notamment lorsqu'une capacité d'investissement insuffisante constitue le principal facteur de limitation. Il est important de reconnaître que le double objectif du développement environnemental et économique peut faire apparaître aussi bien des conflits que des synergies; la complémentarité entre les objectifs environnementaux et celui de la réduction de la pauvreté peut toutefois être considérablement renforcée grâce à des réformes politiques et institutionnelles.

Des considérations d'équité et d'efficacité doivent être prises en compte au moment de l'élaboration de mécanismes visant à promouvoir des objectifs en matière d'environnement.

Il est nécessaire surtout de considérer que l'équité et l'efficacité sont deux critères fondamentaux pour l'élaboration de mécanismes visant à encourager la fourniture de biens et de services environnementaux au profit de la communauté mondiale. Tel a été le fondement des accords conclus à Rio en 1992, même si ce principe n'a pas été systématiquement suivi depuis lors. Il n'est ni juste, ni utile, d'exiger des pauvres qu'ils fournissent des biens et des services environnementaux, à moins que de telles mesures ne leur permettent, par ailleurs, d'améliorer leurs moyens d'existence. Pour qu'il en soit ainsi, il faudra multiplier les efforts au niveau de l'information, de la réforme institutionnelle et du renforcement des capacités.

NOTES


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