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3. ASPECTS QUALITATIFS ASSOCIES AUX PRODUITS DE LA MER (Continued)

3.2. VIRUS

On ne connaît toujours pas l'incidence des poussées épidémiques de gastro-entérites virales d'origine alimentaire, mais certains auteurs les croient très communes. L'étude des virus qui infectent l'intestin humain a été lente et bon nombre des caractéristiques importantes des virus entériques sont mal connues. On sait désormais cultiver certains virus (par exemple le virus de l'hépatite A, HAV), mais on ne dispose pas de méthode fiable qui permettrait de détecter les virus dans les aliments. Toutefois, les techniques faisant appel à la biologie moléculaire, telles que les sondes d'ARN/ADN et les techniques PCR (amplification génique), font des progrès rapides.

La transmission des maladies virales aux humains par la consommation de produits de la mer est connue depuis les années 50 (Roos, 1956), et les virus entériques humains semblent être la principale cause des maladies imputables aux coquillages et crustacés. A l'heure actuelle, on connaît plus de 100 virus entériques qui sont excrétés dans les fèces humains et qui se retrouvent dans les eaux usées. Toutefois, d'après Kilgen et Cole, un petit nombre seulement ont été reconnus responsables de maladies associées aux produits de la mer (1991).

Il s'agit des organismes suivants:

Hépatite - type A (HAV)
Virus de Norwalk (petit, structure ronde)
Agent pathogène “Snow Mountain”
Calicivirus
Astrovirus
Non-A et Non-B.

Les virus sont inertes en dehors de la cellule de l'hôte vivant, mais ils survivent. Cela signifie que quelles que soient les conditions de temps, de température ou autres caractéristiques physiques, ils ne se multiplient pas dans l'eau ou les coquillages et crustacés. Leur présence dans ces derniers ne peut être que le résultat d'une contamination, due soit à des manipulateurs infectés soit à une eau polluée. Les coquillages qui filtrent leur alimentation ont tendance à concentrer les virus présents dans l'eau dans laquelle ils vivent. De grandes quantités d'eau sont ainsi filtrées par les coquillages (jusqu'à 1 500 l/jour/huître selon Gerba et Goyal (1978)), ce qui signifie que la concentration de virus dans les coquillages est beaucoup plus importante que dans l'eau ambiante.

Epidémiologie et évaluation du risque

Il est probable que la dose infective des virus est beaucoup plus faible que celle des bactéries (Cliver, 1988). Pour l'homme, la dose infective minimum de certains virus entériques est proche de la dose minimum décelable lors des essais de laboratoire faisant appel aux cultures cellulaires (Ward et Akin, 1983).

Les organismes animaux/humains sont les sources des virus entériques. Ces virus se trouvent en grandes quantités dans les fèces des personnes infectées quelques jours à plusieurs semaines après l'ingestion/infection, selon le virus. La contamination fécale directe ou indirecte est la source la plus commune de contamination des produits alimentaires.

Lors des poussées épidémiques de maladies virales, les aliments les plus fréquemment incriminés sont les mollusques bivalves. Toutefois, un autre véhicule important est constitué par les plats cuisinés préparés par des personnes infectées. Les données dont on dispose montrent qu'à peu près toutes les denrées alimentaires qui entrent en contact avec les mains de l'homme sans subir ultérieurement un traitement thermique substantiel peuvent transmettre ces virus.

A quelques rares exceptions, tous les cas signalés d'infections virales associées à des produits de la mer faisaient suite à la consommation de mollusques crus ou mal cuits (Kilgen et Cole, 1991). Toutefois, la preuve est faite que HAV a été transmis par suite de manquements à l'hygiène au cours de la préparation, de la distribution ou de la manipulation des produits alimentaires (Ahmed, 1991). Ces affections associées aux produits de la mer sont très fréquentes. Chaque année, entre 20 000 et 30 000 cas sont signalés au Center of Disease Control (CDC) aux Etats-Unis (Ahmed, 1991) et l'une des plus importantes poussées épidémiques de maladie d'origine alimentaire jamais enregistrées est l'épidémie de 290 000 cas d'hépatite survenue en Chine en 1988. Les investigations devaient révéler que la source et le mode de transmission étaient la consommation de palourdes contaminées et mal cuites (Tang et al., 1991).

La survie des virus dans le milieu naturel et dans les aliments dépend d'un certain nombre de facteurs tels que la température, la salinité, le rayonnement solaire ou la présence de solides organiques (Gerba, 1988). Il en résulte que les virus entériques peuvent survivre pendant plusieurs mois dans l'eau de mer à des températures< 10°C, ce qui est beaucoup plus que, par exemple, les bactéries coliformes (Melnick et Gerba, 1980). Il en résulte encore qu'il n'y a que peu ou pas de corrélation entre la présence des virus et celle des bactéries généralement retenues comme indicatrices de pollution fécale. Tous les virus entériques sont également résistants à un pH acide, aux enzymes protéolytiques et au sels biliaires présents dans l'intestin. Le virus de l'hépatite A, qui est l'un des plus thermostables que l'on connaisse, a un temps d'inactivation de 10 min à 60°C (Eyles, 1989). Il en résulte que ces virus sont capables de survivre à certaines préparations culinaires classiques (cuisson à la vapeur, friture). Les virus entériques sont également résistants à certains désinfectants très communs (composés phénoliques, ammonium quaternaire, éthanol) tandis que les halogènes (par exemple le chlore, l'iode) inactivent les virus entériques dans l'eau et sur les surfaces propres. L'ozone est extrêmement efficace dans l'eau propre (d'après Eyles, 1989).

Lutte contre la maladie

La prévention des maladies virales transmises par les aliments repose sur des mesures destinées à prévenir la contamination fécale directe ou indirecte des aliments ne devant pas faire l'objet d'un traitement virucide avant consommation.

Les coquillages bivalves sont propres à la consommation humaine s'ils sont récoltés dans des eaux exemptes de toute pollution ou bien s'ils sont rendus propres à la consommation moyennant épuration dans de l'eau de mer propre ou par cuisson. Toutefois, un tel programme pose des problèmes considérables :

Quant à la contamination due aux personnes amenées à manipuler les aliments, on peut y remédier par une bonne hygiène personnelle et l'éducation sanitaire, comme on l'a vu dans le cas des Enterobacteriaceae. Les employés souffrant d'infections intestinales doivent s'abstenir de manipuler des produits alimentaires pendant toute la durée de l'infection et pendant au moins 48 heures après la disparition des symptômes. En cas de doute, on prescrira le port de gants jetables pour les opérations critiques, étant donné que le simple lavage des mains ne suffit pas toujours à éliminer les virus et que ceux-ci sont résistants à de nombreux désinfectants de la peau (Eyles, 1989).

3.3 BIOTOXINES

Les biotoxines marines sont responsables d'un bon nombre de maladies transmises par les poissons, les coquillages et les crustacés. Les toxines connues sont indiquées au tableau 3.7.

Tableau 3.7. Biotoxines aquatiques

ToxineLieu/moment où elle se manifesteAnimaux/organes concernés
Tétrodotoxinedans les poissons ante mortemtétrodon ou poisson-globe (Tetraodontidae) principalement les ovaires, le foie, les intestins
Ciguateraalgues marines> 400 espèces de poissons tropicaux/sous-tropicaux
Intoxication paralytique par fruits de mer (IPFM)algues marinescoquillages filtrant leur alimentation, principalement glandes digestives et gonades
Intoxication diarrhéque par fruits de mer (IDFM)algues marinescoquillages filtrant leur alimentation
Intoxication neurotoxique par fruits de mer (INFM)algues marinescoquillages filtrant leur alimentation
Intoxication amnésique par fruits de mer (IAFM)algues marinescoquilles filtrant leur alimentation (moules bleues)

Les toxines et les maladies qu'elles provoquent ont été décrites et étudiées par Taylor (1988), Hall (1991), OMS (1984a, 1989) et Todd (1993), ouvrages que l'on doit consulter pour plus de renseignements. Les problèmes les plus importants sont envisagés ci-après.

Tétrodotoxine

A la différence de toutes les autres biotoxines qui s'accumulent dans les poissons ou les coquillages et crustacés vivants, la tétrodotoxine n'est pas produite par des algues. Le mécanisme précis de la production de cette toxine extrêmement puissante n'apparaît pas très clairement, mais il semble que des bactéries symbiotes très communes y participent (Noguchi et al. 1987, Matsui et al. 1989).

On trouve surtout la tétrodotoxine dans les foie, les ovaires et les intestins de diverses espèces de poissons-globes, les plus toxiques appartenant à la famille des Tetraodontidae, mais toutes les espèces de cette famille ne contiennent pas la toxine. Les tissus musculaires des poissons toxiques sont normalement exempts de toxines, mais il y a des exceptions. Les empoisonnements au tétrodon déclenchent des symptômes neurologiques 10-45 min après l'ingestion. Les symptômes se manifestent par une sensation de fourmillement à la face et aux extrémités, la paralysie, des symptômes respiratoires et le collapsus cardio-vasculaire. Dans les cas mortels, le décès intervient dans les six heures.

Ciguatera

La ciguatera résulte de l'ingestion de poissons devenus toxiques pour s'être nourris de dinoflagellés toxiques, qui sont des algues planctoniques marines microscopiques. La principale source est le dinoflagellé benthique Gambierdiscus toxicus, qui vit autour des récifs de corail, étroitement attaché aux micro-algues. On observe un accroissement de la production des dinoflagellés toxiques en cas de bouleversement des récifs (ouragans, dynamitage des récifs, etc.). Comme le montre la figure 3.3 (Halstead, 1978), plus de 400 espèces de poissons, fréquentant toutes les eaux tropicales ou chaudes, auraient été responsables de ciguatera. La toxine s'accumule dans les poissons qui se nourrissent des algues toxiques ou dans les grands carnivores eux-mêmes prédateurs de ces herbivores. La toxine peut être décelée dans les intestins, le foie et les tissus musculaires par titrage sur souris et chromatographie. Il se pourrait que certains poissons soient en mesure d'évacuer la toxine de leur organisme (Taylor, 1988).

Même si l'on ne signale qu'une faible incidence de ciguatera (Taylor 1988), elle serait, selon les estimations, de l'ordre de 50 000 cas/an dans le monde (Ragelis, 1984). Le tableau clinique est variable, mais les symptômes s'installent quelques heures aprés l'ingestion de la toxine. C'est l'appareil gastro-intestinal et le système nerveux qui sont affectés (vomissements, diarrhée, paresthésie, ataxie, léthargie). La maladie peut durer de deux à trois jours, mais certains cas peuvent persister pendant des semaines, voire des années dans les cas graves. La mort intervient par collapsus circulatoire. Halstead (1978) a pu faire état d'un taux de létalité d'environ 12 pour cent.

Intoxication paralytique par fruits de mer (IPFM)

L'empoisonnement après consommation de crustacès est un syndrome connu depuis des siècles dont la forme la plus commune est l'intoxication paralytique par fruits de mer (IPFM). Elle est due à un groupe de toxines (saxitoxines et dérivés) produites par des dinoflagellés des genres Alexandrium, Gymnodinium et Pyrodinium.

Historiquement, l'IPFM est associée à la prolifération de dinoflagellés (> 106 cellules/litre), qui peut entraîner un rougissement ou un jaunissement de l'eau. Toutefois, le changement de couleur de l'eau peut être dû à la prolifération de nombreux types d'espèces planctoniques qui ne sont pas toujours toxiques et, au demeurant, toutes les floraisons d'algues toxiques ne sont pas colorées.

Les dinoflagellés prolifèrent en fonction de la température de l'eau, de la lumière, de la salinité, de la présence d'éléments nutritifs et d'autres conditions environnementales. Toutefois, la nature précise des facteurs qui donnent lieu à un clône toxique n'est pas connue. Pour qu'il y ait prolifération, la température de l'eau doit être > 5–8°C. Si les températures s'abaissent au-dessous de 4°C, les dinoflagellés survivent sous forme de kystes dormants enfouis dans les couches supérieures des sédiments. La prévalence mondiale de l'IPFM est reproduite à la figure 3.3.

Figure 3.3.

Figure 3.3. Distribution mondiale des poussées épidémiques d'intoxication paralytique par fruits de mer (points noirs) et de ciguatera (zone en grisé). Données com-muniquées par l'OMS (1984a), Halstead et Schantz (1984) et Lupin (1992)

Les moules, les palourdes, les coques et les coquilles Saint-Jacques qui se sont nourries de dinoflagellés toxiques abritent la toxine pendant des périodes de temps variables, selon l'espèce. Certaines espèces évacuent la toxine très rapidement et ne sont toxiques que durant la floraison, alors que d'autres conservent la toxine très longtemps, voire des années (Schantz, 1984).

L'intoxication paralytique par fruits de mer (IPFM) est un trouble neurologique se caractérisant par les symptômes suivants : fourmillements, sensation de brûlure et d'engourdissement des lèvres et des extrémités des doigts, ataxie, assoupissement, incohérence de la parole. Dans les cas graves, la mort intervient par paralysie respiratoire. Les symptômes apparaissent d'une demi-heure à deux heures après le repas et les victimes qui ne meurent pas dans les 12 heures se rétablissent généralement.

Intoxication diarrhéique par fruits de mer (IDFM)

Des milliers de cas de troubles gastro-intestinaux dus à l'intoxication diarrhéique par fruits de mer ont été signalés en Europe, au Japon et au Chili (OMS, 1984a). Les dinoflagellés incriminés, producteurs de toxines, appartiennent aux genres Dinophysis et Aurocentrum. Ces dinoflagellés sont très répandus, ce qui laisse supposer que la maladie pourrait survenir également dans d'autres parties du monde. Sept toxines, au moins, ont pu être identifiées. La maladie s'installe dans un délai compris entre la demi-heure et les quelques heures qui suivent la consommation de crustacés nourris d'algues toxiques. Les symptômes se manifestent par des troubles gastro-intestinaux (diarrhée, vomissements, douleurs abdominales), les malades se rétablissant dans les 3–4 jours. On n'a jamais observé de cas mortels.

Intoxication neurotoxique par fruits de mer (INFM)

L'intoxication neurotoxique par fruits de mer (INFM) a été décrite chez des personnes ayant consommé des bivalves exposés aux “marées rouges” de dinoflagellés (Ptychodiscus breve). Jusqu'ici, la maladie est restée circonscrite au Golfe du Mexique et aux secteurs situés au large des côtes de la Floride. Les brévétoxines entraînent une forte mortalité parmi les poissons, et les marées rouges de ce dinoflagellé s'accompagnent de véritables hécatombes de poissons.

Les symptômes de l'INFM ressemblent à ceux de l'IPFM, à l'exception de la paralysie qui ne survient pas. L'INFM est rarement mortelle.

Intoxication amnésique par fruits de mer (IAFM)

Ce n'est que tout récemment que l'on a identifié l'intoxication amnésique par fruits de mer (Todd 1990, Addison et Stewart 1989). L'empoisonnement est dû à l'acide domoïque, acide aminé produit par la diatomée Nitzschia pungens. Les premiers cas signalés d'IAFM sont apparus durant l'hiver de 1987–88 dans l'est du Canada où l'on a dénombré plus de 150 cas et où quatre décès sont survenus après consommation de moules bleues de culture.

Les symptômes sont extrêmement variables, allant des nausées et vomissements légers jusqu'à la perte d'équilibre et déficits du système nerveux central, y compris les troubles et la perte de mémoire. Les brèves absences de mémoire semblent permanentes chez les survivants, d'où le nom d'intoxication amnésique.

Lutte contre les maladies causées par les biotoxines

La lutte contre les biotoxines marines est difficile et la prévention de la maladie ne saurait être complète. Les toxines sont toutes de nature non protéinique et extrêmement stables (Gill et al., 1985). Il en résulte que ni la cuisson, ni le fumage, ni le séchage, ni le salage ne peuvent les détruire et que l'on ne peut pas savoir d'après l'aspect de la chair de poisson ou de crustacé si elle est toxique ou non.

Les principales mesures préventives sont l'inspection et l'échantillonnage sur les bancs de pêche et les parcs à crustacés, ainsi que l'analyse pour la recherche des toxines. Pour cela, on a fréquemment recours au titrage sur souris, avec chromatographie liquide haute performance de confirmation si le décès survient dans le quart d'heure qui suit. En cas de détection de concentrations élevées de toxines, la récolte commerciale est immédiatement interdite. Il est peu vraisemblable que l'on puisse jamais maîtriser la composition des phytoplanctons dans les zones d'élevage et éliminer les espèces toxigènes, et il n'existe du reste aucune méthode qui permette de prévoir à quel moment se développera tel ou tel phytoplancton et, par conséquent, aucune façon d'anticiper la floraison des espèces toxigènes (Hall, 1991).

L'élimination des toxines par les techniques d'épuration pourrait offrir certaines perspectives, mais le procédé est extrêmement long et coûteux. En outre, il y a toujours le risque qu'un petit nombre d'individus ne s'ouvrent pas et, leur système n'ayant pas été lavé à l'eau propre, conservent leur niveau de toxicité initial (Hall, 1991).

Pour être efficace, la surveillance suppose des plans d'échantillonnage fiables et des méthodes efficaces de détection des toxines. On dispose à l'heure actuelle de méthodes chimiques fiables de détection de toutes les toxines et il y aurait lieu de les développer. Le plan d'échantillonnage doit tenir compte du fait que la toxicité des fruits de mer peut passer d'un taux négligeable à des taux mortels en moins d'une semaine, voire moins de 24 heures dans le cas des moules bleues. De même, la toxicité peut varier sur un parc en fonction de la géographie, des courants et de l'activité des marées.

La situation actuelle en ce qui concerne les tolérances et les méthodes d'analyse à utiliser dans le cadre d'un programme de surveillance est représentée au tableau 3.8.

Tableau 3.8. Surveillance des biotoxines (OMS, 1989)

ToxineToléranceMéthode d'analyse
Ciguaterapas de contrôle possiblepas de méthode fiable
IPFM80 μg/100 gtitrage sur la souris,
CLHP
IDFM0–60 μg/100 gtitrage sur la souris,
CLHP
INFMtout niveau décelable/100 g est dangereuxtitrage sur la souris
IAFM20 μg/g acide domoïquepas de méthode chimique
CLHP

3.4. AMINES BIOGENIQUES (EMPOISONNEMENT A L'HISTAMINE)

L'empoisonnement à l'histamine est une intoxication chimique consécutive à l'ingestion d'aliments contenant des taux élevés d'histamine. Autrefois, cet empoisonnement était appelé empoisonnement par les scombridés, étant donné la fréquente association avec des scombridés, et notamment le thon et le maquereau.

L'empoisonnement à l'histamine est un problème mondial qui se pose dans les pays où la population consomme du poisson contenant des niveaux élevés d'histamine. Il s'agit d'une maladie bénigne; la période d'incubation est extrêmement courte (de quelques minutes à quelques heures) et la durée de la maladie également brève (quelques heures). Les symptômes les plus communs sont cutanés, qu'il s'agisse de rougeurs à la face, d'urticaire, d'oedème, mais aussi gastro-intestinaux (nausées, vomissements, diarrhée) ainsi que neurologiques (migraines, fourmillements, sensation de brûlure dans la bouche).

Comme le montre la figure 3.4, l'histamine se forme dans les poissons post mortem par décarboxylation bactérienne de l'acide aminé histidine. Les poissons les plus fréquemment incriminés sont ceux qui présentent naturellement une teneur élevée en histidine comme c'est le cas des scombridés; cependant, des poissons n'appartenant pas à cette famille, tels que les clupéidés et les mahi-mahi, peuvent être associés à des épisodes d'empoissonnement à l'histamine.

Les bactéries productrices d'histamine sont certaines Enterobacteriaceae, un certain nombre de Vibrio sp. et un petit nombre de Clostridium et Lactobacillus sp. Les producteurs d'histamine les plus puissants sont Morganella morganii, Klebsiella pneumoniae et Hafnia alvei (Stratten et Taylor, 1991). Ces bactéries se trouvent chez la plupart des poissons, vraisemblablement par suite de contamination après la pêche. Elles se multiplient bien à 10°C mais à 5°C la croissance est considérablement retardée et on n'a jamais relevé de production d'histamine par M. morganii lorsque les températures étaient constamment inférieures à 5°C (Klausen et Huss, 1987). Toutefois, de grandes quantités d'histamine étaient formées par M. morganii à faible température (0–5°C) après entreposage pendant une durée allant jusqu'à 24 heures à températures élevées (10–25°C), alors même qu'il n'y avait pas développement bactérien à 5°C et en dessous.

Figure 3.4.

Figure 3.4. Structure chimique de l'histamine (photo: Pan et James, 1985)

Beaucoup d'auteurs s'accordent pour estimer que les bactéries productrices d'histamine sont mésophiles. Toutefois, Ababouch et al. (1991) ont observé une production considérable d'histamine dans les sardines à des températures < 5°C, tandis que van Spreekens (1987) faisait état de production d'histamine par Photobacterium sp., espèces qui sont également capables de proliférer à des températures < 5°C.

Les principales bactéries productrices d'histamine, M. morganii, prolifèrent surtout lorsque le pH est neutre, mais elles peuvent se multiplier dans la gamme des pH compris entre 4, 7 et 8,1. Cet organisme est assez peu résistant à NaCl, mais il peut fort bien se multiplier jusqu'à une concentration de 5 pour cent de NaCl lorsque toutes les autres conditions sont optimales. Il en résulte que la production d'histamine par cet organisme ne pose de problème que dans le cas des produits de la pêche qui ne sont que très légèrement salés.

Il convient de souligner qu'une fois l'histamine produite dans le poisson, le risque de maladie est considérable. L'histamine est très résistante à la chaleur, si bien que même si le poisson est cuit, appertisé ou soumis à un traitement thermique quelconque avant d'être consommé, l'histamine n'est pas détruite.

On a surtout des preuves circonstancielles de la pathogénicité de l'histamine. En effet, on a régulièrement relevé des concentrations élevées d'histamine dans des échantillons incriminés lors de poussées épidémiques, les symptômes relevés lors de ces poussées étant d'autre part cohérents avec une étiologie d'origine histaminique. Il n'empêche qu'une ingestion élevée d'histamine n'entraîne pas toujours la maladie, même lorsque le niveau d'intervention (50 mg/100 g dans le cas des thonidés) est dépassé.

L'organisme humain peut très bien tolérer une certaine quantité d'histamine sans la moindre réaction. L'histamine ingérée sera détoxifiée dans l'appareil intestinal par au moins deux enzymes, la diamine oxydase (DAO) et l'histamine N-méthyltransférase (HMT) (Taylor, 1986). Ce mécanisme protecteur peut cependant se révéler défaillant si l'ingestion d'histamine et/ou d'autres amines biogéniques est extrêmement élevée, ou si l'action des enzymes est bloquée par d'autres composés, comme le montre la figure 3.5.

On voit donc que d'autres amines biogéniques, telles que la cadavérine et la putrescine, dont on sait qu'elles se manifestent dans les poissons avariés, peuvent potentialiser la toxicité de l'histamine. L'inhibition du catabolisme de l'histamine intestinale se traduira vraisemblablement par une élévation du transport de l'histamine à travers les membranes cellulaires et dans la circulation sanguine.

Lutte contre les maladies causées par les amines biogéniques

Le stockage et la conservation du poisson à basses températures en toutes circonstances est la mesure préventive la plus efficace. En effet, toutes les études semblent concorder : le stockage à 0°C ou à une température extrêmement proche de 0 permet de limiter la formation d'histamine dans les poissons à des niveaux négligeables.

Plusieurs pays ont adapté une réglementation régissant les concentrations maximum admissibles d'histamine dans les poissons. On en trouvera des exemples au tableau 3.9.

Figure 3.5.

Figure 3.5. Représentation schématique de l'histaminose d'origine alimentaire (d'après Sattler et Lorenz, 1990)

Tableau 3.9. Réglementation de la concentration de l'histamine dans les poissons

 Niveau d'intervention (en cas de défectuosité)Concentration maximum admissibleNiveau d'intervention (en cas de danger)
mg/100 gmg/100 gmg/100 g
Etats-Unis (FDA)10–20-50
CEE1020-

3.5. PARASITES

La présence de parasites dans les poissons est extrêmement commune, mais dans la plupart des cas elle est sans grande incidence, que ce soit du point de vue économique ou du point de vue de la santé publique. On pourra se reporter à ce sujet aux travaux de Healy et Juranek (1979), Higashi (1985) et Olson (1987).

Toutefois, plus de 50 espèces d'helminthes provenant des poissons et des crustacés peuvent être responsables de maladies chez les humains. La plupart sont rares et n'entraînent que des atteintes légères à modérées, mais d'autres constituent un risque sanitaire potentiel non négligeable. Les plus importantes sont énumérées au tableau 3.10.

Toutes les helminthes parasitaires ont des cycles és évolutifs vitaux complexes. Elles ne se propagent pas directement d'un poisson à l'autre, mais doivent nécessairement passer par un certain nombre d'hôtes intermédiaires au cours de leur développement. Très souvent, ce sont des lompes ou des crustacés qui sont les premiers hôtes intermédiaires et les poissons de mer les seconds hôtes intermédiaires, tandis que le parasite à maturité sexuelle se rencontre chez des mammifères qui lui servent d'hôtes définitifs. Entre ces différents hôtes, il peut y avoir un ou plusieurs stades de vie à l'état libre. L'infection des humains peut faire partie de ce cycle de vie, ou l'homme peut être un hôte occasionnel, comme le montre la figure 3.6.

Nématodes

Les ascaris ou nématodes sont communs et se rencontrent dans les poissons de mer du monde entier. Les nématodes du genre anisakis A. simplex et P. dicipiens, communément appelés ver du hareng et ver de la morue, ont été abondamment étudiés. Il s'agit de vers ronds typiques, de 1-6 cm de long qui, s'ils sont ingérés vivants par des humains, peuvent pénétrer dans la paroi de l'appareil gastro-intestinal et y provoquer une inflammation aiguë (“maladie du ver du hareng”). Le cycle évolutif complet d'Anisakis sp. est représenté à la figure 3.6.

Figure 3.6.

Figure 3.6. Cycle évolutif d'Anisakis simplex

Un certain nombre d'autres nématodes se trouvent dans les poissons d'eau douce. Les espèces les plus importantes rencontrées en Asie sont Gnathostoma sp. Les hôtes finals sont les chats et les chiens, mais les humains peuvent être infectés. Après l'ingestion, les larves migrent depuis l'estomac vers diverses régions, le plus souvent des sites sous-cutanés du thorax, des bras, de la tête et du cou, où les vers provoquent une sensation de fourmillement et de l'oedème.

Tableau 3.10. Parasites pathogènes transmis par les poissons et les fruits de mer

ParasiteDistribution géographique connuePoissons et fruits de mer
Nématodes ou ascaris
Anisakis simplexAtlantique Nordhareng
Pseudoterranova dicipiensAtlantique Nordmorue
Gnathostoma sp.Asiepoissons d'eau douce, grenouilles
Capillaria sp.Asiepoissons d'eau douce
Angiostrongylus sp.Asie, Amérique du Sud, Afriquecrevettes d'eau douce, escargots, poissons
Cestodes
Diphyllobothrium latumHémisphère Nordpoissons d'eau douce
D. pacificumPérou, Chili, Japonpoissons de mer
Trématodes ou douves
Clonorchis sp.Asiepoissons d'eau douce, escargots
Opisthorchis sp.Asiepoissons d'eau douce
Metagonimus yokagawaiExtrême-Orient 
Heterophyes sp.Moyen-Orient, Extrême-Orientescargots, poissons d'eau douce, poissons des eaux saumâtres
Paragonimus sp.Asie, Amérique, Afriqueescargots, crustacés, poissons
Echinostoma sp.Asiepalourdes, poissons d'eau douce, escargots

Un autre nématode revêtant une importance du point de vue de la santé publique est Capillaria sp. (par exemple Capillaria philippinensis). Les vers adultes sont des parasites intestinaux des oiseaux piscivores et les hôtes intermédiaires sont de petits poissons d'eau douce. Chez les humains, l'infection peut être responsable de diarrhée sévère, voire entraîner la mort par déshydratation. Un nématode bien connu et commun en Asie est Angiostrongylus sp. (par exemple Angiostrongylus cantonensis). Le ver adulte se trouve dans les poumons des rats et les hôtes intermédiaires sont les escargots, les crevettes d'eau douce et les crabes terrestres. On a pu démontrer que le parasite pouvait être responsable de méningite chez l'homme (figure 3.7).

Figure 3.7.

Figure 3.7. Cycle évolutif des angiostronglides. Représentation schématique de la vie d'Angiostrongylus sp. Des nématodes sexuellement dioïques copulent et produisent des oeufs qui passent par les fèces ou éclosent dans l'intestin. A. cantonensis parvient à maturité dans les poumons et A.costaricensis dans l'intestin. Les larves migrent dans les lieux humides et peuvent envahir des invertébrés tels que les gastéropodes. Les mammifères peuvent entrer en contact avec des larves infectives en consommant des invertébrés infectés mal cuits ou des végétaux. Chez les mammifères, les larves pénètrent dans l'intestin et migrent dans les viscères. A.cantonensis migre à travers l'espace subarachnoïde et se développe avant de migrer dans les poumons. Chez les humains, les larves ne migrent pas au-delà du cerveau. A. cantonensis migre dans les viscères, les muscles et la peau avant de retourner dans les intestins des rats. Chez les humains, il continue à migrer jusqu'à ce qu'il meure. Le cycle évolutif des gnathostomatidés est similaire; il semble qu'ils puissent infecter à peu près n'importe quel hôte intermédiaire et y migrer, mais qu'ils ne puissent atteindre la maturité que chez celui qui leur fournit le signal physiologique voulu (d'après Brier, 1992)

Cestodes

Chez l'homme, on connaît peu de cestodes ou ténias transmis par les poissons. Toutefois, le Diphyllobothrium latum est un parasite humain commun qui peut atteindre jusqu'à 10 m de long ou plus dans l'appareil intestinal de l'homme. Ce parasite a pour premier hôte intermédiaire un microcrustacé et a besoin de poissons d'eau douce comme seconds hôtes intermédiaires (figure 3.8). L'espèce voisine (D. pacificum) est transmise par les poissons de mer et fréquente dans les régions côtières du Pérou, du Chili et du Japon où la consommation de préparations à base de poisson cru (ceviche, sushi et autres) est répandue.

Figure 3.8.

Figure 3.8. Cycle évolutif de Diphyllobothrium. Les Diphyllobothrium sp. atteignent la maturité sexuelle dans les voies intestinales des mammifères. Les oeufs peuvent passer dans les fèces et se transformer dans l'eau en larves qui éclosent et nagent librement. Si elles sont consommées par un copépode ou autre hôte crustacé convenable, les larves peuvent devenir infectantes pour les poissons qui consomment le crustacé infecté. Ces larves donnent ensuite des formes qui peuvent infecter d'autres poissons, dans lesquels elles cessent leur développement, ou des mammifères où elles peuvent atteindre la maturité sexuelle (d'après Brier, 1992)

Trématodes

Certains des Trématodes ou douves sont extrêmement communs, particulièrement en Asie. On estime ainsi que Clonorchis sinensis (la douve du foie) infecte plus de 20 millions de personnes en Asie. En Chine méridionale, dans certaines régions, les taux de clonorchiase humaine peuvent dépasser 40 pour cent (Rim, 1982). Les hôtes intermédiaires sont les escargots et les poissons d'eau douce, tandis que les chiens, les chats, les animaux sauvages et les humains sont les hôtes finals où la douve vit et se développe dans le canal biliaire. Le grand problème de la transmission est la contamination d'eaux infestées d'escargots, par les matières fécales humaines chargées d'oeufs (par exemple, utilisation des gadoues comme engrais).

Figure 3.9.

Figure 3.9. Cycle évolutif de la douve du foie. Ces trématodes parviennent à maturité sexuelle dans le foie des humains et autres mammifères. Les oeufs pénètrent dans l'intestin avec la bile, sont incorporés dans les fèces de l'hôpe et, s'ils sont ingérés par un mollusque, peuvent éclore. Les larves pénètrent les tissus moyennant des stades morphologiquement distincts qui, par reproduction asexuée, produisent des larves qui nagent librement. Les larves de Clonorchis sinensis ne peuvent infecter que certaines espèces de poissons alors que celles d'Opisthorchis sinensis peuvent contaminer soit des poissons, soit des mollusques. Chez ces hôtes, les larves ont la capacité d'infecter les mammifères qui consomment des hôtes intermédiaires infectés crus ou mal cuits (d'après Brier, 1992)

Deux douves de très petite taille (1-2 mm) Metagonimus yokagawai et Heterophyes heterophies diffèrent de Clonorchis car elles vivent dans les intestins de l'hôte final, où elles sont responsables d'inflammation, de diarrhée et de douleurs abdominales. Les hôtes intermédiaires sont les escargots et des poissons d'eau douce (figure 3.10).

Figure 3.10.

Figure 3.10. Cycle évolutif des hétérophyidés. Les petites douves intestinales atteignent la maturité sexuelle dans l'intestin grêle des humains et autres mammifères. Elles parviennent à maturité dans les intestins où certains oeufs peuvent passer dans l'appareil circulatoire et provoquer des lésions cardiaques. Les oeufs qui passent dans les fèces peuvent se transformer en larves, lesquelles, si elles sont consommées par un hôte gastéropode compatible, éclosent et pénètrent dans les tissus du gastéropode où elles donnent lieu à deux générations morphologiquement distinctes. Les larves motiles qui en résultent quittent l'hôte gastéropode et peuvent pénétrer dans les tissus d'un poisson hôte pour y former le stade infectif pour les mammifères. Le cycle vital sera complet si des humains ou d'autres mammifèfres consomment les poissons bôtes infectés à l'état cru ou mal cuit (d'après Brier, 1992)

A l'état adulte, la douve orientale du poumon Paragonimus sp. atteint 8-12 mm de long et vit enkystée dans les poumons de l'homme, des chats, des chiens, des porcs et de nombreux animaux sauvages carnivores. Les gastéropodes et les crustacés (crabe d'eau douce) sont les hôtes intermédiaires (figure 3.11).

Figure 3.11.

Figure 3.11. Cycle évolutif de la douve du poumon. Les Paragonimus sp. atteignent la maturité sexuelle dans les poumons des humains et autres mammifères et se rencontrent généralement par paires dans les alvéoles. Les oeufs sont expectorés et expulsés avec les crachats. Ils sont aussi excrétés dans les fèces. Moyennant des conditions d'humidité convenables, les oeufs donnent lieu à des larves libres. Si ces larves rencontrent un hôte gastéropode, elles peuvent y pénétrer et s'y développer asexuellement sous deux formes morpho-logiquement distinctes pour donner des larves libres qui pénètrent ensuite dans les tissus mous d'un crabe ou d'une écrevisse et s'y enkystent pour constituer le stade infectant pour les mammifères. Les larves qui sont consommées par un mammifère traversent la paroi intestinale et migrent à travers les tissus. Chez certains hôtes, la migration se poursuit sans autre développement; toutefois, les larves restent capables d'infecter les mammifères qui consomment les hôtes è l'état cru. Chez les hôtes qui fournissent le signal physiologique approprié, les larves migrent dans les poumons et y atteignent la maturité (d'après Brier, 1992)

Lutte contre les maladies causées par les parasites

Nous nous intéressons ici aux parasites transmis à l'homme lorsqu'il consomme des produits de la pêche crus ou mal cuits. Les mesures prises pour réduire le problème de santé publique lié à la présence de ces parasites comportent une action législative et des mesures de surveillance. En principe, le problème peut être abordé à trois niveaux, énumérés comme ciaprès par l'OMS dans le cas des nématodes (1989) :

  1. Eviter de capturer du poisson infecté par les nématodes en sélectionnant des lieux de pêche spécifiques, des espèces particulières ou des groupes d'âge spécifiques.

  2. Trier et éliminer les poissons infectés par les nématodes ou retirer les nématodes du poisson, par exemple à la main sur une table de mirage.

  3. Appliquer les techniques qui permettent de tuer les nématodes dans la chair de poisson.

Seules les mesures 2) et 3) sont appliquées dans le cas des pêches commerciales.

Les mesures de contrôle sont particulièrement importantes dans le cas des produits de la pêche qui doivent être consommés crus ou non cuits (hareng maatjes, poissons marinés, poissons légèrement salés et poissons fumés à froid, ceviche, sashimi, sushi, etc.). C'est ainsi que de nombreuses réglementations nationales en matière de santé, et notamment l'ordonnance allemande sur les prescriptions sanitaires relatives aux poissons et aux crustacés (Ordonnance allemande sur les poissons, 1988), contiennent des règles spécifiques concernant la conduite à tenir à l'égard de ce genre de poissons pour s'assurer que tous les nématodes sont bien tués (traitement de sécurité). Sur la base de recherches coordonnées menées aux Pays-Bas, en Allemagne et au Danemark (Huss et al., 1992), on peut proposer en vue du traitement de sécurité les critères ci-après :

Poisson mariné

La sécurité du traitement repose avant tout sur la concentration de NaCl dans le liquide tissulaire. Lorsqu'on utilise la quantité minimum d'acide acétique (2,5-3, 0 pour cent dans le liquide tissulaire), on observe pour différentes concentrations de NaCl les temps de survie maximum des nématodes ci-après :

% NaCl dans le liquide tissulaireTemps de survie maximum des nématodes
4–5> 17 semaines
6–710–12 semaines
8–95-6 semaines

Il en résulte que les temps de survie maximum des nématodes devraient être également retenus comme délais minimum de rétention avant mise en vente du produit final.

Poisson soumis à un traitement par la chaleur

Tous les nématodes portés à 55°C pendant une minute ont été tués. Il en résulte que les produits de la pêche fumés à chaud, pasteurisés, cuits sous vide ou soumis à d'autres traitements thermiques légers sont sans danger. En revanche, il se pourrait que certaines préparations culinaires en usage dans les ménages soient à la limite de la sécurité.

Poisson congelé

La congélation à -20°C et le maintien de cette température pendant 24 heures au moins suffiront à tuer tous les nématodes.

Les résultats reproduits ci-dessus montrent qu'un certain nombre de produits de la pêche sont dangereux. C'est le cas des produits de la pêche légèrement salés (< 5-6 pour cent NaCl dans la phase aqueuse) : hareng salé maatjes, poisson “gravad”, poissons fumés à froid, caviar légèrement salé, ceviche et différents autres produits traditionnels locaux. Pour venir à bout des parasites, il faut donc prévoir, au cours de la préparation, une brève période de congélation, soit de la matière première soit du produit final.

3.6. SUBSTANCES CHIMIQUES

La contamination par des substances chimiques figure tout au bas des statistiques officielles comme cause de maladies transmises par les produits de la mer (voir le tableau 2.2).

Il semble que les contaminants chimiques susceptibles de toxicité soient les suivants (Ahmed, 1991) :

Le milieu aquatique propre contient toujours une légère concentration de contaminants. C'est ainsi qu'un petit nombre de métaux tels que le cuivre, le sélénium, le fer et le zinc sont des éléments nutritifs essentiels pour les poissons et les crustacés. La contamination se produit lorsqu'il y a augmentation statistiquement significative des niveaux moyens dans des organismes comparables.

Les problèmes de contamination chimique de l'environnement sont presque toujours d'origine humaine. Le déversement dans les océans de centaines de millions de tonnes de déchets industriels, les boues évacuées par les stations d'épuration, le déversement dans la mer des produits chimiques agricoles et des eaux usées brutes non traitées en provenance des grandes villes et des centres industriels contribuent à la contamination des milieux marins côtiers ou des eaux douces. A partir de là, les substances chimiques passent dans les poissons et autres organismes aquatiques. Des quantités croissantes de substances chimiques peuvent se retrouver chez les prédateurs par suite de la biomagnification, c'est-à-dire la concentration de substances chimiques aux niveaux élevés de la chaîne alimentaire. Ou bien, il peut y avoir bioaccumulation, lorsque des concentrations croissantes de substances chimiques se sont accumulées dans les tissus de l'organisme au cours de l'existence de l'individu. Dans ce cas, les poissons de plus grande taille (et donc plus âgés) présenteront une concentration plus élevée de la substance chimique considérée que les poissons de petite taille (plus jeunes) appartenant à la même espèce. Il en résulte que la présence de contaminants chimiques dans les produits alimentaires tirés de la mer dépend fortement du lieu géographique, de l'espèce et de la taille des poissons, des schémas alimentaires, de la solubilité des substances chimiques et de leur persistance dans le milieu naturel.

Dans une récente étude sur les problèmes posés par les résidus chimiques dans les produits de la mer, Price (1992) a conclu que le risque dû aux contaminants chimiques dans les poissons et crustacés du commerce est faible et qu'il ne s'agit pas d'un véritable problème. Le risque que font courir les résidus chimiques (mercure, sélénium, dioxines, PCP, chlordane, dieldrine et DDT) existe surtout dans le cas des poissons et des crustacés pêchés par des amateurs, dans des eaux côtières et éventuellement des eaux fortement polluées.

Cependant, une bonne partie du rapport d'un comité s'intéressant à la sécurité des produits de la mer aux Etats-Unis (Ahmed, 1991) a été consacrée aux cas de contamination chimique et aux risques sanitaires qu'elle fait courir. Une partie des conclusions et des recommandations générales du rapport sont énoncées ci-après :

Le comité a formulé les principales recommandations suivantes :

On trouvera au tableau 3.11 des exemples de concentrations maximales de résidus de contaminants chimiques dans les poissons de consommation.

Tableau 3.11. Exemples de concentrations maximales de résidus de contaminants chimiques dans les poissons de consommation

Substance chimiqueLimite maximale de résidu (mg/kg)Pays
DDT + DDE + DDD2Danemark
Dieldrine0,1Suède
PCB2Suède
Plomb2Danemark
Mercure0,5CEE

3.7 ALTERATION

Les tissus des poissons ont ceci de caractéristique qu'ils sont riches en azote protéinique et non protéinique (par exemple acides aminés, triméthylamine-oxyde (TMAO), créatinine) mais pauvres en hydrates de carbone, d'où un pH post mortem élevé (> 6,0). En outre, les poissons pélagiques gras ont une teneur élevée en lipides, essentiellement constitués de triglycérides à acides gras à longue chaîne très insaturés. Les phospholipides sont, de plus, très insaturés et ce faisceau de facteurs a des conséquences importantes sur les processus d'altération dans les conditions du stockage aérobie.

La notion d'“altération” ne répond pas à une description objective. Cependant il existe des signes manifestes d'altération :

et l'apparition de ces conditions d'altération des poissons et des produits de la pêche étant due à la combinaison de phénomènes microbiologiques, chimiques et autolytiques.

Altération microbiologique

La perte initiale de qualité des espèces de poissons frais (non conservés) maigres ou non gras, qu'ils soient ou non réfrigérés, est due à des modifications autolytiques alors que l'altération est principalement due à l'action de bactéries (voir la figure 3.12).

La flore initiale que l'on trouve chez les poissons est très diverse, encore que très souvent dominée par des bactéries psychrotrophes Gram-négatives. Les poissons capturés dans les régions tropicales peuvent présenter une charge légèrement plus élevée en organismes Grampositifs et en bactéries entériques. Au cours du stockage, une flore caractéristique se développe mais une partie seulement de cette flore contribue à l'altération (voir le tableau 3.12). Les organismes spécifiques de l'altération produisent les métabolites responsables des odeurs et des saveurs désagréables liées à l'altération.

Figure 3.12

Figure 3.12 Modification de la qualité sensorielle de la morue sous glace (0°C (d'aprés Huss, 1988)

Shewanella putrefaciens est typique de l'altération aérobie de nombreux poissons des eaux tempérées à l'état réfrigéré; il produit de la triméthylamine (TMA), de l'hydrogène sulfuré (H2S) et autres sulfures volatils qui donnent lieu aux odeurs et aux saveurs sulfureuses rappelant l'oeuf pourri. Des métabolites similaires sont formés par les Vibrionaceae et les Enterobacteriaceae au cours de l'altération à températures plus élevées. Durant l'entreposage en atmosphère modifiée (contenant du CO2), c'est un Photobacterium psychrophile produisant de grandes quantités de TMA qui est l'une des principales bactéries d'altération. Au cours de l'entreposage aérobie réfrigéré, certains poissons d'eau douce et de nombreux poissons des eaux tropicales se caractérisent par un type d'altération à Pseudomonas qui donne lieu à des odeurs anormales décrites comme fruitées, sulfureuses et écoeurantes. Les Pseudomonas produisent plusieurs sulfures volatils (par exemple méthylmercaptan (CH3SH) et diméthylsulfure (CH3)2S), à l'exception de l'hydrogène sulfuré, ainsi que plusieurs cétones, esters et aldéhydes. Dans le cas des poissons frais, les organismes d'altération identifiés sont indiqués au tableau 3.12. La putréfaction ou l'altération évolue très vite dès lors que la charge en organismes d'altération dépasse approximativement 107 ufc/g.

Tableau 3.12. Microflore dominante et bactéries d'altération spécifiques intervenant dans l'altération du poisson frais blanc (morue)

Température d'entreposageAtmosphère d'emballageMicroflore dominanteOrganismes d'altération spécifiqueRéférences
0°CAérobieBâtonnets Gram-négatifs psychrotrophes non fermentatifs (Pseudomonas sp., S. putrefaciens, Moraxella, Acinetobacter)S. putrefaciens Pseudomonas12, 3, 4, 9
VideBâtonnets Gram-négatifs; psychrotrophes ou à caractère psychrophileS. putrefaciens P. phosphoreum1, 9
Emballage en atmosphère modifiée (contenant du CO2)Bâtonnets fermentatifs Gram-négatifs à caractère psychrophileP. phosphoreum1,7
(Photobacterium) Bâtonnets psychrotrophies non fermentatifs Gram-négatifs (1–10% de la flore; Pseudomonas, S. putrefaciens) Bâtonnets Gram-positifs (bactéries lactiques)
5°CAérobieBâtonnets psychrotrophes Gram-négatifs (Vibrionaceae, S. putrefaciens)Aeromonas sp. S. putrefaciens 
VideBâtonnets psychrotrophes Gram-négatifs (Vibrionaceae, S. putrefaciens)Aeromonas sp. S. putrefaciens 
Emballage en atmosphère modifiée (contenant du CO2)Bâtonnets psychrotrophes Gram-négatifs (Vibrionaceae)Aeromonas sp.6
20–30°CAérobieBâtonnets fermentatifs mésophiles Gram-négatifs (Vibrionaceae, Enterobacteriaceae)Aeromonas sp. motiles (A. hydrophila)2, 4, 5, 8

1L'altération du poisson capturé dans les eaux tropicales ou les eaux douces est généralement dominée par Pseudomonas sp.

Références: 1) Dalgaard et al. (1993), 2) Gram et al. (1987), 3) Lima dos Santos (1978), 4) Gram et al. (1990), 5) Gorczyca et Pek Poh Len (1985), 6) Donald et Gibson (1992), 7) van Spreekens (1977), 8) Barile et al. (1985), 9) Jørgensen et Huss (1989).

Tableau 3.13. Altération des produits de la pêche soumis à un procédé de conservation peu poussé (concentration de sel dans la phase aqueuse 3–6%, pH ≥5, température ≤5°C)

ProduitAtmosphère d'emballageConservateurs autres que NaClSignes d'altérationMicroflore dominanteOrganismes d'altération spécifiques1
Poisson fumé à froidVide-Odeur/saveur anormales (putrides, écoeurantes, sulfureuses)Bâtonnets Gram-négatifs (Enterobacteriaceae, (Vibrionaceae) et occasionnellement bactéries lactiques???
Saveur anormale (saveur sûre, âcre)Bactéries lactiques???
Perte d'arômeBactéries lactiques-
CrevettesDans la saumureAcide benzoïque et/ou acide sorbique acide citrique; pH 5,5 – 5,8Couche poisseuseBactéries lactiquesLeuconostoc sp.
Production de gaz parfois, odeur/saveur anormales rappelant la levureBactériques lactiquesBactéries lactiques hétérofermentatives et, parfois, levures
DiacétyleBactéries lactiquesBactéries lactiques
Odeur/saveur anormalesBactéries lactiques, Brochothrix???
Poisson sucrésalé (“gravad”)Vide-Odeur/saveur anormalesBactéries lactiques, 
Brochothrix et, occasionnellement, bactéries Gram-négatives
???
* Maquereau : rance(Enterobacteriaceae, Vibrionaceae, S. putrefaciens)
* Saumon : sûr, âcre
* Flétan du Groënland: putride
Emballage en atmosphère modifiée-Odeur/saveur anormalesBactéries Gram positives (bactéries lactiques)???
 
(sûres)

1 C'est-à-dire organismes d'altération spécifiques dont on a montré qu'ils étaient liés à l'altération du produit considéré.

L'activité microbiologique est également la cause de l'altération de nombreux produits de la pêche en conserve, stockés à des températures > 0°C. Toutefois, dans la plupart des cas, on ne connaît pas les bactéries d'altération spécifiques. L'addition de petites quantités de sel et d'acide, comme dans le cas des semi-conserves de poisson, modifie la microflore dominante, qui consiste alors surtout en espèces bactériennes Gram-positives (lactobacilles, Brochotrix), dont certaines peuvent agir comme organismes d'altération spécifiques dans certaines conditions, comme indiqué au tableau 3.13. Toutefois, il peut arriver que certaines Enterobacteriaceae et Vibrionaceae agissent comme organismes d'altération spécifiques dans le cas de ces produits. De même, dans les produits où le procédé de conservation est peu poussé, Shewanella putrefaciens peut également jouer un rôle.

De même, des produits de la pêche ayant fait l'objet d'un procédé de conservation plus poussé, tels que les produits salés ou fermentés, s'altèrent sous l'action de certains micro-organismes. Sur ces produits, la flore dominante est constituée de microcoques Gram-positifs, halophiles ou halotolérants, de levures, de bacilles sporogènes, de bactéries lactiques et de moisissures. On connaît un certain nombre d'organismes d'altération spécifiques, tels que les bâtonnets Gram-négatifs anaérobies extrêmement halophiles et les levures halophiles, identifiés comme tels par Knøchel et Huss (1984) car ils produisent des odeurs et des saveurs anormales (sulfureuses, fruitées) dans le hareng salé humide. Une altération due à des bactéries halophiles détermine ce qu'on appelle le “rouge de la morue”. Les “halophiles roses” (Halococcus et Halobacterium) colorent en rose le sel, les saumures et les poissons salés tout en produisant des odeurs et des saveurs anormales normalement liées à l'altération (hydrogène sulfuré et indole).

Certaines moisissures halophiles (Sporendonema, Oospora) sont également classées parmi les organismes responsables d'altération. Elles ne produisent pas d'odeurs anormales mais leur présence enlève de la valeur au produit du fait de leur aspect peu flatteur.

Altération chimique (oxydation)

Les processus d'altération chimique les plus importants sont les modifications qui se produisent dans la fraction lipidique des poissons. Les processus d'oxydation, ou autooxydation, sont une réaction où n'interviennent que l'oxygène et les lipides insaturés. Une première étape conduit à la formation d'hydroperoxydes, qui sont sans saveur mais peuvent entraîner le brunissement et le jaunissement de la chair de poisson. La dégradation des hydroperoxydes donne lieu à la formation d'aldéhydes et de cétones, comme indiqué à la figure 3.13. Ces composés dégagent une forte odeur de rance. L'oxydation peut être déclenchée et accélérée par la chaleur, la lumière (et notamment les rayons UV) et plusieurs substances organiques et minérales (par exemple le cuivre et le fer). On connaît également un certain nombre d'antioxydants qui ont l'effet inverse (alpha-tocophérols, acide ascorbique, acide citrique, caroténoïdes).

Figure 3.13

Figure 3.13. principes généraux de l'oxydation des acides gras polyinsaturés que l'on trouve dans la chair de poisson (d'après Ackman et Ratnayake, 1992)

Altération autolytique

L'altération autolytique est responsable d'une perte très rapide de qualité du poisson frais mais ne contribue que très peu à l'altération des poissons et autres produits de la pêche réfrigérés. La seule exception est l'apparition rapide d'odeurs et de colorations anormales dues à l'action des enzymes présentes dans les intestins de certains poissons non éviscérés. En revanche, dans le cas des poissons congelés, les modifications autolytiques revêtent une importance considérable. La réduction de l'oxyde de triméthylamine (OTMA), processus bactérien qui entraîne chez les poissons réfrigérés la formation de triméthylamine (TMA), en est un exemple. Toutefois, dans les poissons congelés, l'action bactérienne est inhibée et l'OTMA est décomposé par des enzymes autolytiques en diméthylamine (DMA) et en formaldéhyde (FA) :

(CH3)N:O → (CH3)2 NH + HCHO

Le formaldéhyde formé dans le poisson congelé a pour effet une dénaturation accrue des tissus du poisson, des changements de texture et une perte de la capacité de rétention de l'eau. On estime également que d'autres réactions enzymatiques, telles que la formation d'acides gras libres, influent considérablement sur la qualité organoleptique du poisson congelé. Les enzymes autolytiques restent actives à -20°C et en dessous mais exercent leur action à un rythme beaucoup plus rapide à des températures inférieures à zéro, plus élevées.

Les causes des différents types d'altération sont résumées au tableau 3.14.

Tableau 3.14. Causes d'altération du poisson

Causes d'altération du poisson
Signes d'altérationMicrobiologiquesChimiques (oxydation)AutolytiquesPhysiques
Odeurs/saveurs anormales+++-
Formation d'une couche poisseuse+---
Formation de gaz+---
Changements de couleur(+)+++
Changements de texture(+)-++

Lutte contre l'altération

Tous les aliments protéiniques s'altèrent tôt ou tard mais un certain nombre de mesures peuvent être prises pour réduire la vitesse d'altération. L'effet le plus marquant est obtenu en contrôlant la température d'entreposage. Comme on l'a dit, la principale cause d'altération est bactérienne et dans la gamme des températures de réfrigération le schéma de multiplication des organismes d'altération psychrotrophes est correctement décrit par une relation faisant appel à la racine carrée (Bremner et al., 1987). Ainsi, si l'on retient 0°C comme température de référence, la relation comparée entre la multiplication (r) à une température quelconque et celle à 0°C devient :

√r = 1 + 0,1 × t où t est la température en °C.

En d'autres termes, si par exemple la température d'entreposage est de 10°C, la multiplication des bactéries d'altération sera quatre fois plus rapide qu'à 0°C (√r = 1 + 0,1 × 10, r = 4) et la durée de conservation s'en trouvera réduite proportionnellement.

On peut prévenir l'altération chimique ou le rancissement en traitant rapidement les captures de poissons à bord des navires et en stockant les produits dans des conditions anoxiques (emballages sous vide ou sous atmosphère modifiée). Le recours aux antioxydants peut également être envisagé.

L'effet de la température d'entreposage sur la qualité du poisson congelé est également marqué et le taux d'altération est considérablement réduit aux températures inférieures à - 20°C.

L'effet des mesures d'hygiène lorsqu'il s'agit de maîtriser l'altération varie selon le type de contamination susceptible de se produire. Les efforts considérables fournis pour réduire la contamination générale au cours de la manutention des prises de poissons à bord n'ont pas été suivis d'un retard significatif de l'altération (Huss et al., 1974) étant donné que seule une très petite partie de cette contamination générale est imputable à des bactéries d'altération spécifiques. En revanche, les mesures d'hygiène prises pour lutter contre la contamination des poissons et des produits de la pêche par des bactéries d'altération spécifiques influent considérablement sur la vitesse d'altération et la durée de conservation (Jørgensen et al., 1988).


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