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Radio agricole et rurale - Introduction et modèles

Par Prof. Robert L. Hilliard

Biographie

Diplômé de l'Université Columbia de New-York, Dr Robert L. Hilliard est actuellement professeur en art des médias, à l'Emerson College de Boston (Massachusetts, Etats-Unis).

Il a précédemment occupé les fonctions de :

Richard Hilliard a participé à de nombreuses conférences sur la communication et sur la radio, partout dans le monde. Il a notamment organisé des ateliers radio pour des ONG en Afrique. Il a été Conseiller auprès d'un Etat africain, chargé de concevoir la nouvelle législation en matière de radiodiffusion.

Le Professeur Hilliard a publié 25 livres dont The Broadcast Century and Beyond, Global Broadcasting Systems (co-auteur de ces 2 ouvrages : Michael C. Keith) et Beyond Boundaries: Cyberspace in Africa (co-auteur : Melinda B. Robins).

Résumé de la communication

Les toutes premières expériences américaines en radiodiffusion s'adressaient surtout aux agriculteurs et aux zones rurales. Mais ce qui constituait à l'origine une information vitale pour ces publics s'est progressivement transformé en programmes de divertissement au fur et à mesure que les radios américaines se privatisaient et adoptaient un positionnement commercial.

Avec la croissance des villes américaines et la disparition des petites exploitations agricoles, la plupart des radios commerciales orientaient leurs programmes vers les zones suburbaines plus peuplées, donc plus rentables en termes publicitaires. Les radios publiques ou non commerciales devenaient alors la principale source d'information des agriculteurs et des zones rurales.

Puis la télévision pénétra les zones rurales grâce aux réémetteurs et aujourd'hui, les fermes et les zones rurales peuvent se connecter de plus en plus facilement à Internet. Même si le développement d'Internet reste lent dans de nombreux pays en développement, il progresse quand même, comme je l'indique dans mon nouveau livre Au-delà des frontières : le cyber-espace en Afrique (Beyond Boundaries: Cyberspace in Africa), écrit en collaboration avec le Professeur Melinda Robins, et grâce aux contributions de personnes issues de et écrivant sur les pays suivants : Bénin, l'Erythrée, l'Ethiopie, le Kenya, la Namibie, le Nigeria, le Sénégal, le Togo et la Zambie.

Radio agricole et rurale
Introduction et modèles

Par Prof. Robert L. Hilliard

Aujourd'hui, dans beaucoup des pays, la radio est avant tout un outil de divertissement. Aux Etats-Unis, par exemple, il n'existe pratiquement plus de magazines radiophoniques et sur les 12 700 stations de radio existantes, peu s'intéressent aux affaires publiques et à l'information, alors que la plupart des 2 100 radios éducatives ou publiques que compte le pays consacrent l'essentiel de leurs programmes, comme leurs consœurs commerciales, à la diffusion de musique populaire.

Le tableau n'est pas différent dans la plupart des autres pays, où l'on trouve des systèmes commerciaux, soutenus par des annonceurs qui commanditent des programmes destinés à satisfaire les besoins du public le plus large, afin d'attirer le plus grand nombre d'auditeurs et de gagner le maximum d'argent.

Dans de nombreux endroits, aujourd'hui, la radio a renoncé ou quasiment renoncé à ses potentialités originelles qui en faisaient un support d'information, d'éducation et de culture. Notamment parce que des médias puissants, comme la télévision et Internet, ont remplacé la radio, dans des pays où l'économie est assez puissante pour les diffuser à une très large échelle. Mais aussi parce que la situation des pays industriels a changé : autrefois, la population était principalement rurale et il fallait satisfaire des besoins de base, en matière d'information, de liaison avec des services éloignés. Aujourd'hui, la population actuelle est beaucoup plus urbaine et n'a plus besoin de cette relation radiophonique pour abolir les distances et résoudre les problèmes liés à l'isolement.

Il n'en a pas toujours été ainsi. En fait, aux Etats-Unis, la première utilisation significative de la communication radio, mis à part les expérimentations et les liaisons avec les navires en mer - n'oublions pas que c'est l'absence de liaison radio qui a conduit au naufrage du Titanic - a été consacrée aux agriculteurs et aux zones rurales.

Les premiers opérateurs radios aux Etats-Unis ont été des amateurs qui expérimentaient la nouvelle invention. On les appelait « radio amateurs ». Ils étaient plus de 1000 en 1912 et la plupart d'entre eux utilisaient la radio pour communiquer entre exploitations agricoles ou avec d'autres radioamateurs dans les villes. Les universités ont constitué le foyer du développement de la radio aux Etats-Unis pendant et après la fin de la première guerre mondiale. Plusieurs départements scientifiques et techniques, notamment dans les domaines de l'ingénierie, de la physique et dans d'autres matières, introduisirent dans leurs programmes de cours ce nouveau phénomène de communication sans câble. Comme pour tous les nouveaux développements scientifiques, il était important que les étudiants ne se contentent pas d'apprendre le fonctionnement, mais apprennent également l'utilisation. Allant ainsi de la théorie à la pratique, les universités mirent en place des laboratoires pour que les étudiants puissent mettre en application les principes scientifiques qu'ils avaient appris. Ces équipements de laboratoire ont été en fait les premières radios. Certaines de ces universités se situaient dans le Middle-West, au cœur de l'Amérique rurale. Il ne suffisait pas d'envoyer des signaux à l'aveuglette ; lorsque les stations expérimentales mettaient en route leurs équipements, il semblait logique de diffuser quelque chose de particulier à quelqu'un de particulier.

Quels auditeurs pouvaient tirer le meilleur profit de cette nouvelle et mystérieuse invention capable d'envoyer des voix et des musiques venant de très loin, non sur des disques joués sur de phonographes, mais en direct au moment même où cela se produisait ?

- Les gens géographiquement isolés, naturellement, les personnes vivant dans les zones rurales, dans des fermes, dans des lieux où il aurait fallu des jours sur de mauvaises pistes non goudronnées pour atteindre la première ville et avoir les dernières nouvelles.

Les universités ont commencé à fournir des informations vitales aux agriculteurs : bulletins météo provenant du service météorologique national, informations sur les sols et l'air depuis le Département américain de l'agriculture, informations sur les marchés du bétail, le prix des principales matières premières et autres produits utiles à l'agriculture, prix du grain, du fourrage, des machines et autres besoins des fermiers à partir des vendeurs dans les centres de distribution, alerte sur les risques d'inondations, de tornades, de sécheresse, des orages, informations sur tout événement susceptible d'intéresser les agriculteurs, et même appels au secours pour des problèmes pouvant advenir dans une exploitation donnée et qui appellent une action urgente, bref toutes les informations dont les fermiers avaient besoin, mais qu'ils ne pouvaient pas obtenir jusqu'alors sans de longs délais postaux ou à travers d'interminables voyages personnels. A cette époque, très peu d'agriculteurs disposaient du téléphone.

Quelques-unes de ces universités, en particulier les collèges dits "land grant", qui avaient été conçus pour l'Amérique rurale et qui disposaient de gros départements d'agriculture introduisirent des cours de vulgarisation par radio pour les gens trop éloignés d'une école ou d'une université pour venir suivre des cours en personne. Les cours traitaient principalement de sujets agricoles ou d'économie familiale et s'attachaient à des savoirs ou des compétences utiles pour le fonctionnement d'une exploitation agricole, dans les champs et dans les bâtiments.

Il faut noter que le rôle déterminant des femmes dans l'agriculture était pris en compte par ces cours qui, pour les femmes, ne se limitaient pas aux aspects d'économie domestique mais s'intéressaient à leur rôle croissant dans le travail dans les champs et dans la gestion des exploitations. En fait, pendant les périodes de difficultés économiques, quand beaucoup d'hommes cherchaient des emplois non agricoles dans les villes, pour pouvoir joindre les deux bouts, de même que pendant la deuxième guerre mondiale, où beaucoup d'hommes étaient incorporés dans l'armée, les femmes prirent en charge les exploitations agricole, partiellement ou totalement. Il est intéressant de constater, mais nous y reviendrons plus tard, que les autorités de quelques pays en développement commencent seulement à reconnaître le rôle significatif des femmes et à leur fournir des radios et autres matériels pour satisfaire leurs besoins.

Donc, comme aujourd'hui dans de nombreux pays en développement ou avec de vastes superficies, les "écoles des ondes" étaient très demandées et très appréciées.

La radio agricole devint ainsi la première forme d'information développée sur ce nouveau média. Un 1916, une note attribuée à David Sarnoff, qui devint par la suite le plus puissant radiodiffuseur des Etats-Unis, à la tête de RCA et NBC, incitait au développement d'une "boîte à musique" que l'on aurait pu placer sur une table dans le salon ou la salle à manger et qui pourrait diffuser des conférences ou des informations d'importance nationale qui "seraient émises et reçues simultanément". Sarnoff terminait sa note par les mots suivants : "cette idée pourrait être particulièrement intéressante pour les agriculteurs et les autres personnes vivant dans des zones reculées".

Et c'est bien ce qui s'est produit. Au début des années 20, alors que la radio commence à se développer aux USA, beaucoup de stations ont été créées pour les besoins des personnes isolées dans les fermes et dans les zones rurales. Quelques stations étaient mises en place en ville par de grandes sociétés d'électricité, comme General Electric et Westinghouse. D'autres étaient créées par des individus dans des petites villes, à côté de leurs boutiques d'électricité ou de leurs ateliers de réparations électriques. Les églises ont mis en place des stations pour atteindre de façon régulière les familles rurales qui vivent trop loin pour se rendre régulièrement aux offices.

Le gros problème était que, - comme dans de nombreux pays en développement aujourd'hui - seulement la moitié de la population rurale disposait de l'électricité en 1920 et qu'il fallait posséder une radio alimentée par batteries. Mais, comme c'est le cas aujourd'hui dans de nombreux pays, les batteries sont très coûteuses, particulièrement dans les pays économiquement faibles.

Parmi les premiers radiodiffuseurs, on compte le Département de l'Agriculture et le Service de météorologie des USA

En 1921, on comptait aux Etats Unis une radio pour 500 ménages. En 1926, seulement cinq ans plus tard, on comptait une radio pour 6 ménages. Aujourd'hui, la plupart des foyers aux USA disposent d'environ huit postes de radio et si l'on comptabilise les autoradios on arrive à neuf ou dix. L'an dernier seulement, les américains ont acheté plus de 58 millions de nouveaux postes. Comme l'écrivait Joel Brinkley dans le New York Times, "la radio est de loin l'objet de consommation électronique le plus omniprésent dans le pays".

Dans les années 30, la radio était virtuellement devenue une nécessité pour les agriculteurs et les populations rurales des Etats Unis. Pendant la grande dépression économique et la grande sécheresse, la "trombe de poussière" comme on appelait une partie du pays, dans laquelle des milliers d'exploitations et des millions d'hectares ont été perdus, la radio était le seul lien reliant les plus pauvres au monde, dans les fermes et les zones rurales. La plupart d'entre eux étaient prêts à vendre leurs lits ou leurs réfrigérateurs ou d'autres équipements ménagers avant de renoncer à leurs radios.

Les programmes agricoles étaient si populaires que l'un d'entre eux, "l'heure hebdomadaire de la ferme et de la maison" diffusé par la NBC a été un des programmes favoris du public pendant des dizaines d'années, dans tout le pays, y compris dans les villes. Ce programme proposait une combinaison de distraction et d'information. Comme il était diffusé par une radio commerciale, ce programme proposait des informations en direction des auditeurs ruraux tout en générant des profits pour les annonceurs et la radio elle-même. Des programmes similaires existaient sur les radios au niveau régional et local dans tout le pays.

Aujourd'hui, il y a plus de 100 radios dites agricoles qui diffusent encore des programmes aux Etats-Unis, avec une programmation centrée sur les exploitations agricoles et les auditeurs ruraux et plusieurs centaines d'autres consacrent des programmes tous les jours à des sujets intéressant les exploitations agricoles.

Au fil des années, l'utilisation de la radio au service des zones rurales s'est développée, pas seulement sur les antennes des stations, mais aussi à travers le développement d'un très grand service radio au niveau du Secrétariat d'Etat à l'agriculture et le recrutement de producteurs et de reporters hautement qualifiés pour produire et diffuser des programmes avec l'appui d'experts agricoles. Ces producteurs et reporters connaissent de mieux en mieux les besoins des agriculteurs et leurs solutions.

Selon la Loi fédérale des Etats Unis, le gouvernement n'est pas autorisé à posséder ou exploiter une station de radio destinée à toucher le public. Cette Loi, bien entendu, est nécessaire pour éviter qu'un Gouvernement ou parti au pouvoir ne soit tenté d'utiliser les médias pour propager ses propres idées en vue de conserver le pouvoir. Le Gouvernement s'appuie donc sur les radios privées qui lui fournissent des temps d'antenne pour la diffusion de ses programmes.

Un des pionniers en matière de production rurale, qui travaillait pour des stations centrées sur les programmes ruraux, était Lane Beaty. Ils devint par la suite le Directeur du Bureau des médias du Secrétariat d'Etat à l'agriculture. Dans l'ouvrage que j'ai rédigé, en collaboration avec Michael Keith, sur l'histoire de la radio et de la télévision aux Etats Unis, « The Broadcast Century and Beyond », Layne Beaty évoque quelques-uns uns des service fournis aux agriculteurs par la radio :

C'est par hasard que les premières "radiodiffusions" ont été agricoles et ont été consacrées aux semis. C'était néanmoins pertinent car dans les premiers temps de la radio, quand les populations rurales vivaient dans l'isolement, la radio constituait un lien avec le monde extérieur et un compagnon de tous les jours pour les agriculteurs et leurs familles. Deux des premières stations de radio, KDKA (à Pittsburgh, en Pennsylvanie) et WHA (à Madison dans le Wisconsin), ont mis l'accent sur ces services. Elles justifiaient l'usage des fréquences et des puissances d'émission qui leur étaient assignées par leurs programmes sur les prix de marché, les bulletins météos actualisés, les informations sur les techniques agricoles, les lois et réglementations en usage, et les annonces commerciales adaptées à des auditeurs ruraux très éparpillés. Dans ma longue carrière, ces années passées à produire et diffuser des programmes agricoles ont sans doute été la période la plus gratifiante, en termes de contact avec le public. Mes auditeurs n'étaient pas seulement des ruraux, mais aussi des travailleurs urbains et un des programmes du réseau - le vieux programme de la NBC, "l'heure de la ferme et de la maison" - suscitait régulièrement du courrier provenant de Wall Street. A l'antenne j'essayais d'être chaleureux et amical avec un humour naturel, pas fabriqué - sans blagues toutes faites. J'essayais de me montrer en personne le plus souvent possible et ceci a aidé à bâtir la bonne image de la station. Les programmes de divertissement (musique etc.), les longs reportages, avant que n'arrivent les autoroutes et la télévision, ont disparu, laissant place à des programmes plus courts, plus concis, visant précisément les fermiers ou les éleveurs (au profit des annonceurs).

Voici un exemple parlant des services que la radio peut rendre aux agriculteurs : Beaty se rendit à au Mexique, en 1947, alors qu'il était producteur d'émissions agricoles pour la station WBAP, à Fort Worth, Texas. A cette époque, une maladie équivalente à celle de la "vache folle", la "fièvre aphteuse", obligeait à abattre des milliers de bovins et à enterrer leurs têtes dans une zone en quarantaine au Mexique central. Par crainte des effets sur le cheptel américain et des conséquences économiques sur les fermes et les ranches, le gouvernement américain coopérait avec le Mexique pour trouver le moyen d'enrayer l'épidémie. Lane Beaty se rendit au Mexique, avec un nouvel enregistreur et fit un long reportage sur le terrain incluant des interviews de responsables gouvernementaux, de vétérinaires, de fermiers pour bâtir son programme pour les agriculteurs américains.

(A titre personnel, je voudrais aussi noter que dans les années 60 et 70, Lane Beaty représenta le Secrétariat d'Etat à l'agriculture au Comité fédéral inter-agence des médias. J'en étais alors le Président. Il a non seulement promu l'idée que les médias devaient servir les agriculteurs, mais aussi tous les groupes isolés et c'est cette approche que le Comité à faite sienne et a portée jusqu'à la Maison Blanche).

En 1970, aux Etats-Unis, j'ai eu l'occasion de rencontrer Cesar Chavez, un des grands leaders ouvriers de notre histoire. Chavez était lui-même un travailleur immigré, qui allait de ferme en ferme et de champ en champ comme travailleurs saisonnier pour un salaire insignifiant, qui assurait à peine sa survie. Les travailleurs itinérants travaillaient dans les plus horribles et insalubres conditions d'esclavage virtuel. Ils ne bénéficiaient d'aucune assistance médicale, vivaient dans des logements crasseux sans équipements, n'avaient aucune possibilité de scolarisation pour leurs enfants, qui étaient eux aussi obligés de travailler dans les champs, durant de longues heures épuisantes sous la chaleur torride ou sous la pluie. De plus, ils devaient payer aux propriétaires des fermes des sommes exorbitantes pour leur nourriture et autres besoins. Ils n'avaient aucune sécurité d'emploi, vivaient au jour le jour. Une famille pouvait ainsi travailler des mois et découvrir, après avoir payé ce qu'elle devait pour la nourriture et les autres besoins de base, qu'il ne lui restait pas un sou et qu'elle n'avait ni travail, ni nourriture, ni toit. En plus de cela, si jamais les travailleurs essayaient de s'organiser, les propriétaires des fermes engageaient des hommes de main qui les battaient, voire même les tuaient. La police et les autres autorités étaient généralement du côté des propriétaires.

C'est dans ces conditions que Cesar Chavez créa le Syndicat des travailleurs agricoles et convainquit de nombreux américains de boycotter les produits des compagnies des pires propriétaires de fermes. C'est là que la radio entre en scène. Les actions de Chavez pourraient servir d'exemple dans d'autres pays où les travailleurs agricoles et autres acteurs du monde rural veulent utiliser la radio pour améliorer leurs conditions. Lorsque je dirigeais le secteur de la radiodiffusion publique, à la Commission fédérale des communications des Etats-Unis, l'organisation de Cesar Chavez fit une demande pour créer une radio publique (ou non commerciale) en Californie, où se trouvait son siège et où travaillait la plupart de ses membres.

Toujours en lutte contre l'exploitation des propriétaires, Chavez pensait que s'il pouvait obtenir d'eux qu'il permettent aux travailleurs de disposer d'un petit poste de radio portable, disons pour leur remonter le moral et les motiver à travailler encore davantage pour les patrons, il pourrait utiliser les stations de radio pour les besoins de son syndicat. S'il pouvait établir une communication instantanée avec tous ses adhérents sur le terrain à travers la radio, il pourrait appeler à la grève juste au moment où elle se justifierait, par exemple si un patron refusait de négocier des salaires ou des conditions de travail. Ou il pourrait appeler à des arrêts de travail ou à des manifestations, lorsque les travailleurs seraient malades ou empoisonnés à cause des pesticides et que les propriétaires refuseraient de les soigner. Ou encore il pourrait appeler à des renforts lorsque, pendant une manifestation, les hommes de main commettraient des brutalités ou tireraient sur les manifestants, ce qui arrivait souvent.

J'ai rencontré Chavez et ses camarades responsables du syndicat et je les ai aidés à élaborer les dossiers de demande de fréquences radio. Le projet de Chavez était de donner un poste radio à chaque travailleur de son syndicat, ces postes étant conçus pour ne recevoir que les fréquences de ses stations émettrices. Pendant la discussion sur la façon d'utiliser ces stations, plusieurs de ses conseillers suggérèrent le type d'émissions qu'il fallait programmer : information, éducation, discussions, discours, et autres programmes susceptibles de renforcer la résolution des travailleurs et leur capacité à négocier des contrats avec les propriétaires récalcitrants.

Mais à la surprise générale, Chavez déclara qu'il voulait des programmes de divertissement et pas d'information ou d'éducation sur les ondes de la radio. Il expliqua que les gens qui travaillent dur dans les champs attendent de la radio qu'elles les détende et qu'ils seraient donc prêts à écouter des programmes de divertissement mais n'accorderaient pas d'attention ou n'écouteraient peut-être même pas des programmes portant sur des sujets sérieux. Du divertissement, surtout de la musique, ce serait la principale garantie d'écoute de la station. Alors, il serait sur, lorsqu'il aurait à interrompre les programmes avec une annonce, que tout le monde serait à l'écoute. Cette approche pratique de Cesar Chavez à l'utilisation de la radio pourrait s'appliquer à bien des situations partout dans le monde.

Récemment, j'ai travaillé dans un pays d'Afrique sub-saharienne avec des groupes sur leurs usages de la radio. Il s'agissait surtout d'ONG qui jusque là n'avaient pas été en mesure d'organiser leurs membres ni de les informer ou de les former sur un quelconque sujet en raison de la géographie, des distances, des obstacles entre les gens et des mauvaises conditions de transport. La radio leur offrait l'opportunité d'une communication instantanée à une large échelle. Il n'est pas surprenant que de nombreuses ONG soient constituées de groupes de femmes qui sont victimes des mêmes discriminations et préjudices que ce qu'ont connu les femmes rurales aux Etats-Unis, avant que leur rôle ne soit reconnu et que des droits égaux ne leur soient accordés. Dans l'atelier radio que j'ai organisé, j'ai écouté tout ce qui se disait à propos des besoins d'informer les femmes sur leur droits juridiques et économiques, dont les autorités ou leurs maris les avait spoliées. J'ai écouté ce qui se disait à propos de leurs besoins d'assistance pour qu'elles sachent où s'adresser pour des informations sur la santé et les enfants. J'ai écouté ce qui se disait sur leur désespoir de ne pouvoir apprendre ce qu'il fallait faire contre le SIDA, alors que leurs maris refusaient d'utiliser des préservatifs et se moquaient de les infester, elles et leurs futurs enfants. J'ai écouté ce qui se disait sur leur désir de trouver les équipements de base qui faciliteraient leur vie quotidienne. J'ai écouté ce qui se disait sur leurs suppliques pour donner à leurs enfants une éducation qui leur permettrait d'avoir une vie meilleure que celle de leurs parents. J'ai écouté ce qui se disait sur leurs besoins (partagés par leurs maris) de trouver des modes de commercialisation plus efficaces et plus rentables de leurs productions et de leur bétail. J'ai écouté ce qui se disait sur leurs besoins de disposer d'informations à l'avance sur les conditions météorologiques, les tempêtes, les coulées de boues, les inondations, les vagues de chaleur. Dans leur essence, ces problèmes et ces besoins sont similaires à ceux que les agriculteurs ont connus aux Etats-Unis, y compris les femmes, avant l'arrivée de la radio. Et comme aux Etats-Unis, la radio peut être un outil déterminant pour apporter des réponses à quelques-uns uns de ces graves problèmes.

Aujourd'hui, de nombreux pays s'appuient sur la radio pour répondre aux besoins de leurs agriculteurs et de leur population rurale, particulièrement les pays qui sont d'abord ruraux et dont la population est dispersée sur de vastes étendues. Un de ces pays est l'Afrique du Sud, où depuis la fin de l'apartheid, sont apparues de nombreuses radios locales et communautaires. Une des personnes qui a joué un rôle important dans ce développement est un américain du nom de William Siemering. Dans un de mes livres, écrit avec Michael Keith, Global Broadcasting Systems, Siemering dresse un inventaire des principes à respecter pour que ces stations soient au service les paysans et les zones rurales. Ces principes peuvent s'adapter partout. Il dit ceci :

Comme la radio constitue le média dominant pour la majorité de la population, celle-ci va jouer un rôle déterminant pour satisfaire les énormes besoins en matière d'éducation, de santé et de développement. Neuf sud africains noirs sur dix ont un poste de radio. Les trois quarts de la population écoutent la radio et pensent qu'elle est le média le plus informatif, le plus compréhensible et le plus distrayant. Trois Sud-africains sur cinq vivent dans des zones rurales et 80 % d'entre eux n'ont pas d'électricité. Les taux d'alphabétisation varient de deux personnes sur cinq, pour aller jusqu'à 63 % dans les zones rurales.

L'Afrique du sud dispose du potentiel nécessaire pour développer un des systèmes radio les plus originaux et les plus efficaces dans le monde , pour les raisons suivantes :

Cette description de l'Afrique du Sud peut être adaptée à de nombreux autres pays où la radio peut être utilisée pour répondre aux besoins des agriculteurs et de la population rurale.

De nombreuses organisations et associations appuient et soutiennent la radio agricole et rurale. Une d'entre elles, citée ici comme un des meilleurs exemples, est le Réseau des radios agricoles des pays en développement (cf. sur Internet www.farmradio.org). Il s'agit d'une organisation basée au Canada, qui utilise, depuis 1979, la radio pour aider "les familles paysannes à apprendre des techniques simples et éprouvées pour augmenter leur production alimentaire et améliorer leurs conditions de nutrition et de santé". Son activité principale consiste à préparer des scripts de radio qui sont distribués gratuitement à plus de 1 300 radios membres du réseau. Ces stations réalisent les scripts avec les informations contenues dans les dossiers et touchent des millions d'agriculteurs partout dans le monde. Les dossiers de scripts les plus récents reprennent une des propositions de ce papier, sur l'importance de satisfaire les besoins des agricultrices et des femmes rurales. La série de scripts du mois d'octobre 2000 porte le titre suivant : "Les femmes sont la clé du développement rural". Les sujets traités sont : "Les femmes produisent la plus grande part de notre nourriture", "Les femmes et le crédit", "Conseils de nutrition pour les femmes enceintes", "Une école communautaire pour les garçons - et les filles", " Les droits à la terre bafoués : pourquoi les femmes ont-elles droit à une égalité d'accès à la terre ?", "Mon corps m'appartient : les femmes doivent décider pour leurs propres corps", "Quand les femmes s'unissent la communauté change", et "Il est important que les femmes votent".

Alors que, dans de nombreuses parties du monde d'aujourd'hui, l'Internet et la télécopie sont devenus les principaux moyens de communication, la radio reste un média de choix et offre le plus grand potentiel pour satisfaire les besoins des agriculteurs et des populations rurales."

 

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