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La recherche dans le domaine des médias ruraux

Par Julien Rakotoarimana - Secrétaire général du Réseau des radios rurales à Madagascar, Antsirabe, Madagascar

Biographie

Julien Rakotoarimana a étudié l'Economie à l'Université d'Antananarivo à Madagascar et suivi une formation de réalisateur-producteur radio de proximité au Centre de perfectionnement en radio journalisme et management (Radio nationale malgache).

Julien Rakotoarimana a été Responsable des publications et des projetsdans un bureau de consultants malgache de 1987 à 1994. Il est, depuis 1996, Responsable de la Commission systèmes d'informations/éducation, de la cellule «Radio de proximité», au sein de l'ONG IREDEC et, depuis 1998, Responsable du Réseau des radios rurales malgaches.

Julien Rakotoarimana est également membre du conseil d'administration de l'Union des Radios Communautaires de l'Aire Francophone (URCAF) et co-organisateur de l'atelier portant sur «L'étude de l'auditoire des radios rurales à Madagascar» commanditée par le CTA / GRET en 1998.

Résumé de la communication

L'intervenant fera part dans sa communication de:


Résumé

Introduction

La situation de la recherche dans le domaine des médias ruraux

Les méthodes et les techniques utilisées

4. L'enquête de terrain

5. L'étude qualitative et l'émission publique villageoise

6. L'enquête sur les ménages ruraux et la radio

Conclusion


Résumé

La recherche dans le domaine des médias ruraux est servie par l'intérêt que lui manifestent bon nombre d'organismes internationaux et nationaux intervenant en appui au développement rural. La multiplication des réseaux de radios rurales contribue à la mettre à la portée de radios normalement à faible budget. Les plus grands atouts sont toutefois la passion militante des radiodiffuseurs et la grande disponibilité des ruraux à répondre à des sollicitations tendant vers leur appropriation du moyen radiophonique.

Certains organismes ne sont toutefois pas encore acquis à l'idée même de radio rurale et donc d'une étude spécifique de son auditoire. La récupération aux fins commerciales existe, qui n'est pas le seul fait des privés. Les expertises nationales existent mais doivent se débarrasser d'une vision purement technique et commerciale. Les radios rurales étant des radios de proximité, la recherche doit prendre en compte la complexité de l'auditoire suivant les paramètres sociaux, économiques et culturels avec les contraintes liées à l'échelle. Les informations sur le milieu ne sont pas toujours disponibles. La recherche garde donc une bonne dose d'empirisme malgré le perfectionnement des outils méthodologiques.

La phase préparatoire de l'étude est cruciale pour la fixation de tous les repères méthodologiques adaptés à l'ambition et aux réalités locales: bons questionnements, connaissance du milieu, objectifs clairs, choix des sites d'enquête, échantillonnage, questionnaire d'enquête. A ce niveau, un grand effort d'anticipation est exigé pour que ces repères ne soient pas flous, d'autant plus que les ruraux ne réagissent pas toujours comme les urbains.

Une grande attention sera portée à la formation, à l'introduction et au suivi du travail des enquêteurs sur les sites d'enquête. L'enquête elle-même doit être constamment perçue comme formatrice pour l'équipe à qui il est souvent demandé d'opérer des réajustements méthodologiques.

Face à la surabondance relative des données collectées, tant représentatives qu'indicatives, la synthèse et l'analyse des résultats sont fastidieuses. Il ne faut pas oublier que l'étude doit fournir des réponses précises aux questions de départ et qu'elle est un outil d'aide à la décision pour les responsables de la radio.

Dégager les habitudes globales d'écoute ne suffit pas, il faut aussi répondre au «pourquoi» de ces habitudes. A partir des tendances globales observées, il faut donc effectuer une étude qualitative complémentaire. Celle-ci se déroule suivant les mêmes étapes que l'étude quantitative. La différence réside dans le souci de compréhension des habitudes et des aspirations de l'auditoire rural qui intègrent l'écoute radiophonique à la résolution de leurs problèmes quotidiens et de développement. Les entretiens de groupes fournissent des données significatives précieuses aux radiodiffuseurs ruraux.

L'émission publique villageoise permet aussi à la radio de dialoguer avec son auditoire avec le maximum de franchise que facilite son ambiance ludique. Ce moyen est toutefois difficile à organiser et à manier. Il implique une parfaite maîtrise technique et une adhésion totale de l'équipe de la radio.

Enfin, les enquêtes sur les ménages ruraux peuvent compléter cette recherche en lui fournissant un cadrage plus large: socio-économique et géographique. Elles ont cependant leurs limites: place restreinte pour la radio et réservée à l'étude d'audience, risques de biais car les questions de départ et les objectifs de ces enquêtes sont plus généraux.

S'il existe des moyens pour réduire les coûts de telles études, ceux-ci sont quand même élevés, d'autant plus que ces enquêtes devraient être périodiquement renouvelées car le milieu rural est en perpétuelle évolution.

INTRODUCTION

Au sens classique et dans la logique de l'offre, étudier l'auditoire c'est mesurer le comportement des auditeurs pour pouvoir les exposer, dans les meilleures conditions d'efficacité, aux messages des annonceurs. Le libéralisme triomphant, par le biais de la globalisation fait valoir une fausse universalité d'une telle démarche qui trompe bon nombre de radiodiffuseurs, pour qui les radios rurales ne sont qu'une mode passagère et se feront fatalement un jour engloutir par les puissantes chaînes commerciales.

En milieu rural, africain de surcroît, la radio ne peut pas faire vendre les produits des grosses entreprises commerciales, lesquels intéressent peu ou même pas du tout les ruraux. Ces derniers «vivent» la radio et attendent de celle-ci qu'elle fasse d'eux ses premiers partenaires à tous les moments et à tous les endroits où leur vie se déroule: sur les places des villages, dans les écoles et les dispensaires, aux champs, sur les marchés, dans les réunions etc.

Dialoguer avec son auditoire est une nécessité vitale pour la radio rurale, un dialogue qui peut aller jusqu'à l'association à la gestion de la station elle-même. C'est dans l'instauration de ce dialogue qu'il faut voir la finalité de l'étude de l'auditoire des radios rurales. Il est donc nécessaire d'aborder les questions d'étude d'audience ou d'auditoire avec des outils adaptés au contexte des communautés rurales.

Nous1 avons eu la chance en décembre 1998 de préparer et de co-organiser avec le GRET2 pour le compte du CTA un atelier de formation portant sur l'étude de l'auditoire des radios rurales à Madagascar.

Cet atelier qui s'est déroulé dans la région d'Antsirabe et qui a réuni 16 participants des 6 provinces de Madagascar s'est appuyé dans ses interrogations de départ sur la première expérience similaire menée par le CTA au Mali en novembre 1997. La différence était que, contrairement au Mali où les participants ont effectué l'étude quantitative, celle-ci fut réalisée en amont de l'atelier par l'IREDEC dans trois sites où les participants ont mené une étude qualitative approfondie.

Il faut dire que le CTA développe particulièrement des activités de formation et de réflexion sur le thème de la recherche dans le domaine des médias ruraux. Juste avant l'atelier malgache, en 1998, WREN MEDIA s'est vu confier l'organisation d'un atelier similaire en Afrique du Sud. Le dernier en date eut lieu du 6 au 27 octobre 2000 à Ouagadougou et a réuni plusieurs responsables de radios rurales d'Afrique francophone.

Pour préparer cette communication, nous avons réuni beaucoup de documents qui traitent du sujet. Ceux-ci ne manquent heureusement pas pour nous radiodiffuseurs ruraux (je n'arrive pas à intégrer dans mon vocabulaire le terme «radioteur» pourtant très significatif). Nous n'osons pas citer les éminents auteurs par crainte d'omissions mais ce que nous pouvons dire, c'est que nous avons recherché et lu les principaux ouvrages qui traitent du dialogue entre la radio rurale et son auditoire. Nous avons aussi lu des comptes-rendus d'expériences intéressantes de confrères africains.

Comme il ne s'agit toutefois pas de soutenir une thèse mais de livrer une communication qui puisse servir de matière à réflexion et à débat, nous avons finalement opté pour ne citer que des exemples malgaches pour illustrer notre propos. On ne parle bien que des réalités qu'on connaît. J'espère que nos discussions aborderont d'autres cas qui confirmeront ou infirmeront nos propos. J'espère surtout que cette communication nous aidera à mieux identifier les nouveaux contenus et à mieux définir les nouveaux partenariats en matière de radiodiffusion rurale.

Dans un premier temps, nous allons brosser le tableau de la situation de la recherche dans le domaine des médias ruraux en partant des spécificités des radios qui diffusent des programmes à destination du monde rural. Ces spécificités impliquent la fixation de repères et l'adaptation des outils méthodologiques au cas des radios rurales: c'est ce que nous verrons dans un deuxième temps. Nous traiterons ensuite de la réalisation des enquêtes - quantitative et qualitative - et de la synthèse des résultats.

Comme l'étude de l'auditoire n'est en fait qu'un moyen de raffermir les relations entre la radio rurale et son auditoire, nous ne pouvons ne pas parler des émissions publiques villageoises que nous avons voulu intégrer dans notre approche. Loin de nous l'idée de piller cette méthode que notre aîné François Querre a élaborée à partir d'expériences de pionniers des radios rurales africaines: ce sont tout simplement des moyens de dialogue par excellence que tout radiodiffuseur rural se doit d'utiliser. Enfin, nous parlerons de l'intégration de la radio dans les enquêtes sur les ménages ruraux.

LA SITUATION DE LA RECHERCHE DANS LE DOMAINE DES MÉDIAS RURAUX

Pour bien comprendre l'importance de l'étude de l'auditoire des radios rurales et ce qui fait sa différence, il faut bien saisir les spécificités de ces radios. Nées dans la foulée des indépendances des années 60, elles étaient des services publics rattachés aux radios nationales ou à des ministères, équipés et fonctionnant sur des fonds publics ou de coopérations bilatérales ou multilatérales. Le réel essor date de la dernière décennie du 20ème siècle avec le vent de la libéralisation des ondes qui souffle presque partout en Afrique. Madagascar n'échappe pas à la règle, même si des radios rurales publiques régionales n'ont vu le jour qu'à partir de 1990.

Il conviendrait aussi de signaler le cas des pays d'Afrique anglophone, notamment d'Afrique Australe où les «farm radios» ne sont pas des radios rurales à proprement parler. Il est vrai que les problèmes de réforme agraire se posent avec acuité dans ces pays où il n'existe pas de vrai paysannat, mais des ouvriers agricoles employés dans les plantations tenues par une très faible minorité de propriétaires terriens. Signalons aussi le cas similaire des pays d'Amérique Latine où la lutte politique imprègne fortement la paysage radiophonique. De façon générale donc:

1. Les radios sont le seul moyen de communication qui soit à la portée des ruraux. Dans la région d'Antsirabe où nous avons effectué notre étude, plus de 40% de la population est analphabète. Les journaux parviennent rarement dans les zones reculées. Faute d'électricité, de pouvoir d'achat et de programmes intéressants, la télévision leur est inaccessible.

2. Les auditeurs ruraux subissent un monopole de fait de la part d'une ou de deux stations radio au plus qui peuvent être captées dans leur région. Ce monopole est aggravé par la vétusté du parc des postes radios, qui impose l'écoute des radios publiques, les seules habilitées à émettre en ondes moyennes et en ondes courtes. Ainsi, 44% des postes de la région d'Antsirabe ne possèdent pas la bande FM. Les responsables de telles radios ne sont pas très motivés à sortir de leur routine pour mieux identifier leur auditoire.

3. Les infrastructures et services publics de base sont peu présents: santé, transport, éducation, postes et télécommunications, cultures, loisirs, etc. Il est extrêmement frappant que la population rurale demande à la radio, non seulement de transmettre et d'amplifier leurs desiderata dans ces domaines mais aussi de leur fournir ces services manquants.

4. Les radios rurales ne fonctionnent pas sur une logique marchande. Sur la dizaine de radios implantées et captées dans certaines communes rurales du Vakinankaratra (la région d'Antsirabe), une seule clame haut et fort (et fait payer cher aux annonceurs) son option commerciale. Généralement, les avis et communiqués constituent une ressource financière substantielle à l'échelle des faibles budgets des radios rurales qui fonctionnent sur un mode communautaire ou associatif et font largement appel aux partenaires locaux et au bénévolat.

5. Les partenaires locaux potentiels sont justement nombreux à avoir besoin de la radio pour relayer des informations à caractère national (administration et collectivités locales) ou comme moyen de communication, de vulgarisation, de promotion d'activités etc. Il s'agit des techniciens de services publics, d'associations, d'ONG ou groupement villageois, de groupes politiques ou religieux et des populations rurales elles-mêmes. Rares sont les radios qui parviennent à garder leur indépendance par rapport à ces différents groupes qui sont toujours à l'affût de toute occasion pour investir les rédactions des radios. Ce ne sont pas tant les capacités journalistiques et techniques des responsables et du personnel de la radio qui sont en cause. L'on peut dire que les radiodiffuseurs sont techniquement très appuyés, beaucoup même dans le cas malgache où la mode est aux projets radiophoniques de divers organismes de coopération qui dispensent les mêmes formations (à quelques variantes, près) aux même personnels des mêmes radios. L'indépendance éditoriale de la radio rurale est tout simplement difficile à préserver quand on reste dans la logique de l'offre, sans rapport étroit et interactif avec son public.

6. Les ruraux préfèrent les radios de proximité qui leur diffusent des informations plus intéressantes et plus utiles dans une ou des langues qui leur sont compréhensibles. D'autant plus que la proximité favorise le dialogue au sein et entre les communautés.

7. Les radios rurales assument une mission et des fonctions de service public dont chacune les distingue des radios urbaines: information publique, radio-services, diffusion d'informations techniques, économiques, sociales et culturelles, dialogues et débats, tribune d'expression, culture, divertissement, recueil et valorisation du patrimoine oral et musical du milieu rural, sensibilisation et mobilisation sociale, investigation du milieu et enquête sociale pour la faisabilité, la mise en _uvre, le suivi et l'évaluation de projets et programmes de développement. Malgré leurs moyens dérisoires, les radios rurales sont quand même obligées d'assumer ces fonctions à défaut desquelles elles n'ont pas leur place au soleil du monde rural. Le radiodiffuseur lui-même est parfois un rural comme ce paysan bricoleur de Tsaramody, à 50 km au nord d'Antsirabe sur la Nationale 7 qui règle l'ouverture de son antenne sur ses propres travaux agricoles et ne se sépare jamais de son émetteur de poche bricolé au cas où la sage-femme devrait être appelée d'urgence, via sa station radio, au chevet d'une patiente: pour quelques «kapoaka» de riz ou pour rien du tout, seulement pour le plaisir du devoir accompli.

8. Les radios rurales se doivent en permanence d'être à l'écoute de leurs auditoires, de dialoguer avec eux. Le téléphone est inconnu et les services postaux ne sont pas réputés pour leur célérité et pour leur fiabilité en milieu rural. Des clubs d'écoute ont été créés en de nombreux endroits, à la fois pour permettre aux auditeurs de critiquer les programmes de la station et pour qu'ils puissent aussi participer à la définition de sa stratégie de développement. A Madagascar où le poste radio est encore considéré comme ostentatoire (donc à ne jamais trimballer en public), le projet SEECALINE a doté ses points communautaires de nutrition (PCN) de postes radios à manivelle pour permettre à ses animatrices et aux villageoises de suivre, débattre et critiquer les émissions réalisées et produites par le projet. Le grand problème de tels systèmes est leurs coûts élevés. Une mobilisation générale ne peut être que périodique en vue du réaménagement de la grille de programmes par exemple. Quant à l'écoute permanente, elle risque d'être faussée par la non-responsabilité des auditeurs qui communiquent fidèlement. Très peu de gens croient aux radios rurales. Il arrive même parfois à leurs responsables de douter, la logique commerciale semblant si impérieuse. La demande existe pourtant: il faut donc savoir aller l'identifier.

LES MÉTHODES ET LES TECHNIQUES UTILISÉES

Quand le GRET est venu nous proposer de l'aider à préparer et à organiser cet atelier de décembre 1998 à Antsirabe, nous avions quelques expériences des enquêtes socio-économiques, mais aucune en matière d'étude de l'auditoire. Nous n'avions que notre connaissance des communautés et des communes partenaires, nos relations de travail avec les radios locales, une équipe de jeunes radiodiffuseurs très enthousiaste et heureusement polyvalente.

Le GRET n'a pas voulu nous communiquer la méthodologie utilisée au Mali (même pas la cassette vidéo réalisée à cette occasion). Il a tout juste accepté qu'on fixe ensemble les repères méthodologiques. Bien nous en a pris car la marge de man_uvre qui nous a été conférée nous a permis, malgré les tâtonnements, d'accumuler les expériences heureuses ou malheureuses très utiles selon l'objectif pédagogique de l'atelier.

a. L'étude de l'auditoire

Etudier l'auditoire, c'est d'abord poser des questions, collecter des informations sur des données chiffrables, des mesures statistiques précises en réponse à des questions préalables, clairement posées et d'ordre quantitatif. L'étude d'audience3 doit pouvoir faire connaître les habitudes d'écoute radiophonique de l'auditoire.

Les questions de départ convenues avec le GRET semblent à première vue universelles.

Il s'agit de savoir:

Il faut cependant garder à l'esprit qu'en fin de compte, il faut instaurer et/ou renforcer le dialogue entre la radio rurale et son auditoire. C'est ce principe qui influera principalement sur la fixation des repères: la recherche d'informations sur le milieu, la formulation des termes de référence, des objectifs de l'étude, le choix des sites d'enquête, la détermination de l'échantillon, la détermination du questionnaire d'enquête, son test préalable et la codification des réponses.

La collecte d'information sur le milieu ne peut jamais se résumer autour des centres de documentation, des bureaux administratifs et des bibliothèques. Dans une étude de type classique, les informations reçues auprès de ces sources peuvent sembler suffisantes en utilisant des extrapolations «scientifiquement» établies. L'IREDEC lui-même dispose dans son propre centre de documentation de dizaines, voire de centaines de rapports, d'études, de cartographies obtenues de divers organismes d'appui, d'associations, d'opérateurs économiques et des autorités administratives etc. La meilleure source est toutefois le milieu lui-même qui permet de recouper des données souvent rares, incomplètes ou peu fiables. Ainsi, à Faratsiho, l'un des sites choisis pour l'enquête quantitative, les données démographiques disponibles dataient de dix ans. L'enquête doit donc prévoir la recherche monographique sur le site.

La monographie produite comprendra:

L'obtention de telles informations utilise souvent des moyens informels qui font largement appel (pour le cas malgache) au «fihavanana»4 dont les rites sont difficilement respectables dans le cadre des études classiques. Nous avons par exemple dû participer à un «famadihana»5 à Ambano, un des sites d'enquête pour nous faire accepter des notables et de la population locale.

Les termes de référence

Les termes de référence représentent les fondations de l'étude, en fixant les bases et le cadrage en fonction des moyens disponibles. Ils regroupent:

Les objectifs de l'étude

Afin d'éviter toute déviation en cours d'enquête, les objectifs doivent être fixés dès le départ par le commanditaire de l'étude et appropriés par l'équipe chargée de l'enquête. Concernant les radios rurales, les risques de déviation proviennent de l'attente de leurs auditoires que ces enquêtes leur apportent des solutions à leurs problèmes de la vie courante et de développement. Nous y reviendrons lorsque nous parlerons de l'établissement du questionnaire. Une étude d'auditoire vise à identifier la nature, les habitudes d'écoute et les préférences de cet auditoire, c'est à dire:

Le choix des sites d'enquête dépend de quatre grands paramètres:

  1. la représentativité géographique et socio-économique des diverses parties de la région;
  2. la couverture radiophonique actuelle, potentielle et projetée dans ces zones. Les réponses à une même question diffèrent entre deux villages distants de quelques kilomètres seulement où le phénomène de «balayage» (courant dans le Vakinankaratra) permet ou non de capter une station suivant les aléas des accidents de terrain;
  3. la disponibilité d'informations sur le milieu;
  4. les facilités logistiques pour le bon déroulement de l'étude: accessibilité des sites, modes de déplacement, capacité d'hébergement de l'équipe des enquêteurs.

Le choix de la date de l'étude

La date peut beaucoup influer sur les résultats d'une enquête d'auditoire en milieu rural.

Le choix des moyens

Les moyens les plus sophistiqués et les plus coûteux ne donnent pas forcément les meilleurs résultats. Les ruraux sont très sensibles à la simplicité des moyens utilisés pour les approcher. Mais même ainsi, les études d'auditoire sont financièrement lourdes pour les radios locales. Les partenaires précédemment cités peuvent donc être mis à contribution. On peut aussi envisager un cofinancement par plusieurs stations ayant les mêmes aires de diffusion et les mêmes préoccupations.

Echantillonnage

Dans toute enquête, la représentativité et la taille de l'échantillon sont déterminantes pour obtenir des résultats fiables. Dans le cas d'une étude d'auditoire des radios rurales, prétendre à une représentativité statistique absolue est utopique. Il faut déjà commencer par éliminer dans la population de référence ceux qui ne sont pas intéressés par la communication radiophonique: parce qu'ils n'ont pas de poste radio, ne veulent pas en acquérir ... Le rythme de la vie rurale ne permet pas à certaines catégories de personnes de se rendre disponibles pour l'enquête.

L'enquête d'audience des radios rurales ne peut au mieux prétendre obtenir que des données indicatives et significatives les plus fiables possibles sans trop préjuger de la représentativité géographique et socio-démographique. Nous signalons qu'à Madagascar, les gens n'écoutent généralement pas la radio quand ils travaillent ou sont en société.

b. Le questionnaire

Le questionnaire est l'outil de base de l'enquête qui devrait dans sa formulation et son administration refléter le principal souci du radiodiffuseur rural d'établir, de maintenir ou de renforcer son dialogue avec son auditoire. En déclinant les questions de départ, l'enquête devrait privilégier les questions fermées qui fournissent des réponses prévues et quantitativement traitables.

Formuler un questionnaire d'enquête est un exercice extrêmement délicat, s'agissant d'une étude de l'auditoire rural. Il faut respecter le maximum d'objectivité, être le moins directif possible. Normalement, on arrive toujours à faire dire aux gens ce qu'on veut qu'ils disent car les ruraux veulent toujours donner aux enquêteurs des réponses qui satisfont ces derniers.

On ne peut donc pas prétendre chercher à mieux connaître l'auditoire rural en faisant calquer leurs habitudes sur celles des urbains. Il faut d'abord connaître les habitudes de vie en général des ruraux et formuler les questions en fonction de ces habitudes. Ainsi, dans les campagnes malgaches, les paysans rythment encore l'accomplissement de leurs diverses activités suivant des références chronométriques traditionnellement établies. Celles-ci peuvent varier suivant les saisons, surtout aux moments de grande écoute radiophonique: le matin, de l'aube jusqu'au départ aux champs et le soir.

Dans le doute, surtout pour les questions d'ordre qualitatif (sur l'appréciation de la radio et les suggestions) il vaut mieux poser des questions ouvertes que risquer de récolter des réponses erronées, si on en obtient.

Sous une présentation simple et facilement utilisable par les enquêteurs, le questionnaire se fonde sur les interrogations de départ regroupées par thème:

Test du questionnaire et validation

Un test préalable sur 10 à 15 entretiens au minimum est nécessaire pour:

Ce test est malheureusement presque toujours bâclé pour des contraintes de temps. L'enquêteur toujours sûr de soi, teste pour valider son questionnaire et non pour le faire valider par l'échantillon testé. Il oublie que l'enquête vise en réalité à établir et / ou à renforcer le dialogue de la radio avec l'auditoire. Il espère que la masse des réponses qu'il obtiendra et les phases ultérieures de traitement et d'analyse des résultats corrigeront les «petites» erreurs qu'il aura constatées lors du test. Il le paiera de toute façon cher.

Le système de codification des réponses par question est nécessaire pour le traitement des données obtenues:

Les questions ouvertes non-qualitatives traduisent une connaissance préalable insuffisante des réponses possibles due à un pré-test du questionnaire insuffisant. Ceci entraînera un important travail de codification a posteriori, parfois même des réaménagements en cours de rédaction.

4. L'ENQUÊTE DE TERRAIN

a. L'étude quantitative

Une fois entendu qu'il ne s'agit pas seulement de collecter des données mais de dialoguer avec l'auditoire, l'essentiel est compris pour le bon déroulement de l'enquête. La formation des enquêteurs, leur introduction sur les sites, le suivi et le contrôle doivent y veiller.

Malheureusement comme pour le test du questionnaire, le temps dévolu à la formation des enquêteurs est trop court, surtout si ceux-ci sont des citadins, pour leur permettre de maîtriser:

La formation fait une large place aux séances de simulation et continue sur le terrain par des mises au point après les premiers entretiens réels.

Un superviseur assure l'encadrement de l'équipe. Il doit connaître (ou appartient à un organisme qui connaît) bien le terrain. Il supervise la progression de l'enquête par des "briefings" et "debriefings" réguliers pour vérifier l'administration des questionnaires, la cohérence et la conformité des réponses. Un suivi quotidien permet une réorientation rapide des déviations et des erreurs.

b. Le traitement, l'analyse et la synthèse des résultats

La phase de traitement est la plus fastidieuse de l'étude, surtout si elle n'a pas été suffisamment préparée - cas de l'étude d'Antsirabe, au niveau de la codification et celui de la préparation du logiciel. Il faut dire qu'au lieu de travailler directement sur Excel, nous avions d'abord effectué les saisies sur Access qui ont été ensuite transférées sur Excel pour effectuer les tris à plat et les tris croisés6.

Pour l'analyse, la principale difficulté est la surabondance relative des données disponibles, qu'il faut trier selon leur degré de signification. Il faut dégager:

L'analyse doit constamment:

5. L'ÉTUDE QUALITATIVE ET L'ÉMISSION PUBLIQUE VILLAGEOISE

Le courrier et les clubs des auditeurs fournissent des renseignements indicatifs très intéressants à la radio rurale. Les données représentatives de l'étude quantitative lui permettent de connaître les grandes tendances de son auditoire et les relations de causalité. Il lui manque encore la compréhension de ces tendances et causalités.

a. L'étude qualitative

L'étude qualitative est complémentaire de l'étude quantitative. En recherchant des réponses qualitatives non chiffrées, elle reflète davantage les attitudes, les comportements et les motivations des auditeurs.

Elle suit le même processus que l'étude quantitative. En partant des interrogations de départ jusqu'à la synthèse des résultats, elle comporte quelques particularités d'ordre méthodologique.

Les questions de départ posées visent à obtenir des informations sur les perceptions, les attitudes ou la satisfaction des auditeurs. Il s'agit de répondre à la question globale: «quelles sont les conditions nécessaires et suffisantes recommandées par les auditeurs ruraux pour faire aimer et écouter la radio?».

La représentativité de la population interrogée n'est pas forcément recherchée. L'échantillon doit tout de même garantir une certaine représentation des différentes catégories de la population-cible.

L'élaboration du questionnaire ou de la grille d'entretien part des grandes tendances observées lors de l'étude quantitative. La majorité des questions sont ouvertes et l'enquêteur s'attache à approfondir le «comment» et le «pourquoi» des arguments avancés.

Les entretiens, qu'ils soient individuels ou de groupe sont plus des discussions ou des réunions que des enquêtes. Les risques de déviation du thème principal sont grands, ainsi que les phénomènes de groupe (leaders, perturbateurs). Le ou les enquêteurs / animateurs doivent

pourtant s'efforcer d'être neutres. Dans les deux cas, le travail en binôme d'enquêteurs est possible. En tout cas il a été expérimenté de façon positive dans le cas malgache: un animateur + un transcripteur des discussions.

La composition des groupes est définie selon des critères d'homogénéité et de représentation des catégories composant la population de référence.

Le traitement et l'analyse concernent toutes les expressions sans exception. La méthode d'analyse la plus fréquente est celle de contenu thématique:

Le traitement informatisé est possible après codification.

b. L'émission publique villageoise

L'émission publique villageoise est une technique «d'enquête au second degré», indissociable des autres qui composent la méthode d'accès au monde rural. Cette méthode a été développée (dans une formulation très simple) par M. François Querre dans «les mille et un mondes» 7 d'après les expériences qu'il a vécues avec des dizaines de radiodiffuseurs ruraux dans de nombreux pays d'Afrique.

Il est impossible de résumer en quelques minutes un tel ouvrage qui ne souffre pas la moindre égratignure. Nous pensons que la plupart des «mordus» de la radio rurale se sont imprégnés, ou tout au moins se sont inspirés de cette méthode (la FAO pourrait peut-être en doter ceux qui n'en disposent pas encore).

Nous tenterons seulement d'apporter quelques repères méthodologiques spécifiques aux cas malgaches que nous avons vécus et qui ne pourront s'appliquer sans une lecture approfondie de ce manuel.

L'émission publique villageoise permet d'instaurer un climat de confiance propice à des échanges dynamiques et à une expression libre et sans méfiance des auditeurs. Ce modèle d'émission s'articule autour de trois épreuves sélectives: l'énigme, le concours d'éloquence et enfin l'éloge chanté ou conté. Nous l'avions adopté pour l'atelier d'Antsirabe pour montrer comment, en s'appuyant sur les pratiques culturelles propres à Madagascar, on peut utiliser les riches traditions villageoises - joutes oratoires (kabary) ou chantées et dansées (sova, tokatoka, jijy etc... suivant les régions) - pour construire des outils de dialogue avec les auditeurs et des émissions originales et utiles à la connaissance des auditeurs. Un seul participant utiliserait couramment cette technique, deux autres l'auraient apprise de façon toute théorique et le reste n'en a jamais entendu parler auparavant.

Les participants ont eu à leur disposition les monographies et les résultats de l'enquête quantitative préliminaire pour les trois sites choisis qui étaient les mêmes que ceux de l'étude qualitative précédemment présentée.

Deux de ces sites, bien qu'ayant le statut de commune rurale, sont des chefs-lieux de sous-préfecture de taille assez importante. En conséquence il y eut des difficultés à gérer un nombre trop important de participants ainsi que les mouvements de foule.

La tenue des manifestations dans les 3 sites a été échelonnée: en début (premier jour), au milieu et en fin (dernier soir) des enquêtes qualitatives afin de pouvoir apprécier les impacts réciproques de l'émission et de l'étude qualitative à différentes étapes de cette dernière. Il ne s'agissait pas de privilégier ni l'une ni l'autre. L'objectif final restait l'établissement et le raffermissement du dialogue entre la radio et son auditoire. Ceci a toujours été vérifié en fonction de la préoccupation immédiate, qui était la meilleure connaissance de l'auditoire par les radiodiffuseurs et la meilleure acceptation de ceux - ci par les auditeurs.

Le thème choisi était «la radio» pour mieux en connaître les perceptions de la population. Même si ce thème n'a pas été révélé lors de la première épreuve (l'énigme), l'auditoire n'a pas été dupe, à quelques exceptions près. Nous en avons tiré deux leçons:

Les organisateurs ont pu bénéficier de la mise à disposition gratuite par la Fondation Friedrich Ebert et le Cercle Germano Malgache de tout le matériel nécessaire pour la fourniture d'énergie, l'éclairage, la sonorisation et l'enregistrement. Le projet d'appui aux média de la coopération française dispose aussi de tel matériels réservés aux activités de formation et aux manifestations organisées par ces organismes. Ils sont pour le moment hors de portée des radios rurales locales.

Le choix du lieu et du moment a été laissé à chaque équipe qui s'est concertée avec les notables locaux pour respecter les habitudes des gens et éviter les chevauchements avec d'autres événements programmés. Toutes les émissions se sont déroulées le soir. C'est sur le choix et l'aménagement des lieux qu'il y eut des problèmes dans deux sites:

Le temps de préparation et d'élaboration du conducteur fut insuffisant. Entre la découverte théorique de la technique et la descente sur le terrain, il ne s'est passé qu'un jour. L'obligation d'action immédiate fit passer l'élaboration méticuleuse du conducteur avant l'assimilation des principes qui régissent la technique.

Une équipe a complètement dévié de ces principes et a réussi un formidable radio-crochet qui est resté dans les annales de leur localité. Dans les deux autres sites, l'équipe d'encadrement de l'atelier a pu remettre les pendules à l'heure, mais pas complètement toutefois. Ces gens de radio citadins et formés intellectuellement selon des valeurs culturelles largement occidentales doutent fortement de la capacité intellectuelle des ruraux à surmonter des épreuves qu'eux-mêmes jugent insurmontables. On a ainsi vu une épreuve finale d'interprétation de chansons de variété à la mode à Faratsiho. Là où les organisateurs ont fait confiance aux participants, ceux-ci s'en sont bien sortis. Tous les intermèdes qui ont fait appel aux talents de groupes artistiques et des jeunes locaux furent bien réussis.

Les récompenses aux gagnants ont été intégrées dans le budget de l'atelier. Nous pensons que les radios n'auront pas de difficulté de sponsoring auprès des partenaires locaux étant donné l'intérêt général suscité par les émissions publiques villageoises.

L'objectif pédagogique étant limité à la découverte de cette technique, ses avantages et ses contraintes, nous pensons qu'il fut atteint. Il reste à maîtriser cette technique qui commence par l'assimilation de ses principes.

6. L'ENQUÊTE SUR LES MÉNAGES RURAUX ET LA RADIO

Le projet MADIO, financé par la Coopération française, l'ORSTOM et la Commission européenne a mis en _uvre une méthodologie de suivi statistique agricole à l'aide d'un système d'enquêtes à passages annuels à travers quatre observatoires ruraux, dont la région du Vakinankaratra où s'est déroulé l'atelier de décembre 1998. L'IREDEC participe depuis 1995 à la préparation des questionnaires, au choix des sites, à la supervision des enquêtes et à l'analyse des données pour l'observatoire du Vakinankaratra.

Pour 1998, une nouvelle rubrique «radio» fut introduite dans les questionnaires.

Les questions posées concernaient :

Les méthodologies respectives et les résultats ont été comparés et discutés au cours de l'atelier.

Le principal intérêt de ces enquêtes est de fournir un cadrage global évolutif aux études d'auditoire plus pointues. Le paramètre radio n'est pas déterminant dans le choix des sites et la détermination de l'échantillon. La place réservée à la rubrique dans le questionnaire est très limitée (9 questions).

Dans l'étude d'auditoire, seuls ceux qui sont intéressés par la possession ou l'écoute de postes radio sont pris en compte. Dans l'enquête sur les ménages, certains sites sont enclavés comme Bemaha, ou soumis à un phénomène de «balayage» qui empêche la propagation des Ondes comme à Vinaninony-Nord distant de moins de 20 km de Faratsiho.

Les responsables des radios rurales doivent donc se garder de généraliser hâtivement dans les deux cas s'ils visent des auditoires bien localisés. Ces études permettent d'avoir des photographies bien situées dans l'espace et dans le temps qu'il convient toujours de vérifier dans les autres zones de diffusion de la radio.

CONCLUSION

L'absence de tout autre moyen de communication, d'information, d'expression et de dialogue accessible aux ruraux oblige la radio rurale à tisser une relation de partenariat, à nouer un dialogue permanent avec son auditoire.

Il s'agit pour elle d'entrer en contact avec les auditeurs suivant des méthodes éprouvées mais non figées pour leur donner la parole, pour les faire exprimer leurs appréciations des programmes, leurs attentes et leurs besoins.

L'étude d'auditoire de la radio rurale n'a pas d'objectif commercial, mais bien un objectif de solidarité entre la radio et son auditoire.

Que ce soit dans ses aspects quantitatifs ou qualitatifs, l'étude n'est pas une fin en soi mais doit être adaptée aux contextes et aux complexités inhérentes au milieu. La connivence avec les auditeurs constitue la véritable légitimité des radios rurales qui peut aller jusqu'à l'association des auditeurs à la gestion de «leur» radio.

 


1 IREDEC: Institut de Recherche et d'application des méthodes de Développement Communautaire
2 GRET : Groupe de Recherches et d'Echanges Technologiques
3 Etude quantitative d'auditoire, pour simplifier
4 Appartenance à une grande communauté malgache dans le respect de règles traditionnellement établies.
5 Rite dit du retournement des morts
6 «Tris à plat»: les résultats portent sur les réponses de l'ensemble de l'échantillon à une seule question
«Tris croisés»: les résultats portent sur les réponses d'une catégorie particulière de l'échantillon.
7 «Les mille et un mondes», Manuel de radio rurale, FAO, Rome - 1991


 

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