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CHAPITRE III
PRINCIPES GENERAUX DE FROMAGERIE

La fabrication de fromage par la méthode classique comporte trois phases successives : la coagulation, l'égouttage et l'affinage. Coagulation et égouttage constituent des étapes obligatoires : l'affinage est facultatif, et réservé aux seuls produits dits maturés.

La coagulation du lait est réalisée en vue d'exploiter une propriété particulière des gels lactés, qui est de s'égoutter spontanément. Cette évolution se traduit par la séparation progressive de la majorité de l'eau constitutive du lait sous forme de lactosérum, et d'un substrat semi-solide constituant le fromage.

Ce fromage est ensuite soumis le plus souvent à des transformations par voies enzymatiques destinées à modifier la flaveur, l'aspect, la texture du substrat séparé.

Une caractéristique dominante de ces différentes phases est d'être d'une durée très différente. La phase de coagulation, comprise en quelques minutes à quelques heures, est la plus courte. L'égouttage est plus long et peut s'étaler de l à 48 heures. L'affinage constitue l'étape la plus importante dans le temps et peut se situer de quelques jours à plusieurs années. Le tableau 6 résume schématiquement ces durées respectives pour les principales catégories de fromages.

Tableau 6 CARACTERISTIQUES DE DUREE DE FABRICATION POUR LES DIFFERENTES CATEGORIES DE FROMAGES

Catégories de fromagesCoagulationDurée égouttageAffinage
Pâtes fraîches16–48 heures24–48 hexceptionnel
Pâtes molles45 mn - 2 h16–24 h0,5–2 mois
Pâtes pressées   
• non cuites
30 mn - 1 h5–16 h0,5–2 mois
• cuites
20–45 mn2–16 h3–24 mois

Il y a lieu de remarquer que la durée d'affinage est directment conditionnée par le caractère de stabilité acquis par le fromage après coagulation et égouttage (Cf. tableau 3) ; en règle générale, plus le fromage est humide, plus son AW est élevé et l'affinage court.

Par ailleurs, il convient de souligner qu'il existe une interaction très grande entre les modalités des différentes phases de la fabrication et que le devenir du fromage est conditionné dès l'étape de la coagulation, voire antérieurement, dès l'expulsion du lait de la mamelle, si la composition du lait est modifiée par des traitments technologiques (refroidissement-chauffage), ou des fermentations dirigées ou non contrôlées intervenant entre la traite et le début de la coagulation.

III.1 - LA COAGULATION

La coagulation du lait correspond à une déstabilisation de l'état micellaire originel de la caséine du lait. Dans la pratique, cette déstabilisation est réalisée de deux manières :

Les mécanismes d'action de ces deux agents coagulants au niveau de la micelle sont très différents. Bien qu'ils conduisent tous deux à la formation d'un coagulum (gel ou caillé), les propriétés rhéologiques de ce dernier restent caractéristiques du mode de coagulation. L'aptitude à l'égouttage, dont dépendent les caractéristiques physico-chimiques du fromage non affiné, est déterminée également de façon spécifique.

Dans les techniques fromagères classiques, les deux modes de coagulation ne sont jamais utilisés séparément, seule varie l'importance relative de leur action coagulante respective. Cette distinction permet de classer les fromages en trois grandes catégories :

Tableau 7 CARACTERISTIQUES DE COAGULATION DES DIFFERENTES CATEGORIES DE FROMAGES

Catégories de fromagesConcentration de l'inoculum
Enzyme coagulante force : 1/10 000
(ml/100 kg lait)
Bactéries lactiques
(bact/ml lait)
Pâtes fraîches1–5 ml2–5 105
Pâtes molles18–22 ml1–2 105
Pâtes pressées  
• non cuites
20–25 ml1–2 105
• cuites
22–40 ml0,5 104

III.1.1. Mécanismes de la coagulation

III.1.1.1. Le substrat spécifique intervenant dans la coagulation

Le substrat spécifique intéressé par le phénomène de coagulation dans le lait est constitué par les protéines, essentiellement représentées par les caséines. Nous avons vu précédemment que ces protéines constituent la phase colloïdale; elles se trouvent pour leur plus grande part à l'état originel dans le lait sous forme de micelles. Les micelles sont des agrégats hétérogènes formés des polymères des différentes fractions caséiniques et associés, sous forme de complexes, à plusieurs sels minéraux dont le plus représentatif est le phosphate de calcium. La forme des micelles est subsphérique : leur diamètre moyen varie entre 30 et 300 mμ, celui-ci varie avec l'espèce, la race et le stade de lactation et se situe pour le lait de vache entre 80 et 100 mμ. La composition des micelles provenant d'une même femelle laitière n'est pas constante ; les petites micelles sont deux fois plus riches en caséine K que les grosses, leur degré d'hydratation est plus élevé. La structure des micelles est mal connue. De nombreux modèles ont été proposés ces dernières années ; le plus récent place la caséine K aux points d'articulations d'un réseau formé de polymères de caséine A et B. Entre les mailles du réseau protéique se trouve fixé le phosphate colloïdal. Cette micelle renfermerait 97 % de la caséine totale, 3 % se trouvant à l'état très dispersé dans la phase aqueuse.

Une propriété remarquable des micelles de phosphocaséinate de Ca est leur grande stabilité vis-à-vis des traitements thermiques et mécaniques, relativement énergiques. L'état colloïdal résiste donc bien à des opérations de transformation comportant des transferts et des variations de température modérées. Sous réserve de quelques précautions, il n'est pas altéré par une conservation de longue durée.

Plusieurs facteurs contribuent à conférer aux micelles leur stabilité : les principaux sont leur charge électrique, leur degré d'hydratation et leur charge minérale.

Tableau 8 EQUILIBRE SALIN DU CALCIUM ET DU PHOSPHORE DANS LE LAIT FRAIS

La stabilité de l'état micellaire dépend de l'intégrité de ces équilibres ; ces derniers sont en réalité assez précaires dans le temps et sont particulièrement sensibles aux altérations par voie microbienne et enzymatique, d'où l'intérêt de collecter, de conserver et de transformer le lait dans les meilleures conditions d'hygiène. Toute protéolyse et toute acidification non controlée entraînent en effet des modifications néfastes et irréversibles de la micelle qui peuvent perturber le processus normal de transformation du lait en fromage.

III.1.1.2. Coagulation par voie acide

III.1.1.2.1. Mécanisme

Le mécanisme de la coagulation acide est de nature électrochimique.

Quel que soit le processus envisagé, l'acidification entraîne une chute du degré de dissociation des groupements acides (COO, PO3H) du phosphocaséinate de calcium. Les ions H+ libérés par l'acidification neutralisent progressivement les charges électronégatives : la répulsion électrostatique diminue au fur et à mesure de l'enrichissement du milieu en ions H+, puis disparaît. A la température ambiante, les micelles commencent à s'agréger à pH 5,2. Lorsque le pH isoélectrique de la caséine est atteint (pH 4,6), il y a floculation totale. Si l'acidification intervient sur un lait au repos, il y a formation d'une structure continue occupant tout le volume initial du lait : le gel ou coagulum ; si le lait est en mouvement, il y a apparition d'un précipité baignant dans la phase dispersante.

La coagulation acide est fortement dépendante de la température : pour des températures croissantes du lait supérieures à + 5° C, la floculation apparaît à des valeurs d'acidité de plus en plus basses. Un lait acide peut aussi coaguler de manière imprévue lors du chauffage : il y a donc lieu de contrôler l'acidité avant tout traitement thermique, lorsqu'on redoute cette floculation. Au contraire, une acidification sera souhaitable lorsqu'on réalise la précipitation thermique des protéines comme cela est pratiqué dans plusieurs procédés artisanaux de fabrication de fromages.

A l'opposé, pour les températures inférieures à 5° C, la floculation par voie acide ne se fait plus, seule la viscosité du lait s'accroît et il n'est pas possible d'obtenir un gel véritable. En pratique fromagère la température choisie pour la coagulation est généralement comprise entre 20 et 35° C, elle contribue à une déstabilisation dans des délais raisonnables.

La neutralisation des charges micellaires, consécutive à l'acidification, s'accompagne d'une déminéralisation corrélative de la micelle, la solubilisation du phosphate de Ca et du Ca liés à la caséine croît avec l'acidification. Au pH isoélectrique, la charge minérale de la caséine devient nulle ; on obtient ainsi une caséine dite “Isoélectrique” entièrement désalifiée. Au cours des fabrications fromagères, l'acidification développée en cours de coagulation et d'égouttage conduit toujours à une déminéralisation plus ou moins poussée du coagulum. Le contrôle constant de cette évolution permet de suivre et de régler la charge minérale du caillé ; cette dernière conditionne directement l'aptitude à l'égouttage et détermine, en grande partie, la composition et l'extrait sec finals du fromage. Pour un fromage donné, toute dérive de l'acidification au dehors de l'évolution standard se traduira par un accident.

L'acidité développée n'est pas la même pour tous les types de fromages, mais possède pour chacun d'eux une valeur caractéristique qui est déterminée principalement par l'importance de la quantité de lactose transformée et par l'humidité finale du produit, les fromages humides étant généralement plus acides que les fromages secs.

Au plan de la conservation, l'acidification intervient en ralentissant la croissance des micro-organismes intervenant dans l'altération du substrat ; mais cet effet est sélectif. Dans les limites d'acidification observées au cours de la fabrication des fromages, le développement des bactéries est ralenti d'une manière importante, celui des levures et des moisissures n'est que légèrement atténué.

III.1.1.2.2. Modalités de la coagulation par voie acide

En fromagerie classique, l'acidification du lait est réalisée par voie biologique par l'intermédiaire de bactéries lactiques dont la caractéristique métabolique dominante permet la transformation du lactose en acide lactique. Exceptionnellement, un apport limité d'acide organique peut contribuer à la déstabilisation des micelles; il s'agit d'une pratique utilisée surtout au plan industriel pour régler l'aciditéinitiale du lait et obtenir ainsi des temps de coagulation normalisés, nécessaires aux opérations de traitements ultérieurs mécanisés ou automatisés du coagulum.

En pratique fromagère, la fermentation lactique peut être conduite en faisant appel :

Dans les deux cas, l'acidification est directement liée aux propriétés des bactéries lactiques présentes et aux facteurs de milieu qui conditionnent leur développement.

Propriétés des bactéries lactiques :

Composition

Les bactéries lactiques font partie de la famille des LACTOBACTERIACAE et se classent en deux tribus :

Ces bactéries sont très exigeantes en ce qui concerne leurs besoins azotés et vitaminiques. La présence dans le milieu de culture de facteurs de croissance et d'oligo-éléments est indispensable pour leur développement. Elles utilisent le lactose dans leur métabolisme en le transformant en acide lactique, et en produits secondaires intervenant notamment dans le goût et l'arôme des produits laitiers. Elles possèdent une activité protéolytique faible, mais en raison de leur grand nombre dans le fromage (1 milliard/g), elles contribuent efficacement à la transformation de substrat lors de l'affinage où l'action de leurs protéases s'ajoute à celle de la présure pour dégrader la caséine.

Croissance des bactéries lactiques dans le lait

A une température donnée, les bactéries lactiques se développement selon une courbe de croissance (figure 2) différente de la courbe d'acidification ; on peut voir, dans l'allure du développement, cinq phases :

  1. La phase de latence ou d'adaptation dont la durée dépend du nombre de bactéries inoculées et de l'état physiologique de ces bactéries. Cette phase peut être très courte avec un inoculum important.

  2. La phase de développement exponentiel caractérisée par un taux de croissance maximum des bactéries. La pente de la courbe dans cette zone est constante pour une souche donnée et un milieu donné, mais elle varie beaucoup avec la température. A la fin de cette phase, l'acidité n'a pas encore atteint sa valeur limite.

  3. La phase de ralentissement.

  4. La phase stationnaire.

  5. La phase de déclin.

Ces trois dernières phases correspondent à un épuisement du milieu en éléments nutritifs et à une concentration inhibitrice en substances résultant du métabolisme microbien (acide lactique par exemple) qui entraînent la mort progressive des cellues.

Fig. 2

Fig. 2 - COURBE TYPE DE DEVELOPPEMENT ET D'ACIDIFICATION DES BACTERIES LACTIQUES DANS LE LAIT (D'après RAMET, 1976)

        Développement
- - - Acidification

En fabrication fromagère, il est conseillé de faire conincider le début de la phase de développement linéaire de croissance avec le début de la phase de coagulation qui correspond à l'apport de l'enzyme coagulante. Dans ces conditions, les délais de fabrication importants dus à l'incidence de la phase de latence sont supprimés, l'adaptation des bactéries intervenant préalablement pendant la période dite de maturation du lait. Ultérieurement, la croissance bactérienne et l'acidification se développement pendant la coagulation et l'égouttage ; elles atteignent un maximum à la fin de l'égouttage. Pendant toute cette période, les conditions de température doivent être optimiséses pour obtenir les cinétiques d'évolution optima par ajustement précis de la température du lait, puis de l'ambiance pendant l'égouttage. Lors des phases ultérieures de la fabrication, du salage, puis de l'affinage, les phénomènes se stabilisent par suite de la baisse de température et de l'activité de l'eau.

Dans la pratique, le déroulement de la croissance bactérienne ne se manifeste pas toujours selon les conditions idéales précitées : celle-ci peut en effet être perturbée par de multiples facteurs, dont l'identification certaine n'est pas toujours aisée :

Les procédés classiques d'asepsie et de désinfection permettent d'écarter les risques de contamination au niveau des repiquages. Toutefois, lors de l'ensemencement de la cuve à levain, le risque persiste et on ne peut utiliser que des remèdes préventifs :

Acidification naturelle

L'acidification peut résulter d'un processus d'évolution naturelle du lait, lié à la prolifération des bactéries lactiques apportées par la contamination lors de la traite et de la transformation; c'est le cas en particulier de la plupart des fabrications de fromages fermiers, réalisés à partir de lait cru ne subissant pas de traitement thermique (thermisation, pasteurisation). Cette acidification naturelle du lait est très variable en vitesse et en intensité, car elle dépend de plusieurs facteurs qui ne sont pas constants dans le temps (conditions d'hygiène lors de la traite, saisons, durée, température de conservation du lait avant transformation, etc.). Globalement, les fabrications tributaires d'une acidification exclusivement naturelle se caractérisent souvent par une irrégularité de la cinétique d'acidification et, corrélativement, de celle des fromages obtenus. De ce fait, la pratique de l'ensemencement dirigé sous forme de levain est-il souhaitable, car moins aléatoire que l'ensemencement naturel.

Acidification dirigée aprés apport de levains lactiques

Cette pratique est réalisée de manière facultative en fabrication de type artisanale, mais son emploi s'est généralisé en fabrication industrielle où l'exigence d'une régularité dans la qualité est primordiale. L'efficacité d'un ensemencement dirigé en bactéries lactiques est tributaire de plusieurs facteurs :

- Choix des levains

- Beurre, pâtes fraîches, pâtes molles, pâtes persillées et pâtes pressées non cuites :

- Fromages à pâtes pressées cuites :

- Type de levains

La pratique de l'ensemencement du lait en vue de la fabrication de divers produits laitiers est ancienne. Jusqu'à une époque récente, il s'agissait de levains empiriques constitués d'une partie de la préparation précédente. Comme dans toutes les industries de fermentation, l'évolution des techniques a conduit à remplacer les microflores spontanées par des bactéries sélectionnées, dont les propriétés sont connues. Aussi, actuellement divers types de cultures sont vendues par des laboratoires spécialisés, ils diffèrent par leur mode de préparation, leur concentration bactérienne et les espèces constitutives :

a) Cultures liquides

Les cultures liquides récentes contiennent des micro-organismes actifs capables de se développer après un temps de latence trés court. Par contre, leur conservation est difficile en raison de la présence, dans le milieu qui leur sert de support, des produits de leur métabolisme. Leur concentration est de l'ordre de 109 germes/ml.

b) Cultures en poudre

Ces cultures sont préparées à partir de cultures liquides qui sont séchées à température ambiante le plus souvent sous vide. Leur conservation est bonne car elles ne se trouvent pas dans leur phase de développement. Cependant, leur phase de latence est plus ou moins longue selon les souches et plusieurs repiquages sont souvent nécessaires pour qu'elles retrouvent toute leur activité. Leur concentration est de l'ordre de 109 germes/g.

c) Cultures lyophilisées

Elles sont préparées à partir de cultures liquides additionnées d'un substrat protecteur, par congélation, suivie d'une sublimation. Ce sont des cultures actives se conservant bien. Le nombre de micro-organismes est de l'ordre de 109/g.

d) Cultures concentrées

Il s'agit de cultures liquides concentrées le plus souvent par centrifugation ou désacidification. Ce sont des cultures généralement très actives, d'une durée de concentration moyenne et dont la conservation varie entre 109 et 1010 germes/ml.

e) Cultures concentrées congelées

Leur préparation se fait en 3 phases principales:

Ce sont des souches très actives et leur haute concentration peut permettre de les utiliser directement en cuve de fabrication.

f) Cultures concentrées lyophilisées

La concentration des bactéries s'effectue selon un processus analogue à celui utilisé pour les ferments concentrés congelés. Le concentré liquide est finalement lyophilisé et conservé sous cette forme.

Leur bonne activité n'exige pas de culture intermédiaire et permet de les inoculer directement dans la cuve à levain ou dans la cuve de fabrication (ensemencement direct).

UTILISATION DES LEVAINS

En géneral, les ferments utilisés sont des souches mixtes contenant à la fois des bactéries acidifiantes et aromatisantes. Les variétés entrant dans leur composition sont souvent nombreuses ; cette condition est indispensable pour éviter des accidents de bactériophages. Il existe toutefois des cultures pures, constituées d'une seule espèce, mais avec souvent plusieurs variétés. Ces souches ont l'avantage de ne pas se déséquilibrer lors des repiquages successifs et permettent la réalisation de mélanges variés à la convenance de l'utilisateur. Il faut toutefois noter, dans ce cas, un risque d'incompatibilité entre souches au moment de l'emploi.

- Techniques de préparation

A partir des cultures commerciales non concentrées, il existe de nombreux schémas de préparation et d'utilisation des levains. Le procédé le plus logique est probablement celui qui utilise le moins de récipients avec le minimum de manipulation. Nous avons schématisé trois procédés qui semblent être les plus utilisés à quelques variantes près (figure 3).

Le premier tend à disparaître de plus en plus car il conduit souvent à des accidents, soit par contaminations, soit par déséquilibres. Les deux autres procédés, s'ils éliminent certains risques de contaminations, exigent toutefois un travail et un équipement plus importants.

- Qualité du lait destiné à la fabrication des levains

Le lait choisi doit être de bonne qualité, produit par des animaux sains n'ayant pas été soignés par des antibiotiques ou autres agents thérapeutiques susceptibles d'inhiber le développement des micro-organismes. Le lait ne doit pas avoir une activité lipolytique anormale, car certains acides gras produits sous l'action des lipases inhibent le développement des cultures. Dans certains laboratoires, on utilise pour les premiers stades de repiquage du lait écrémé reconstitué à 10 à 11 % d'extrait sec. Cette méthode a l'avantage de permettre l'uniformisation des repiquages à condition d'utiliser de la poudre de bonne qualité chimique et bactériologique.

Par ailleurs, il est souhaitable de sélectionner chez certains producteurs des laits réputés par la constance de leurs qualités.

Un traitement thermique du lait est nécessaire pour détruire la majorité ou tous les micro-organismes et pour inactiver les inhibiteurs naturels du lait. Ce chauffage présente également l'avantage de libérer des facteurs de croissance pour certaines bactéries lactiques. A la suite de ce traitement par la chaleur, le lait doit être refroidi rapidement, jusqu'à la température d'ensemencement, pour éviter des altérations physico-chimiques trop importantes, dues à une exposition prolongée aux hautes températures, et pour réduire la possibilité de croissance des bactéries thermophiles, qui ont pu résister au traitement, ou des germes de recontamination.

- Taux d'ensemencement

Le taux d'ensemencement à utiliser pour chaque souche et chaque repiquage dépend du temps et de la température d'incubation choisis, mais aussi de la concentration initiale de la culture et des caractéristiques de cette culture.

Il serait souhaitable d'ensemencer, non pas en fonction d'un rapport de volumes qui représente très mal le nombre de bactéries effectivement inoculées, celui-ci pouvant varier par exemple du simple au double pour deux levains apparemment identiques, l'un titrant 80° D, et l'autre titrant 70° D, mais directement en fonction du nombre de micro-organismes. L'obstacle réside dans la mise en oeuvre d'un procédé rapide de numération et, à défaut, s'il faut parler de pourcentage, il faut vérifier avec précision le niveau d'acidité de la culture à repiquer en ne perdant pas de vue que, pour deux souches différentes et un même niveau d'acidité, le nombre de bactéries réellement mis en oeuvre sera différent.

- Temps et température d'incubation

On considère généralement l'incubation d'un ferment terminée lorsque le lait a coagulé. Il faut éviter de prolonger l'incubation au-delà pour avoir une culture se trouvant dans sa phase de croissance active. Industriellement, on se fixe un temps d'incubation et les taux doivent être ajustés pour obtenir en fin d'incubation une acidité constante se situant vers 70° D pour les ferments mésophiles.

Figure 3

Figure 3: Schémas d'utilisation des ferments non concentrés

Les températures d'incubation dépendent essentiellement des caractéristiques de la souche et doivent être contrôlées avec précision. Lorsque le repiquage ou l'utilisation de la culture incubée ne peut se faire immédiatement, il est nécessaire de refroidir rapidement pour éviter un prolongement de l'incubation qui amènerait les bactéries dans la phase stationnaire ou de déclin.

L'utilisation des ferments lactiques en laiterie exige non seulement le respect des conditions générales de travail aseptique rencontrées dans toute industrie de fermentation, mais aussi une bonne connaissance de leurs propriétés.

III.1.1.2.3. Propriétés du coagulum obtenu par voie acide

Le coagulum formé par voie acide possède des propriétés rhéologiques caractéristiques: il est friable, peu élastique, son raffermissement est très limité et très lent. Sa porosité est bonne, sa perméabilité élevée, mais son aptitude à l'égouttage est limitée. La courbe ci-après (fig. 4) illustre une cinétique de raffermissement mesurée par une méthode instrumentale d'un lait coagulé par voie acide.

III 1.1.3. Coagulation par voie enzymatique

III 1.1.3.1. Mécanisme d'action

Le mécanisme d'action des enzymes coagulantes lors de la coagulation du lait est bien connu. Schématiquement, lors de la réaction d'hydrolyse, un fragment de la caséine, le caséinopeptide est dissocié de la micelle et éliminé dans le lactosérum ; le phénomène peut être résumé comme suit :

Phosphocaséinate de Ca       →       Phosphoparacaséinate de Ca       + caséinopeptide soluble

solubleProtéase
coagulante
insoluble

A la suite de l'hydrolyse, la caséine Kappa, qui à l'état originel protégeait la micelle de l'insolubilisation, perd ce pouvoir protecteur et provoque une modification de structure et de composition de la micelle qui conduit à la gélification.

La perte du pouvoir protecteur est liée au fait que l'hydrolyse prive la micelle des groupements chimiques stabilisateurs présents sur la caséine Kappa ; il s'agit de fonctions hydrophiles conférant l'hydratation et de fonctions acides apportant la charge électronégative à la micelle et responsables de sa stabilité native.

Le phénomène de coagulation a été largement étudié, il se dissocie en deux phases successives :

En fin de réaction, lorsque toute la caséine Kappa a été hydrolysée, la teneur en azote soluble se stabilise à 1,6 % de la teneur en azote total (figure 5).

La réaction primaire est très sensible à la température, elle est trés lente entre 0 et 10° C, sa vitesse augmente rapidement aux températures supérieures, elle triple lorsque l'élévation de température est de 10° C.

Fig. 4

Fig. 4 - EVOLUTION DE LA RIGIDITE D'UN COAGULUM LACTE OBTENU PAR VOIE ACIDE (D'après RAMET et coll., 1982)

Fig. 5

Fig. 5 - EVOLUTION DE L'AZOTE NON PROTEIQUE LIBERE PAR ACTION DE LA PRESURE SUR LA CASEINE (D'après ALAIS, 1965)

Le processus de la floculation est mal connu, il résulte vraisemblablement dans une première étape de l'agrégation des micelles en filaments, puis dans une seconde étape, de l'entrelacement de ces filaments en un réseau tridimensionnel. Cette phase est très sensible aux variations de température. Elle ne se produit pas à des températures inférieures à + 15° C. Au-delà, sa vitesse croît très rapidement, elle est multipliée par 15 par élévation de température de 10° C.

Par ailleurs, la présence du calcium soluble à l'état ionisé est indispensable à l'accomplissement de la phase secondaire. Dans le lait cru, la présence de calcium est suffisante pour permettre une bonne coagulation.

Au contraire, dans les laits pasteurisés où le chauffage a insolubilisé le calcium, il est nécessaire de restaurer la charge initiale en ions par apport de chlorure de calcium. Cet apport est réalisé le plus souvent à raison de 5 à 30 g/100 kg de lait. Il y a lieu de ne pas dépasser ces concentrations, un excès de calcium augmente en effet le risque d'apparition de goût amer dans le fromage en particulier si ce sel n'est pas purifié et renferme notamment du magnésium.

La phase secondaire est un phénomène dynamique qui se traduit par une modification importante des propriétés physiques du lait. (figure 6). Dans les premières minutes suivant l'apport de l'enzyme coagulante dans le lait, une diminution de la viscosité du lait apparaît; elle s'explique par la diminution de la dimension moyenne des micelles consécutive à leur hydrolyse spécifique. Lorsque l'agrégation des micelles devient prépondérante sur la réaction d'hydrolyse, la viscosité s'accroît progressivement avec l'augmentation de la taille des agrégats formés et conduit à la formation d'une structure continue : le gel. Un point privilégié de cette évolution est la floculation qui correspond au moment où les agrégats deviennent visibles par l'oeil humain, mais cette étape n'a pas d'autre signification particulière en soi. Ce point particulier est défini par le temps de floculation qui sépare le moment de l'addition de l'enzyme coagulante, et celui où le début de gélification est visible.

Fig. 6

Fig. 6 - HYPOTHESE EXPLICATIVE DE L'EVOLUTION DE LA FERMETE D'UN GEL LACTE OBTENU PAR VOTE ENZYMATIQUE (D'après RAMET, 1976)

Phase primaire et phase secondaire diffèrent donc principalement par leur sensibilité aux variations de température ; en pratique il y a donc lieu d'ajuster très précisément au degré près ce paramètre de manière à bien maîtriser la phase de coagulation. Par ailleurs, cette sensibilité différentielle à la température a été exploitée dans certains procédés modernes de coagulation en continu : le lait le plus souvent concentré est maturé et emprésuré à basse température (5–10° C), la phase primaire a lieu pendant ce stockage ; pour provoquer la floculation, il suffit de réchauffer le lait à une température supérieure à 15° C, la coagulation est alors instantanée.

III.1.1.3.2. Modalités de la coagulation par voie enzymatique

La floculation du lait par voie enzymatique résultant d'une hydrolyse spécifique du constituant K de la caséine, il n'est donc pas surprenant que de multiples substances, possédant une activité protéasique, soient capables de rompre cette liaison particulière et donc de provoquer la coagulation du lait. Cette condition n'est pourtant pas suffisante pour que ces substances soient utilisables en fromagerie, elles doivent présenter un certain nombre de propriétés physico-chimiques et technologiques, qui sont indispensables à la bonne conduite des fabrications fromagères.

Propriétés physico-chimiques

Une activité protéolytique trop intense se traduit en outre par une solubilisation importante des protéines, les fragments libérés étant éliminés avec le sérum ; il s'ensuit une baisse du rendement fromager. En outre, les modalités de l'affinage peuvent être modifiées, la durée de maturation est trop courte, la protéolyse est trop intense, la pâte coule, devient collante ; des goûts anormaux apparaissent.

Une activité lipolytique intense se traduit par l'apparition de goûts de rance plus ou moins prononcés, d'une texture collante à des stades variables de l'affinage ; la qualité organoleptique des produits finis est donc altérée.

Propriétés technologiques

Tout enzyme doit permettre de respecter les modalités habituelles du déroulement des différentes phases de la fabrication ou ne s'en éloigner que très peu : celles-ci déterminent en effet la composition, les qualités organoleptiques du produit fini qui sont relativement constantes pour chaque catégorie de fromage.

III.1.1.3.2.1. Les enzymes coagulantes d'origine animale

Plusieurs protéases d'origine animale sont utilisées pour la fabrication des fromages; toutefois, la présure est de très loin la plus employée. Diverses pepsines peuvent être choisies, mais leur usage est plus restreint. Enfin, l'emploi de trypsine et de chymotrypsine n'a pas dépassé le stade expérimental.

III.1.1.3.2.1.1. La présure

- Origine

La présure de veau est l'agent coagulant traditionnellement utilisé pour la coagulation du lait en vue de la fabrication de la majorité des fromages ; de petites quantités sont produites à partir de l'estomac de chevreau et d'agneau.

La dénomination “présure” est donnée à l'extrait coagulant provenant de caillettes de jeunes ruminants abattus avant sevrage. Elle contient en réalité deux fractions actives : l'une majeure constituée par la chymosine, l'autre mineure, par la pepsine.

La sécrétion de chymosine s'arrête au moment du sevrage, lorsque des éléments solides sont présents dans la ration alimentaire ; la production de pepsine s'accroît alors très fortement et devient dominante. L'activité protéolytique de l'enzyme, qui est sécrétée à l'état d'un précurseur inactif, est accrue considérablement à la suite d'une hydrolyse partielle dans le mileu acide stomacal.

- Préparation

Après collecte, les caillettes, préalablement nettoyées, sont séchées, salées ou congelées pour conservation, jusqu'à extraction de la présure.

Cette opération est réalisée par macération des estomacs, découpés dans une solution salée pendant quelques jours, le pH étant ajusté à 5,0–5,5 pour favoriser l'activation de la prochymosine.

Le jus de macération est ensuite clarifié à l'alun, puis filtré. La standardisation de la force, du pH, de la teneur en NaCl, de la couleur est effectuée finalement parallèlement à l'ajout de conservateurs autorisés par la réglementation.

La force de la présure est exprimée par un rapport entre une unité de poids et (ou) de volume de présure, capable de coaguler un nombre d'unités correspondantes de lait dans des conditions définies de température et de temps. Ces conditions sont différentes selon la méthode réglementaire de référence adoptée. En France, la méthode officielle est celle de Soxhlet ; elle précise que la coagulation doit intervenir à 35° C après 40 minutes.

Conservés à température ambiante, les extraits liquides perdent lentement leur activité, ils doivent être conservés au froid (0–5° C). Il existe également des présures sèches (poudre ou comprimé), mieux adaptées à la conservation, mais moins pratiques à l'emploi ; elles sont obtenues par relarguage au sel d'extraits liquides.

Diverses expérimentations ont été également développées pour la production de présure à partir d'animaux fistulés ; le rendement unitaire en présure apparaît être plus élevé que celui des caillettes traitées par la méthode classique ; toutefois le coût opératoire, les risques cliniques et les servitudes d'exploitation limitent l'intérêt et le développement de ce procédé.

Au plan artisanal, l'utilisation de présure commerciale n'est pas généralisée. La caillette peut servir à la préparation de présures dites naturelles, obtenues par macération dans du lactosérum, ce milieu apportant alors à la fois enzymes coagulantes et bactéries lactiques nécessaires à la coagulation. Enfin, la caillette peut être immergée directement dans le lait à transformer. Ces divers procédés présentent l'inconvénient d'être peu reproductibles, en raison des variations de concentration en principe actif, consécutif à l'épuisement progressif des caillettes en enzymes.

- Propriétés

La chymosine hydrolyse la caséine, et possède une double activité :

Comme toutes les enzymes, l'activité protéolytique de la présure est fortement influencée par les facteurs de milieu qui conditionnent à la fois l'état du substrat et son environnement : la mesure du temps de floculation permet de mettre en évidence ces interactions (figure 7).

- Influence du pH

Le pH optimum d'activité coagulante de la présure sur le lait est voisin de 5,5. Au pH du lait frais (pH 6,65), l'activité est modérée. En fromagerie, on a intérêt à acidifier le lait jusqu'à pH 6,4 – 6,5 ; l'activité croît sensiblement, mais cette baisse de pH n'est pas compatible avec tous les types de fabrication, notamment celle des fromages à pâte cuite.

- Influence de la température

La température optimum d'activité de la présure se situe à 40–42° C ; en dessous de 20° C, l'activité devient faible. L'inactivation thermique totale de l'enzyme se produit à 65° C.

En fromagerie classique, les températures du lait au moment de l'emprésurage se situent dans la fourchette 20–40° C, et le plus souvent entre 30 et 35° C ; dans cette gamme, des variations faibles de température influencent beaucoup la vitesse de coagulation. Le technicien peut maîtriser facilement, par un contrôle strict de la température, la vitesse et l'importance de l'action de la présure.

- Influence de la concentration en présure

Il existe une règle approximative de proportionnalité entre la dose de présure et l'inverse du temps de floculation : plus la dose est forte, plus le temps est court.

- Influence de la concentration en calcium

La présence d'ions Ca++ est indispensable au déroulement de la phase secondaire. Toute cause susceptible de faire baisser la teneur de ces ions dans le lait entrave la coagulation; ces causes peuvent être :

L'addition de CaCl2 provoque en outre une légère baisse de pH favorable à l'action présure. Ce phénomène résulte d'un échange entre ions H+ fixés sur les protéines et le calcium incorporé.

Fig. 7

Fig. 7 - INFLUENCE DE LA VARIATION DES FACTEURS DE MILIEU SUR LA COAGULATION DU LAIT PAR LA PRESURE (D'après RAMET, 1976)

- Influence du chlorure de sodium

L'apport de chlorure de sodium dans le lait est une pratique observée dans plusieurs pays du bassin Méditerranéen (Grèce, Egypte, Malte) pour préserver le lait d'une altération rapide par voie microbienne. La transformation ultérieure de ce lait en fromage est perturbée et se traduit par un retard à la coagulation qui se manifeste notamment aux concentrations en sel supérieur à 1 %. Ce phénomène résulte à la fois des protéines micellaires et de celles de l'enzyme en raison de l'effet dissociant du sodium.

Aux concentrations salines faibles, l'activité enzymatique est légèrement accrue, et le temps de floculation réduit.

Le raffermissement du coagulum est également ralenti en présence du sel (figure 8).

Fig. 8

Fig. 8 - INFLUENCE DU SALAGE DU LAIT SUR LE TEMPS DE RAFFERMISSEMENT DU GEL. INDICE 100 = 57 mn

sans correction de pH après apport de sel
avec correction du pH après apport de sel

(D'après RAMET J.P., EL MAYDA E., 1981)

Globalement, le salage du lait, sauf aux très faibles concentrations, est donc à éviter du point de vue de la transformation en fromage.

- Influence du “passé thermique” du lait

Les variations de température auxquelles a été soumis le lait avant l'addition de présure modifient son aptitude à la coagulation ; les effets du refroidissement et de la pasteurisation au niveau de ses constituants sont importants :

- Refroidissement

Le refroidissement du lait entraîne une solubilisation de la caséine, notamment de la fraction β et un accroissement de la couche d'eau liée. La stabilité de la micelle s'en trouve accrue, il s'ensuit que l'action de la présure est défavorisée.

Lors de la conservation à basse température du lait à la ferme ou à l'usine, ces phénomènes interviennent ; dans les conditions industrielles, ils sont irréversibles et peuvent expliquer les prolongations des temps de prise observées avec ces laits en fromagerie.

- Chauffage

Si le traitement thermique est modéré (≤ 60° C), les équilibres salins se modifient, les formes insolubles du phosphate colloïdal augmentent, la taille de la micelle croît. Il s'ensuit une baisse de sa stabilité favorisant l'action de la présure. Cet effet est réversible par refroidissement par le jeu normal des équilibres entre formes solubles et insolubles.

Un traitement thermique sévère entraîne quatre modifications principales :

Les trois premiers effets sont défavorables à l'action présure, le quatrième a un effet contraire. La résultante des quatre effets diminue l'aptitude à la coagulation des laits chauffés par rapport à celle des laits crus.

- Effet de la concentration de la matière sèche du lait

La concentration du lait effectuée préalablement à l'emprésurage a pour but de retirer une partie plus ou moins importante de la phase aqueuse.

L'équilibre initial entre formes solubles et formes insolubles se trouve modifié, il en résulte une augmentation des formes colloïdales “insolubles” du phosphate de calcium et de la caséine d'où accroissement de la taille des micelles. Parallèlement, le pH du concentré baisse par suite de l'augmentation relative de la concentration en ions H+. De plus, le degré d'hydratation des micelles diminue.

Ce triple effet diminue la stabilité des micelles. La coagulation par la présure est favorisée.

La modification des équilibres est lentement réversible après redilution du lait ; les délais technologiques observés dans les procédés continus sont trop courts pour qu'ils se rétablissent ; on bénéficie ainsi d'un rendement fromager plus élevé consécutif à la récupération des constituants primitivement à l'état soluble dans le lait normal.

III.1.1.3.2.1.2. Autres protéases coagulantes d'origine animale

Plusieurs protéases d'origine animale ont fait l'objet d'expérimentation en vue d'une utilisation potentielle en industrie fromagère.

La trypsine et la chymotrypsine entraînent des modifications profondes des modalités de fabrication et de la qualité des produits finis consécutives à la forte activité protéolytique. Ces enzymes ne sont pas utilisées au plan industriel.

Seules les pepsines porcines et bovines présentent un intérêt industriel.

L'utilisation de pepsine porcine a débuté pendant la seconde guerre mondiale, mais ne s'est développée réellement que depuis 1960. C'est une protéase à caractère plus acide que la chymosine, son activité est bonne en milieu acide, mais décroît fortement au-dessus du pH 6,3 ; au pH du lait frais, la coagulation n'apparaît pas.

Divers traitements de corrections (augmentation du temps de maturation, de la concentration en CaCl2) permettent de compenser partiellement cette aptitude coagulante réduite pour la fabrication de fromages à pâtes molles et pâtes pressées non cuites. Ces méthodes ne sont pas applicables aux pâtes cuites.

Mélangée à la présure, la pepsine porcine apparaît être d'une utilisation plus large, notamment dans les pays anglosaxons pour la fabrication de fromages acides.

La pepsine bovine est un des constituants mineurs normaux de la présure, mais dont la sécrétion devient prépondérante aprés sevrage.

La pepsine bovine apparaît très voisine de la présure et son activité est moins dépendante du pH que celle de la pepsine porcine.

La pepsine du poulet a été également expérimentée avec succès en Israël pour la fabrication de fromages locaux.

Certains succédanés d'origine animale peuvent donc être considérés comme des produits de remplacement acceptables de la présure de veau ; il convient toutefois de remarquer que, comme pour l'élaboration de la présure, leur disponibilité reste tributaire du marché de la viande.

III.1.1.3.2.2. Les enzymes coagulantes d'origine végétale

On connaît de très nombreuses préparations coagulantes provenant du règne végétal ; elles sont extraites par macération de divers organes de plantes supérieures. Parmi les espèces européennes, on peut citer le gaillet, l'artichaut, le chardon qui ont été et (ou) sont encore utilisés dans des fabrications de fromages fermiers, en particulier dans l'ouest du bassin Méditerranéen (Espagne).

D'autres extraits coagulants ont été obtenus à partir de plantes tropicales : les plus connus sont les ficines, extraites du latex du figuier, la papaine, extraite des feuilles du papayer, la bromélaine, extraite de l'ananas.

D'une façon générale, ces diverses préparations végétales ont donné des résultats assez décevants en fromagerie car elles possèdent le plus souvent une activité protéolytique très élevée, qui se traduit par l'apparition des inconvénients technologiques majeurs précédemment signalés.

L'activité coagulante est d'autre part très variable car elle est fortement influencée par l'état de maturité de la plante et par les conditions de collecte et de stockage. De ce fait, l'emploi de ces protéases coagulantes est toujours resté limité aux aires locales de production.

III.1.1.3.2.3. Les enzymes coagulantes d'origine microbienne

Depuis une trentaine d'années, une puissante industrie de transformation s'est développée dans le monde ; elle produit des substances variées, dont une grande quantité d'enzymes qui trouvent de nombreuses applications dans des secteurs industriels variés, et en particulier des protéases susceptibles de coaguler le lait.

Des protéases d'origine bactérienne provenant de cultures en fermenteurs de Bacilles et de Pseudomonas ont donné en général des résultats décevants en raison de leur activité protéolytique généralement très élevée : aussi l'utilisation de ces enzymes bactériennes n'a pas dépassé le stade expérimental; aucune préparation n'est commercialisée.

Les enzymes d'origine fongique, au contraire, ont donné des résultats meilleurs, souvent comparables à ceux obtenus avec la présure (Pa) ; plusieurs préparations sont déjà commercialisées sur le marché international et utilisées à plus ou moins grande échelle selon les pays.

Ces préparations proviennent de trois genres de moisissures : Endothia parasitica (E.p.), Mucor pusillus (M.p.), Mucor miehei (M.m.).

L'aptitude fromagère et les propriétés biochimiques de ces préparations enzymatiques ont été étudiées. Ces travaux ont révélé des différences de comportement plus ou moins marquées entre les enzymes considérées en ce qui concerne :

- La sensibilité aux variations de différents facteurs de milieu : pH, température, concentration en ions Ca++ du lait.

Ordre de sensibilitéTempératurepHCa
1   
(la plus sensible)MmMpMp
2MpPa MmMm
3Pa Pa
4   
(la moins sensible)EpEpEp

- L'activité protéolytique qui est d'intensité et de spécificité variables selon l'enzyme considérée :

Caséine

Ep++++++
Mp++++++
Mm+++++
Présure+++++

- La thermorésistance qui est plus élevée pour l'enzyme Mm et Mp que pour la présure, l'enzyme Ep apparaît plus thermolabile.

Ces caractéristiques induisent des modalités de fabrication différentes de celles observées en présence de présure, il y a donc lieu d'adapter les procédés à la spécificité de l'enzyme utilisée.

III.1.1.3.3. Propriétés du coagulum obtenu par voie enzymatique

Au-delà du point de floculation, la courbe de raffermissement du gel présente une forme sigmoide (en S), très caractéristique de l'évolution d'un type de phénomène, résultant de deux réactions contraires. En ce sens, l'évolution de la rigidité du gel apparaît être la résultante de la réaction d'agrégation et de celle de déstructuration des protéines par la protéolyse générale de l'enzyme coagulante (figure 6).

Il convient en particulier de noter que le comportement rhéologique du gel est différent selon le type d'enzyme coagulante utilisée ; aussi, par exemple, avec les enzymes d'origine fongique, le raffermissement du gel est plus lent dans les minutes qui suivent le point de floculation visible qu'avec la présure, mais ultérieurement il devient plus rapide et parfois plus important ; l'activité protéolytique propre à chacune des protéases utilisées permet d'expliquer cette évolution.

Les gels formés par voie enzymatique possèdent des propriétés rhéologiques caractéristiques : ils sont élastiques et peu friables ; leur raffermissement est rapide et important par comparison au gel lactique (figure 9). Leur porosité est bonne, mais leur imperméabilité est forte.

Leur aptitude à l'égouttage est prononcée sous réserve de rompre leur imperméabilité caractéristique par des traitements physiques et chimiques adéquats, pendant la phase d'égouttage.

En pratique fromagère, le survi de l'évolution de la fermeté est très important dans la mesure où il intervient dans la détermination du déclenchement des opérations d'égouttage.

En effet, commencé prématurément sur un gel insuffisamment structuré, l'égouttage se traduit par une perte importante de matière sèche, sous forme de petites particules de gel ou poussières. Ces “fines” ne sont pas récupérables par l'effet de filtre exercé par l'application des méthodes classiques de moulage, et sont éliminées avec le lactosérum. A l'inverse, un égouttage intervenant tardivement réduit les risques de pertes de matière sèche au lactosérum, mais entraîne à la fois une perte de temps et un risque d'excès d'acidification du coagulum préjudiciable à la qualité ultérieure de l'égouttage, et à celle du fromage. Il existe donc pour un type de fromage donné un moment idéal caractéristique où la fermeté du gel permet d'obtenir le produit dans les conditions optima, et qui est défini par le temps de tranchage ou temps de coagulation total. Ce temps est défini par la durée séparant le moment où l'enzyme a été ajoutée au lait et celui où débute l'égouttage.

III.2. - L'EGOUTTAGE

L'égouttage constitue la deuxième phase de la fabrication fromagère ; il a pour but la séparation d'un substrat, composé de certaies éléments du lait, qui sera ultérieurement soumis à l'affinage; il s'agit donc d'une phase essentielle qui conditionne directement la composition du fromage et son devenir au cours de l'affinage.

Macroscopiquement, l'égouttage se traduit par une élimination importante de lactosérum et s'accompagne d'une rétraction et d'un durcissement du gel. Bien que la plus grande partie de l'eau constitutive du lait soit éliminée lors de l'égouttage, ce dernier n'est pas une simple déshydratation; la plus grande partie des éléments solubles du lait (lactose -sels minéraux) et quelques fractions insolubles mineures (azote - matière grasse) sont en effet expulsés du gel conjointement à l'eau. A l'opposé, la presque totalité de la caséine et de la matière grasse se retrouve dans le fromage sous forme plus ou moins concentrée en fonction de la teneur en lactosérum résiduel. Quantitativement, la matière sèche d'un litre de lait de vache égale à 125 g/1 se trouve ainsi répartie pour moitié dans le fromage, l'autre moitié se retrouvant dans le lactosérum. Cette répartition des composants du lait lors de l'égouttage est sensiblement constante pour un type de fromage donné ; elle se définit en pratique fromagère par la notion de rendement fromager.

Le plus souvent, le rendement fromager correspond à un poids de fromage fabriqué à partir d'une quantité connue de lait, et rapporté à 100 1 ou 100 kg de matière première.

Le rendement en poids est évidemment plus élevé pour les fromages humides que pour les fromages secs ; les valeurs moyennes indicatives pour les différentes catégories de fromages faits à partir de lait de vache sont les suivantes :

- Pâtes fraîches25–35 kg
- Pâtes molles12–14 kg
- Pâtes pressées8–12 kg
- Pâtes dures6–8 kg

Fig. 9

Fig. 9 - EVOLUTION DE LA RIGIDITE D'UN COAGULUM LACTE OBTENU PAR VOIE ENZYMATIQUE
(D'après RAMET et coll., 1982)

Cette notion du rendement fromager présente un grand intérêt pratique car il reflète globalement comment a été réalisée la répartition quantitative des constituants du lait lors de l'égouttage ; elle permet de juger pour un type de fromage donné si la fabrication a été conduite dans de bonnes conditions; toutefois, la comparaison de valeurs obtenues par rapport au standard implique que la teneur en matière sèche des fromages soit la même. Cette identité est rare en pratique, aussi est-il préférable de substituer à la notion de rendement en poids total de fromages celle de rendement en poids sec qui permet de comparer des produits à teneur en eau différente. La détermination du rendement en poids sec nécessite de connaître la teneur en matière sèche du fromage, aussi son usage est-il moins répandu notamment dans les petites unités de fabrication ; il se détermine facilement en appliquant la relation :

Rendement en poids sec = Poids total de fromages × teneur en matière sèche totale du fromage.

En toute logique, pour apprécier avec rigueur le rendement fromager, il conviendrait également de dresser de la même manière que pour le fromage le bilan en matière sèche totale du lactosérum, soit le produit :

Poids de lactosérum x teneur en matière sèche ;

cette valeur ajoutée à celle du rendement fromager en poids sec devrait coîncider avec le poids total de matière sèche contenue dans la totalité du lait transformé. En réalité, une telle concordance est difficile à réaliser en pratique, en raison notamment de l'impossibilité de mesurer exactement la quantité de lactosérum écoulé, des fractions non négligeables de ce dernier étant perdues par évaporation, par imbibition et par mouillage des matériels et supports d'égouttage, de peser la totalité des fromages fabriqués. Cette démarche très fine, bien que seule rigoureuse pour apprécier un rendement, ne peut être conduite à bonne fin qu'au plan du laboratoire ou/et à celui de l'atelier pilote.

Le rendement fromager est une variable qui est influencée par de nombreux facteurs inhérents à la fois à la qualité du lait et aux modalités de la transformation en fromage. D'une manière générale, toute altération du lait par voie microbienne et enzymatique se traduit par une solubilisation des protéines et une dégradation de la matière grasse qui diminuent la quantité de matière sèche récupérable dans le fromage. L'utilisation de laits fortement contaminés en micro-organismes à la suite de pratiques non hygiéniques lors de la traite ou de conservation de longue durée à la température propice au développement microbien sont donc à éviter et il y a lieu dans la plupart des cas de transformer le lait en fromage aussitôt après la récolte. Par ailleurs, parmi les traitements appliqués au lait au cours de la fabrication, il ressort que toute opération de nature physique (pompage-agitation - tranchage - pressage) pratiquée trop brutalement engendre une pulvérisation des structures du lait (micelles - globules gras) à l'état liquide et à l'état de gel. En ce sens, le coagulum doit être toujours traité avec les plus grandes précautions en raison de sa friabilité caractéristique ; les fines particules résultant d'une fragmentation excessive du gel ne sont pas récupérables par les moyens habituellement utilisés en fromagerie, elles se retrouvent dans le lactosérum et augmentent d'autant les pertes en matière sèche. Seules des techniques sophistiquées de séparation (filtration sur tamis rotatifcentrifugation) permettent de les isoler, mais ces procédés sont envisageables uniquement au niveau de fromageries importantes et non de petites unités. La friabilité est, d'autre part, dépendante de facteurs technologiques variés : un excès d'acidification, une activité protéolytique élevée accroissent les pertes dans le lactosérum, un lait fortement chauffé donne un gel manquant de cohésion.

III.2.1. Mécanismes de l'égouttage

Malgré son apparente simplicité, l'égouttage est un phénomène complexe dont les mécanismes sont encore peu connus. Cette situation résulte principalement des difficultés de l'expérimentation liées au caractère très fragile du gel qui limite les possibilités de mesures répétitives car souvent destructives ainsi que de la multiplicité des facteurs et des interactions qui conditionnent la séparation du lactosérum. De ce fait, les études fondamentales réalisées dans ce domaine sont assez rares.

Il est toutefois généralement admis que le phénomène dans sa globalité résulte à la fois d'un processus actif correspondant à un pouvoir de contraction du gel appelé synérèse et d'un processus passif résultant de la porosité et de la perméabilité du coagulum. La synérèse est un propriété que l'on rencontre dans plusieurs milieux d'origine biologique et qui se traduit par l'expulsion active d'une partie de la phase dispersante. Pour le lait, cette propriété résulte principalement de sa composition particulière riche en caséine, toutefois en raison de l'aptitude très différente des gels à l'égouttage induite par le mode de coagulation, il apparaît que la structure du gel, et notamment les modalités d'association de la caséine, ont un rôle déterminant. Ainsi il a été montré que les gels pouvaient présenter des micelles associées en amas, cette structure est caractéristique des coagulations obtenues par voie acide; ils s'égouttent spontanément mais lentement et incomplètement. Au contraire, dans les laits gélifiés par voie enzymatique, les micelles sont associées en réseau et délimitent des vacuoles qui retiennent le lactosérum ; l'aptitude à l'égouttage spontané de ces gels est faible, par contre par des actions physiques et chimiques adéquates, il est possible de provoquer une rapide et importante expulsion de lactosérum quantitativement supérieure à celle provenant d'un gel acide.

Il convient en outre de souligner que les gels de fromagerie sont le siège de phénomènes dynamiques, en particulier d'une réaction enzymatique dominante déclenchée par apport d'enzyme coagulante et d'un processus fermentaire entretenu par les bactéries lactiques ; les liaisons inter et intramicellaires ne sont donc pas quantitativement et qualitativement figées dans le temps, mais évolutives. Ainsi l'aptitude à la synérèse est étroitement tributaire des réarrangements de l'état micellaire originel consécutifs aux destructurations par protéolyse et acidification et à l'établissement de liaisons nouvelles apparaissant après gélification ; en ce sens l'éstablissement progressif de ponts de plus en plus rigides est caractéristique de l'avancement de l'égouttage (liaisons calcium - liaisons hydrogène - ponts disulfure). Ceci explique également qu'à partir d'un milieu de composition sensiblement constante qu'est le lait, il est possible par le jeu de l'équilibre de ces réactions, initiées dès le début de la coagulation, d'aboutir à des produits finis aussi différents et variés que sont les fromages, mais que le devenir du gel est conditionné irréversiblement avant la phase d'égouttage et qu'il n'est pas possible ultérieurement d'en rectifier fondamentalement l'évolution, seules des corrections mineures sont permises.

L'aptitude du gel à évacuer le lactosérum est liée à deux de ses propriétés physiques particulières : la porosité et la perméabilité ; ces dernières résultent de la structure discontinue du milieu constitué de particules élémentaires séparées par des espaces interstitiels.

La porosité, définie par le volume relatif des pores interstitiels, décroît apparemment au cours de l'égouttage par simple effet de tassement du gel. La perméabilité qui correspond à l'aptitude du gel à se laisser traverser par le lactosérum, diminue également pour la même raison. Toutefois, le comportement poreux et perméable du coagulum, bien qu'il puisse paraître évident au plan de la pratique fromagère et ait été partiellement démontré au plan expérimental, reste encore à préciser au plan fondamental et beaucoup d'hypothèses avancées par analogie aux propriétés d'autres milieux méritent confirmation ; l'incidence sur la porosité et la perméabilité des différents facteurs de milieu évoluant en cours d'égouttage reste, en particulier, à quantifier.

L'approche mathématique des lois de l'égouttage est délicate en raison de la difficulté de maîtriser totalement tous les facteurs physico-chimiques régissant ce phénomène et de la diversité des méthodes utilisées ; aussi n'a-t-elle été abordée que par de rares auteurs ; leurs conclusions s'accordent pour montrer que l'égouttage suit généralement une loi de type exponentiel, toutefois lorsque l'égouttage est réalisé dans les contenants habituellement utilisés en fromagerie (moules -toiles - stores), la superposition des courbes expérimentales et de la courbe théorique est limitée aux premières minutes de l'égouttage. Ultérieurement la valeur des points théoriques devient supérieure à celle des points observés et traduit un ralentissement de l'évacuation du sérum consécutif à un colmatage progressif des support filtrants. L'exsudation du lactosérum d'un coagulum placé dans un contenant résulte donc à la fois de la synérèse proprement dite, mais également de la capacité d'évacuation du lactosérum hors du coagulum proprement dit, et de celle liée à la nature du support, ceux-ci se comportant comme une filtre dont le rendement diminue avec le temps (figure 10).

Figure 10

Figure 10 : INFLUENCE DU NOMBRE DE PERFORATIONS DES MOULES SUR L'EGOUTTAGE D'UN COAGULUM OBTENU PAR VOIE ENZYMATIQUE (D'après WEBER, 1976)

La composition du lait intervient de manière importante dans les phénomènes d'égouttage.

La matière grasse ne participe pas à la formation du coagulum ; elle y est emprisonnée de manière inerte. Lorsque le taux de matière grasse et son degré de dispersion augmentent, l'égouttage est ralenti. Une petite fraction de la matière grasse du lait est entraînée avec le lactosérum ; ces pertes s'accroissent avec la richesse du lait en matière grasse et avec l'intensité du travail mécanique avant et après coagulation.

L'augmentation du taux de protéines du lait a un effet négatif sur l'égouttage, mais leurs différentes fractions interviennent très différemment : la caséine ralentit faiblement la synérèse, les protéines solubles dénaturées par traitement thermique la diminuent considérablement.

Il y a lieu, en effet, de rappeler l'incidence particulière du traitement thermique du lait sur les rendements fromagers. On sait, en effet, qu'un chauffage du lait s'accompagne d'une précipitation des protéines solubles du lait d'autant plus importante que la température et que la durée du traitement sont élevées. De ce fait, la fraction protéique insolubilisée est récupérée dans le fromage alors que sans traitement thermique préalable du lait elle est éliminée presque totalement dans le lactosérum. Le diagramme de la figure 11 traduit l'importance de la réaction pour diverses conditions de chauffage. Il convient de remarquer que même dans les conditions de chauffage les plus sévères pratiquées en fromagerie - qui correspondent à celle d'une pasteurisation haute (T = 85° C, t = 60 à 120 s )-, le pourcentage de protéines récupérables reste limité à 20 % – 30% de la masse totale.

Dans l'optique unique d'améliorer le rendement, un traitement thermique plus énergique du lait apparaît donc nécessaire. En fait, cette pratique présente des inconvénients majeurs qui en interdisent l'emploi: un chauffage intense altère la couleur du lait par le développement de réactions du brunissement non enzymatique et sa flaveur par apparition d'une odeur et d'un goût de cuit ; il s'ensuit une dépréciation similaire de la qualité organoleptique du fromage. Un autre écueil technologique consécutif au chauffage réside dans le caractère très hydrophile des protéines précipitées ; celles-ci fixent l'eau contenue dans le coagulum et diminuent l'aptitude à l'égouttage. Pour chaque type de produit, il est donc possible de pratiquer un chauffage préalable du lait mais qui devra être limité et compatible avec la teneur en matière sèche souhaitée dans le fromage. Aussi pour les fromages à pâte dure et certains fromages à pâte pressée, une simple thermisation (T = 65° C, t = 15 à 30 s) est tolérable, au-delà de ce seuil une précipitation, même mineure des protéines solubles, réduit l'égouttage et produi des fromages trop humides. Pour les fromages à pâte pressée non cuite et pour les fromages à pâte molle, une pasteurisation basse (T = 72–76° C, t = 15–30 s)- peut être envisagée. Pour les fromages frais caractérisés par une humidité importante, une pasteurisation haute (T = 85–90° C, t = 60–120 s) est practicable sans incidence négative sur la séparation du lactosérum. De la même manière, le chauffage prolongé du lait à une température proche de l'ébullition, qui est parfois observé en fabrication fermière pour la totalité ou une fraction du lait transformé, doit être pratiqué avec mesure de manière à ne pas entraîner des défauts ultérieurs d'égouttage du fromage.

III.2.2. Modalités de l'égouttage

L'égouttage spontané d'un coagulum lacté est toujours très lent et se déroule sur plusieurs jours ; d'autre part il est toujours limité en intensité et ne permet pas d'obtenir pour le fromage des teneurs moyennes ou élevées en matière sèche. Enfin l'égouttage, pour une masse de coagulum de dimensions données, est souvent hétérogène, les zones externes étant généralement plus déshydratées que la zone centrale. En conséquence la technologie fromagère utilise divers traitements destinés à la fois à accélérer, à intensifier et à régulariser le processus d'évolution naturel.

Fig. 11

Fig. 11 - DENATURATION THERMIQUE DES PROTEINES DU SERUM DANS LE LAIT ECREME (d'après HARLAND et al., 1952)

Le nombre et l'intensité de ces opérations augmentent avec la teneur en matière sèche recherchée dans le fromage ; elles se répartissent comme suit selon les catégories de fromages.

TraitementsTranchageBrassageChauffagePressage
Pâtes fraîches+  +
Pâtes molles++  ++
Pâtes pressées non cuites++++++ ++
Pâtes pressées cuites+++++++++++++
Pâtes dures++++++++++++++++

Intensité du traitement :
+ faible
++ modérée
+++ énergique
++++ intense
+++++ très intense.

III.2.2.1. Tranchage

Le tranchage consiste à couper le gel en portions égales afin d'accroître la surface d'exsudation du lactosérum. L'incidence du tranchage sur l'égouttage est considérable et représente le facteur ayant le plus d'effet sur les modalités de la séparation du lactosérum ; une approche théorique montre que la surface cumulée de grains cubiques, obtenus par tranchage régulier d'un mètre cube de gel, augmente exponentiellement avec la dimension de l'arête comme il suit :

Dimension de l'arête (cm)1001010,1
Surface totale des cubes obtenus (m2)6606006000

D'une manière similaire, le tranchage différentiel d'un gel de lait obtenu dans des conditions rigoureusement identiques révèle que l'égouttage évolue plus rapidement et plus intensément pour les coagulums les plus divisés avant moulage (figure 12).

Ces données impliquent que pour parvenir à un degré d'égouttage défini, il convient à la fois de réaliser le tranchage à la dimension requise et ce d'une manière régulière pour l'ensemble des grains obtenus.

Le moment où intervient le tranchange influence également l'allure de l'égouttage (fig. 12) ; ainsi que nous l'avons vu précédemment, le gel doit être suffisamment ferme et structuré pour éviter sa pulvérisation en fines particules ; toutefois, plus l'égouttage doit être prononcé, plus le tranchage doit intervenir tôt afin de prévenir une diminution de l'aptitude à la synérèse consécutive au développement de réactions de déstructuration liées principalement à une acidification et une protéolyse excessives. Les limites d'intervention, qui correspondent à un compromis entre ces deux tendances contradictoires, sont de ce fait les plus étroites pour les coagulums obtenus par voie enzymatique dominante ; elles s'élargissent pour les coagulums mixtes et pour ceux à dominance lactique.

Fig. 12

Fig. 12 - Influence du tranchage sur l'égouttage du coagulum

effet de l'importance du tranchage

effet du moment du tranchage après emprésurage (to)
(T.F. : temps de floculation)
(D'après RAMET, 1978)

Il y a lieu enfin de préciser que le moment opportun du tranchage dépend également de la nature de l'enzyme coagulante utilisée. En effet, le comportement rhéologique des gels obtenus avec les enzymes autres que la présure montre un raffermissement initial du gel plus lent, mais ultérieurement l'évolution devient semblable et parfois plus rapide. Ce facteur doit donc être pris en compte pour optimiser les modalités d'égouttage.

III.2.2.2. Brassage

Le brassage consiste à agiter modérément dans le lactosérum les grains de caillé obtenus lors du tranchage, afin de maintenir libres les surfaces d'exsudation créées par le découpage. A l'état statique, ces grains ont une tendance marquée à se ressouder spontanément d'où une inhibition de l'expulsion du lactosérum. Pour les coagulums à prédominance lactique qui possèdent une faible propension à la repolymérisation, le brassage est facultatif et se pratique de manière discontinue. Au contraire, lorsque le caractère présure s'accroît (pâtes pressées et dures), les fragments de gel possèdent une forte tendance à la reprise en masse, le brassage doit être réalisé obligatoirement de manière continue et avec une intensité élevée en raison de leur densité accentuée.

Pendant le brassage, l'expulsion de lactosérum se poursuit, aussi en fixant la durée du traitement il est possible de régler l'importance de l'égouttage.


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