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AVANT-PROPOS


Depuis plus de vingt ans, la manière de mener le développement en relation avec la société est désormais au centre des préoccupations de l’intervention des Etats. Leurs organisations de développement mandataires sont donc également interpellées sur leurs méthodes d’intervention, et s’intéressent de plus en plus aux sciences sociales. Mais l’utilisation des disciplines sociales pour le développement n’a pas cet aspect mécanique qui fit durant longtemps la force des sciences «dures». La sociologie, les sciences politiques, l’économie politique, l’histoire, la géographie humaine, le droit sont conduits selon des méthodologies spécifiques et apportent souvent des réponses ambiguës, nimbées de doutes et d’interrogations. Ainsi, on ne peut interroger les sciences sociales avec les méthodes des sciences dures; l’observation des phénomènes n’est pas documentée à l’identique: les matériaux sont hétérogènes, les sources incertaines; les analyses et les conclusions restent souvent intuitives[2].

C’est dans ce cadre très général que se situe la demande formulée par le Département des pêches de la FAO auprès l’Université[3] de Perpignan (France). Son expertise pluridisciplinaire méditerranéenne était une opportunité scientifique pour une expérimentation: «la revue synthétique des droits collectifs et des systèmes décentralisés de discipline professionnelle des pêches maritimes». Toutefois, affronter ce thème institutionnel et juridique, dans un secteur en crise, sur un espace particulièrement complexe ne semble avoir d’intérêt que si sont abordées les questions de gouvernance et d’administration des pêches au regard des objectifs de durabilité.

La question de l’organisation des sociétés maritimes de Méditerranée soulève en effet celle de la décentralisation de l’action publique; elle interroge également les systèmes de gestion des ressources halieutiques aujourd’hui mis en œuvre par les différents gouvernements dans ce bassin géographique. La publication du «Code de conduite pour une pêche responsable» de la FAO ne pouvait qu’élargir l’ouverture du Département des pêches de la FAO aux analyses de politiques publiques. Ce code est constitué d’une suite de recommandations et on ne peut éluder la question des difficultés de leur applicabilité. Ainsi, aborder l’applicabilité du code, c’est se poser la question de l’administration publique et de l’intervention des Etats aujourd’hui responsables de l’aménagement des pêcheries de leurs juridictions.

Cette étude intervient alors que, en particulier en Méditerranée, les politiques publiques des pêches sont remises en question et que l’on se trouve dans la perplexité quant à la mise en œuvre des modèles de gestion recommandés au niveau international. On espère qu’elle pourra inspirer la réflexion sur les questions d’aménagement couvrant d’autres régions halieutiques dans le monde dont la structure des pêcheries est similaire.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les politiques scientifiques et centralisées des Etats ont encouragé et développé l’appareil industriel des pêches. Peut-on dire aujourd’hui que cet interventionnisme a «trop bien réussi»? Un appareil semi-industriel existe désormais en Méditerranée mais il traverse partout de nombreuses crises: crise de la ressource assez généralisée, crise du marché de nombreux produits de la mer du fait de la concurrence liée à la mondialisation, crise des entreprises de pêche du fait de l’endettement et de l’augmentation des coûts de production, crise sociale maritime qui se traduit par une crise démographique, appauvrissement assez général des populations de pêcheurs. Quant à la «petite pêche côtière» qui existe partout en Méditerranée, elle reste énigmatique et marginalisée; elle est en crise également mais probablement selon d’autres modalités.

Il semble désormais que les responsables du secteur veulent qu’une page des politiques des pêches soit tournée et on parle désormais de «pêche durable et responsable». Mais comment établir ce nouveau modèle? Quel est son contenu en terme d’exploitation? Et surtout que doivent faire les administrations de l’Etat qui, voici quelques décennies, ont ouvert la boîte de Pandore de l’industrialisation des pêcheries méditerranéennes à force de subventions et de transferts de technologies? Que décider en face d’une population maritime indisciplinée et stressée par l’érosion de ses revenus? Comment protéger les ressources halieutiques d’un outil de production souvent surdimensionné? Comment moduler l’effort de pêche en fonction de données scientifiques objectives et d’information qualitatives?

L’ensemble de ces questions interroge les systèmes qui aujourd’hui constituent les politiques publiques des pêches.

Au premier rang de ce système, en interaction avec la société civile, c’est l’administration des pêches en Méditerranée qui est en question. Et que sait-on en fait de l’administration des pêches? A-t-on des évaluations de ses interventions? Dispose-t-on d’études de sciences administratives sur son histoire, ses moyens, sa logique, ses objectifs, ses méthodes, ses représentations, son efficacité? Doit-on la mettre en cause aujourd’hui pour réaliser de nouveaux objectifs?

Face à l’administration, qui modèle en partie son destin, il y a la société civile et ses innombrables intérêts catégoriels. Aux premiers rangs de ceux-ci, on songe d’abord aux sociétés maritimes qui vivent de la mer et qui exploitent ses richesses. Que sait-on des hommes et des femmes qui vivent aujourd’hui de la pêche en Méditerranée? Peut-on trouver en eux les fondations de nouveaux systèmes de gestion? Ce milieu est-il homogène, monolithique? Ou au contraire est-il divisé et en conflit interne? Obéit-il à des problématiques identifiables?

Cette étude n’a pas la prétention de répondre à l’ensemble de ces questions: il serait difficile aujourd’hui de rassembler les données pour les traiter. Ce travail peut être défini comme une «offre épistémologique»: il s’agira d’aborder les problèmes des pêches à travers les relations de la société maritime avec l’appareil administratif. Cette démarche problématique n’a pas besoin d’être exacte et même scientifiquement vérifiable. Son objet est d’agréger une multitude d’informations hétérogènes, selon une thématique et d’approfondir ainsi nos connaissances.

Celles-ci n’ont d’autre fonction que de contribuer à mieux définir les politiques publiques des pêches en terme de durabilité et de responsabilité.

François Féral


[2] Mais il est vrai également que les sciences dures sont progressivement sorties des certitudes qui les soutenaient pendant les dernières décennies. Ainsi, l’intégration du doute dans le domaine de l’environnement et de la sécurité alimentaire a implanté la démarche de précaution dans le processus de décision politique.
[3] Depuis une dizaine d’années l’Université de Perpignan a développé dans deux laboratoires de sciences politiques et juridiques une réflexion sur les thèmes de l’histoire des institutions, du droit et des politiques publiques des pays en développement (Centre d’étude et de recherche juridique sur les espaces méditerranéens et africains francophones et Centre d’analyse politique). Des travaux y ont été réalisés notamment sur l’environnement et les politiques des pêches. Mais il s’agit également d’une université pluridisciplinaire où des laboratoires de biologie et de géologie marine travaillent depuis des années sur la Méditerranée: Laboratoire de biologie marine de Banyuls, Centre de formation et de recherche d’environnement marin, Laboratoire de biologie marine et malacologie de l’école des Hautes Etudes, Centre de biologie et d’écologie tropicale et méditerranéenne, etc.

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