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Amélioration de la production irriguée

Irrigation par aspersion de cultures de coton dans la vallée du Hula, en Israël

L'agriculture irriguée assure, depuis plusieurs décennies, une part de plus en plus importante de la production alimentaire. Le graphique ci-dessous indique que les plus hauts rendements obtenus grâce à l'irrigation sont au moins deux fois plus importants que les meilleurs rendements de l'agriculture pluviale. Même l'agriculture irriguée à faibles niveaux d'intrants est plus productive que l'agriculture pluviale à forts niveaux d'intrants; ceci résulte de l'avantage de pouvoir contrôler assez précisément la quantité d'eau absorbée par les racines des plantes.

Malgré cela, l'agriculture irriguée produit moins d'aliments que l'agriculture pluviale. A l'échelle mondiale, cette dernière est pratiquée sur 83 pour cent des terres cultivées et fournit plus de 60 pour cent de la production alimentaire mondiale. Dans les régions tropicales qui manquent d'eau comme les pays du Sahel, l'agriculture pluviale est utilisée pour exploiter plus de 95 pour cent des terres cultivées. Cela s'explique en partie par le fait que dans ces régions, le développement des méthodes classiques d'irrigation des cultures alimentaires serait sans doute très coûteux et ne se justifierait probablement pas sur le plan économique.

Il existe d'autres raisons qui empêchent les méthodes classiques d'irrigation de continuer à se développer aussi vite qu'au cours des quelques dernières décennies. Il faut d'abord souligner que le coût réel de la production alimentaire irriguée n'est pas clairement défini puisque, pour reprendre le commentaire d'un auteur, l'irrigation est l'une des activités les plus subventionnées au monde. Ensuite, le coût pour l'environnement des projets classiques d'irrigation est élevé (et n'est pas comptabilisé dans le prix des aliments); par exemple, une irrigation intensive se traduit souvent par des problèmes d'engorgement et/ou de salinisation. Environ 30 pour cent des terres irriguées sont maintenant touchées par ces problèmes, certaines modérément, d'autres gravement. La salinisation des zones irriguées est la cause d'une réduction de 1 à 2 pour cent par an de la superficie des terres cultivées sous irrigation.

Malgré ces réserves, il est bien évident que l'irrigation continuera à être employée et, qui plus est, que les superficies irriguées vont également s'étendre. L'amélioration de l'efficience d'utilisation de l'eau d'irrigation est certainement l'un des objectifs les plus importants de ce secteur.

On distingue essentiellement cinq types d'irrigation:

Rendements et besoins en eau de l'agriculture irriguée et de l'agriculture pluviale

L'irrigation peut fournir des rendements plus élevés que l'agriculture pluviale mais ses besoins en eau sont aussi beaucoup plus importants.

Les deux premiers types d'irrigation, l'irrigation de surface et par aspersion, représentent les méthodes classiques d'irrigation. A l'heure actuelle, l'irrigation de surface est de loin la technique la plus courante, et elle est en particulier très utilisée par les petits exploitants puisqu'elle ne fait pas appel à des équipements hydrauliques complexes, de gestion et d'entretien compliqués. C'est pourquoi l'irrigation de surface sera vraisemblablement encore la technique dominante en 2030, même si elle gaspille l'eau et est responsable d'une grande partie de l'engorgement et de la salinisation des sols.

L'irrigation goutte-à-goutte et l'irrigation enterrée sont des exemples de systèmes d'irrigation localisés qui relèvent de méthodes d'irrigation de plus en plus répandues grâce auxquelles l'efficience de l'eau est portée au maximum puisqu'elle n'est appliquée qu'aux endroits où elle est nécessaire et n'est donc que très peu gaspillée. Mais il n'y a pas que la technologie; des méthodes comme la petite irrigation et l'utilisation des eaux usées d'origine urbaine sont aussi prometteuses que l'évolution des technologies d'irrigation pour augmenter la productivité de l'eau.

Systèmes d'irrigation localisés

Croissance mondiale de l'irrigation localisée

L'irrigation localisée s'est rapidement étendue depuis l'invention des tuyaux en plastique bon marché dans les années 70.

La mise en place de mesures d'incitation - et l'augmentation du prix de l'eau d'irrigation sera vraisemblablement une incitation majeure - encouragera les agriculteurs à adopter les technologies d'irrigation permettant une économie maximale de l'eau. Les principales technologies susceptibles d'être utilisées dans les pays en développement, où la main-d'oeuvre est généralement abondante et les capitaux rares, sont l'irrigation enterrée et l'irrigation goutte-à-goutte. Elles reposent toutes les deux sur l'application fréquente de petites quantités d'eau aussi directement que possible au niveau des racines des végétaux. L'un des grands avantages des technologies d'économie de l'eau, et en particulier de l'irrigation goutte-à-goutte, est qu'outre l'économie d'eau elles augmentent les rendements et réduisent la salinité. En outre, puisque l'eau n'entre pas en contact avec le feuillage, ces deux systèmes peuvent utiliser des eaux saumâtres sur des plantes peu sensibles à la salinité. Certains systèmes d'irrigation enterrée relèvent de techniques simples qui ne nécessitent pas d'achats coûteux d'équipement mais exigent beaucoup de main-d'oeuvre.

L'une des plus anciennes méthodes d'irrigation consiste en fait à placer des pots en terre poreux dans le sol autour des arbres fruitiers et le long des lignes de cultures. Ces pots sont remplis manuellement, selon les besoins. Les tuyaux poreux ou perforés enterrés ont la même fonction et peuvent habituellement servir à irriguer deux lignes de cultures, de chaque côté du tuyau. Le débit d'application ne peut être contrôlé (mais on peut varier la fréquence) puisqu'il dépend de la taille des perforations et de la nature du sol.

L'irrigation goutte-à-goutte n'est utilisée que sur une petite partie des superficies auxquelles elle conviendrait. Elle utilise un système sous pression pour forcer l'eau dans des tuyaux perforés posés au-dessus du sol à un débit variant de 1 à 10 litres par heure et par goutteur. Malgré la simplicité de la technologie, cette méthode nécessite à la fois un investissement de départ et un entretien sérieux, car les goutteurs se bouchent facilement. Les résultats obtenus dans plusieurs pays montrent toutefois que les agriculteurs qui passent des systèmes de canaux en terre (arroseurs ou tranchées) ou d'aspersion, aux systèmes goutte-à-goutte peuvent diminuer leur consommation d'eau de 30 à 60 pour cent. Souvent les rendements augmentent en même temps parce que les plantes bénéficient réellement d'un traitement « sur mesure », puisqu'elles reçoivent, au niveau de leurs racines, la quantité optimale d'eau (et souvent d'engrais), au moment où elles en ont besoin.

Six facteurs décisifs pour améliorer l'efficience de l'irrigation

  • réduire les pertes par infiltration dans les canaux en les protégeant avec des revêtements ou en utilisant des conduits fermés;
  • réduire l'évaporation en évitant d'irriguer en milieu de journée et en choisissant l'aspersion sous le feuillage plutôt que sur frondaison;
  • éviter de trop irriguer;
  • lutter contre les mauvaises herbes entre les lignes et les laisser sécher;
  • planter et récolter au meilleur moment;
  • irriguer fréquemment en appliquant la quantité d'eau exacte pour éviter le stress végétal


Les systèmes goutte-à-goutte, qui coûtent environ 1 200 à 2 500 dollars des Etats-Unis par hectare, sont en général trop coûteux pour la plupart des petits exploitants et ne valent pas l'investissement pour les cultures à faible rendement, mais les recherches en cours tentent de minimiser leur coût. Les chercheurs ont ainsi mis au point un système goutte-à-goutte à moins de 250 dollars des Etats-Unis par hectare. Pour que ces systèmes restent économiques, deux facteurs sont décisifs: les matériaux doivent être simples et le système doit être facilement transportable; au lieu de poser un tuyau goutte-à-goutte par ligne de culture, le même tuyau peut être déplacé toutes les heures et servir ainsi à irriguer une dizaine de lignes. L'irrigation par ajutage est une autre version bon marché du goutte-à-goutte, qui élimine les goutteurs, régulateurs de pression et autres raccords: l'eau sort en bouillonnant de courts tubes verticaux reliés à des tuyaux distributeurs latéraux et enterrés.

L'irrigation goutte-à-goutte au Cap-Vert

Au début des années 90, un projet de la FAO financé par les Pays-Bas avait pour objectif de développer l'horticulture au Cap-Vert. Ce fut un succès, dont l'extension fut limitée par le manque d'eau: les précipitations moyennes s'élèvent à environ 230 mm/an sur ces îles, soit un peu plus de 700 m3/personne/an. C'est alors que les parcelles expérimentales commencèrent à utiliser l'irrigation goutte-à-goutte; peu après elle envahit les champs des agriculteurs. Le nouveau système a permis d'augmenter la production et d'économiser l'eau, grâce à quoi les terres irriguées et l'intensité de culture ont augmenté. Convaincus par l'expérience, de nombreux agriculteurs ont spontanément adopté l'irrigation goutte-à-goutte sur leurs terres. En 1999, six ans après le premier essai, 22 pour cent des terres irriguées du pays étaient passées à l'irrigation goutte-à-goutte, et de nombreux exploitants avaient converti leurs plantations de canne à sucre, grosses consommatrices d'eau, en exploitations horticoles à rendements élevés avec des cultures de pommes de terre, oignons, piments et tomates. La production horticole totale a augmenté, passant de 5 700 tonnes en 1991 à 17 000 tonnes en 1999. Une parcelle de 0,2 hectare rapporterait à l'agriculteur un revenu mensuel de 1 000 dollars des Etats-Unis.


Petite irrigation

Il existe plusieurs systèmes de petite irrigation et d'irrigation d'appoint, certains modernes et d'autres traditionnels, qui sont très prometteurs et permettraient d'augmenter la productivité des zones d'agriculture pluviale. Une technologie telle que celle de la pompe à pédales (voir encadré ci-contre) peut permettre à des agriculteurs sans grands moyens de gérer leurs propres systèmes selon leurs besoins à condition de disposer de suffisamment d'eau à l'échelle locale. Le pompage de l'eau au moyen de petits moteurs diesel ou électriques peut également être plus économique que les grands aménagements, souvent trop dépendants de commandes centralisées. En outre, chaque agriculteur étant en charge de son propre système, il peut porter la production à son maximum de manière à répondre aux exigences de son propre mode de vie, ce qui n'est pas possible avec les grands aménagements d'irrigation.

Amélioration du drainage, réduction de la salinité

Le drainage des terres irriguées a une double fonction: réduire l'engorgement ainsi que, tout aussi important, contrôler et réduire la salinisation qui accompagne inévitablement l'engorgement dans les régions arides et semi-arides. Un drainage adéquat permet aussi une diversification des cultures, une intensification des cultures et une utilisation beaucoup plus efficace des intrants tels que les variétés à haut rendement, les engrais et la mécanisation.

Le problème de manque de drainage des terres concerne environ 100 à 110 million d'hectares de terres irriguées situées en régions arides et semi-arides. A l'heure actuelle, l'accumulation de sels est responsable de l'endommagement grave d'environ 20 à 30 millions d'hectares irrigués et de la perte annuelle de 0,25 à 0,5 million d'hectares pour la production alimentaire. Par conséquent, le drainage des terres irriguées est un besoin majeur.

Toutefois, le drainage a deux inconvénients principaux. Premièrement, les eaux de drainage sont souvent contaminées avec des sels, des oligo-éléments, des sédiments et des traces d'intrants agricoles. Les eaux de drainage doivent être évacuées de manière sûre. Deuxièmement, un meilleur drainage dans les zones amont engendre des débits plus importants à l'aval, aggravant les risques d'inondation. Par conséquent, les nouveaux projets de drainage doivent considérer non seulement les bénéfices de la production agricole durable mais aussi les effets secondaires sur l'environnement.

Environ 100 à 150 millions d'hectares de terres pluviales, particulièrement en Europe et en Amérique du Nord, ont été drainés alors qu'une superficie supplémentaire d'environ 250 à 350 millions d'hectares nécessiteraient d'être drainés. De nombreuses cultures sont mises en place dans des terres humides aménagées. Toutefois, le développement de ce type de drainage ne se poursuit pas étant donné que l'intérêt des bas-fonds naturels est mieux reconnu.

Utilisation des eaux usées pour l'irrigation

La diminution de la charge polluante des eaux utilisées par l'agriculture, les industries et les collectivités devrait permettre d'en recycler une plus grande partie pour l'irrigation, ce qui pourrait être extrêmement avantageux pour l'irrigation.

Prenons l'exemple d'une ville de 500 000 habitants qui consomme 120 litres d'eau par jour et par personne: elle produit environ 48 000 m3 d'eaux usées par jour (à supposer que 80 pour cent des eaux passent dans le système public d'égouts). Si ces eaux usées étaient traitées et utilisées dans le cadre d'un plan d'irrigation strictement réglementé, elles pourraient servir à irriguer près de 3 500 hectares, à raison de 5 000 m3 par hectare et par an.

La valeur fertilisante des effluents est presque aussi intéressante que l'eau elle-même. La concentration type en nutriments dans les effluents d'eaux usées, après l'application d'un traitement classique des eaux d'égout, est de 50 mg d'azote, 10 mg de phosphore et 30 mg de potassium par litre. L'apport fertilisant annuel de l'effluent, pour un volume de 5 000 m3/ha/an, serait de 250 kg d'azote, de 50 kg de phosphore et de 150 kg de potassium par hectare. Cela signifie que tous les besoins en azote et une grande partie des besoins en phosphore et en potassium d'une production agricole normale seraient assurés par l'effluent. Par ailleurs, un autre effet bénéfique d'une telle utilisation serait l'apport en autres micro-nutriments précieux et matières organiques contenus dans les effluents.

Les retombées seraient également intéressantes pour l'environnement puisque la plupart de ces nutriments, absorbés par les cultures, seraient éliminés du cycle hydrologique et ne contribueraient plus à l'eutrophisation des rivières ni à la création de zones mortes dans les régions côtières.

Les agriculteurs zambiens adoptent la pompe à pédales

Agriculteur zambien utilisant une pompe à pédales

Le Programme spécial pour la sécurité alimentaire (PSSA) de la FAO s'est employé avec succès à faire adopter la technologie de la petite irrigation en Zambie. Dans les zones sujettes à la sécheresse, les agriculteurs utilisaient traditionnellement des méthodes laborieuses de transport des eaux d'eau pour irriguer leurs parcelles. La phase pilote du PSSA a instauré l'utilisation de pompes à pédales capables de pomper l'eau à huit mètres de profondeur avec un refoulement de 1,5 litre par seconde. Ces pompes ont été modifiées et adaptées aux conditions locales et maintenant, trois types de pompes sont fabriqués dans la région par neuf fabricants. Des agriculteurs originaires de toute la Zambie ont déjà acheté 1 500 pompes. De ce fait, l'approvisionnement des ménages et des villages en légumes frais s'est considérablement amélioré en Zambie.


La nécessité d'augmenter le stockage

Les prévisions, même les plus optimistes en matière de croissance de la productivité, d'amélioration de l'efficience et d'expansion de la superficie irriguée, anticipent une augmentation de 14 pour cent des besoins en eau pour l'agriculture irriguée des pays en développement d'ici 2030. Cela équivaut à 220 km3 de stockage supplémentaire qui serait nécessaire. Il faudrait en outre remplacer les réserves perdues par l'envasement des réservoirs existants, estimées à 1 pour cent ou 60 km3 par an, soit 1 800 km3 sur trente ans, ainsi que l'eau extraite des nappes souterraines, qui représente 160 km3 supplémentaires. Le volume stocké nécessaire pour les 30 prochaines années se situe donc autour de 2 180 km3, c'est-à-dire plus de 70 km3 par an (sans compter l'augmentation des pertes par évaporation dues à l'accroissement de la surface). Il s'agirait donc de prévoir annuellement le stockage d'un volume au moins équivalent au haut barrage d'Assouan. Il est peu probable, pour une série de raisons d'ordre économique, écologique et social, que l'on puisse construire une telle capacité supplémentaire de stockage en surface au cours des trente prochaines années.

Le stockage de volumes d'eau plus importants dans les nappes souterraines constitue une alternative tentante. Il serait urgent de mettre au point de nouvelles techniques et de nouveaux dispositifs institutionnels pour améliorer l'approvisionnement des nappes souterraines.

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