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PLACE DE LA BIOTECHNOLOGIE DANS L'AMELIORATION DES ARBRES FORESTIERS

par

Rowland D. Burdon
NZ Forest Research Institute
Private Bag 3020
Rotorua
Nouvelle-Zélande

INTRODUCTION

La biotechnologie est un domaine qui a connu des progrès spectaculaires. Ce terme de biotechnologie englobe des aspects divers tels que nouvelles méthodes de multiplication végétative, notamment in vitro; cryopréservation; régulation très accrue de la floraison, et enfin la biologie moléculaire comprenant le repérage et l'application de marqueurs d'ADN, et la transformation génétique.

Etant donné les contraintes imposées traditionnellement par la longue durée de vie et la grande taille des arbres, auxquelles s'ajoutent la faible interfécondité entre de nombreuses espèces voisines, l'emploi de la biotechnologie pour l'amélioration génétique montre un attrait particulier. Des systèmes nouveaux ou améliorés de multiplication végétative peuvent être d'un grand secours, permettant entre autres de mettre à profit rapidement un gain génétique grâce à la multiplication massive de matériel amélioré. La maîtrise totale de la floraison et celle de la maturation seront avantageuses à bien des égards. Des systèmes satisfaisants d'empreinte génétique seront une aide bienvenue pour l'amélioration et la conservation. De nouvelles méthodes de sélection sont en perspective, notamment la sélection précoce de très jeunes arbres forestiers qui est souvent particulièrement difficile à réaliser de manière fiable. Le “génie génétique”, que l'on assimile généralement à la transformation génétique, offre des perspectives de types d'amélioration génétique qui ne seraient pas possibles autrement.

La disponibilité de nouvelles techniques offre manifestement de grandes potentialités, mais elle pose aussi des problèmes qu'il convient de reconnaître. Elle entraîne un ensemble de décisions nouvelles à prendre, sur l'affectation des ressources, les structures de gestion, et même sur des questions d'ordre institutionnel. Toutes ces décisions comportent des risques d'erreurs. Certaines erreurs sont inévitables dans la course du progrès, mais un grand nombre peuvent être évitées par un examen attentif des problèmes.

CAPACITES ET BESOINS

La biotechnologie peut certes fournir un ensemble d'outils très puissants, mais il convient de bien apprécier les conditions requises pour les utiliser avec avantage et sécurité.

Les nouvelles techniques de multiplication végétative (boutures, plants obtenus par culture de tissus, culture d'embryons) peuvent grandement accélérer la distribution du gain génétique. L'inversion de la maturation (vieillissement physiologique) ou son contrôle par la cryopréservation peuvent aider à obtenir un gain génétique face à des contraintes biologiques souvent décourageantes. Le gain génétique, toutefois, est conditionné par la présence - ou la recréation - d'une variabilité génétique sur laquelle on puisse travailler, et par un criblage et une sélection efficaces.

La nouvelle biotechnologie offre des perspectives de maîtrise plus complète de la floraison. En induisant une floraison très précoce chez les pins et autres genres, comme on sait déjà le faire avec divers membres de la famille des Cupressacées, on peut lever une importante contrainte pour la sélection génétique. L'intérêt réel, toutefois, dépendra de la qualité du matériel génétique utilisé.

Les techniques d'empreinte génétique, appliquées aux génomes ADN, peuvent être utilisées entre autres pour caractériser des populations et aider à évaluer l'importance de la variation génétique à l'intérieur d'une population et entre populations. Elles sont particulièrement intéressantes pour étudier les ressources génétiques qui forment les populations de base en vue de la sélection. Pour remplir ce rôle, les marqueurs d'ADN, en particulier ceux d'emploi commode faisant appel aux techniques PCR (réaction en chaîne de la polymérase), peuvent être un outil bien plus puissant et précis que les isozymes maintenant d'usage courant. Les recherches nécessaires pour développer l'emploi de ces marqueurs, toutefois, devront être menées sur des échantillons de population appropriés, et l'obtention de tels échantillons de population impliquera en général de disposer de resources génétiques appropriées pour un programme d'amélioration génétique classique.

La détection des locus quantitatifs (QTL) promet de nouvelles possibilités pour l'évaluation des génotypes candidats. Elle pourrait offrir un outil particulièrement puissant pour la sélection précoce, qui à présent est souvent peu fiable au point de constituer un facteur limitant important de l'obtention de gain génétique par unité de temps. Dans le cas d'hybrides interspécifiques de génération avancée, l'emploi de marqueurs QTL offre la perspective d'un assemblage plus efficace des meilleurs caractères de chacune des espèces parentes. L'identification des liaisons, toutefois, exige une cartographie génique et une dissection des QTL. Pour le réaliser avec une espèce exogame, chez laquelle il y a peu de déséquilibre de liaison entre marqueurs et QTL, il faudra produire et évaluer des descendances nombreuses par pollinisation dirigée, avec des schémas d'hybridation spéciaux. En outre, la validation de la sélection précoce nécessitera de bons essais de descendances suivis sur une longue période.

La transformation génétique offre, comme on l'a mentionné plus-haut, la possibilité de gains qui pourront être qualitativement différents de ceux que l'on peut obtenir par les méthodes classiques d'amélioration. Ce pourra être par exemple la résistance à des herbicides peu nocifs pour l'environnement, ou la stérilité mâle (et éventuellement femelle). La stérilité peut devenir ou rester une exigence réglementaire pour la mise en circulation d'organismes génétiquement modifiés, elle offre des promesses pour un accroissement de la production ligneuse grâce à une déviation réduite de la biomasse primaire chez les individus améliorés, et dans de nombreux cas elle pourrait grandement faciliter la gestion des ressources génétiques à une échelle qui serait trop grande pour permettre une pollinisation dirigée systématique.

Toutefois, le testage initial des transformants devra être fait de manière poussée et prolongée, pour éviter le risque d'effets secondaires désastreux tels que la sensibilité à la fusariose du maïs qui est apparue après avoir utilisé un facteur de stérilité mâle particulier pour produire du maïs hybride (Levings, 1989)1. Les types de transformation qui semblent moins risqués, notamment l'emploi d'ADN “antisens”, exigeront sans doute un travail de mise au point encore plus complexe que l'insertion de séquences d'ADN étrangères à l'espèce. Les cultivars transformants devront être obtenus à partir de matériel génétique amélioré du point de vue des caractéristiques sylvicoles essentielles; une telle amélioration “de fond”, qui ne peut être réalisée par des méthodes de génie génétique, devra être poursuivie et sera conditionnée par le maintien d'une grande partie de la variabilité génétique naturelle. En outre, les transformants utilisés devront encore constituer une population de diversité génétique suffisante afin d'éviter une vulnérabilité excessive des peuplements.

Les diverses conditions requises énoncées ci-dessus pour une mise au point et une application satisfaisantes de méthodes de biotechnologie se résument en fait essentiellement à tout l'arsenal de moyens classiques d'amélioration génétique, comportant la conservation ou le rassemblement et l'entretien de ressources génétiques, le croisement, et les tests et évaluations de terrain. En outre, il faut tenir compte des coûts de la mise au point et de l'application pratique de la biotechnologie, qui seront très élevés. Chaque aspect de la biotechnologie pourra être coûteux à développer en lui-même; il pourra y avoir une forte interdépendance entre divers aspects (par exemple dépendance de la transformation génétique vis-à-vis d'une bonne technique de propagation in vitro), et il y aura d'inévitables échecs ou obsolescence de certaines voies de la biotechnologie.

PROBLEMES DE FINANCEMENT

L'incidence sur la politique de financement est évidente. La biotechnologie, si l'on décide d'y recourir, viendra en supplément et non en remplacement des moyens classiques d'amélioration génétique. Dans un avenir lointain, il y aura certainement des domaines de la génétique où la biotechnologie permettra d'épargner une bonne part du temps et des ressources qui doivent maintenant être consacrées aux méthodes classiques, mais à court terme ce sera généralement l'inverse.

Les conséquences défavorables de l'adoption prématurée de la biotechnologie, aux dépens du développement et du maintien d'une hiérarchie classique de populations de sélection et autres ressources génétiques, pourraient être de trois ordres. Tout d'abord, cela pourrait sacrifier le gain génétique pouvant être obtenu à court terme par les méthodes de la génétique classique. Ces gains sont souvent très importants et rapides, en particulier avec des essences exotiques récemment introduites ou autres essences de domestication récente. Ils peuvent être le fruit d'importants investissements déjà consentis mais qui demandent un travail de suivi pour pouvoir en toucher les dividendes. Ensuite, si l'infrastructure de génétique classique manque de moyens, la plus grande partie des bénéfices potentiels de la biotechnologie risque de ne se produire que tardivement ou pas du tout. Enfin, si un transfert de ressources entraîne une diminution de la variabilité génétique naturelle, il pourrait même conduire à des désastres biologiques pouvant être exacerbés par une usage inconsidéré de la biotechnologie.

Les décisions d'investissement concernant la biotechnologie par rapport à la génétique classique peuvent poser un dilemme. Si le détournement de ressources de la génétique classique peut entraîner, comme je l'ai mentionné ci-dessus, des coûts et des risques considérables, renoncer à cette nouvelle technologie, d'un autre côté, n'est pas un choix attrayant. Il y a un risque évident d'être laissé dans un “ghetto technologique”, et si les financements sont malgré tout transférés à la biotechnologie, ceux qui resteront attachés à leurs méthodes classiques pourront se retrouver plus ou moins privés d'appui financier. Même si cet appui est maintenu, il pourra s'élever un problème d'“image de marque”. A plus long terme, on court le risque de se retrouver commercialement désavantagé par rapport à des concurrents ayant un produit supérieur, dont les profits seront garantis par des droits de propriété intellectuelle. Même en l'absence de telles pressions commerciales, il peut être frustrant, avec des niveaux de financement stagnants ou en diminution, de voir échapper de nouvelles possibilités scientifiques exaltantes qui ne pourraient se réaliser qu'au détriment d'un programme pratique d'amélioration bien conçu.

UNE SOLUTION ?

L'espoir est que des investissements soient faits dans la biotechnologie en supplément du travail classique d'amélioration génétique. Les profits en perspective, et le sentiment d'une rentabilité vraisemblablement plus élevée, pourraient attirer de nouveaux bailleurs de fonds. C'est hautement désirable, mais la situation devra néanmoins être gérée avec prudence. La biotechnologie et la génétique classique devront être convenablement intégrées, ce qui sera certainement plus facile si les accords de financement sont de nature à favoriser la collaboration. Le fait de privilégier une technologie exclusive, s'il favorise le financement, peut aussi entraîner des problèmes, l'un d'entre eux étant que les propositions et les résultats risquent d'échapper à un examen approprié par les pairs. Un autre danger est un manque de coordination dans la gestion des ressources génétiques au détriment de leur valeur future. L'adoption d'une technologie exclusive risque aussi de ne pas bien se concilier avec la forme coopérative actuelle de la génétique forestière, qui a fait ses preuves. En outre, elle risque de ne pas bien s'accorder avec les coûts totaux entraînés; un programme bien équilibré de biotechnologie, qui reconnaisse l'interdépendance entre les différents aspects de la technologie et couvre le risque d'échec ou d'obsolescence de certaines techniques, pourra être trop coûteux pour être mis sur pied par une organisation quelconque. D'autres problèmes concernent les relations entre pays d'où proviennent les ressources génétiques, mais qui ne disposent pas de ressources économiques suffisantes pour les mettre en valeur, avec des intérêts puissants attirés par la perspective d'exclusivité de la technologie. Certains de ces problèmes, cependant, sont traités par l'Engagement international de la FAO sur les ressources phytogénétiques (FAO, 1983), et plus récemment par la Convention internationale sur la biodiversité (Anon., 1992), qui est nécessairement un compromis entre différents intérêts. Il faut espérer que l'on trouve une solution satisfaisante.

CONCLUSION

Une répartition équitable des ressources entre biotechnologie et génétique classique n'assurera pas par ellemême le résultat voulu, mais elle en est une condition essentielle. Ce qui est clair, c'est que tout au moins à court ou moyen terme l'adoption de la biotechnologie doit être un des éléments d'un effort accru pour l'amélioration génétique des arbres forestiers, plutôt qu'un substitut aux méthodes classiques. L'adoption de la biotechnologie moderne est ipso facto un engagement à une domestication plus poussée. Cependant la domestication revient à intensifier les apports dans la gestion des ressources vivantes en vue de tirer un meilleur profit de leur aménagement et de leur exploitation au bénéfice de l'homme. L'emploi de biotechnologies de pointe pour l'amélioration des arbres forestiers ne saurait faire exception à ce principe.

REMERCIEMENTS

Je remercie S.D. Carson et D.R. Smith pour leurs critiques constructives du manuscrit de cet article.

BIBLIOGRAPHIE GENERALE

Anon (1992). Convention sur la diversité biologique. Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement. (Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, 11, Chemin des Anémones, B.P. 76, CH-1219, Châtelaine, Suisse).

Burdon, R.D. (1992). Tree Breeding and the New Biotechnology - in Damaging Conflict or Constructive Synergism? "Pp 1–7 (keynote address) in “Resolving Tropical Forest Resource Concerns through Tree Improvement, Gene Conservation and Domestication of New Species” (1993). Proceedings of IUFRO Conference (Section S2.02–08) held October 9–18 1992 in Cartagena and Cali, Colombia. (CAMCORE, North Carolina State University, Box 7626, Raleigh, North Carolina 27695-7626 USA). 468 pp. (E)

FAO (1983). Engagement international sur les ressources phytogénétiques Résolution 8/83 de la 22ème Session de la Conférence de la FAO, Rome 5–23 novembre 1983. FAO, Rome.

Haines, R.J. (1993). The Role of Biotechnologies in Forest Tree Improvement, with Special Reference to Developing Countries. FAO Forestry Paper 118. FAO, Rome.

Haines, R.J. (1994). La biotechnologie et l'amélioration des essences forestières - orientations et priorités de la recherche. Unasylva 177:46–52.

Kanowski, P.J. (1993). Forest Genetics and Tree Breeding. Forestry Abstracts 63:717-26.

Libby, W.J. (1991). The Problem of Biotechnological Constipation. Pp 323-8 in Woody Plant Biotechnology (ed. Ahuja, M.R.) Plenum Press, New York, USA.

1 Levings, C.S. III(1989). Science 250:942–77.

Ressources Génétiques Forestières No 22. FAO, Rome (1995)
Cet article est adapté par l'auteur d'une note de fond présentée à la conférence de l'IUFRO sur “Les solutions aux problèmes des ressources forestières tropicales par l'amélioration génétique, la conservation génétique et la domestication de nouvelles essences forestières”, 9–18 oct. 1992, Cali (Colombie)


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