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DIMENSION CULTURELLE DE L 'ARBRE AU BURUNDI.

Venant Nyandwi


Résume

Dans le Burundi ancien, les arbres avaient une signification culturelle, voire divine.

L'éleveur brûlait les plantes spécifiques (Phytolacca dodecandra, Dalbergia lactea) ayant le pouvoir d'éloigner le python mythique qui pouvait faire périr le bétail et de protéger celui-ci des voleurs nocturnes. Une partie de l'enclos était consacrée aux esprits des ancêtres. A cet endroit, on y plantait souvent trois arbres sacrés: Ficus avota, Erythrina abyssinica et Chenopodiaceae sp.

Un couloir fortifié de haies d'épineux, Solanum aculeastrum, débutait aux piliers de l'entrée de l'enclos et serpentait fort loin à travers les champs pour se terminer dans les terrains de parcours du bétail.

Quant aux cours royales, elles étaient caractérisées par la présence des arbres («ibigabiro») ayant une signification religieuse.

Seul méritait ce nom de ''kigabiro'; l'enclos abandonné, envahi par les broussailles, fréquenté seulement à l'occasion de cérémonies de culte des ancêtres et qui se détachait du reste du paysage par ses grands arbres, autrefois intégrés à une haie vive, tels que les ficus (Ficus thonningii, Ficus congensis, Ficus ovata) ou des dragonniers ( Dracaena steudneri, Dracaena afromontana).

Le jour de l'intronisation, le roi devait planter trois arbres: l 'érythrine, le ficus et Crassocephalum marii.

Les cimetières des rois se transformaient par le temps en bosquets inaccessibles dominés par des ficus et des dracaenas.

La pratique du culte de «Kiranga» (dieu) supposait dans chaque «rugo» la présence d'un lieu composé de trois arbres, une érythrine, un ficus et un chénopole. Ceux-ci étaient chargés de manifester sur le terrain une puissance de type divin, celle du roi et celle de «Kiranga». Les tambours étaient conservés dans un bois sacré.

Aujourd'hui comme hier, les produits forestiers sont au service de l'art.

Les stratégies de préservation de l'arbre au Burundi devraient prendre en compte la dimension culturelle accompagnée d'autres par d'autres actions pour un développement durable.


I. Introduction

Au Burundi, le secteur forestier fournit 2% du PIB et 6% d'emplois. Les ressources forestières sont diversifiées: forêts naturelles, les plantations, les arbres hors forêt.

Malheureusement, ces ressources sont menacées de dégradation liée notamment à la pression démographique et l'exploitation anarchique de ces mêmes ressources, une situation qui a été exacerbée par la crise socio-politique que vit le pays depuis 1993.

L'objet de la présente communication s'inscrit dans le cadre du XIIème congrès forestier mondial et vise à montrer la dimension culturelle de l 'arbre au Burundi et rappeler quelques valeurs sociales des Burundais en interaction avec la forêt.

II. La dimension culturelle de l 'arbre au Burundi et la dégradation des ressources forestières

1. Organisation du «rugo».

Le «rugo» était généralement constitué de trois cours inégales en importance et en forme, précédées d'un couloir végétal d'accès plus ou moins long.

«Urugo» était la cour par excellence, de forme circulaire, sur laquelle s'ouvrait l'habitation principale.

C'était la plus grande des trois, essentiellement destinée au parcage du bétail. C'est là en effet qu'étaient rassemblées les vaches la nuit après la traite du soir jusqu'à celle du matin.

La traite, comme le détiquage, se faisait à proximité d'un feu spécialement allumé à cette occasion avec de la paille mouillée pour que la fumée chasse les insectes. Ce feu était toujours situé en contrebas du «rugo» pour l'abriter du vent qui risquait de causer des incendies, surtout en saison sèche.

On y brûlait des plantes spécifiques notamment les Phytolacca dodecandra et les Dalbergia lactea ayant le pouvoir d'éloigner le python mythique qui pouvait faire périr le bétail et de protéger celui-ci des voleurs nocturnes.

C'est aussi au pied de ce feu qu'on inhumait le chef de famille pour qu'il puisse rester près de son troupeau et qu'on enfouissait diverses sortes d'amulettes destinées à protéger le «rugo» de tout maléfice.

Les vaches se regroupaient au point le plus haut de cette cour afin d'éviter les flaques d'eau et de purin qui ne s'étaient pas écoulés avec la pente vers les champs en contrebas.

A proximité du troupeau se trouvait presque toujours une fougère arborescente ou un pieux contre lequel les bovins pouvaient se frotter pour se débarrasser des parasites ou pour calmer leurs démangeaisons.

Une cour secondaire appelée également «akago» située derrière l'habitation principale.

En forme de croissant de lune, cette cour était un lieu strictement réservé à la famille et à quelques amis. Lieu d'intimité pour les femmes qui y faisaient leur toilette, c'était aussi une place culturelle, réservée à la religion des ancêtres, et économique car c'est là que se trouvaient généralement les greniers à céréales et à vivres ainsi que quelques cultures de cases particulièrement choyées (tabac, taro, etc.) et même parfois une ou deux ruches.

Une autre cour («indaro»), mais de taille miniature, était consacrée aux esprits des ancêtres; on pouvait y ranger des objets.

A l'intérieur, on trouvait une fine litière d'herbes, une petite auge en bois d'érythrine, trois pierres figurant le foyer et quelques reliques du défunt. On y plantait souvent trois arbres, les Ficus ovata, les Erythrina abyssinica et les Chenopodium ugandae. La famille au grand complet y déposait de modestes offrandes sous forme de lait, de bière de sorgho, etc.

A droite ou à gauche, juste après les deux gros piliers de l'entrée, on déposait les lourdes branches destinées à barricader l'enclos durant la nuit.

Un couloir fortifié de haies d'épineux ( Solanum aculeastrum, surtout) débutait aux piliers de l'entrée et serpentait parfois fort loin à travers les champs de l' «itongo» pour se terminer dans les terrains de parcours du bétail. Son rôle était d'empêcher les divagations des animaux.

2. Les arbres-témoins de l'architecture des cours royales.

Ces groupes d'arbres appelés «kigabiro» symbolisaient un ancien lieu de pouvoir, c'est-à-dire un ancien «rugo» du roi ou de chefs locaux.

Pour J.P. Chrétien (1978), les prolongements religieux semblent également clairs, dans la mesure où on ne parlait pas de «kigabiro» du vivant de celui qui y résidait, mais de «rugo» ou de «kirimba».

Seul méritait ce nom l'enclos abandonné, envahi par les broussailles, fréquenté seulement à l'occasion de cérémonies de culte des ancêtres et qui se détachait du reste du paysage par ses grandes arbres, autrefois intégrés à une haie vive, tels que les Ficus thonningii, les Ficus congensis, les Ficus ovata ou des dragonniers ( les Dracaena steudneri, les Dracaena afromontana.

Le «kigabiro» pouvait aussi se réduire à un groupe de quelques arbres plantés non pour clôturer une résidence, mais pour symboliser dès le départ l'implantation d'une nouvelle autorité. C'était le cas du roi, le jour de l'intronisation, quand il présidait à la plantation au sommet du Nkondo de trois arbres, l 'érythrine, le ficus et le Crassocephalum marii.

Cette plantation rituelle avait son équivalent au nord-ouest du Burundi, dans l'érection des «ingo» funéraires destinés à abriter les dépouilles des roi défunts. Peu à peu, ces «ingo» se transformaient par le temps en bosquets inaccessibles dominés par des ficus et des dracaenas. Ces bois funéraires s'intitulaient plus spécialement des «inganzo», les «lieux de triomphe».

Les «bigabiro», quant à eux, étaient des lieux de souvenir des anciens rois, où pouvaient être déposés des tambours et où étaient censés résider les grands pythons. Qu'il s'agisse d'anciens «ingo» ou de bosquets purement rituels, ils étaient avant tout des mémoriaux et manifestaient la présente ancienne de personnages investis de pouvoirs à la fois sociaux, spirituels et naturels.

Deux aspects étaient intimément liés au fonctionnement des «bigabiro» (et les îlots forestiers considérés comme tabous, composés de vieux arbres de différentes essences et appelés «iteka» (le lieu de respect) ou, dans l'est du pays, «ihero»: le culte de « Kiranga» (dieu) et le rôle des tambours.

En effet, la pratique du culte de «Kiranga» supposait dans chaque «rugo» la présence d'un lieu dit «igitabo»), composé de trois arbres, une érythrine, un ficus et un chénopole. Ceux-ci étaient chargés de manifester sur le terrain une puissance de type divin, celle du roi d'un côté, celle de «Kiranga», son «petit frère», de l'autre. L'arbre était enfin le corps du symbole le plus vivant de la puissance royale, le tambour royal ou d' innombrables tambours offerts à l'occasion de la fête annuelle des semailles («umuganuro») par les corporations héréditaires de ritualistes.

Les tambours du Burundi, ces troncs évidés et recouverts d'une peau de vache, ne pouvaient être battu qu'en hommage au roi et à ses ancêtres.

Et comme l'institution monarchique elle-même, leur symbolique était liée au thème de la fécondité.

Les sites liés structurellement à la royauté sont nombreux. Ils intégraient, à l'occasion de chaque changement de règne, les «bigabiro» hérités du règne précédent qui prenaient alors une signification religieuse permanente. Ils étaient aussi confiés à de nouvelles lignées de ritualistes détenteurs de tambours.

Ces sites jouaient un rôle permanent dans l'histoire de la monarchie. Ils concernaient l'intronisation, le culte funéraire royal et la fête annuelle des semailles du sorgho:

- L'intronisation du nouveau roi s'accompagnait de la construction d' «ingo» spéciaux, et de la plantation de bosquets sacrés au sommet de la colline où devrait avoir lieu la proclamation.

- Les nécropoles royales se composaient de deux ensembles: les «ingo» funéraires des rois eux-mêmes, échelonnés sur la frange orientale de la forêt de la Kibira, de la frontière rwandaise au sud de la source de la Ruvubu (rivière) et, d'autre part, les bois sacrés de Mpotsa ou Buyange qui accueillaient les dépouilles des reines mères.

- La célébration du «muganuro» se traduisait, quant à elle, par une constellation de sites. D ' une part les «ingo» des grands ritualistes chargés de la préparation des cérémonies y relatives et d'autre part les très nombreux «ingo» des lignages chargés, entre autres, de fournir de nouveaux tambours et de les battre lors de la fête.

3. L'inhumation des morts.

Rappelons que le chef de ménage était inhumé au pied du feu qu'on brûlait dans le «rugo».

Quant à la dépouille du roi, elle était enveloppée dans une peau de taureau et était emportée par des ritualistes vers une région de la crête de Mugamba à la frontière rwandaise, dans la forêt de la Kibira.

Le cadavre y était boucanné pendant plusieurs mois. Selon les croyances populaires, du cadavre du roi sortait un ver qui était nourri au lait par les ritualistes et qui se transformait en lion ou en pithon.

Ces animaux symbolisaient l'autorité du roi. De part ses origines surnaturelles, il communie avec le monde animal. Ce site funéraire, protégé en pleine forêt, portait le nom d' «Inganzo» ( lieu de triomphe).

4. Le tambour.

Si dans de nombreuses cultures, le tambour, transmetteur de messages, assure la communication entre les hommes, au Burundi, il assure avant tout le lien avec le sacré, dont il répand, avec l'accommodement nécessaire, la puissance régénératrice sur laquelle repose, en dernier ressort, le succès des efforts des humains.

Les tambours sont fabriqués dans les Cordia africana, les Markhamia platycalyx ou les Kigelia aethiopica.

Le tambour était confectionné, dans la hutte ( «indaro») situé dans le bois sacré.

Le «kigabiro» des tambours est un endroit appelé «intantemwa» (lieu - où - l'on - ne peut abattre c'est-à-dire le bois sacré).

Le tambour sacré était désigné par le terme «giterekerwa» (celui - auquel - on - offre - des - libations).

C'est le tambour «Nyabuhoro» qui semble concentrer sur lui la plupart des rites, qui, au Burundi, expriment la faveur et la crainte révérencielle à l'égard du sacré.

Ainsi le tambour apparaît, de part sa nature même (arbre/mortier), assurer le lien entre les forces tumultueuses et fécondatrices qui hantent la brousse et l'espace humanisé par le travail des hommes. Le tambour circonscrit et tempère cette puissance chaotique mais en même temps régénératrice qui sera dispensée, par l'intermédiaire du rite, pour assurer la fécondité et la prospérité du Burundi.

5. L'utilisation de s produits forestiers au service de l'art

Actuellement comme jadis, l'expression artistique connaît un développement merveilleux qu'on remarque dans les lignes de la vannerie sans parler de la véritable explosion de joie traduite dans leurs gestes par ceux qui «font parler» les tambours et d'autres instruments de musique, «ikembe» (boîte musicale à lamelles), «umuduri» (instrument de musique monocorde avec une calebasse comme caisse de résonance), «indonongo» (instrument de musique monocorde).

La paysannerie burundaise a, au niveau des collines, des règles de sociabilité où interviennent les échanges matrimoniaux, les rapports de voisinage, les échanges de cadeaux («kugemura»), les liens de convivialité («gutererera»), les invitations à boire («ubutumire»).

Ces échanges de cadeaux et ces liens de convivialité sont facilités par les objets d'arts fabriqués à partir des produits forestiers non ligneux, à savoir: «ibiseke» (corbeille, grand panier plat à couvercle conique), «inkangara» (panier en bambou), «indumane» (petite corbeille à couvercle), «ibivumvu» (panier tressé avec les fibres du Ficus ingens.

En plus de ces objets d'importance capitale dans la culture burundaise, on trouve d'autres œuvres d'art traditionnelles:

«Ibikutso» (panier servant à transporter le fumier), «ibigara» (natte faite de tiges de papyrus), «ibirago» (natte en papyrus), «imikeka» (natte faites de jonc, de papyrus, d'écorces de bananiers, de miscanthidium, de tiges de palmiers, de raphia).

Les femmes confectionnent «inkoko z'ibitemere» (sorte de petite corbeille à couvercle) et «ivyibo» (sorte de petite corbeille à couvercle) pour manger la pâte mais aussi pour donner des cadeaux ou aller voir un ami en guise de félicitations pour un événement heureux.

Quant aux hommes, ils étaient spécialistes des «birago» tissés à partir de «bukangaga» (jonc), et «indava» (Cyperus platycaulis). Les «birago» ont des fonctions multiples: (servir de draps, de tapis ou de moquette) mais aussi pour couvrir un mort.

Commentaire

Les principales causes de la perte de ce patrimoine culturel est la modernisation de la société passant par les médias, l'école, l'acquisition de nouvelles technologies ainsi que le contact multiculturel.

Dans ce sens, le passage de la monarchie à la République est, en partie responsable de la dégradation du patrimoine historique. Ce changement politique a entraîné une certaine négligence des sites historiques liés à la royauté.

Certains «bigabiro» sont disparus à cause de l'exploitation agricole de ces lieux par les anciens courtisans du roi. On peut citer aussi le cas des enclos royaux qui ont été détruits pour faire place à la minoterie de Muramvya.

III. Conclusion

La modernisation a introduit une nouvelle architecture de l'habitat, mais aussi des produits artisanaux. Le passage de la monarchie à la République explique la dégradation du patrimoine culturel relatifs aux arbres et aux forêts.

Pour préserver l'arbre au Burundi, une des stratégies viserait la prise en compte de la dimension culturelle de l'arbre au Burundi.

Encourager, encadrer et sensibiliser les artistes et artisans pour la sauvegarde et la gestion durable des produits forestiers serait une façon de maintenir sinon d'améliorer le patrimoine culturel.

Comme la pression démographique contribue également à la dégradation de l 'arbre et des forêts, des actions visant notamment le contrôle démographique, la lutte contre la pauvreté, l'aménagement et la gestion des sites historiques, la multiplication des aires protégées et des espaces verts sont à mener.

References bibliographiques.

1) Emile MWOROHA et all, Histoire du Burundi, Des origines à la fin du XIXè Siècle, Editions HATIER, Paris, 1987.

2) Léonidas NDORICIMPA ET Claude GUILLET, L'Arbre - mémoire Traditions orales du Burundi Editions KARTHALA, Paris, 1984.

3) F.M. RODEGEM, Dictionnaire Rundi-Français, Annales du Musée royal de l'Afrique centrale, Tervuren (Belgique), 1970.

4) J.P. CHRETIEN, Les arbres et les rois, sites historiques du Burundi, paru dans la revue Culture et société du centre de civilisation burundaise, n°1, Bujumbura, mai 1978, pp. 35, 47.

5) Manassé SHIRAMBERE, Les Fondements culturels du pouvoir dans le Burundi ancien, Université du Burundi, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Bujumbura, 1984.

6) M. REEKMANS et L. NIYONGERE, Lexique vernaculaire des plantes vasculaires du Burundi, Travaux de la faculté des Sciences de l'Université du Burundi, Bujumbura, février 1986

7) Venant NYANDWI et all, Etude prospective du secteur forestier au Burundi d'ici l'an 2020, FAO, Bujumbura, juin 2001.