1007-C2

Le régime forestier québécois, une gestion durable en constante évolution

Anne Stein et Gilles Lavoie


Résumé

L’immensité caractérise les forêts québécoises qui constituent 2% du patrimoine forestier mondial. Du sud vers le nord, leur composition et leur richesse se modulent au rythme des changements climatiques et géographiques. Les forêts québécoises sont publiques à 92%. Elles sont aussi un moteur du développement socio-économique, puisque près de 100 000 emplois en dépendent ainsi que la prospérité de centaines de municipalités.

À partir des années 1970, la formidable expansion de l’industrie forestière, la mécanisation et l’informatisation du travail, l’essor des préoccupations environnementales et du secteur récréo-touristique provoquent une remise en question de la gestion traditionnelle des forêts. En 1986, une nouvelle législation sur les forêts est adoptée, marquant un tournant décisif. L’exclusivité d’exploitation concédée à l’échelle du Québec à quelques entreprises est abolie et des obligations nouvelles sont introduites: respect de la possibilité forestière, régénération des sites récoltés, protection de ressources du milieu (eau, sols, faune, etc.), respect des utilisateurs, etc.

Entre 1986 et 1998, la loi est continuellement mise à jour. Des obligations additionnelles sont ajoutées. Par exemple, les plans d’aménagement forestier feront dorénavant l’objet de consultations publiques. En 1998, un bilan de la loi provoque une nouvelle réflexion. La gestion forestière fait face à de nouveaux enjeux et d’autres changements sont inévitables: les forêts doivent être aménagées pour atteindre des objectifs de protection et de mise en valeur qui font consensus; les ressources doivent être partagées; la transparence doit caractériser les choix de développement; la reddition de comptes doit être complète; on doit permettre l’expression des points de vue du public et de ses collectivités; les valeurs locales ainsi que celles des Autochtones doivent être respectées. En 2001, la loi est profondément modifiée.

Le régime forestier québécois évolue constamment. Il est le reflet d’une foresterie qui se veut adaptée aux caractéristiques des milieux forestiers et aux besoins socio-économiques des populations. Le développement durable sous-tend l’ensemble des actions du Québec en matière de gestion forestière.

Mots clés: concessions forestières, contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier, loi, possibilité forestière, gestion participative, gestion par résultat.


INTRODUCTION

Une société aux multiples visages, des communautés par centaines, des intervenants toujours plus nombreux dont les besoins se multiplient, des valeurs solidement enracinées, d’autres qui s’imposent, s’opposant parfois aux premières, un environnement changeant, voilà autant de réalités que la gestion des forêts doit considérer. Elle doit être à la fois judicieuse, précautionneuse, transparente et équitable, reposer sur l’action collective, la recherche du consensus, l’engagement ainsi que sur l’imputabilité. La gestion forestière doit être durable, comme le stipulent, au Québec, les dispositions légales en vigueur. En conséquence, elle doit continuellement être évaluée et évoluer pour s’adapter aux valeurs et aux besoins émergents.

GÉOGRAPHIE ET ÉCONOMIE

Territoire nordique s’étalant sur plus de 1,5 million de kilomètres carrés (figure 1), le Québec est une véritable mosaïque de terres et d’eaux, où les paysages forestiers dominent sur quelque 750 000 km2. Les forêts québécoises sont aussi publiques à 92%.

L’industrie forestière est implantée dans plus de 600 municipalités et représente, pour 250 d’entre elles, l’activité économique principale. La valeur de ses livraisons dépasse les 20 milliards de dollars annuellement, la situant, au Québec, au premier rang des industries exportatrices. Elle crée quelque 100 000 emplois directs, dont 21% dans la réalisation d’activités de récolte de bois et d’aménagement, lesquelles couvrent des milliers d’hectares chaque année (figure 2). Les activités liées au tourisme et aux loisirs en forêt génèrent, pour leur part, des retombées économiques annuelles évaluées à 1,5 milliard de dollars. Enfin, d’autres productions (acéricoles, agricoles, etc.) sont en plein essor.

HISTORIQUE DU RÉGIME FORESTIER

Au début des années 1900, la matière ligneuse sert principalement à approvisionner des usines de pâtes et papiers. Le Québec leur cède des droits de coupe, prenant principalement la forme de concessions forestières[1]. Les tarifs sont bas, pour attirer des usines, et l’observance des lois et des règlements est lacunaire.

Fin des années 1960, l’industrie du sciage est aux prises avec une hausse de la demande pour ses produits et cherche à se développer. Les volumes de bois disponibles dans les concessions demeurent largement sous-utilisés, créant une rareté artificielle qui gêne le développement du secteur forestier. L’État décide d’abolir, sur une période de dix ans, l’ensemble des concessions. Entre 1976 et 1986, 32% de leur superficie est révoquée. Partiel, ce résultat permet néanmoins à l’industrie du sciage d’accroître sa production de 250%. La récolte de résineux augmente de plus de 30%, mais ne comble pas toute la demande des scieries.

D’autres facteurs font aussi craindre pour l’avenir:

- les épidémies de tordeuses des bourgeons de l’épinette se succèdent affectant des pans entiers de forêts;

- les superficies récoltées se régénèrent correctement dans une proportion de 45% seulement;

- la production forestière demeure faible, en deçà de son potentiel, parce que le niveau d’aménagement des forêts publiques est bas (le reboisement ne dépasse pas les 20 millions de plants annuellement[2]);

- la protection des forêts est insuffisante et les normes n’ont pas force de loi.

Par ailleurs, les pressions pour utiliser le milieu forestier à d’autres fins que la récolte de bois révèlent la difficulté de concilier les intérêts des entreprises privées et les objectifs de la collectivité. Cette conjoncture amène le Québec à revoir, en profondeur, ses façons de faire.

ADOPTION DE LA LOI SUR LES FORÊTS (1986)

La Loi sur les forêts est sanctionnée en décembre 1986. Elle poursuit cinq grands objectifs:

- respect de la possibilité forestière;
- protection du milieu forestier;
- responsabilisation des industriels en matière d’aménagement forestier;
- développement du secteur forestier;
- protection de l’intérêt public.

Désormais, les forêts sont aménagées de façon à ce qu’on puisse y récolter le bois, année après année, sans altérer leur productivité. Les industriels doivent respecter les autres utilisateurs et protéger le milieu forestier: la production et la récolte de matière ligneuse sont encadrées par le Règlement sur les normes d’intervention dans les forêts du domaine de l’État dont les modalités visent à protéger les ressources, assurer le maintien et la reconstitution du couvert forestier et garantir la compatibilité des travaux d’aménagement forestier avec la vocation des territoires où ils sont exécutés.

La loi abolit les concessions forestières restantes. Un nouveau mode d’attribution des bois est introduit, le contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF), destiné aux usines de transformation du bois. Son détenteur obtient, annuellement, un permis d’intervention pour récolter un volume de bois d’essences déterminées. Ce volume est établi sur la base des besoins de l’usine et de la disponibilité des bois et fibres qui proviennent d’autres sources d’approvisionnement (bois des forêts privées, copeaux, fibres recyclées, etc.).

Le CAAF est exercé sur un territoire défini qui n’est plus exclusif à un seul utilisateur[3]. Désormais, les compagnies doivent cohabiter et intégrer leurs interventions. Elles ont aussi l’obligation de produire des plans généraux, quinquennaux et annuels d’aménagement forestier. Ces plans font état du calcul des possibilités forestières, identifient les stratégies d’aménagement forestier et précisent l’emplacement et l’ampleur des travaux de récolte et sylvicoles à réaliser ainsi que les infrastructures à ériger. Le Ministère approuve les plans et les bénéficiaires réalisent les travaux qui y sont prévus.

Les redevances que les bénéficiaires paient pour le bois qu’ils récoltent sont maintenant basées sur la valeur marchande des bois sur pied et les dépenses d’exploitation[4]. Pour accroître l’effort d’aménagement, le gouvernement accepte, à titre de paiement des droits, le coût des traitements sylvicoles qui concourent à l’atteinte de rendements fixés dans les plans.

Chaque CAAF est d’une durée initiale de vingt-cinq ans. Tous les cinq ans, il est cependant révisé et prolongé d’une autre période quinquennale si le bénéficiaire a respecté les dispositions de la loi. Les volumes attribués peuvent cependant être modifiés pour tenir compte, notamment, d’une révision du calcul de la possibilité forestière ou d’un changement dans les besoins de l’usine. En aucun temps, ils ne peuvent dépasser la possibilité forestière.

Après 1986, la loi et ses règlements ne cessent d’évoluer pour faciliter l’atteinte des objectifs poursuivis par l’État ou pour tenir compte de nouveaux besoins. Ainsi:

- les bénéficiaires de CAAF doivent soumettre les plans d’aménagement forestier à une procédure d’information et de consultation du public avant que le ministre ne les approuve; un processus de conciliation est prévu;

- des municipalités, des communautés autochtones ou des organismes du milieu peuvent se voir confier l’aménagement d’aires forestières;

- des redevances perçues de la récolte des bois sont utilisées pour financer des projets locaux de mise en valeur polyvalente du milieu forestier;

- la dimension des aires de récolte est significativement réduite;

- une disposition reconnaît que les forêts constituent un patrimoine et que l’État doit en favoriser l’aménagement durable.

En 1996, le contexte économique, environnemental et social continue de se transformer. L’industrie forestière fait face à une vive concurrence internationale, une importance accrue est accordée aux enjeux environnementaux, les Autochtones revendiquent des droits avec une vigueur renouvelée et les pressions s’accentuent pour élargir l’accès aux ressources à de nouvelles entreprises. Ce contexte force le Ministère à réviser ses priorités.

BILAN DU RÉGIME FORESTIER

Le Ministère entreprend d’établir un bilan[5] du régime même s’il ne peut arrêter des conclusions complètes (les effets des traitements sylvicoles sur la régénération des forêts et leur productivité seront évalués ultérieurement[6]). Toutefois, il lui faut absolument évaluer la capacité du régime de relever des enjeux nouveaux et de considérer des valeurs nouvelles comme la participation directe de la société civile aux affaires de l’État ou le respect des peuples autochtones.

En 1998, le bilan est publié et est examiné par les intervenants du monde forestier et la population[7]. Plusieurs améliorations sont attribuées au «nouveau» régime mais des lacunes doivent être corrigées.

Protection du milieu forestier

Le Québec possède les moyens (règlements, sanctions pénales, etc.) de protéger le milieu forestier. Toutefois, tous les intervenants ne respectent pas intégralement les normes en vigueur, comme celles relatives à la protection des cours d’eau à débit intermittent ou à l’installation des traverses de cours d’eau. En outre, l’efficacité des normes demeure partiellement connue mais les évaluations en cours laissent entrevoir la nécessité d’apporter certains correctifs.

Le contrôle du respect des normes et l’imposition des sanctions rencontrent aussi des problèmes. Les ressources du Ministère ont été réduites, en raison des difficultés financières de l’État, alors que l’augmentation des intervenants en forêt aurait normalement exigé qu’on amplifie les contrôles. La coexistence (nouvelle) de plusieurs industriels sur les mêmes territoires complique l’identification des contrevenants - les procédures se butent à la difficulté d’établir une preuve irréfutable - tant et si bien que le nombre des poursuites ne reflète pas le réel respect du règlement. Enfin, les amendes sont peu élevées et peu dissuasives.

Respect de la possibilité forestière

L’octroi des bois à des usines respecte la possibilité forestière et ces attributions sont réduites lorsque la possibilité est rabaissée lors de calculs périodiques[8]. Le Ministère ne peut cependant, dans près de la moitié des territoires aménagés, établir si les rendements forestiers fixés dans les plans ont été atteints ou vont l’être: les limites géographiques de ces territoires ont subi de nombreuses modifications, et les stratégies d’aménagement ont été trop souvent modifiées, pour qu’il soit possible de tirer des conclusions. Pour mieux garantir l’approvisionnement durable en bois, il faudrait aussi mieux considérer les effets des perturbations naturelles dans le calcul des possibilités et améliorer les données écoforestières.

Responsabilisation des industriels forestiers

Les industriels confectionnent leurs plans forestiers et le public est adéquatement consulté sur ceux-ci. Par contre, ces plans sont fréquemment modifiés, non seulement en raison des changements dans la délimitation des territoires forestiers, mais aussi en raison d’un manque de préparation. Ainsi, les stratégies d’aménagement à la base des plans s’avèrent souvent inadéquates et les calculs de possibilité forestière invalides, ce qui obligerait à revoir les responsabilités confiées aux industriels. Ceux-ci prétendent plutôt que c’est la gestion tatillonne et trop normée du Ministère qui est à l’origine de modifications apportées aux plans.

Développement du secteur forestier

Le régime contribue à l’essor de l’industrie forestière. La disparition des concessions forestières a permis d’attribuer des bois à plus d’usines et les contrats ont apporté une sécurité d’approvisionnement suffisante pour convaincre plusieurs industriels d’agrandir leurs établissements, de les moderniser ou d’en construire de nouveaux. Davantage de bois des forêts publiques et privées sont annuellement transformés et ils sont mieux utilisés: la part destinée aux usines de bois d’œuvre s’est accrue et les copeaux, sciures et rabotures sont davantage transformés, notamment.

La gestion annuelle des attributions des bois doit toutefois être améliorée puisque, chaque année, des bois ne sont pas récoltés, diminuant l’apport des forêts aux économies locales. La majorité des récoltes dans les forêts publiques demeure également l’exclusivité de quelques usines, malgré l’apparition de nouvelles entreprises sylvicoles, et il faut continuer d’en libéraliser l’accès.

Protection de l’intérêt public

L’intérêt public est considéré puisque le milieu naturel est mieux protégé, les gens sont davantage informés des activités forestières, les bois sont vendus à leur valeur marchande, les infractions sont davantage sanctionnées, etc. Il faut toutefois améliorer la tarification des bois (pour qu’elle suive rapidement les fluctuations des marchés), les contrôles et la reddition de comptes (qui doivent être complets) et la gestion (qu’on veut participative).

MISE À JOUR DE LA LOI SUR LES FORÊTS (2001)

En 2001, la Loi sur les forêts est modifiée après une deuxième consultation qui fait ressortir les attentes du public: territoires protégés accrus, forêts anciennes conservées, patrons de coupes socialement acceptables, gestion par résultats favorisant les entreprises performantes[9]. Le caractère patrimonial de la forêt est renforcé.

Gestion participative et transparence

La population doit participer à la gestion des forêts. Le Ministère et les bénéficiaires doivent rechercher activement cette contribution. Ainsi, la loi:

- impose l’adoption d’une politique de consultation sur les orientations gouvernementales de protection et de gestion du milieu forestier et la tenue, selon une éthique arrêtée par le gouvernement, de consultations sur les politiques ministérielles ou sur les objectifs d’aménagement des forêts à poursuivre, notamment.

- Permet la participation des municipalités régionales de comté, des communautés autochtones et des gestionnaires de territoires fauniques à la préparation de la planification forestière. Il s’agit d’amener les bénéficiaires de contrats et ces «partenaires» à harmoniser leurs activités et à concilier leurs intérêts. Les parties définissent elles-mêmes un fonctionnement. Un rapport accompagne le plan décrivant les modalités de la participation, les accords convenus et, le cas échéant, les différends qui persistent. Ce rapport est public.

- Prévoit que la population continue d’être consultée sur les plans forestiers. L’intervention d’un conciliateur est toujours possible si un différend n’a pas été résolu lorsque prennent fin les consultations. Cependant, le ministre peut dorénavant, en approuvant un plan, le modifier unilatéralement pour, notamment, résoudre un litige ou y inscrire les dispositions qu’il juge opportunes pour atteindre les objectifs d’aménagement poursuivis.

- Assure l’accès public à tous les plans et rapports (rapports annuels d’activités, rapports de vérification du ministre, etc.). Les bénéficiaires ont aussi des obligations de reddition de comptes renforcées: évaluations sylvicoles, progression de la réalisation du plan général, bilan quinquennal des activités sylvicoles, etc. Le ministre publie les infractions commises à la loi ou aux règlements et publie un rapport quinquennal de sa gestion et de l’état des forêts.

Gestion par résultats

L’aménagement des milieux forestiers doit poursuivre des objectifs territoriaux qui font le plus possible consensus. Ainsi, la loi:

- amène le ministre à définir des objectifs de protection et de mise en valeur du milieu forestier (protection de la diversité biologique ou de paysages, essor de nouvelles productions, aménagement intégré des ressources, etc.) devant être poursuivis lors des activités forestières. Ces objectifs font l’objet de consultations publiques. Ils sont révisés tous les cinq ans.

- Impose aux bénéficiaires de définir, dans leurs plans, les moyens d’atteindre les objectifs assignés par le ministre et de les mettre en œuvre: le maintien des attributions de bois est dorénavant lié à la performance forestière et environnementale des bénéficiaires[10]. Cette performance (l’atteinte des objectifs assignés) prime sur toute autre considération au moment de réviser les attributions de bois[11]. Le ministre peut exiger des corrections lorsque les résultats sont décevants. La performance industrielle des usines transformant des bois des forêts publiques sera aussi examinée.

- Permet d’adapter les règles ou les normes fixées dans la loi ou dans les règlements, ou d’en imposer des nouvelles, pour prendre adéquatement en considération les caractéristiques biophysiques des milieux, ou la présence autochtone, et créer ainsi les conditions essentielles à l’atteinte des objectifs poursuivis.

- Précise que les bénéficiaires de droits forestiers sur un même territoire agissent ensemble: ils produisent un (seul) plan général commun, qui intègre leurs besoins et assure l’atteinte des objectifs territoriaux assignés, préparent un (seul) plan annuel commun, font des évaluations communes de toutes leurs activités forestières et des résultats que donnent les traitements sylvicoles des années antérieures (des normes de suivi sont imposées), produisent un (seul) rapport annuel d’activité commun. Le ministre fait une vérification du rapport et, au terme de chaque période quinquennale évalue globalement, pour chaque territoire, la performance commune des bénéficiaires, qui reçoivent tous le même bulletin sur l’état de la forêt. Les bénéficiaires se partagent la réalisation des activités forestières mais en sont tous coresponsables.

Accès élargi aux ressources forestières

Il faut favoriser une utilisation optimale et précautionneuse des ressources qui rapporte des avantages durables aux titulaires des droits et à la collectivité entière. Donc, la loi:

- permet l’octroi de bois des forêts publiques à des usines de première transformation, mais aussi à d’autres types d’entreprises ou d’organismes (municipalités, communautés autochtones, coopératives forestières, entreprises sylvicoles, pourvoyeurs, etc.).

- Favorise une utilisation optimale des ressources ligneuses: redistributions annuelles des bois attribués dans des contrats à long terme, mais non récoltés, pour le bénéfice d’une autre usine; récolte prioritaire des bois sur des territoires touchés par des désastres naturels afin de minimiser les pertes subies; récoltes pour fins d’aménagements fauniques, récréatifs, agricoles, miniers; récoltes d’arbustes ou d’arbrisseaux, ou de leurs branches, pour des productions pharmaceutiques ou autres; cohabitation des productions ligneuses et acéricoles ou agricoles, avec l’obligation pour tous les producteurs d’assurer l’exercice conjoint de leurs droits respectifs.

Utilisation concertée des territoires publics

L’utilisation des bois de la forêt publique doit pouvoir être conciliée avec les autres priorités gouvernementales relatives à l’utilisation des terres de l’État. Toutes les utilisations des territoires doivent être concertées. Ainsi, la loi prévoit que la production forestière doit respecter la vocation des terres attribuées dans un Plan d’affectation des terres du domaine de l’État. Cette vocation peut être modifiée pour considérer des besoins nouveaux ou des valeurs émergentes. Lorsque la vocation des terres est modifiée, pour créer un parc national, par exemple, les possibilités forestières sont recalculées, les plans forestiers modifiés, les attributions de bois réajustées et les contrats ou conventions revus pour respecter les nouvelles orientations de l’État.

Environnement protégé

La production de matière ligneuse doit poursuivre des objectifs de protection mais d’autres dispositions complètent également les mesures environnementales que la loi prévoyait déjà. Ainsi, la loi:

- autorise le ministre à imposer des normes particulières de protection du milieu biophysique lorsque la réglementation n’assure pas la protection recherchée, en raison de caractéristiques locales, ou ne protège pas adéquatement l’exercice par les Autochtones de leurs activités traditionnelles.

- Autorise les bénéficiaires à proposer des normes différentes de la réglementation gouvernementale pour donner suite à la concertation avec les partenaires régionaux et locaux (par exemple, des organismes peuvent identifier des territoires qui ont un grand intérêt local ou régional et proposer des adaptations aux activités forestières). Ces normes de remplacement sont approuvées par le ministre, qui peut les abandonner si elles s’avèrent moins efficaces que les normes usuelles. Dans un tel cas, il peut exiger des mesures corrigeant la situation.

- Permet de classer des territoires comme écosystèmes forestiers exceptionnels, pour préserver la diversité biologique (forêts rares, anciennes, forêts refuges[12]) et d’y interdire les activités forestières et minières.

- Prévoit des infractions dont les amendes ont été substantiellement haussées, permet de pénaliser sévèrement les récidivistes, d’imposer la réalisation de travaux correcteurs ou compensatoires, de poursuivre les dirigeants d’entreprises qui incitent leurs employés à commettre des actes illégaux et de sanctionner au double les infractions commises dans des écosystèmes exceptionnels.

Conclusion

La nouvelle législation confirme la volonté du gouvernement du Québec de mettre en place les assises d’une gestion participative par des dispositions obligeant, notamment, la consultation du public sur les orientations de protection et de mise en valeur des forêts et la participation d’autres utilisateurs au processus de planification forestière relevant des bénéficiaires de contrats. Les défis seront de créer de véritables lieux d’influence et de concertation qui permettront de donner voix à la multitude d’acteurs qui le demandent, de concilier des intérêts divergents et d’assurer une cohabitation harmonieuse des différents utilisateurs. Depuis l’adoption de la loi, deux consultations publiques ont été tenues. Une expertise nouvelle est en plein développement.

L’évolution d’une gestion par contrat vers une gestion territoriale se voit concrétisée. Sur un même territoire, les détenteurs de droits forestiers sont dorénavant tenus d’agir de concert et deviennent coresponsables des stratégies d’aménagement. Leur performance commune sur les plans environnemental et forestier sera considérée lors de la révision des volumes alloués. Cette particularité distingue le Québec des autres provinces canadiennes qui misent généralement sur la présence d’un aménagiste unique exerçant toutes les responsabilités d’aménagement.

L’accès aux ressources forestières publiques est élargi mais la réforme rappelle qu’il est avant tout un privilège. Les bénéficiaires doivent intervenir avec précaution dans le respect des écosystèmes, de la population et des autres utilisateurs. Ils doivent aussi agir avec transparence et rendre compte complètement de la façon dont ils s’acquittent de leurs obligations.

Remerciements

Nous remercions Mme Denise Chevarie, pour la mise en page du document, et MM. Denis Grenier, Alain Lévesque et Doris Audet pour la préparation des figures.

BIBLIOGRAPHIE

MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES. 1985. Bâtir une forêt pour l’avenir, La politique forestière. Gouvernement du Québec, 98 pages.

MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES. 1998. Mise à jour du régime forestier, Document de référence Bilan-Enjeux-Orientations. Gouvernement du Québec, 76 pages.

MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES. 1998. Mise à jour du régime forestier, Document de consultation. Gouvernement du Québec, 47 pages.

MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES. 1999. Mise à jour du régime forestier, Synthèse des consultations publiques automne 1998. Gouvernement du Québec, 136 pages.

MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES. 2000. Mise à jour du régime forestier, Document d’information, Dépôt du Projet de loi modifiant la Loi sur les forêts et tenue de la Commission parlementaire générale 2000. Gouvernement du Québec, 79 pages.

MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES. 2002. Ressources et industries forestières, Portrait statistique édition 2002. Gouvernement du Québec.

MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES. 2002. Rapport sur l’état des forêts québécoises 1995-1999. Gouvernement du Québec, 272 pages.

PAILLÉ, G. G. ET R. DEFFRASNES. 1988. Le nouveau régime forestier. The Forestry Chronicle, fév., pp. 3-8.


[1] Concession forestière: terrain public qui était loué par le gouvernement à une corporation, à certaines conditions avec le droit de couper tous les bois qui s’y trouvaient. Dans les faits, la concession s’avérait être une forme déguisée de privatisation des forêts publiques à un prix dérisoire.
[2] Il atteindra un niveau record de 165 millions de plants en 1989. Par la suite, le Ministère privilégiera la protection de la régénération naturelle lors des opérations de récolte et le reboisement diminuera graduellement (108 millions de plants en 1999).
[3] En 2001, la forêt publique était subdivisée en 114 territoires, ou aires communes, sur lesquels 253 CAAF étaient en vigueur.
[4] Depuis 1987, les redevances totales sont passées de 56 M $ à 308 M $ (2002) alors que la redevance moyenne a augmenté de 2,09 $ à 10,34 $ du m3, soit une hausse de 450 %.
[5] La confection du bilan fut confiée à un comité formé de dirigeants du ministère des Ressources naturelles et de personnalités des sphères sociales, environnementales, universitaires et économiques.
[6] Des délais étaient requis avant de pouvoir débuter ces évaluations. Des informations ont été produites après 1998 qui ont mené ou mèneront à des ajustements dans les calculs des possibilités forestières.
[7] Des consultations ont été menées en 1998 auprès des institutions et des organismes nationaux, des communautés autochtones et dans les différentes régions par l’entremise des conseils régionaux de développement qui sont des institutions chargées de concerter les intervenants régionaux autour d’enjeux régionaux.
[8] Les calculs sont repris tous les cinq ans pour, notamment, tenir compte de connaissances ou données nouvelles et, au besoin, après des désastres comme les feux de forêts.
[9] En l’espace de trois ans, le Ministère aura reçu plus de 600 mémoires sur le projet de réforme. Ces consultations sur la mise à jour du régime forestier se sont ajoutées à plusieurs autres menées au cours de la même période sur, notamment, une Stratégie de protection des forêts et le régime de protection et de mise en valeur des forêts privées.
[10] Si les moyens proposés sont insuffisants ou inadéquats, le ministre peut en imposer d’autres.
[11] D’autres facteurs peuvent être considérés comme l’évolution des besoins des usines ou la disponibilité des bois des forêts privées. Les attributions sont révisées tous les cinq ans.
[12] Forêt refuge: peuplement essentiel à la conservation d’espèces végétales menacées ou vulnérables.