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Sylviculture des mangroves

M.Z. Hussain

M. Zakir Hussain, coordinateur régional de l'Alliance mondiale pour la nature (UICN) pour l'Asie (marais), est en poste à Bangkok (Thaïlande).
Note: Le présent article s'inspire largement d'une publication récente de la FAO intitulée Mangrove forest management guidelines (Etude FAO: Forêts n° 117), que le lecteur pourra consulter pour plus d'informations.

Dans la plupart des régions du monde, on a exploité les mangroves en se souciant peu ou pas du tout d'aménager la ressource sur une base durable. Cependant, dans un petit nombre de pays, notamment en Asie, on pratique la coupe d'écrémage et la coupe rase et, depuis quelques années, dans bien d'autres, l'établissement de plantations de mangroves et la remise en état des formations dégradées font l'objet d'interventions sérieuses. Le présent article examine certaines de ces interventions et la possibilité d'en élargir l'application.

Le développement de l'aquaculture représente une menace majeure pour les écosystèmes de mangrove

Dans les pays tropicaux et subtropicaux, les mangroves sont parmi les formes de végétation les plus répandues dans les zones intercotidales qui s'étendent le long des côtes protégées et en bordure des cours d'eau. Ce sont non seulement des écosystèmes hautement productifs mais aussi une ressource naturelle renouvelable. Elles fournissent des biens et services indispensables et jouent un rôle très important dans la vie des communautés côtières. Grâce à leur germination vivipare, à leur aptitude à séparer l'eau douce de l'eau salée et à la conserver, à leur capacité de s'enraciner au contact du sol et d'échanger les gaz au moyen d'un système radiculaire spécial, les essences de mangroves ont su s'adapter à un environnement particulièrement hostile où bien peu d'autres plantes peuvent survivre.

Cependant, dans de nombreuses régions, leur habitat est détruit par la construction de barrages, le détournement des rivières, la mise en valeur des cultures et l'assèchement de la zone intercotidale au profit de l'agriculture et de la pisciculture. D'importantes aires sont transformées en rizières, aménagées ou consacrées à l'établissement d'industries et à diverses utilisations autres que la production de bois. Attirés par l'aspect lucratif du commerce d'exportation des crevettes, une multitude de petits et gros exploitants occupent d'importantes sections des zones de balancement des marées pour y organiser l'élevage de crevettes ou la pisciculture. Les mangroves qui subsistent sont surexploitées pour produire du bois de feu et du charbon de bois. Dans de nombreux pays en développement, la destruction des mangroves, qui jouent un rôle essentiel dans la protection des côtes, suscite de graves préoccupations tant au plan économique qu'environnemental.

Régénération naturelle dense de Rhizophora spp. a Matang (Malaisie)

Habitat et caractéristiques des mangroves

Les mangroves peuvent se diviser en deux grands groupes. Celles du vieux monde se trouvent dans la région indo-pacifique qui va de la côte orientale de l'Afrique à l'île de Samoa dans le Pacifique Sud. Les mangroves du nouveau monde se situent en Afrique le long de la côte occidentale entre la Mauritanie et l'Angola, et en Amérique sur la côte orientale entre la Barbade et le Brésil, et sur la côte occidentale entre le Mexique et le nord du Pérou. C'est l'Indonésie qui possède la plus grande superficie sous mangroves alors que les Sundarbans au Bangladesh et en Inde constituent le massif d'un seul tenant le plus important du monde.

La végétation des mangroves comprend des arbres et des buissons ainsi qu'un nombre limité de palmiers et de lianes. Le rapport de l'Alliance mondiale pour la nature sur l'état des mangroves dans le monde énumère 61 espèces (UICN, 1983). Les principales appartiennent à moins de 15 familles mais les plus répandues font partie des familles des Rhizophoracées, Sonnératiacées et Avicenniacées. Font exception les Sundarbans où prédominent des espèces de la famille des Sterculiacées et des Euphorbiacées.

Les mangroves poussent dans des conditions où peu d'autres espèces végétales peuvent survivre (Hutchings et Saenger, 1987). Elles subsistent grâce à un certain nombre de facteurs et d'adaptations physiologiques importantes qui permettent à la flore de prospérer dans un environnement hostile. Ces facteurs conditionnent aussi le type de sylviculture à adopter.

L'environnement des mangroves est essentiellement salin et la végétation se développe grâce à trois mécanismes différents qui affrontent l'excès de sel. Les racines des espèces ne tolérant pas le sel telles que Ceriops Excoecaria et Rhizophora ne peuvent absorber que l'eau douce qu'elles tirent de l'eau salée par ultrafiltrage (Scholander, 1968). Les essences telles qu'Avicennia et Sonneratia peuvent régler la teneur en sel de leurs tissus grâce à des glandes situées dans leurs feuilles. Xylocarpus sp. Lumnitzera sp. et Sonneratia sp. déposent le sel dans les vieilles feuilles, les racines et l'écorce (Joshi, Jamale et Bhosal, 1975). Les plantes de mangroves présentent aussi des caractéristiques analogues à celles de la végétation désertique qui réussissent à conserver l'eau (Hutchings et Saenger, 1987).

Les mangroves se constituent dans des zones non exposées aux vagues fortes. Les formations les plus étendues se trouvent dans les estuaires des cours d'eau et dans les lagunes et les lacs côtiers protégés. Elles sont présentes dans les zones à forte humidité et les plus luxuriantes sont souvent associées à une pluviométrie élevée. Leur développement est étroitement lié à la température minimale de l'air et à ses variations saisonnières. Comme le mentionne Chapman (1975; 1977), les mangroves poussent le mieux là où la variation saisonnière est inférieure à 10°C et où la température de l'air reste supérieure à 10°C pendant le mois le plus froid.

Les sols des mangroves se caractérisent par une teneur élevée en sel et en eau, une teneur faible en oxygène et une teneur forte en hydrogène sulfuré, ainsi que par une importante proportion d'humus (Macnae, 1968). C'est sur des sols alluviaux et boueux formés généralement par le dépôt de particules de sol entraînées par l'eau que les mangroves se développent le mieux. Les sols de mangroves sont généralement anoxiques, à l'exception de la couche superficielle où se trouvent les racines (Rao, 1987). De ce fait, les mangroves ont généralement un système d'enracinement peu profond, ne supportent pas les vents violents et poussent mieux dans un habitat abrité.

Les graines de mangroves et les propagules sont dispersées exclusivement par l'eau et, de ce fait, leur distribution est grandement influencée par les marées qui les transportent aussi bien vers l'amont que vers l'aval. C'est la topographie de la zone qui règle le développement horizontal des mangroves mais, plus la marée est ample, plus les communautés de mangroves peuvent se développer verticalement (Hutchings et Saenger, 1987). Les marées déterminent aussi des modifications de la concentration saline de l'eau dans les zones sous mangroves.

Les forêts de mangroves sont dotées d'un mécanisme de régénération naturelle efficace, surtout dans les peuplements où la dégradation du site n'est pas amorcée.

Grâce à l'inondation journalière ou périodique assurée par la marée et au dépôt des particules de sol entraînées par l'eau, la terre de la forêt est meuble et bien adaptée à la régénération, et aucune préparation du site n'est habituellement nécessaire.

La transformation de la graine en un jeune plant qui se développe alors qu'il est encore attaché à l'arbre constitue un autre phénomène important observé chez un grand nombre d'espèces (Rhizophora, Ceriops, Bruguiera, Kandelia et Nypa). Il s'agit d'une forme de reproduction vivipare, l'embryon brisant le péricarpe pour pousser à l'extérieur.

Dans un deuxième groupe, qui comprend des espèces telles qu'Aegiceras, Lagancularia, Pelliciera et Avicennia, l'embryon tout en se développant dans le fruit, ne grossit pas assez pour rompre le péricarpe.

Ce phénomène a été dénommé cryptoviviparité par Hutchings et Saenger (1987). Des espèces telles qu'Excoecaria, Sonneratia, Heritiera et Xylocarpus ne sont pas vivipares. Cependant, toutes les espèces mentionnées ci-dessus produisent des semences vigoureuses, disséminées exclusivement par l'eau, et capables d'atteindre n'importe quel endroit de la forêt recouvert par la marée.

La plupart des semences se détachent de I' arbre en période de basse marée, se fixent au sol boueux mou et produisent rapidement des racines.

Dans le cas de semences vivipares, les racines adventices, déjà présentes dans l'hypocotyle, apparaissent et fixent au sol les jeunes plants (Chapman, 1976). Dans tous les cas, le dépôt de sédiments par les hautes marées ultérieures renforce la prise.

Lorsque les semences/jeunes plants se détachent de l'arbre en période de haute marée, ils flottent sur l'eau jusqu'à ce qu'ils entrent en contact avec le sol où ils s'enracinent. Il est intéressant de noter que la plupart des semences de mangrove conservent longtemps leur viabilité si elles restent dans un environnement salin, mais la perdent peu après en avoir été retirées. La régénération naturelle semble très forte dans les zones sous mangrove. Dans de nombreux cas, un peuplement préexistant s'établit et attend une ouverture du couvert pour émerger. En revanche, le changement radical qui se produit dans un suite à la suite du défrichage ou de l'altération du régime des eaux paraît compromettre le processus de régénération. Les sols desséchés par l'élimination de la végétation n'encouragent pas la régénération naturelle des mangroves et sont envahis par des espèces peu souhaitables telles qu 'Achrostichum.

Systèmes sylvicoles

A l'exception de l'Asie, dans la plupart des pays possédant des formations de mangroves, aucun type d'aménagement ou de traitement sylvicole systématique n'est appliqué à la ressource. Toutefois, ces mangroves qui ne bénéficient pas d'un aménagement scientifique sont soumises à une intense exploitation pour en tirer du bois de feu, du charbon de bois, du matériel de toiture, du bois d'œuvre et du bois pour la construction de bateaux, des poteaux, du tanin, etc. Le bois de feu pour la cuisine domestique et le séchage du poisson reste le produit ligneux fourni par les mangroves qui est le plus largement utilisé.

Dans tous les pays tropicaux, les mangroves sont régulièrement exploitées par les communautés côtières, mais l'exploitation ne se borne pas à la coupe à petite échelle pour satisfaire des besoins de subsistance. C'est ainsi qu'avant la découverte du pétrole au Nigéria, environ 20 000 m³ de bois de palétuvier étaient utilisés annuellement dans les houillères comme étais de mine (Adegbehin et Nwaigbo, 1990). Bien que la demande de charbon ait baissé de façon spectaculaire, le bois de palétuvier est encore largement utilisé au Nigéria et l'on extrait des volumes de bois beaucoup plus élevés simplement par écrémage et abattage d'arbres à diverses fins après obtention d'un permis délivré par les autorités compétentes (Isebore et Awosika, 1993).

Propagules de Rhizophora racemosa prêtes à être plantées en Sierra Leone

Grâce à leur solidité et leur durabilité, les petits poteaux de 2,5 à 14 cm de diamètre servent traditionnellement d'ossature aux murs en pisé et de charpentes aux toits (généralement fabriqués en palmes) au Kenya et en République-Unie de Tanzanie. Ces poteaux sont aussi très recherchés dans les pays arabes où ils sont exportés en grand nombre. Ainsi, le Kenya a exporté près de quatre millions de poteaux à destination de ces pays en 1982 (FAO, 1991). Cette activité importante s'est poursuivie grâce à l'utilisation d'arbres sélectionnés répondant aux spécifications commerciales mais sans traitement sylvicole approprié.

En dépit de cette exploitation qu'on peut qualifier de sélective, les forêts de mangroves ne paraissent pas avoir souffert autant qu'on aurait pu s'y attendre. Bien que les activités aient pu entraîner réduction des arbres de certaines dimensions et un abaissement de la qualité, il est rare que ce type d'abattage entrave la régénération à moins d'aller à la dénudation complète du site.

En Asie, les mangroves - qui comprennent celles du Pakistan, de l'Inde, du Bangladesh, du Myanmar, de la Thaïlande, de la Malaisie et de l'Indonésie - font au contraire depuis longtemps l'objet d'un aménagement. Par exemple, les Sundarbans en Inde et au Bangladesh bénéficient d'une gestion durable depuis plus de 100 ans (Hussain et Ahmed, 1994). Dans ces forêts, les systèmes d'aménagement se fondent soit sur l'écrémage soit sur la coupe rase. Dans de nombreux cas, on a modifié les systèmes sylvicoles pour les adapter aux conditions locales.

Écrémage

L'écrémage est pratiqué au Pakistan, en Inde, au Bangladesh et au Myanmar où les arbres dont les troncs dépassent des diamètres fixés à l'avance sont exploités dans les zones de coupes établies annuellement.

Les Sundarbans sont aménagées suivant un système d'écrémage depuis 1892-1893, date à laquelle le premier plan d'aménagement forestier a été mis en œuvre (Curtis, 1933) et le système, perfectionné et adapté pendant les 30 premières années de ce siècle, s'est avéré excellent pour l'aménagement durable de la forêt. L'appauvrissement du matériel sur pied qui s'est produit est imputable à des décisions de gestion incorrectes plutôt qu'aux pratiques sylvicoles (Hussain et Ahmed, 1994).

Les mangroves des Sundarbans sont aménagées suivant un système d'écrémage-amélioration. On établit des coupes annuelles distinctes pour l'extraction de bois d'œuvre, de bois de feu et de bois à pâte. L'exploitation se fait suivant un cycle qui ne prévoit qu'une opération tous les 20 ans.

Pour Heritiera fomes, principale essence à bois d'œuvre de la forêt, le processus comporte la délimitation de la coupe annuelle, le marquage des arbres sains dépassant un diamètre exploitable prédéterminé - à condition que l'enlèvement ne provoque pas de brèche permanente dans le couvert - l'abattage suivi de l'élimination des branches et cimes sèches et enfin, la coupe d'amélioration qui comprend l'enlèvement de tous les arbres déformés et l'éclaircie des peuplements denses. Cette ouverture prudente du couvert assure une bonne régénération de l'essence qui se développe à l'ombre partielle au stade initial, et décourage la régénération des espèces de lumière moins intéressantes au plan économique.

Excoecaria agallocha est utilisée exclusivement comme bois à pâte et bois d'allumettes. Tous les arbres dont le tronc dépasse le diamètre exploitable sont abattus en une seule opération. Dans le cas de Sonneratia apetala, les arbres ayant plus de 30 cm de diamètre ne sont enlevés que si cette extraction ne provoque pas de brèche dans la voûte forestière. Dans des peuplements compris dans une coupe annuelle où H. fomes, E. agallocha, Ceriops decandra et d'autres espèces de mangrove ont été plantées en sous-étage, on procède à la coupe rase de tous les arbres de Sonneratia apetala pour planter une essence commercialement plus intéressante. Les jeunes plants de S. apetala ne s'établissent pas bien dans une plantation mature de la même espèce.

C. decandra produit aussi bien des poteaux que du bois de feu. Les poteaux sont enlevés lors d'une coupe d'écrémage suivant les règles décrites pour H. fomes. Lors de la récolte de bois de feu, on laisse au moins une pousse saine sur chaque branche.

Rhizophora racemosa deux ans après la plantation

Les mangroves des régions du Rakhine et de l'Irrawaddy Myanmar se composent pratiquement des mêmes essences que celles des Sundarbans et ont été, elles aussi, aménagées suivant un système d'écrémage. Toutefois, à cause du grave appauvrissement de la forêt, il est maintenant plus difficile de la gérer à des fins de production.

Une autre forme d'écrémage est pratiquée en Indonésie (Soemodihardjo et Soerianegara, 1989) où sont mises en défens des bandes de 50 et 10 m de large le long des côtes et des cours d'eau. Quarante arbres d'essences de Rhizophora, Bruguiera et Ceriops ayant plus de 20 cm de diamètre et poussant à une distance d'environ 17 m l'un de l'autre sont conservés sur chaque hectare de forêt comme semenciers. Dans ces forêts, la révolution est fixée à 30 ans avec une seule coupe d'éclaircie à 15 ans; tous les arbres dont le diamètre est supérieur à 20 cm, à l'exception des semenciers, sont abattus au moment de la coupe finale.

Zone infestée par Acrostichum

Coupe rase

On pratique diverses versions de la coupe rase en Thaïlande, en Malaisie et en Indonésie et, dans le passé, au Viet Nam. Ce système s'est révélé particulièrement approprié dans le cas d'essences d'intérêt commercial comme Rhizophora apiculata et R. conjugata qui sont des essences de lumière vigoureuses et peuvent se concurrencer dans des zones ouvertes.

La forêt de mangroves de Matang (Etat de Perak) en Malaisie péninsulaire a été aménagée initialement suivant un système de coupe d'abri où à deux éclaircies faisait suite une coupe de régénération visant à stimuler l'établissement des jeunes plants. On a ensuite constaté qu'une bonne régénération était possible sans coupe et qu'en l'absence de régénération les arbres pouvaient pousser encore quelques années «supplémentaires» et gagner en volume (Hasan, 1981). On est alors passé à un système dit de coupe rase avec conservation de réserves. Cette pratique consiste à garder sur pied sept arbres par hectare au moment de l'abattage final lorsque tous les arbres d'un diamètre supérieur à 7,5 cm sont enlevés. Une étroite bande boisée de 3 m, qui suit les berges des cours d'eau ou la côte, est maintenue pour éviter l'érosion (FAO, 1985). La forêt est actuellement traitée suivant une révolution de 30 ans avec deux coupes d'éclaircie à 15 et 20 ans; 50 et 25 pour cent des arbres respectivement sont alors enlevés et, à la fin, près de 1 680 arbres par hectare restent dans un peuplement entièrement garni (Hasan, 1981).

Pour éviter de compromettre la régénération au cours des opérations de récolte, l'abattage se fait surtout à la hache puis les arbres sont découpés en rondins de 1,6 m qu'on transporte à la main hors de la forêt pour abîmer le moins possible la végétation qui subsiste. Immédiatement après l'abattage final, on arrache les fougères de Acrostichum sur les sites infestés.

Environ un an après l'abattage final, on inspecte la zone pour évaluer l'état de régénération et on intervient au besoin pour favoriser le processus de régénération naturelle en éliminant la végétation concurrencielle. En cas d'insuccès, on reboise la zone au moyen de Rhizophora apiculata et R. conjugata. Les propagules sont récoltées dans la forêt et plantées dans un délai de trois jours. Le remplissage ou regarnissage se fait l'année suivante selon les besoins.

Une autre forme de coupe rase dite «coupe en bandes alternées» est pratiquée actuellement dans les forêts où prédomine R. apiculata en Thaïlande. La révolution est fixée à 30 ans et on divise le périmètre en 15 parcelles subdivisées à leur tour en bandes de 40 m de large faisant un angle de 45° avec la marée. La moitié des bandes sont exploitées en alternance tous les 15 ans, ce qui donne une révolution de 30 ans (FAO, 1985). Là où la régénération naturelle est insuffisante, on recourt à la replantation. Un système similaire est pratiqué au Venezuela mais sur des bandes de 50 m de large (Aksornkoae, 1993).

Le système de la coupe avec régénération artificielle des peuplements était pratiquée au Viet Nam avant la seconde guerre mondiale; une compagnie française de charbonnage avait alors entièrement coupé de vastes mangroves dans la province de Minh Hai au sud du pays et les avait régénérées artificiellement par semis direct de propagules de Rhizophora apiculata. Une plantation établie en 1940 à Thanh Tung dans le district de Ngoc Hien existe encore et il pourrait s'agir de la plantation commerciale de mangrove la plus ancienne du pays.

Établissement de plantations de mangroves

Le processus d'établissement des plantations de mangroves comprend: la plantation d'enrichissement pour compléter la régénération naturelle, surtout dans des zones faisant l'objet de coupe rase, comme en Thaïlande et en Malaisie; le reboisement des peuplements dégradés comme au Pakistan, à Sri Lanka, au Myanmar, au Viet Nam, en Indonésie et dans un grand nombre d'autres pays; et le boisement des atterrissements comme au Bangladesh où plus de 120000 ha de ces plantations ont déjà été établis.

Dans la plupart des cas, on a peu ou pas du tout besoin de préparer le site et les propagules ou les semences prégermées et les plantules peuvent être aisément récoltées et plantées afin d'obtenir de bons résultats.

Récolte du bois de mangrove

Pépinières

Les semences vivipares et cryptovivipares peuvent être disséminées dans des planches à semis situées le long des côtes pour être recouvertes par la marée. Les graines de Sonneratia apetala ont besoin d'un traitement préalable et, au Bangladesh, où il existe de vastes plantations de cette essence, des fruits mûrs cueillis directement sur les arbres sont déposés dans des fosses de 0,6 à 1,3 m de profondeur, recouvertes d'épaisses broussailles et arrosées régulièrement d'eau salée pendant quatre à sept jours. Les fruits sont ensuite retirés, légèrement talés à la main et lavés dans de l'eau douce pour obtenir des graines prégermées de couleur blanche que l'on sème immédiatement à la volée dans des planches à semis, ou que l'on plante dans des sachets de polyéthylène. Comme les semences prégermées perdent toute leur viabilité en quelques heures, il est important de les semer sans tarder. Aucune des semences d'autres essences de reboisement n'a besoin d'un traitement préalable (Choudhury, 1991). Les plantules cultivées en pépinière dans des planches à semis à terre meuble peuvent être arrachées aisément sans endommager les racines.

La culture de jeunes plants en sachets de polyéthylène est désormais très répandue. Cependant, la plupart des espèces de mangrove sont dotées d'appareils radiculaires complexes et les racines se développent beaucoup plus rapidement que les pousses; les racines risquent donc de s'enchevêtrer, ce qui peut compromettre la croissance de l'arbre après la transplantation.

Dans la plupart des cas, le semis direct de semences prégermées/fruits dans les plantations donne de bons résultats. Les singes et les crabes pouvant causer de graves dommages aux fruits et aux semences, il est souhaitable de ne pas semer dans des zones infestées par ces animaux.

Opérations de plantation

On plante principalement pendant la mousson. Les plantules de mangroves sont normalement disposées avec un intervalle de 1,2 à 1,5 m dans la plupart des pays asiatiques, à l'exception des Philippines où l'intervalle est de 0,5 x 0,5 m (PCARRD, 1991). Au Sierra Leone, on plante Rhizophora racemosa avec un espacement de 2 x 2 m (FAO, 1989). Il est aussi important que les jeunes plants aient une taille suffisante car des plantules trop petites risquent d'être ensevelies sous les sédiments.

Opérations d'entretien

En fonction de l'abondance des adventices, on effectue normalement un à trois désherbages par an pendant les deux ou trois premières années. Si le site est infesté par des graminées colonisantes ou des fougères Achrostichum, il faut les éliminer. Les meilleurs résultats s'obtiennent si les racines sont enlevées.

Les opérations de regarnissage sont entreprises généralement deux ou trois ans après la plantation. Au Bangladesh, cette opération s'effectue dans les deux mois qui la suivent. Quelques remplissages sont réalisés aussi pendant la plantation proprement dite pour remplacer les plantules emportées par la marée.

Les opérations d'éclaircire sont pas nécessaires dans le cas de Sonneratia sp. et d'Avicennia sp. car elles ne seraient pas rentables lorsque le produit final est le bois de feu ou le bois à pâte. Cependant, dans le cas des plantations de Rhizophora sp. en Malaisie et en Indonésie, on éclaircit au bout de 15 et 10 ans, respectivement, alors qu'en Malaisie une seconde éclaircie a lieu à 20 ans. Les produits servent de pilotis dans l'industrie de la construction.

Conclusion

Les forêts de mangroves fournissent des biens et des services très divers et de nombreuses communautés en dépendent pour survivre. Pourtant, seulement un pourcentage limité des mangroves du monde bénéficie actuellement d'un aménagement actif. On dispose toutefois d'informations et de connaissances importantes sur l'aménagement durable de ce type de forêt. Grâce à des systèmes de sylviculture simples et faciles à appliquer, des forêts telles que les Sundarbans et Matang sont aménagées depuis des décennies à des fins de production durable. En outre, on a mis au point et appliqué dans de nombreux pays des techniques de remise en état des sites de mangroves défrichés et affectés à d'autres utilisations du sol. Il importe d'accorder toute l'attention requise à l'aménagement de cette précieuse ressource et de faire en sorte que toutes les zones viables des forêts de mangroves soient soumises à un aménagement actif en bénéficiant de traitements sylvicoles bien définis.

Parallèlement, les recherches doivent se poursuivre afin de mieux connaître et de mieux comprendre les pratiques de sylviculture qui conviennent aux situations extrêmement variées dans lesquelles poussent les mangroves.

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