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Rôle de la faune et de la flore sauvages et des autres
produits forestiers non ligneux dans la sécurité
alimentaire en Sibérie centrale

D.V. Vladyshevskiy, A.P. Laletin et A.D. Vladyshevskiy

Dimitry V. Vladyshevskiy est professeur à
l'Université technique de l'État de Krasnoïarsk,
Krasnoïarsk (Fédération de Russie).
Andrei P. Laletin est président de Amis
des forêts sibériennes, une association publique
d'écologistes de la région de Krasnoïarsk
(Fédération de Russie).
Alexey D. Vladyshevskiy est expert principal
auprès du Service des forêts de la région de
Krasnoïarsk, Krasnoïarsk (Fédération de Russie).

Lorsque les conditions socioéconomiques sont défavorables,
la chasse et la cueillette fournissent aux villageois la nourriture et les revenus
dont ils ont besoin.

La cueillette (ou le ramassage) des plantes et d'autres produits fo-restiers non ligneux (PFNL) est depuis toujours largement pratiquée dans l'actuelle Fédération de Russie. Le ramassage des PFNL, en particulier, est un élément très important de la culture traditionnelle, du contact avec la nature, des loisirs et du mode de vie des autochtones du nord et du centre de la Sibérie. Depuis toujours, lorsque les conditions socioéconomiques sont difficiles, les activités de ramassage prennent une place plus importante dans les stratégies de survie. Si les revenus sont faibles et les conditions favorables, de nombreuses personnes peuvent tirer un revenu économique des activités de cueillette ou de ramassage pour améliorer leurs niveaux de vie.

Depuis l'introduction, en 1992, des réformes économiques dans la Fédération de Russie, l'utilisation de PFNL s'est considérablement accrue en Sibérie, sous l'effet de plusieurs facteurs:

Les auteurs du présent article examinent l'utilisation des PFNL dans la région de Krasnoïarsk, en Sibérie centrale, en se fondant en partie sur les résultats d'une enquête qu'ils ont réalisée en 1999, en interrogeant de vive voix plus de 500 personnes, pour illustrer l'impact des PFNL sur la sécurité alimentaire de la population locale.

L'enquête a révélé que, dans les conditions socioéconomiques actuelles, l'utilisation de champignons et de pins pignons a été multipliée par deux ou trois, celle d'oignons sauvages par trois à cinq, et celle de baies par une fois et demie ou deux (la consommation de baies a relativement peu augmenté car le sucre servant à les conserver coûte cher). Là où les industries forestières ont fermé leurs portes, les PFNL sont souvent la principale source d'alimentation et de revenus des villageois, puisqu'ils représentent jusqu'à 30 ou 40 pour cent du revenu familial.

Un cerf de Sibérie (Cervus elaphus) peut
donner 120 kg de viande

- A.P. LALETIN

LA RÉGION DE KRASNOÏARSK

Le territoire de Krasnoïarsk (3 millions d'habitants en 1994) s'étend sur 2,3 millions de kilomètres carrés, de l'archipel de Severnaïa Zemlia, dans l'océan Arctique, aux chaînes de Saïan, dans le sud. Le centre administratif est la ville de Krasnoïarsk (900 000 habitants en 1994), située sur les rives du fleuve Ienisseï.

Comme d'autres régions de la Sibérie, le territoire de Krasnoïarsk a un taux de chômage élevé, résultant de la fermeture des entreprises d'exploitation forestière et minière pendant les années 90. Dans de nombreuses zones, le climat est trop rude pour pratiquer l'agriculture et il n'existe aucune industrie. Ces zones, qui abritent plusieurs tribus autochtones (Keto, Nenets, Dolgan, etc.) sont extrêmement peu peuplées (environ 0,03 habitant au kilomètre carré), et le niveau de vie y est bas. La chasse et la pêche sont les moyens de subsistance traditionnels. Aujourd'hui, la survie de ces populations est menacée, à moins de créer un marché pour les produits qu'ils ramassent et de leur expédier des denrées à des prix subventionnés.

UTILISATION DE LA FAUNE SAUVAGE

Environ 70 000 personnes pratiquent la chasse dans la région de Krasnoïarsk. L'utilisation de la faune sauvage est régie par une législation fédérale spécifique, complétée et ajustée par des règlements régionaux. Le principal organisme de surveillance est le Département pour la protection et l'utilisation rationnelle de la faune sauvage du Ministère russe de l'alimentation et de l'agriculture.

Les espèces sauvages ongulées les plus chassées sont le renne, l'orignal, le chevreuil et le cerf de Sibérie (tableau 1). Dans le sud de la région, le sanglier (Sus scrofa) est également chassé. La production annuelle de viande n'a pas dépassé 1 000 tonnes, en comptant le volume estimé de la production des braconniers; toutefois, en maintenant la chasse au niveau de 7 à 8 pour cent du stock, la production annuelle de viande pourrait atteindre 2 300 à 2 400 tonnes (environ 0,8 kg de viande par habitant de la région) (Smirnov et Brilliantov, 1990). La chasse est une activité rentable, puisqu'un orignal et un cerf de Sibérie peuvent respectivement produire jusqu'à 170 kg et 120 kg de viande. En moyenne, un chasseur met quatre à cinq jours pour tuer un orignal et, en l'an 2000, un orignal rapporte environ 150 dollars EU, niveau très élevé par rapport au salaire mensuel moyen, d'environ 65 dollars EU dans la Fédération de Russie. Cependant, comme on ne délivre qu'un seul permis individuel de chasse à l'orignal par an, la majorité des chasseurs n'en capturent qu'un pendant la saison.

TABLEAU 1. Effectifs et intensité de chasse des principales espèces sauvages ongulées dans la région de Krasnoïarsk

Nom commun

Nom scientifique

Effectif estimé (1975-1985)

Nombre d'ex. chassés, braconnage inclus (1994)

Renne

Rangifer tarandus

520 000-680 000

500

Orignal

Alces alces

50 000-53 000

4 000

Chevreuil

Capreolus capreolus

15 000-22 500

10 000

Cerf de Sibérie

Cervus elaphus

9 500-13 000

1 000

Sources: Smirnov et Brilliantov (1990); Banque mondiale (1997).

Depuis les réformes économiques, les données sur la chasse aux espèces de faune sauvage sont moins fiables et rassemblées moins régulièrement. On trouvera au tableau 1 quelques statistiques préliminaires sur le volume de la chasse.

Les principaux oiseaux sauvages appartiennent à la famille des galliformes (tableau 2). La chasse est limitée chaque année à 3 pour cent du stock. En ce qui concerne les gélinottes communes, la production atteint rarement 30 unités par jour, soit 10 kg de viande, équivalant à 10 à 12 dollars EU. L'intensité de chasse de ces oiseaux a diminué, car le coût des munitions a considérablement augmenté et représente aujourd'hui 40 pour cent du prix d'une gélinotte commune sur le marché (contre 5 à 7 pour cent, auparavant). Cet oiseau est donc devenu trop cher pour les populations locales, et l'intensité de la chasse d'agrément est de cinq à sept fois plus faible que durant la décennie présente (observations des auteurs).

TABLEAU 2. Nombre moyen d'oiseaux sauvages, dans la région de Krasnoïarsk

Nom commun

Nom scientifique

Nombre

Gélinotte commune

Tetrastes bonasia

2 500 000

Coq de bruyère

Tetrao urogallus

400 000

Coq des bouleaux

Lyrurus tetrix

360 000

La chasse publique aux animaux ongulés aux fins de la production de viande - principalement orignal et cerf de Sibérie - a été suspendue depuis les réformes des années 90. Dans le cadre du système public, les chasseurs devaient donner toute la viande et la fourrure à l'État, moyennant un paiement relativement faible. Aujourd'hui, la chasse est principalement pratiquée par des individus pour leurs besoins privés.

Comme la chasse est une activité rentable, le braconnage est très répandu. Dans la partie sud la plus peuplée de la région, les effectifs de toutes les espèces ongulées sont en diminution en raison de la chasse excessive, et l'attribution de permis s'est révélée inefficace pour en régulariser l'intensité.

TABLEAU 3. Popularité des différents types de récolte, pêche et chasse comprises, d'après le nombre de sorties par an et par personne

Produit

Villageois

Citadins

Champignons

1,7±0,41

1,1±0,3

Baies

1,5±0,3

0,8±0,4

Oignons sauvages

0,4±0,03

0,1±0,02

Gros gibier

0,3±0,08

0,2±0,02

Poisson

0,5±0,006

0,2±0,04

Pignons

1,2±0,4

0,7±0,07

1 Écart-type.

LE POISSON

Dans l'ensemble, le poisson d'eau douce est encore plus important que la faune sauvage pour la population de Krasnoïarsk. Les habitants des villages du bassin du Ienisseï sont particulièrement tributaires du poisson. Dans les petits villages, le poisson est la principale source de protéines, puisqu'il représente de 50 à 60 pour cent de la consommation des habitants, du point de vie de la fréquence dans l'alimentation quotidienne, et il est le principal article de troc. Dans les villes et les plus gros villages, le poisson tient une place moins grande dans la consommation (25 à 30 pour cent).

Dans les petits cours d'eau des forêts, l'ombre arctique (Thymallus arcticus) est la seule espèce qui soit pêchée régulièrement, à des fins alimentaires et pour le plaisir. Le stock est considérablement appauvri dans tous les districts densément peuplés, qui se trouvent au sud du fleuve Angara.

Le système légal utilisé pour régulariser les stocks de poissons est à peu près identique à celui en vigueur pour la faune sauvage. L'appauvrissement des stocks de poissons est principalement dû au braconnage.

D'une manière générale, l'exploitation des ressources halieutiques rapporte plus que la plupart des autres PFNL. Deux braconniers peuvent capturer jusqu'à 30 ou 40 kg de poisson pendant la nuit, avec des barres électriques, et un kilogramme de poisson se vend 1 dollar EU.

Entre quatre et six espèces de poissons jouent un rôle important dans l'alimentation des habitants des districts peu peuplés situés sur les rives de l'Ienisseï et de l'Angara, de leurs affluents, et du Chulym (un affluent du fleuve Ob). Le pourcentage de poisson dans le régime alimentaire des populations de ces zones (qui est fonction de la fréquence dans l'alimentation quotidienne) s'échelonne entre 12-15 pour cent et 60-70 pour cent. Ce dernier chiffre concerne les districts où la densité de population est de 0,2 habitant par kilomètre carré.

Sur les marchés de Krasnoïarsk, l'esturgeon de Sibérie (Acipenser baeri), dont le stock est particulièrement
appauvri, peut coûter 8 dollars EU le kilogramme, alors que l'ombre arctique ne vaut que 1,5 dollar EU.

AUTRES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX

Champignons

Dans la région de Krasnoïarsk, la cueillette des champignons est la forme de collecte des PFNL la plus populaire (tableau 3). Jusqu'à 40 pour cent des familles de la région ramassent des champignons pour leur usage personnel, par plaisir ou pour les vendre. Comme les activités de cueillette des champignons ne sont pas coordonnées, l'offre de tous les produits à base de champignons excède régulièrement la demande sur les marchés locaux. Les invendus sont mis au rebut.

Les habitants des villages de la taïga du nord (forêt de conifères entre la toundra et la steppe) mangent des champignons presque tous les jours (principalement salés). Depuis deux ou trois ans, la cueillette de champignons à congeler est plus répandue dans les villes et les gros villages; environ 32 pour cent des familles conservent à présent des champignons en les congelant.

Dans la Fédération de Russie, les terrains à champignons sont accessibles à tous et la cueillette n'est soumise à aucune restriction légale. Il existe dans la région de 15 à 18 espèces de champignons qui sont cueillies régulièrement. Les plus souvent ramassées appartiennent aux genres Lactarius et Boletus, en particulier Lactarius deliciosus et Boletus edulis. Les forêts les plus riches en champignons sont les forêts de bouleaux et de pins qui ont un tapis d'herbe clairsemé, et les peuplements de mélèzes du nord. Selon Petrenko et Lapitskaya (1983), la capacité de production des champignons les plus populaires, dans les forêts de jeunes pins au sol recouvert de lichen et de mousse, s'échelonne entre 65 et 170 kilogrammes par hectare. Les forêts les plus pauvres en champignons sont les forêts herbacées, les forêts vieillissantes de conifères noirs et les forêts de marécages. Il n'y a pratiquement pas de champignons dans les zones exploitées recouvertes d'herbe.

La cueillette des champignons n'est pratiquée que dans une petite partie de la forêt, généralement dans un rayon de cinq à six kilomètres des villages ou des arrêts des transports publics. Toutefois, certains cueilleurs n'hésitent pas à faire 40 à 60 km de route. Les bonnes années, une personne récolte de 15 à 100 kg de champignons par jour. Presque tous les champignons (jusqu'à 80 à 90 pour cent) ramassés sont destinés à la consommation des familles.

Jadis, les champignons étaient produits et transformés par les industries d'État. Les entreprises publiques d'achat (Gospromkhoz, en russe) achetaient des champignons aux cueilleurs locaux, uniquement les années où les récoltes étaient exceptionnellement abondantes et les prix d'achat bas. La production annuelle ne dépassait pas 1 000 tonnes.

Les champignons se vendent surtout à l'état naturel, frais ou séchés (en particulier Boletus edulis). Le coût des champignons frais varie entre 0,2 et 1,2 dollar le kilogramme, suivant le volume de la récolte. Toutefois, depuis 1996/97, les champignons se vendent plus souvent salés et en saumure. Tout au long de l'année 1999, on trouvait des champignons en saumure sur tous les marchés de Krasnoïarsk, à un prix inférieur à 1 dollar EU le litre.

Dans d'autres régions de la Fédération de Russie et du Bélarus, l'expérience a montré que la récolte et la transformation des champignons peuvent être rentables. Les obstacles empêchant de récolter les champignons à grande échelle - difficulté de prévoir le rendement, transformation rapide obligatoire, saison de cueillette courte, et longue période d'amortissement de l'investissement - pourraient être surmontés par divers moyens: études de marché, services d'information, périodes et lieux de récolte appropriés, et promotion de la transformation locale, avant le transport.

Dans la région de Krasnoïarsk, les baies
qui ont le rendement le plus élevé et qui
rapportent le plus sont les lingonnes
(
Vaccinium Vitis-idaea), les atocas
(
Oxycoccus palustris) et, sur cette photo,
les cassis (
Ribes nigrum)

- A.P. LALETIN

Baies

Les baies sont particulièrement importantes pour la sécurité alimentaire dans la taïga du nord et du centre, où elles constituent la principale source de vitamines. Des baies récoltées dans les vastes étendues marécageuses boisées et les forêts sèches de pins du nord sont aussi transportées vers Krasnoïarsk et d'autres villes du sud de la région. Dans les districts du centre et du sud, les baies sauvages tiennent moins de place dans le régime alimentaire, à la fois parce que le climat plus doux permet de cultiver des jardins potagers et des cultures maraîchères, et parce que ces districts ont plus facilement accès à d'autres fruits provenant d'autres régions. Dans le sud de la région, les buissons à baies occupent entre 3 et 4 pour cent de la superficie de terres boisées. Près du fleuve Angara, où les forêts de pins contenant des lingonnes (Vaccinium Vitis-idaea) sont très communes, les buissons à baies peuvent couvrir jusqu'à 10 à 16 pour cent de la superficie de forêts.

Dix à 11 espèces de baies sont cueillies dans les forêts de la région de Krasnoïarsk. Celles qui ont la valeur et le rendement les plus élevés, et qui rapportent le plus, sont les lingonnes, les atocas (Oxycoccus palustris) et les cassis (Ribes nigrum). Le volume annuel récolté était de l'ordre de 1 000 tonnes jusqu'au début des années 90, où il a commencé à décliner pour tomber en 1994/95 de 725 à 600 tonnes.

Dans les plus grands terrains à baies, la cueillette n'est autorisée que lorsque les fruits sont mûrs. Le nouveau Code forestier de la Fédération de Russie (1997) prévoit la possibilité de réserver aux occupants des forêts le droit de récolter les baies, comme du reste d'autres ressources des forêts. Toutefois, dans la pratique, la cueillette est autorisée sans restriction sur la majorité des terres boisées.

La quasi-totalité des baies récoltées - jusqu'à 90 pour cent - sont destinées à la consommation privée. Les cueilleurs font jusqu'à 200 ou 300 km en voiture, et 20 à 25 km à pied pour trouver des baies.

L'exploitation forestière a eu des conséquences mitigées sur les zones riches en baies; d'une part, les buissons à baies colonisent rapidement les zones exploitées mais, d'autre part, les herbes qui envahissent le terrain étouffent les lingonnes et les myrtilles(Vaccinium myrtillus).

Jadis, les myrtilles se vendaient aussi bien à l'état naturel (lingonnes et myrtilles) que sous forme de confitures, de confiserie et de spiritueux. Aujourd'hui, les baies sont presque toujours vendues à l'état naturel, durant la période de récolte.

En 1997/98, les baies de chèvrefeuille (Lonicera altaica) valaient entre 1,2 et 1,3 dollar EU le kilogramme. Les plus chères sont les lingonnes, qui se vendaient entre 2,5 et 3 dollars le kilogramme en 1996 et 1 dollar en 1998/99, après la dévaluation du rouble. C'est aussi pour les lingonnes que la productivité du travail est la plus élevée, puisqu'elle atteint parfois 50 kg par cueilleur et par jour. La productivité des autres espèces dépasse rarement 25 à 30 kg.

Les bonnes années, la production a été suffisante pour satisfaire la demande de baies. Les mauvaises années, les prix ont monté de 50 à 100 pour cent.

Dans l'ensemble, il est plus facile de récolter et de transformer les baies que les champignons. Il est possible de prévoir de manière relativement certaine le volume de la production de baies, un ou deux mois avant la récolte. Les baies les plus précieuses se conservent bien. Une usine de transformation pourrait être créée à raison d'un investissement minime couvrant l'achat des baies, leur conditionnement pour le transport, et les frais de transport. Une étude de marché serait également nécessaire.

Pignons et pommes de pins piniers sibériens (Pinus sibirica)

Les pignons (graines) et les pommes de pins sont récoltés pour la consommation familiale et pour la vente. Dans la région, les forêts de pins piniers sibériens occupent une superficie de 78 700 km2, et ont généralement une faible productivité en pignons (environ 25 kg/ha) (Semechkin et al., 1985). Seuls 25 pour cent des peuplements ont un rendement de 100 à 150 kg/ha de pignons. Une part considérable de la production est consommée par la faune sauvage.

Les entreprises publiques d'achat obtenaient environ 40 kg de pignons par 1 000 ha. La récolte des pignons était réglementée par le Service des forêts, qui délivrait des permis de récolte spéciaux.

Économiquement parlant, la récolte des pignons est l'une des activités les plus rentables dans le secteur des PFNL. Pendant un mois et demi, chaque cueilleur travaillant en équipe récoltait entre 1 000 et 1 500 kg de pignons, ce qui représentait une valeur de 1 200 à 1 800 dollars EU. Les pignons se vendent toute l'année sur les marchés de Krasnoïarsk. Les bonnes années (environ une tous les cinq ans), l'offre excède la demande.

Chaque année, la récolte de pommes de pins piniers, utilisées pour faire des objets d'artisanat et des souvenirs, est interdite jusqu'au mois d'août, mais commence illégalement vers le 15 juin. La vente des pommes de pins rapporte gros; 10 grosses pommes de pin valent environ 1 dollar EU et, en une heure, on peut facilement en récolter 100. On trouve souvent des marchands de pommes de pin en bordure des autoroutes, dans les gares, dans les trains locaux, etc.

Les pommes de pins piniers
sibériens sont ramassées
pour la consommation
familiale et pour la
vente.

- A.P. LALETIN

Plantes médicinales et aromatiques

Le Ministère des industries pharmaceutiques de l'ex-URSS a approuvé l'utilisation de 150 espèces de plantes médicinales et aromatiques. Une cinquantaine de ces espèces étaient ordinairement récoltées dans la région de Krasnoïarsk. Pendant les années 70 et 80, où la gestion des récoltes était centralisée, on récoltait environ 50 tonnes par an. En 1995, ce volume était de l'ordre de 11 tonnes. Aujourd'hui, les communautés locales ont pratiquement cessé de cueillir des plantes médicinales, car les industries pharmaceutiques offrent des prix trop bas aux cueilleurs.

La majorité des espèces sont si peu récoltées que le stock n'est pas affecté. L'espèce la plus cueillie a été la racine jaune (Rodiola rosea), souvent appelée ginseng de Sibérie, qui est utilisée comme stimulant ou pour renforcer les défenses immunitaires; avant les réformes économiques, les entreprises chargées de la récolte ont considérablement amenuisé les stocks. Le raisin d'ours (Arctostaphylos uva-ursi), qui est un puissant diurétique, n'est plus récolté pour cause d'épuisement des stocks.

Les plantes médicinales et aromatiques sont surtout récoltées par des individus, mais elles attirent beaucoup moins de cueilleurs que les champignons ou les baies. Les plantes médicinales séchées se vendent sur les marchés toute l'année et sont utilisées par des guérisseurs ou pour la préparation d'infusions et de boissons.

Quelques plantes aromatiques sont utilisées dans l'alimentation, comme épices ou pour la préparation de tisanes. On récolte dans la région entre huit et 10 espèces. L'oignon sauvage (Allium victorialis) est une plante populaire, qui est récoltée et vendue par des individus dans tous les districts de la région. La productivité du travail est de 1,5 à 2 dollars par heure. Une famille moyenne de la région de Krasnoïarsk mange à peu près quatre ou six fois de l'oignon sauvage, pendant la saison de la récolte.

On récolte chaque année environ 1 000 tonnes de fougères grand aigle (Pteridium aquilinum) principalement pour le marché japonais. Depuis 1997, ce type de fougère se vend sur les marchés et dans les rues de Krasnoïarsk, mais il est peu apprécié des populations locales de sorte que la demande est insignifiante. Les récoltes d'oignons sauvages et de fougères grand aigle sont limitées par les difficultés d'entreposage. Quelques marchands vendent ces produits en conserve.

Les recherches doivent être intensifiées pour déterminer les possibilités d'accroissement de la récolte industrielle des plantes médicinales et aromatiques, tant sur le plan technique qu'économique.

Les interventions forestières dans les situations
de crise: le cas du Kosovo

Après la guerre qui a dévasté la province du Kosovo, en Yougoslavie, en 1999, des interventions forestières devaient être mises en œuvre de toute urgence pour aider les 750 000 réfugiés de retour dans leurs maisons détruites à retrouver des moyens d'existence durables.

La population manquait cruellement de bois de feu pour la cuisson des aliments et le chauffage, et de bois de construction pour remettre en état les logements endommagés par la guerre mais, en même temps, il fallait absolument éviter que la coupe du bois d'œuvre ne compromette la durabilité à long terme des fonctions environnementales, économiques et sociales des ressources forestières. Compte tenu de l'effondrement des institutions forestières, il était également indispensable de renforcer les institutions pour garantir la bonne gestion de toutes les activités forestières et contrôler l'exploitation illégale des forêts restées sans protection. De plus, la population rurale devait trouver des emplois et des moyens temporaires de percevoir un revenu durant la période d'urgence.

Au mois de décembre 1999, la majorité des employés de l'Entreprise forestière d'État (732 en mars 1999), n'avaient pas perçu leur salaire depuis au moins neuf mois. Pendant la guerre, des équipements avaient disparu et la capacité de production des huit usines forestières publiques (principalement orientées vers la production de meubles) avait diminué. De nombreux ouvriers des industries forestières avaient été licenciés.

Des organisations comme la FAO, CARE et d'autres ONG travaillant avec des organisations communautaires locales dans les villages, ont mis en place des projets axés sur la mise en valeur durable des ressources forestières, ainsi que des projets en faveur de réfugiés et de personnes déplacées à l'intérieur du pays, pour les aider à reconstruire leurs logements et à trouver des moyens d'existence durables, en particulier à travers des activités forestières productives.

Besoin critique de bois de feu

Plus de 70 pour cent des ménages kosovars utilisent du bois de feu pour se chauffer, faire la cuisine et faire bouillir l'eau. D'après les estimations, la consommation est de l'ordre de 1 million de mètres cubes par an. En plus du bois qu'ils coupent eux-mêmes, les villageois s'approvisionnent auprès de petits exploitants privés du Kosovo, d'organisations forestières communales et d'importateurs privés. Depuis la guerre, le ramassage illégal de bois de feu est un phénomène généralisé.

D'après les estimations, près de 43 000 ménages ont besoin d'une aide pour couvrir leurs besoins en bois de feu, et il leur faudra au total près de 300 000 m3 pour passer l'hiver. Il faudrait qu'une part importante du bois de feu provienne d'ailleurs que de la province pour réduire l'impact du ramassage sur les forêts du Kosovo. Les autres initiatives visant à faciliter l'approvisionnement en bois de feu sont des services de formation et des directives, l'établissement de dépôts de bois de feu et la location-vente de tracteurs, de remorques, de camions, de tronçonneuses et d'autres outils aux organisations forestières communales.

Réparation des abris

Quelque 120 000 logements ont été endommagés durant la guerre, et le coût des réparations a été estimé à 100 millions de dollars EU. Sur les 88 000 abris pour animaux qui existaient avant la guerre, environ 36 pour cent sont entièrement détruits et près de 11 pour cent partiellement endommagés. Sur les 78 000 entrepôts d'aliments pour animaux, près de 45 pour cent sont entièrement détruits et 6 pour cent partiellement endommagés. Outre les logements préfabriqués d'urgence, il faudra mobiliser du bois auprès des entreprises forestières privées existantes (16 à 30 par commune), qui sont principalement des petites scieries.

Moyens d'existence durables

Dans le double but de préserver le patrimoine forestier et de créer des emplois et des sources de revenus pour la population rurale, il faut mettre en place de toute urgence des activités rationnelles avec la participation des communautés locales dans divers domaines - ramassage du bois de feu, cueillette ou extraction de produits forestiers non ligneux (champignons, plantes médicinales, miel, noix et résine), établissement de pépinières villageoises, éclaircies, plantations d'arbres, clôturage de forêts pour les protéger du bétail et réfection des routes et sentiers forestiers (dans les zones non minées).

Un projet de la FAO au Kosovo ambitionne de préparer l'établissement d'un Service des forêts pour mettre fin à leur exploitation anarchique pour l'approvisionnement en bois de feu et en bois d'œuvre, rétablir et améliorer la capacité productive des ressources forestières, en aménageant les forêts et en établissant des plantations d'espèces à croissance rapide, et maximiser l'efficience des industries forestières existantes. La contribution accrue de la foresterie au produit intérieur brut et la production à long terme de biens et de services provenant des forêts du Kosovo devraient favoriser le développement de l'ensemble de l'économie.

Le Programme alimentaire mondial (PAM) a lancé un programme vivres-contre-travail pour associer la population rurale aux efforts de remise en état des forêts, et plus de 100 ha ont récemment été plantés. De même, le Programme de création d'emplois et de remise en état des infrastructures villageoises, mis en œuvre par la Communauté européenne appuie, par l'entremise du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), des propositions émanant de villages pour le reboisement de surfaces d'une cinquantaine d'hectares. Au moins les deux tiers de la composante du projet seront versés aux villageois en rémunération de leur travail, le restant servant à l'achat des apports.

Une fois résolues les difficultés immédiates liées aux abris, au combustible, à l'alimentation et aux revenus, des moyens d'existence et des solutions durables devraient être en place pour l'avenir du Kosovo.

CONCLUSION

Le rôle des PFNL dans la sécurité alimentaire de la population de la région de Krasnoïarsk reflète la structure historique et géographique de l'utilisation des ressources. Certaines ressources sont de la plus haute importance dans des zones qui n'ont ni agriculture ni industrie.

Les PFNL sont souvent la principale source d'alimentation et de revenus des populations des zones rurales et des villages qui n'ont plus leurs industries forestières, et qui peuvent survivre malgré la crise économique actuelle. Étant donné que les PFNL peuvent procurer aux familles jusqu'à 30 à 40 pour cent de leur revenu, il conviendrait de permettre à toute la population d'y accéder. Les PFNL sont moins importants pour les populations des grandes villes, qui pratiquent surtout la chasse, la pêche et la cueillette des PFNL pour le plaisir.

La commercialisation et l'utilisation des PFNL sont entravées par certaines contraintes (problèmes de transport, transformation immédiate obligatoire, instabilité extrême des rendements et des conditions de récolte, et saison de récolte brève). Toutefois, en réglementant comme il convient le volume de récolte des espèces de faune sauvage et de poissons les plus précieuses, et en favorisant une intensification de la récolte des champignons, des baies et des pommes de pins piniers, il est possible d'accroître l'efficacité d'utilisation des PFNL. Pour développer l'utilisation des PFNL comme produits alimentaires commerciaux, il est indispensable de mettre en place un service de commercialisation. De plus, comme les récoltes de nombreux PFNL varient d'une année sur l'autre (en particulier des champignons), il serait très utile de créer un service d'information sur les rendements et l'évolution prévus des récoltes. Il n'y a jamais eu de services de ce type en Sibérie.

En réalisant des études de marché appropriées, il devrait être possible d'accroître les possibilités de revenu en créant des industries pour la récolte et la transformation de plusieurs produits forestiers, tels que champignons, baies et plantes médicinales et aromatiques. Aucune amélioration n'est attendue en Fédération de Russie tant que des systèmes applicables de protection des droits des consommateurs et de contrôle de la qualité des produits alimentaires ne seront pas mis en place. Un système de certification des PFNL, permettant aux consommateurs de vérifier leur qualité, est recommandé.

Bibliographie


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