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Focus / 2002

  
Ingénieux: le système agricole waru-waru dans le sud du Pérou

Systèmes du patrimoine agricole

Ces systèmes, élaborés au cours des millénaires, représentent une somme de connaissances et une richesse de biodiversité qui doivent être préservées et pouvoir évoluer...

Rares sont ceux qui choisiraient de faire de l'agriculture dans le peu encourageant département de Puno, au sud du Pérou. Situé entre 3.800 et 5.000 m. au-dessus du niveau de la mer, Puno est sujet à des sécheresses, des inondations et des gelées fréquentes, et des siècles d'érosions éolienne et hydrique, et - plus récemment - le surpâturage et l'usage excessif d'intrants chimiques ont dégradé les sols peu profonds. Les rendements de la culture de base de la région, la pomme de terre, atteignent à peine une tonne l'hectare et le revenu moyen des agriculteurs est inférieur à 2,50 dollars E.-U. par jour.

Puno est pourtant devenu le site d'une expérience passionnante en matière de relèvement agricole - au cours de la dernière décennie, les agents de développement et les agriculteurs ont redonné vie à un système agricole local vieux de 3 000 ans, abandonné au temps des Incas et redécouvert par des archéologues. Appelé waru-waru, le système (ci-dessus) utilise des plate-formes de terre surélevées et entourées de fossés pour collecter et conserver l'eau, extraire (par lixiviation) les sels et créer un microclimat favorable aux cultures. Aujourd'hui, les agriculteurs ont converti plus de 7.000 ha de terre au waru-waru pour la production de pommes de terre, de quinoa et d'orge. Les rendements de pommes de terre atteignent 10 tonnes par hectare, et les revenus par habitant ont plus que doublé.

Adaptation dynamique. Waru-waru est un exemple de ce que la FAO dénomme les Systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM) - systèmes d'utilisation durable des sols et paysages qui ont évolués grâce à l'adaptation dynamique des communautés agricoles à leur environnement. Aujourd'hui, dans le cadre d'un nouveau projet financé par le Fonds pour l'environnement mondial du PNUD, la FAO entend promouvoir au niveau international la reconnaissance, la conservation et la gestion durable des SIPAM et de la biodiversité et des systèmes de connaissances qui leur sont associés dans le monde entier.


SIPAM dans le monde
Oasis traditionnelle, sud de la Tunisie. La culture intensive de l'espace disponible et une production d'une très grande diversité tout au long de l'année permettent d'optimiser l'utilisation des approvisionnements en eau et la production de denrées alimentaires, de matériaux de construction et de plantes médicinales. L'élevage se limite à quelques animaux qui fournissent viande, lait, transport et engrais.

Rizipisciculture en Asie. L'intégration d'étangs de pisciculture dans la riziculture apporte de précieuses protéines, en particulier aux agriculteurs de substance qui gère des systèmes pluviaux. Le riz fournit de l'ombre et des matières organiques aux poissons qui à leur tour oxygènent l'eau, mangent les insectes ravageurs et favorisent le recyclage des nutriments.

Culture itinérante, Guyane française. L'agriculture fait partie d'un système complexe d'activités qui englobe la cueillette, la pêche et la chasse. Les principales plantes cultivées sont le manioc (70 variétés répertoriées) et la patate douce (13 variétés). Les agriculteurs protègent les adventices qui repoussent les ravageurs, servent de nourriture et de médicament.

Pastoralisme, Afrique de l'Est. Le mode d'habitat massaï contribue à répartir l'utilisation des ressources sur une grande superficie pour éviter la concentration du bétail et le surpâturage qui en découle. L'échange de bovins crée une grande diversité génétique dans les troupeaux, tandis que les institutions culturelles aident à conserver un vaste savoir des plantes et de leur utilisation.

Systèmes agricoles dans les zones montagneuses, Slovaquie. Dans les Carpates, des agriculteurs appartenant à 15 groupes ethniques différents gèrent un paysage, riche en espèces domestiquées et sauvages et en habitats, ce qui assure la durabilité écologique et la viabilité économique. Dans le passé, les agriculteurs des Carpates cultivaient plus de 1.900 variétés locales.

   
"Les SIPAM et leurs paysages ont été créés, maintenus et transmis de génération en génération par les agriculteurs, les éleveurs, les habitants des forêts et les pêcheurs," dit Parviz Koohafkan, chef du Service de la gestion des terres et de la nutrition des plantes de la FAO, qui exécute le projet. "Ils vont des systèmes d'élevage traditionnel en altitude de l'Himalaya et des agroécosystèmes montagneux des Philippines aux cultures itinérantes en Amérique du Sud et aux systèmes de rizipisciculture en Asie. Un grand nombre de ceux-ci sont liés à d'importants centres d'origine et de diversité d'espèces animales et végétales domestiquées. Utilisant différentes espèces et souvent des combinaisons ingénieuses de pratiques de gestion, tous ces systèmes contribuent de manière considérable à la sécurité alimentaire, à la biodiversité agricole et au patrimoine naturel et culturel du monde."

La FAO signale que les SIPAM se rencontrent souvent dans des régions à forte densité démographique ou dans des zones où les populations ont mis au point des pratiques de gestion et d'utilisation des terres complexes et novatrices du fait de l'isolement géographique, d'écosystèmes fragiles, d'une marginalisation politique, de ressources naturelles limitées ou de conditions climatiques extrêmes. Dans la plupart des cas, ils sont gérés par des agriculteurs démunis ayant un accès limité au capital, à la technologie ou aux services publics.

Risque minimal, rendement optimal. L'un des éléments marquants des SIPAM axées sur les cultures est leur grande biodiversité, qui trouve son origine dans les stratégies adoptées par les agriculteurs pour minimiser les risques, c'est-à-dire en cultivant plusieurs espèces et variétés végétales afin de stabiliser les rendements à long terme, de promouvoir la diversité alimentaire et d'optimiser les rendements en utilisant peu d'intrants. Les systèmes à diversité biologique comportent en général des plantes fertilisantes, des prédateurs d'insectes, des pollinisateurs, des bactéries qui fixent ou décomposent l'azote et différents organismes qui remplissent diverses fonctions écologiques bénéfiques. D'autres systèmes diversifient en utilisant de manière optimale les différents éléments du paysage (les pentes, les vallées) ou en intégrant cultures et élevage.

Les systèmes agricoles locaux tendent à associer plusieurs activités agricoles dans le cadre d'un plan de gestion des ressources du ménage. L'étude de ces systèmes a permis d'identifier une série de facteurs qui sont à la base de leur durabilité, notamment: petite taille de l'exploitation avec une production continue répondant aux besoins de subsistance et du marché, production diversifiée reposant sur un mélange de cultures, d'arbres et d'animaux avec une grande variété génétique, un usage maximal des ressources locales et une faible dépendance vis-à-vis des intrants extérieurs, Le rendement énergétique net est élevé parce que les intrants d'énergie sont relativement faibles, la main-d'oeuvre est complémentaire et provient en grande partie du ménage ou de la communauté, et les nutriments et autres matières sont recyclées de manière régulière. Enfin, selon la FAO, les SIPAM "tirent parti des processus écologiques naturels au lieu de les combattre".

  
Partenaires du projet SIPAM
Le projet SIPAM est exécuté par la FAO en partenariat avec les Etats membres, les représentants des communautés locales et des populations autochtones, les organisations internationales, le secteur privé, les organisations de la société civile et les donateurs. Il s'appuiera sur les initiatives existantes du FEM, le projet People Land Management and Environmental Change (PLEC) de l'UNU, et les programmes sur l'Homme et la biosphère (MAB) et le World Heritage de l'UNESCO
Mais les SIPAM sont menacés dans le monde entier. "La priorité donnée à la productivité agricole, à la spécialisation et aux marchés mondiaux s'est traduite par l'abandon général de la recherche-développement pour les systèmes diversifiés, ingénieux," dit David Boerma, agent de liaison pour le nouveau projet de la FAO. "Ces pressions empêchent l'innovation agricole et conduisent à l'adoption de pratiques non durables, à la surexploitation des ressources et à la baisse de la productivité." La rapidité et l'ampleur de l'évolution technologique et économique menacent aujourd'hui la biodiversité même sur laquelle repose la plupart des SIPAM - l'adoption généralisée de monocultures et de bétail exotique à haut rendement fait peser une lourde menace sur la biodiversité et les systèmes de connaissances associés.

Sites pilotes. Lancé en août 2002, le projet de la FAO entend faire face à ces problèmes grâce à de nouveaux critères permettant de définir les SIPAM et d'élaborer des stratégies en vue de leur conservation et de leur développement. L'un des objectifs fondamentaux sera de contribuer à combattre la perte ou la dégradation des éléments et des caractères essentiels des SIPAM - en particulier leur biodiversité - sans pour autant inhiber l'innovation dynamique qui les a soutenu au cours des siècles.

Pour mieux comprendre l'évolution et les potentiels de développement des systèmes du patrimoine agricole, la FAO préconise maintenant la sélection de 10 sites pilotes représentant une vaste gamme de SIPAM. "La sélection des sites se fera en fonction de critères biophysiques, socio-culturels et économiques, compte tenu de leur importance sur les plans mondial, national et local," explique David Boerma. "Sur chaque site pilote, le projet sera axé sur les liaisons entre ces éléments." En collaboration avec les décideurs, les scientifiques et les autres parties prenantes, il renforcera la capacité des agriculteurs à conserver et à gérer de manière durable leurs systèmes, et partagera les connaissances de la conservation in situ de la biodiversité agricole. Il aidera aussi les communautés et les gouvernements à élaborer des politiques et un cadre juridique propices.

"Promouvoir la connaissance et la compréhension des SIPAM sera peut-être suffisant pour aider certains d'entre eux à survivre," conclut David Boerma. "D'autres auront besoin d'un appui plus spécifique - par exemple, en créant des créneaux pour certains produits, ou des mécanismes qui reconnaissent les services de protection de l'environnement et la qualité de vie fournis par les communautés grâce à leurs systèmes d'utilisation des sols. Mais, quelque soit la stratégie, les SIPAM représentent un patrimoine de connaissances et d'expériences accumulées en matière de gestion et d'utilisation des ressources qui doit être préservé et qui doit pouvoir évoluer."

  • Consultez le site web du projet de la FAO pour les Systèmes Ingénieux du Patrimoine Agricole Mondial
  • Voir aussi le site web de la FAO sur les Systèmes de production agricole

Publié en novembre 2002
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