Mais dans les pays en développement tropicaux, c'est le succès même des plantes amylacées en tant qu'aliments de base qui limite leur contribution potentielle au développement agricole et à la croissance économique en général. Une étude récente du Service des agro-industries et de gestion après récolte du Département de l'agriculture a constaté que si leurs propriétés agronomiques et phénotypiques avaient fait l'objet de recherches approfondies, les plantes cultivées tropicales n'ont pas bénéficié du type de recherche sur la valeur ajoutée nécessaire pour être compétitives à l'échelon international. Il s'ensuit que le maïs, le blé et la pomme de terre continuent de dominer les marchés mondiaux lucratifs des amidons dans les industries alimentaires et autres. Ces produits modernes à valeur ajoutée sont en général réservés à des applications bien précises et ne sont donc pas sensibles aux fluctuations du marché qui peuvent déstabiliser les économies des pays en développement fondées sur des produits de base.
Il ne sera pas facile d'abandonner cette façon de voir les choses et de se mesurer avec les amidons qui dominent le marché, car les rivaux ne sont pas le maïs, le blé ou la pomme de terre eux-mêmes, mais plutôt les caractéristiques fonctionnelles de leurs produits à valeur ajoutée.
L'amidon est présent dans une vaste gamme de produits non alimentaires. En voici des exemples: Colles adhésifs thermofusibles, timbres, reliures, enveloppes, étiquettes Explosifs liants pour têtes d'allumettes Papier couchage du papier, couches jetables Construction liants pour blocs de béton, adhésifs de contre-plaqué Métaux colles pour métal fritté, liant pour noyaux de fonderie Textiles apprêt de tissu, impression Cosmétiques produits de maquillage, crèmes de beauté Produits pharmaceutiques enrobage des comprimés, agents dispersants Exploitation minière flottation et sédimentation du mineral Autres films plastiques biodégradables, batteries de piles sèches
Il y a de bonnes possibilités de commercialiser de manière rentable les amidons tropicaux. Mais pour bien exploiter ces matières, il faut effectuer des travaux de recherche de grande échelle et mettre au point des produits d'un nouveau type. Le modèle pour la qualité et la fiabilité du produit a déjà été établi par l'industrie internationale des amidons. Si les amidons tropicaux produits localement ne peuvent atteindre un niveau comparable de qualité, de fonctionnalité ou de fiabilité, ils ne survivront pas sur le marché concurrentiel; ce que peut offrir un environnement commercial plus équitable a aussi ses limites.
Il faut poursuivre les travaux sur les caractéristiques qui rendent les produits plus intéressants à distribuer et plus faciles à transformer, et qui renforcent les propriétés physiques, chimiques et organiques requises par les marchés visés. Pour les amidons qui ne possèdent pas les caractéristiques fonctionnelles naturelles souhaitées, des efforts supplémentaires doivent être faits pour leur ajouter de la valeur ou les modifier de façon à ce qu'ils puissent être compétitifs sur les marchés internationaux.
Selon le Service des agro-industries et de gestion après récolte, c'est sans aucun doute sur le marché qu'il faut se fonder pour orienter la recherche pratique. Pour les grands marchés, un approvisionnement continu et des prix et une qualité fiables sont une nécessité. Ces marchés rechignent à innover et il est très difficile de les intéresser à de nouveaux produits à moins que ces critères ne puissent être respectés. Ils ont aussi besoin de temps car ils soumettent à maints essais les nouveaux produits, à moins qu'ils ne soient absolument certains qu'ils sont adaptés (imaginez, par exemple, le problème qui se poserait pour une grande usine de papeterie si 5 000 tonnes de papier blanc devenaient jaunes après un an sur une étagère parce qu'un nouvel additif à base d'amidon s'est révélé instable).
Eléments fondamentaux de l'amidon: dimension des grains, amylose et amylopectine. Une fois que le produit présente ces facteurs de base, il faut s'intéresser à un autre élément critique, la performance du produit, qui dépend des caractéristiques fonctionnelles. En fait, c'est ainsi que l'amidon devrait être considéré: comme une série de caractéristiques fonctionnelles adaptées à une application particulière.
Ces caractéristiques découlent des propriétés physico-chimiques des grains d'amidon. La dimension et la répartition des grains d'amidon sont importantes pour des applications bien précises. Par exemple, la petite dimension des grains d'amidon de riz les rend très adaptés à l'encollage du linge fin et aux produits cosmétiques pour la peau. L'arrow-root était autrefois un produit choisi dans le papier autocopiant, qui exige un amidon dont les grains ont une dimension et une uniformité particulières. On ne pouvait utiliser de l'amidon de blé, par exemple, - du moins pas sans le modifier - en raison de la répartition bimodale de ses grains, dont la dimension moyenne va de 6,5 à 19,5 microns.
D'autres caractéristiques physiques simples importantes relativement à la fonctionnalité sont la forme et la surface des grains d'amidon, facteurs critiques lorsque celui-ci sert à véhiculer colorants, saveurs et assaisonnements. Ces qualités sont des fonctions du ratio amylose/amylopectine de l'amidon. Les deux polymères ont des structures très différentes - l'amylose étant linéaire et l'amylopectine très ramifiée - et chacun joue un rôle déterminant dans la fonctionnalité finale de l'amidon naturel et de ses dérivés: viscosité, résistance au cisaillement, gélatinisation, texture, solubilité, pouvoir adhésif, stabilité du gel, gonflement au froid et rétrogradation, tout dépend du ratio amylose/amylopectine.
Ajouter de la valeur aux amidons naturels. Concernant les propriétés fonctionnelles des amidons, la plupart des grandes sociétés commerciales examinent les caractéristiques des amidons compétitifs pour des applications particulières. Cela détermine l'objectif à poursuivre. Lorsque les amidons naturels ne possèdent pas ces caractéristiques, la seule solution consiste à leur ajouter de la valeur. Cela peut consister simplement à stériliser les produits demandés par l'industrie pharmaceutique ou en une modification chimique très complexe visant à leur donner des propriétés totalement différentes des leurs à l'état naturel.
La gamme des propriétés fonctionnelles particulières des amidons exigées par l'industrie alimentaire est quasi illimitée. Aucun autre ingrédient ne donne une texture à autant d'aliments que l'amidon. Qu'il s'agisse de potage, de ragoût, de jus, de garniture pour tartes, de sauce ou de crème, l'amidon donne un produit qui se conserve bien que les consommateurs apprécient. Une proportion croissante de ces caractéristiques est obtenue à partir d'amidons naturels génétiquement modifiés résultant de la demande croissante d'aliments naturels.
Il y a aussi une grande variété d'applications à valeur ajoutée pour l'amidon dans des industries non alimentaires, et chaque application exige des caractéristiques fonctionnelles très particulières. Même dans les applications non alimentaires les plus fondamentales de l'amidon, on a recours massivement à la valeur ajoutée: les amidons adhésifs sont traités aux acides ou aux alcalis, et modifiés avec des agents oxydants, des sels et des alcools. Les amidons textiles sont estérifiés, oxydés et soumis à divers agents de réticulation.
L'utilisation d'amidons "haut de gamme" à valeur ajoutée est particulièrement importante dans les produits du papier. Les amidons servent à rendre plus résistants les mouchoirs et les serviettes en papier et permettent d'utiliser plus de papier recyclé dans les cartons doublés intérieurement et les cartons blanchis. La demande de produits biodégradables s'intensifiant, les volumes utilisés augmentent, car l'amidon est utilisé dans des films et des feuilles plastiques ainsi que des préparations de fibres naturelles qui finiront par remplacer les mousses de plastique.
Des quantités considérables d'amidon sont utilisées pour des produits non alimentaires. En fait, les utilisations non alimentaires de l'amidon sont un indicateur important de l'économie d'un pays. Une économie active a besoin de matériaux de construction pour les bâtiments, les usines et les maisons, de papier pour l'administration, l'emballage et le conditionnement de divers produits et d'adhésifs utiles dans toutes ces activités économiques. Lorsque l'économie est en plein essor, le volume des amidons destinés à des utilisations non alimentaires augmente. Quand les pays se développent, il en est de même pour la demande d'amidons de qualité, très fonctionnel et à valeur ajoutée.
Manque d'information. Les propriétés physiques et chimiques particulières de chaque amidon sont la clé de leur succès commercial. Une recherche des bases de données de "Food Science and Technology Abstracts" et de "Foods Intelligence" a mis en lumière l'énorme lacune existant entre l'information disponible sur les propriétés physiques des trois grands amidons - blé, maïs et pomme de terre - et l'information sur les amidons tropicaux.
Les publications sur l'igname, le mil, le sorgho et le manioc représentent moins de 12 % du total. Le scénario est le même concernant la recherche sur les propriétés chimiques et sur les modifications des amidons.
L'étude du Service des agro-industries et de gestion après récolte conclut que beaucoup reste à faire concernant les caractéristiques fonctionnelles des amidons tropicaux naturels ou modifiés pour qu'ils deviennent compétitifs. Il faut que la recherche agronomique dans les pays tropicaux - où il n'existe pas une tradition solide de recherche et développement sur la valeur ajoutée - s'oriente vers les caractéristiques du produit qui le rendent plus facile à transformer et plus performant, tels que des racines de même forme ou des peaux minces, faciles à peler. De petits changements dans les ratios amylose/amylopectine peuvent avoir des effets spectaculaires sur une grande variété de caractéristiques fonctionnelles.
Ce sont là des propriétés dont l'utilisateur final a besoin et qu'il est prêt à payer. Si la recherche ne se réoriente pas, aux niveaux national et international, les amidons à valeur ajoutée des pays en développement ont peu de chances de faire remarquer leur présence sur les marchés mondiaux.
Publié en septembre 1998