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2. Le fonctionnement et l’organisation des grands marchés urbains


2.1 Les aménagements et les équipements des marchés
2.2 La gestion des marchés, les statuts et les modes d’occupation par les commerçants
2.3 Les vendeurs et l’activité économique
2.4 L’organisation des marchés et les dynamiques spatiales à l’oeuvre
2.5 Les souhaits des vendeurs des marchés

2.1 Les aménagements et les équipements des marchés


2.1.1 Les équipements publics: un bref rappel historique
2.1.2 L’effectif et la densité des marchés
2.1.3 Les installations de vente et de stockage sur les marchés aujourd’hui
2.1.4 Les caractéristiques physiques de deux exemples types de marchés

2.1.1 Les équipements publics: un bref rappel historique

Des halles anciennes et vétustes, des bâtiments récents peu fonctionnels, des places en nombre insuffisant: telles sont les principales caractéristiques des équipements publics des marchés aujourd’hui.

La halle est le premier équipement, et souvent le seul, ayant été construit sur les marchés centraux. La plupart datent de la période coloniale.

Hormis la halle, la plupart de ces marchés ne comprenait aucun aménagement spécifique en matière d’installations de vente ou de stockage.

Il faut attendre la fin des années 60 et le début des années 70 pour voir la réalisation de nouveaux équipements sur plusieurs marchés centraux. Ils ont concerné en priorité l’aménagement d’emplacements pour les commerçants de produits manufacturés lorsque la configuration du marché s’y prêtait: c’est la vogue des bâtiments à étages, principalement dans les grandes villes côtières (Lomé, Abidjan, Cotonou, Douala, Yaoundé, etc.). Ce type de construction devait répondre aux contraintes d’espace et des nombreuses installations de vente nécessaires au coeur des capitales.

Le rez-de-chaussée de ces bâtiments était généralement conçu pour accueillir un certain nombre de commerçants de produits vivriers (étals maçonnés). Mais ces installations n’ont pas toujours été occupées conformément à leur destination originelle. Dans de nombreux cas, sous la pression de la demande, on y a installé des vendeurs de produits manufacturés qui les ont progressivement transformées (ajouts de tables et présentoirs, grillage, construction de murs en dur autour de l’étal, etc.) pour les adapter à leurs besoins d’exposition, de stockage et, par conséquent, de sécurité.

Si l’on excepte les grands projets de réaménagement récents (marchés de Niamey et de Ouagadougou), les équipements construits depuis les années 70 se sont souvent révélés non fonctionnels, car ils n’étaient que partiels. Ils n’ont, par conséquent, pas pu répondre à la demande croissante de places de vente sur les marchés centraux.

Ils n’ont pu enrayer le développement incontrôlé d’un grand nombre de constructions précaires, d’abord sur les espaces encore non bâtis du marché, ensuite dans les allées intérieures, aboutissant ainsi à la saturation définitive de celui-ci.

Enfin, au cours de la décennie 1980-90, l’occupation anarchique des rues adjacentes du marché par les installations des vendeurs ambulants devient très fréquente: de véritables «marchés parallèles» se créent dont les effectifs peuvent être aussi importants que ceux des marchés centraux.

2.1.2 L’effectif et la densité des marchés

Les chiffres fournis dans ce chapitre concernent neuf grands marchés centraux en Afrique et à Madagascar. L’importance de ces marchés est indiquée au tableau 1, à trois niveaux:

Le plus petit de ces marchés compte quelque 1 300 installations de vente, le plus grand environ 15 500. Quatre marchés sur neuf comptent environ 4 500 points de vente.

Ces marchés couvrent des surfaces très variables, de moins d’un ha à près de 19 ha. Mais la densité des marchés présente toutefois deux situations types: des marchés très denses avec 8 à 9 m2 par vendeur, et des marchés dont la densité est faible avec 14 à 17 m2 par vendeur. Environ un ha de marché dense comprend à peu près de 1 100 à 1 400 vendeurs (tableau 2).

2.1.3 Les installations de vente et de stockage sur les marchés aujourd’hui


2.1.3.1 Des aménagements réalisés en grande partie par les commerçants eux-mêmes
2.1.3.2 Des installations financées dans leur très grande majorité par les commerçants eux-mêmes
2.1.3.3 Des installations de vente en majorité ouvertes
2.1.3.4 Des «installations» ambulantes (tables individuelles et étalages au sol) qui ont envahi tous les espaces interstitiels des marchés

La multiplicité, voire l’hétérogénéité, des installations de vente semblent, à première vue, caractériser les marchés africains. Un examen plus attentif montre qu’en fait, on retrouve toujours les quatre mêmes grandes catégories d’installation de vente, dont le niveau d’équipement est directement fonction du niveau de revenu du commerce considéré. Cette typologie, classée par niveau d’équipement, distingue: les bâtiments clos (boutique, magasin), l’installation délimitée par quatre poteaux, couverte et ouverte (hangar), la table et l’étalage au sol.

Tableau 1. Marchés centraux en Afrique et à Madagascar

Marchés centraux: marchés officiels et marchés réels

Ville:

Bobo-Dioulasso

N’Djamena

Cotonou

Libreville

Antananarivo

Marché:

Marché central

Marché central

Marché au mil

Dantokpa

Mont- Bouët

Analakely

Andravoahangy

Anosibe

Isotry

Officiel

4837

2663

4293

15342

4251

4356




Réel

5332

3895

4693

n.d.

5982

5467

2564

1495

1294

Hypercentre

7234

8588*


n.d.

6682

9179**

3551**


2296**


N.B.:

(*) Hypercentre constitué du marché central et du marché à mil, ainsi que des vendeurs ambulants;

(**) Zoma + jour de foire;

(n.d.) non disponible.

2.1.3.1 Des aménagements réalisés en grande partie par les commerçants eux-mêmes

Les aménagements réalisés par les Autorités gestionnaires des marchés ne représentent qu’une faible part (0 à 30 pour cent) des installations de vente actuelles sur les marchés centraux, à l’exception du Marché central de Bobo-Dioulasso (68 pour cent) qui est l’un des rares à avoir fait l’objet d’un aménagement complet après l’Indépendance.

2.1.3.2 Des installations financées dans leur très grande majorité par les commerçants eux-mêmes

Jusque vers la fin des années 70, la construction des boutiques et des hangars a été laissée le plus souvent à la libre initiative des commerçants. A partir des années 80, à l’occasion de travaux partiels de réaménagement des marchés par le gestionnaire - ou suite aux incendies - les constructions ont dû plus fréquemment respecter un cahier des charges minimum concernant essentiellement la trame des installations de vente, leur alignement, ainsi qu’une certaine sectorisation des produits vendus.

2.1.3.3 Des installations de vente en majorité ouvertes

Les hangars, tables et étalages au sol représentent entre 60 et 80 pour cent du total des installations recensées sur les marchés (tableau 3).

Tableau 2. Effectif des installations et des vendeurs Nombre moyen de vendeurs par installation

AFRIQUE

Ville

Bobo-Dioulasso

N’Djamena

Cotonou

Libreville

Marché

Marché central

Marché central

Marché au mil

Dantokpa nord

Dantokpa sud

Dantokpa nord et sud

Mont- Bouët

Total intallations

4837

2663

4293

13299

2043

15342

4251

Installations en activité

4603

2539

4006

11352

1699

13051

3769

Vendeurs principaux

5440

3259

5325

12115

1838

13953

3884

Vendeurs auxiliaires

919

329

744

4166

680

4846

n.d.

Total actifs

6359

3588

6069

16281

2518

18799

3884

Vendeurs/intallation

1,18

1,28

1,33

1,07

1,08

1,07

1,03

Vendeurs auxiliaires/installation

0,20

0,13

0,19

0,37

0,40

0,37

n.d.

Total actifs/installation

1,38

1,41

1,52

1,44

1,48

1,44

n.d.


MADAGASCAR

Ville

Antananarivo

Marché

Analakelmy

Andravoahangy

Anosibe

Isotry

Jour ordinaire

Foire

Jour ordinaire

Foire

Jour ordinaire

Jour ordinaire

Foire

officiel

réel

Total intallations

3456

5467

9179

2564

3551

1495

1294

2296

Installations en activité

2938

4634

8347

2190

3082

1358

1202

2175

Vendeurs principaux

2938

4634

8347

2190

3082

1358

1202

2175


Tableau 3. Répartition des installations par type

Ville

Bobo-Dioulasso

N’Djamena

Cotonou

Libreville

Antananarivo

Marché

Marché

Marché

Dantokpa

Mont-Bouët

Analakely

Andra-voahangy

Anosibe

Isotry

central

central

au mil

nord et sud

nord

sud

Total installations

4837

2663

4293

15342

13299

2043

4251

3456

2564

1495

1294

Répartition en %

Installations pouvant se fermer

53

39

29

16

16

13

20

25

33

15

15

Hangars

9

20

29

48

47

53

12

0

1

9

0

Tables

24

19

6

26

27

23

63

71

54

47

63

Etalages au sol

14

22

36

10

10

11

5

4

12

29

22

Total

100

100

100

100

100

100

100

100

100

100

100


En conséquence, sur tous les marchés, les vendeurs éprouvent d’énormes besoins de gardiennage et, surtout, d’organisation du stockage temporaire.

2.1.3.4 Des «installations» ambulantes (tables individuelles et étalages au sol) qui ont envahi tous les espaces interstitiels des marchés

Ces installations représentent entre 33 et 50 pour cent du total sur les marchés. La prolifération de ces installations précaires sur les voies de circulation soulève des problèmes considérables d’organisation, d’entretien et de nettoyage des marchés. Voir les tableaux 4 et 5.

2.1.4 Les caractéristiques physiques de deux exemples types de marchés


2.1.4.1 Les marchés «centres commerciaux»
2.1.4.2 Les marchés «zone»

Du point de vue des caractéristiques physiques, on peut classer les grands marchés des villes africaines en deux types: les marchés «centres commerciaux» et les marchés «zone».

2.1.4.1 Les marchés «centres commerciaux»

Ils sont d’origine souvent ancienne et de taille plutôt réduite car ils ont été implantés dans le coeur commercial des cités. Leurs emprises ont été bien circonscrites dès leur création. Ils sont fortement structurés et organisés, le secteur des produits manufacturés domine en nombre de vendeurs, l’activité de gros et de demi-gros dans le vivrier y est réduite (Bobo-Dioulasso, Marché central de N’Djamena, et d’Analakely à Antananarivo).

Ces marchés sont densément bâtis8: les installations fermées (de type boutique) ou hangars en dur y représentent la majorité des installations de vente.

2.1.4.2 Les marchés «zone»

Ils se sont développés spontanément sur de vastes terrains, à l’origine relativement éloignés de l’épicentre marchand de la cité.

Tableau 4. Répartition des installations de vente en installations permanentes (fixes) et mobiles

Ville

Bobo-Dioulasso

N’Djamena

Cotonou

Libreville

Antananarivo

Marché

Marché

Marché

Dantokpa

Mont-Bouët

Analakely

Andra-voahangy

Anosibe

Isotry

central

central

au mil

nord et sud

nord

sud

Total installations

4837

2663

4293

15342

13299

2043

4251

3456

2564

1495

1294

Répartition en %

Permanents

64

64

58

67



50

31

43

31

20

Mobiles

36

36

42

33



50

69

57

69

80

Total

100

100

100

100



100

100

100

100

100

N.B.: (*) y compris les étals en maçonnerie sur certains marchés
Leurs limites n’ayant jamais été définies avec précision, ils se sont étendus de façon anarchique, principalement par adjonction de hangars bricolés et d’installations précaires. Suite à l’urbanisation, ils sont aujourd’hui entourés par des quartiers très peuplés. Du fait de la présence de ces gros marchés, la fonction habitat se transforme progressivement au profit de la fonction commerciale, d’entreposage principalement.

Il faut souligner qu’il existe sur chaque marché des secteurs semblables au type «centre commercial» et d’autres dont le bâti ressemble à celui du marché «zone».

Cette dualité est le reflet de la division entre commerces «riches» (produits manufacturés) et commerces «pauvres» (alimentaire, artisanat, friperie) qui commande à l’organisation spatiale de tous les marchés.

2.2 La gestion des marchés, les statuts et les modes d’occupation par les commerçants


2.2.1 La gestion des marchés
2.2.2 Les statuts et les modes d’utilisation des installations de vente: des enjeux de pouvoir
2.2.3 Les dysfonctionnements

2.2.1 La gestion des marchés


2.2.1.1 La gestion et l’organisation des marchés
2.2.1.2 La contribution des marchés aux finances locales

2.2.1.1 La gestion et l’organisation des marchés

A l’exception de quelques marchés récemment construits ou réhabilités grâce à des financements extérieurs, la plupart des marchés relèvent de la compétence municipale, aussi bien pour l’aménagement et l’entretien que pour le recouvrement des droits de place (régie directe).

L’intervention de la municipalité en matière d’organisation des marchés (et des gares routières) recouvre principalement quatre fonctions:

Tableau 5. Répartition des installations de vente en installations covertes et non couvertes

Ville

Bobo-Dioulasso

N’Djamena

Cotonou

Libreville

Antananarivo

Marché

Marché

Marché

Dantokpa

Mont- Bouët

Anala- kely

Andra- voahangy

Anosibe

Isotry

central

central

au mil

nord et sud

nord

sud

Total installations

4837

2663

4293

15342

13299

2043

4251

3456

2564

1495

1294

Répartition en %

Couverture permanente

69

76

64

70

71

66

51

42

49

40

33

Couverture précaire

9

8

13

9

8

12

30

39

n.d.

n.d.

n.d.

Non couverte

22

16

23

21

21

22

19

19




Total

100

100

100

100

100

100

100

100

100

100

100


N.B.:

Couverture permanente: installations fixes et mobiles sous halle, hangar, bâtiment;


Couverture précaire: installations sous parasol, bâche, secco, etc.


Les services administratifs impliqués:

Comme on l’a noté précédemment en matière d’aménagement et d’entretien, les interventions des communes sont en général très limitées par le manque de moyens techniques et financiers: le bâti est souvent vétuste, les équipements sanitaires sont déficients, voire absents et, de façon générale, l’assainissement des marchés est insuffisant. La maintenance est réduite à sa plus simple expression et, dans la pratique, la gestion des sites des marchés est laissée aux commerçants et à leurs associations.

2.2.1.2 La contribution des marchés aux finances locales

Les municipalités ont vu, au fil des années, leur situation financière se détériorer en raison des charges accrues et des besoins d’équipement et de services que l’accroissement de la population urbaine a généré.

Se sont ajoutées les difficultés financières liées à la diminution des reversements de recettes par l’Etat et à l’unicité de caisse qui occasionne des problèmes de trésorerie à la municipalité9.

Les marchés constituent, a priori, des gisements importants de ressources au travers des loyers, des droits de place et des patentes10. On rappellera ici que les produits du Domaine «ont pour caractéristique d’être les seules ressources gérées en direct par les collectivités locales» (BREEF/CFD, 1994). Ils concernent surtout les services publics marchands (marchés, abattoirs, gares routières).

Dans la réalité, les marchés ne fournissent pas les recettes escomptées, qui ne dépassent que très rarement 10 pour cent des recettes courantes des grandes villes d’Afrique subsaharienne.

Par exemple, les comptes administratifs de la commune de Ouagadougou montrent que les marchés et les gares routières alimentent le budget de la ville à hauteur de FCFA 40 à 50 millions (les marchés représentant FCFA 12 millions). Ce montant équivaut à cinq pour cent des recettes de fonctionnement réelles de la commune.

Les raisons de cette faible contribution financière sont presque toujours les mêmes et combinent plusieurs facteurs:

Cependant, on n’explique pas le faible taux de recouvrement par le seul fait de collecteurs indélicats. On fait quelquefois le constat d’une mise à contribution des commerçants par les communes, lors de certains événements (élections), qui peut se traduire, par exemple, par un allégement de leurs contributions sous forme de droits de place.

Au total, les taux de recouvrement des droits de places dépassent rarement 30 pour cent sur l’ensemble des marchés d’une ville et l’impact sur les finances locales est encore aujourd’hui marginal (tableau 6).

On constate enfin rarement une réelle volonté politique de l’Autorité municipale d’améliorer les ressources financières, d’obtenir des résultats et de se doter des moyens nécessaires, malgré un cadre institutionnel, juridique et comptable peu ou pas adapté.

Les faits observés ne militent pas pour une gestion municipale centralisée des équipements marchands actuels ou futurs. On envisage fréquemment, à l’occasion d’un réaménagement de marché, un mode de gestion en régie directe avec une autonomie financière, ou déléguée. Une troisième voie pour les grands équipements marchands est envisagée également, celle de la concession à une structure mixte (SEM) ou privée. Les quelques exemples de SEM ou de Chambres de commerce assurant la gestion de grands marchés urbains montrent suffisamment quelles sont les dérives qui guettent ce type de gestion dans la mesure où les marchés sont alors utilisés comme centres de profits; les services rendus aux usagers ne sont, la plupart du temps, pas beaucoup plus satisfaisants que ceux des municipalités.

2.2.2 Les statuts et les modes d’utilisation des installations de vente: des enjeux de pouvoir


2.2.2.1 La sous-location et la revente de pas-de-porte
2.2.2.2 La cession
2.2.2.3 La multipropriété
2.2.2.4 Des installations gelées par des particuliers pour leurs besoins de stockage
2.2.2.5 Le partage des installations

«Obtenir une place sur le marché est un obstacle bien plus grand que d’obtenir des marchandises.» (LEWIS et ROBERTSON, 1976).

Ce constat, qui souligne la difficulté pour un commerçant d’avoir d’accès aux marchés centraux, qu’il s’agisse de Dakar, d’Abidjan, de Lomé, d’Accra ou des grands marchés Yorouba à la fin des années 197011 est plus que jamais d’actualité (LEWIS et ROBERTSON, 1976).

Pourtant, la congestion de ces marchés par des vendeurs ambulants «illégaux» donnant à penser que les Autorités ont souvent renoncé à en réguler l’accès sous l’effet de la pression des commerçants, en particulier, et de l’opinion publique, en général, peut sembler paradoxale. En réalité, obtenir une place régulière sur le marché central reste l’objectif premier de tous ces vendeurs «illégaux» très conscients de la précarité de leur situation.

Des mesures restrictives visant à limiter l’entrée «d’outsiders»dans les circuits commerciaux et, de ce fait, sur les marchés, ont toujours existé parmi certaines catégories de commerçants, comme par exemple les interventions des revendeuses de tissus sur les grands marchés de la côte auprès des responsables visant à interdire l’attribution d’une place aux femmes «étrangères» et/ou fonctionnaires (LEWIS, 1976; CORDONNIER, 1987).

Tableau 6. Budget des collectivités locales en Afrique centrale et de l’Ouest (en milliards de FCFA)


Sénégal

Cameroun

Côte d’Ivoire

Burkina Faso

Bénin

Fiscalité partagée

0,7

7,3

0

0,1

0

Dotation en fonctionnement

0

0

3,5

0

0

Fiscalité directe locale

7

5,2

12,3

1,2

1,1

Impôt per capita

1,8

0,8




Taxes foncières

1,8


3,5



Taxes d’habitation






Patentes/licences

3,3

3,0

6,5

1,0


Taxes municipales et produits du domaine

3,1

2,0

4,1

0,4

0,3

Dont marchés

1,9

0,4

2,1

0,1


Autres (dont report)

0,2

10,0

1,7

0,5

0,05

Total

11,0

24,5

21,6

2,2

1,5

Source: BREEF/CFD, 1994.
Mais à ces comportements corporatistes, acceptés comme des règles du jeu inhérentes à la réalisation de certaines activités commerciales, sont venues s’ajouter des pratiques dues à la concurrence exacerbée que se livrent les vendeurs pour obtenir une place sur des marchés déjà saturés. Cette situation a souvent accompagné des changements politiques dans le pays, facteurs qui ont accru d’autant le pouvoir discrétionnaire du gestionnaire dans l’attribution des emplacements au détriment des règles de consultation des associations des commerçants qui prévalaient autrefois, au cas par cas, sur certains marchés12 (CORDONNIER, 1987).

Ceci explique l’opacité qui entoure encore, aujourd’hui, les conditions réelles d’attribution d’un emplacement sur le marché central et dont l’arbitraire est constamment dénoncé par les vendeurs: «Plus de démocratie et d’équité dans la distribution des places», tel est l’un des souhaits majeurs en matière de gestion des marchés.

Les règles d’attribution des places de marché, qui interdisent la sous-location et veulent qu’il n’y ait qu’un attributaire par emplacement et qu’un vendeur ne puisse en cumuler plusieurs, sont partout transgressées. Il n’y a jamais identité entre le nombre d’installations d’un marché et le nombre de vendeurs; de même, la liste d’attributaires que l’on peut trouver auprès de la municipalité n’a qu’un lointain rapport avec la réalité.

2.2.2.1 La sous-location et la revente de pas-de-porte

La sous-location et la revente de pas-de-porte sont des pratiques généralisées sur tous les grands marchés étudiés.

Les installations les plus couramment sous-louées sont les boutiques et les hangars. A Mont-Bouët, on observe une situation assez exceptionnelle: celle de la sous-location généralisée des «stands» (étals maçonnés). La sous-location de ce type d’installation se pratique entre attributaires nationaux «propriétaires non commerçants absentéistes» et commerçants étrangers.

Deux éléments principaux sont à souligner:

Les montants de la sous-location varient fortement suivant le type d’installation, sa localisation et les produits vendus par le sous-locataire, en d’autres termes son chiffre d’affaires potentiel. Ces montants représentent une charge beaucoup plus lourde que le paiement de la redevance mensuelle ou du droit de place.

2.2.2.2 La cession

La cession d’installations est aussi une pratique courante. Elle aurait été particulièrement fréquente entre la fin des années 70 et le début des années 80, dates qui marquent, sur les marchés, l’essor important des vendeurs de produits manufacturés (produits «riches»).

A Bobo-Dioulasso dans les années 80, les montants ne dépassaient pas FCFA 150000 à 300000 selon la taille du hangar ou de la boutique. Aujourd’hui, les sommes sur un marché comme celui de Bobo-Dioulasso s’élèvent à plus d’un million de FCFA pour une boutique bien placée de neuf m2.

Fin 1994, sur le marché de Thiaroye-Gare, la cession d’une «cantine» (boutique) montait à un peu plus d’un million de FCFA.

2.2.2.3 La multipropriété

Il est très courant qu’un vendeur dispose de plusieurs installations de vente à travers des prête-noms. On constate que ces cas de multipropriété concernent exclusivement les commerçants de produits manufacturés à forte valeur ajoutée et les commerçants de produits alimentaires de première nécessité (riz, sucre, farine, sel, etc.).

2.2.2.4 Des installations gelées par des particuliers pour leurs besoins de stockage

Le recours à cette multipropriété est souvent la façon de satisfaire les besoins de locaux de stockage de faible capacité qui caractérisent les marchés, besoins qui ne peuvent être satisfaits par la location d’entrepôts en ville, trop grands ou trop chers.

2.2.2.5 Le partage des installations

La pratique inverse de partage d’une installation par plusieurs vendeurs est tout aussi répandue. Deux causes distinctes sont à l’origine de cette situation: la saturation des marchés et donc l’impossibilité d’obtenir un emplacement, de même que la nécessité de partager les frais d’installation et d’exploitation de l’installation.

2.2.3 Les dysfonctionnements


2.2.3.1 Des marchés vides à l’intérieur
2.2.3.2 Les magasins habitations: les marchés comme lieux de repli

2.2.3.1 Des marchés vides à l’intérieur

La plupart des grands marchés urbains, que l’on désigne habituellement comme sursaturés, présentent toutefois toujours un secteur vide ou sous-occupé à l’intérieur. Il s’agit généralement d’un secteur compris dans la partie du marché aménagée à l’origine par le gestionnaire. Les installations vides fermées ou inoccupées que l’on recense s’expliquent pour diverses raisons:

Les faillites, maladies graves, décès, problèmes politiques ayant entraîné la ruine ou la fuite de commerçants

Ce sont les raisons les plus couramment évoquées de l’inoccupation des installations de vente fermées et/ou vides depuis plusieurs mois, voire (très rarement) depuis quelques années.

Situation ambiguë: théoriquement, toute cessation de l’exploitation commerciale sur le marché devrait être sanctionnée par la réattribution de l’emplacement à un autre commerçant. Dans la pratique, aucune mesure de ce genre ne peut être prise (absence d’un règlement intérieur, pressions multiples qui ne manquent pas de s’exercer sur le gestionnaire lorsque l’installation a été financée et construite par le commerçant, etc.) de telle sorte qu’au pire, la situation reste en l’état, au mieux, une solution est recherchée avec la famille (succession du commerçant ou sous-location de l’installation).

Des aménagements non fonctionnels, des défauts de construction, des problèmes économiques

Hormis ces cas ponctuels, on recense des rangées entières d’installations de vente vides ou très faiblement occupées depuis plusieurs années et ceci dans les secteurs des marchés qui ont fait l’objet d’un aménagement par le gestionnaire.

L’existence de nombreuses installations vides dans ces secteurs peut s’expliquer par un ensemble de raisons dans lesquelles interviennent trois grands problèmes:

2.2.3.2 Les magasins habitations: les marchés comme lieux de repli

On observe qu’une bonne partie des magasins sont en réalité de véritables habitations où résident de façon permanente des ménages (ménages des gardiens, de certaines catégories de grossistes de vivriers, etc.). Ces marchés «zone» présentent ainsi la caractéristique de ne pas fonctionner seulement comme centres de commerce mais aussi comme lieux de repli, de survie et d’habitation pour des familles très démunies de la ville.

La perte de ce type d’habitat sur un marché réaménagé, est une des conséquences dramatiques et redoutées d’un «projet de marché».

2.3 Les vendeurs et l’activité économique


2.3.1 Les comportements des vendeurs et les stratégies commerciales: les effets de la crise
2.3.2 L’activité économique sur les marchés: commerces «riches» et commerces «pauvres»

2.3.1 Les comportements des vendeurs et les stratégies commerciales: les effets de la crise

Les différentes observations faites sur les grands marchés urbains en Afrique et à Madagascar confortent toutes ce même constat: il y a une réelle mutation dans la composition et le comportement de la population des vendeurs des marchés.

Ce qui frappe aujourd’hui dans cette population, c’est bien, d’une part, le nombre croissant d’ambulants itinérants, semi-itinérants et occasionnels et, d’autre part, la forte mobilité spatiale des stratégies commerciales des vendeurs installés.

Les distinctions, opératoires autrefois, entre sédentaires et ambulants, réguliers et occasionnels, deviennent de plus en plus floues; l’image du vendeur à l’étal attendant son client et de l’ambulant se portant au devant de celui-ci, est aujourd’hui totalement brouillée.

Les vendeurs réguliers payant redevance sont prompts à dénoncer la concurrence des ambulants, des occasionnels et des «illégaux» squattant les allées et les abords des marchés, et à exprimer leur regret d’un âge d’or où l’ordre régnait sur les marchés et où chacun était à sa place; mais ces discours véhéments masquent des comportements ambigus: ces vendeurs sont souvent aujourd’hui les premiers à utiliser des ambulants pour écouler plus rapidement leurs marchandises et à se déplacer eux-mêmes sur d’autres marchés régionaux où ils concurrencent, à leur tour, les vendeurs régulièrement installés.

2.3.2 L’activité économique sur les marchés: commerces «riches» et commerces «pauvres»


2.3.2.1 Les commerces de détail
2.3.2.2 L’artisanat et les services
2.3.2.3 Les commerces de gros

On constate une remarquable stabilité de la structure des chiffres d’affaires par catégorie d’activités sur l’ensemble des marchés étudiés.

2.3.2.1 Les commerces de détail

Sur l’ensemble des marchés d’Afrique de l’Ouest, les chiffres d’affaires journaliers des produits vivriers de base (condiments, légumes courants et produits secs) se situent entre FCFA 2000 à 8 000 (Afrique de l’Ouest) et entre FCFA 10000 à 20000 (Libreville).

Le commerce général alimentaire génère un chiffre d’affaires deux à trois fois supérieur à celui du vivrier. Les bouchers sont les mieux lotis avec des chiffres d’affaires qui varient entre FCFA 25000 et 40000 selon les pays.

Dans le commerce des produits vivriers de gros comme de détail, les marges commerciales sont très limitées. Elles sont particulièrement faibles pour les toutes petites détaillantes qui forment la grande majorité des vendeuses. La marge brute se situe entre FCFA 500 et 1 000. Le bénéfice net, une fois déduits les coûts d’exercice de l’activité sur le marché, ne dépasse pas FCFA 500 à 700 par jour.

Pour les produits manufacturés, les chiffres d’affaires se situent entre FCFA 10 000 et 30 000 par jour en Afrique de l’Ouest et entre FCFA 20000 et 40000 au Gabon.

Les marges des commerçants de produits manufacturés sont très difficiles à saisir étant donné la multiplicité des sources d’approvisionnement et le poids des circuits de fraude. Ces derniers permettent d’ailleurs aux commerçants d’abaisser leurs prix et de garder ainsi un volume de vente suffisant bien plus que d’augmenter leurs marges. Sur des produits comme les pagnes de luxe (Wax de Hollande ou d’Angleterre), les marges se seraient considérablement réduites ces dernières années (pas plus de cinq pour cent du chiffre d’affaires comme bénéfice net).

On note que, sur tous les marchés, les chiffres d’affaires les plus faibles pour les produits manufacturés s’observent dans les commerces de friperie et d’articles artisanaux à usage domestique.

2.3.2.2 L’artisanat et les services

A l’exception de la restauration (les gargotes), ces activités génèrent les chiffres d’affaires les plus bas de tous les marchés: de FCFA 3000 à 5000 en Afrique de l’Ouest, et de FCFA 12000 à 15000 à Libreville.

2.3.2.3 Les commerces de gros

Dans le commerce de gros on observe, selon les catégories de produits, la même dispersion des chiffres d’affaires que pour les commerces de détail. Les relevés sur les marchés montrent que les grossistes ont un chiffre d’affaires de huit à dix fois supérieur pour un produit donné (vivrier ou manufacturé) à celui du détaillant correspondant.

D’une manière générale, les vendeurs soulignent tous la baisse de leurs chiffres d’affaires depuis ces cinq dernières années. La crise économique se répercute surtout sur les commerces les plus pauvres, comme les produits vivriers et les tout petits artisans; elle entraîne une réduction de leurs marges à la limite de la survie.

Le tableau 7 résume les chiffres d’affaires quotidiens, en FCFA, observés en Afrique centrale et occidentale (Libreville exceptée).

Tableau 7. Chiffres d’affaires journaliers en Afrique centrale et de l’Ouest (FCFA)


Détail

Gros

Vivriers

2000 - 8000

20000 - 80000

Produits alimentaires

11000 - 28000

60000 - 90000

Produits manufacturés

10000 - 30000

80000 - 1400000

2.4 L’organisation des marchés et les dynamiques spatiales à l’oeuvre


2.4.1 Des services inexistants ou largement insuffisants palliés par les vendeurs
2.4.2 Le coût de l’exercice de l’activité sur les marchés
2.4.3 La dynamique d’occupation spatiale

2.4.1 Des services inexistants ou largement insuffisants palliés par les vendeurs


2.4.1.1 La sécurité et le gardiennage
2.4.1.2 L’approvisionnement en eau: marchands d’eau et branchements privés
2.4.1.3 L’entretien, le nettoyage et l’enlèvement des ordures
2.4.1.4 Les équipements sanitaires
2.4.1.5 Un besoin permanent sur tous les marchés: le stockage des invendus; un service adapté: le stockage à façon
2.4.1.6 Un service omniprésent sur tous les marchés: la restauration

On examinera dans ce chapitre comment les vendeurs s’organisent pour exercer leurs activités, comment ils pallient la défaillance des services qui devraient normalement leur être fournis par l’Autorité du marché (eau, latrines, éclairage, stockage, nettoyage et sécurité, etc.) et ce qu’il leur en coûte.

2.4.1.1 La sécurité et le gardiennage

En règle générale, la sécurité des personnes et le gardiennage des marchandises ne sont, de fait, jamais assurés par le gestionnaire des marchés ou les pouvoirs publics. Les vendeurs se sont organisés en conséquence.

La sécurité

L’insécurité est devenue un problème majeur sur nombre de marchés, en particulier pour les grossistes qui manipulent de grosses sommes d’argent et dont l’activité se déroule souvent à la tombée de la nuit ou à l’aube, dans des zones généralement mal éclairées. Il faut dire que ce phénomène a pris une certaine ampleur sur les marchés d’Antananarivo et de Conakry. On assiste ainsi, sur certains marchés d’Antananarivo, à l’organisation par les grossistes de véritables corps d’agents de sécurité rémunérés et recrutés parmi les porteurs. A Conakry, ce sont les détaillants de produits de haute valeur (hi-fi, radios, télévisions) du marché Niger, par exemple, qui entretiennent une milice permanente pour la protection des clients.

Le gardiennage des marchandises

Sur tous les marchés, l’emploi d’un gardien est la règle pour les commerçants installés dans une boutique ou dans un hangar, et est même assez fréquent chez les vendeurs disposant d’une table. Le coût du gardiennage est très souvent partagé entre plusieurs vendeurs. Le montant de la rémunération varie suivant la valeur des marchandises à garder et les services complémentaires qui peuvent lui être demandés (nettoyage).

Ce gardiennage privé semble insuffisant et tous les commerçants se plaignent du développement des vols, de nuit comme de jour.

2.4.1.2 L’approvisionnement en eau: marchands d’eau et branchements privés

L’eau est nécessaire à tous les vendeurs pour la boisson, le nettoyage et le rafraîchissement des légumes, le nettoyage des stalles des bouchers et des vendeuses de poisson frais, etc.

Les points d’eau sur les marchés sont inexistants ou ne fonctionnent plus. L’approvisionnement des usagers se fait par porteurs d’eau ou en achetant l’eau de branchements privés (souvent pirates). La diversité des situations rencontrées entraîne de fortes variations du prix d’achat de l’eau.

2.4.1.3 L’entretien, le nettoyage et l’enlèvement des ordures

Un nettoyage intérieur des marchés est, dans presque tous les cas, assuré par l’Autorité du marché, mais toujours de façon très insuffisante. Les vendeurs pallient, dans la mesure du possible, l’insuffisance de ce service en recourant à un aide familial qui est chargé de faire le nettoyage de la place très tôt le matin. Si le nettoyage pose peu de problèmes pour les vendeurs de produits manufacturés, en revanche, les commerces produisant beaucoup de déchets (les produits vivriers et surtout la boucherie) ont beaucoup plus de mal à atteindre un niveau minimal d’hygiène.

2.4.1.4 Les équipements sanitaires

Presque tous les marchés sont équipés de latrines (à l’exception bien connue des marchés de N’Djamena) dont l’état est plus ou moins satisfaisant. Elles sont, de toute façon, toujours en nombre insuffisant et chères.

2.4.1.5 Un besoin permanent sur tous les marchés: le stockage des invendus; un service adapté: le stockage à façon

Sur tous les marchés fonctionnent des systèmes de gardiennage et de stockage temporaire (à façon) mis en place et assurés par les commerçants. Ils consistent en réseaux d’installations dans lesquels les commerçants viennent déposer le soir leur marchandise contre paiement d’un loyer calculé à la journée ou au mois et dont le montant est indexé sur la valeur de la marchandise. Ces installations sont le plus souvent des constructions fermées (boutiques, magasins), mais on rencontre aussi des «gardiens à façon» installés sous des hangars ou autour des marchés dans les installations des particuliers.

Ce besoin, que l’on retrouve sur tous les marchés, n’a jamais été organisé ni même identifié à l’exception notable du marché Dantokpa où le gestionnaire a construit un certain nombre d’entrepôts à cet effet, mais dont la gestion est confiée à des privés.

Pour le cas particulier des bouchers et des vendeurs de poisson se développe un stockage à façon de bahuts congélateurs détenus par des commerçants. Ils sont encore en nombre insuffisant et pratiquent souvent des tarifs élevés. On note que les quelques chambres froides qui ont pu être construites sur les marchés par le gestionnaire ne fonctionnent pas ou très mal.

2.4.1.6 Un service omniprésent sur tous les marchés: la restauration

Les gargotes des marchés qui ont pour clients tous les usagers (vendeurs et acheteurs), sont devenues les cantines des travailleurs des quartiers environnants et sont aussi les seuls endroits, comme à Antananarivo par exemple, où peuvent s’approvisionner les ménages très démunis.

Ces services sont indispensables sur les marchés mais leur présence pose un certain nombre de problèmes de sécurité anti-incendie qu’il faut résoudre.

2.4.2 Le coût de l’exercice de l’activité sur les marchés


2.4.2.1 Les droits de place
2.4.2.2 Le récapitulatif des coûts par marché

On fera ci-après le récapitulatif de tous les coûts que doit payer le vendeur pour exercer son activité dans l’enceinte d’un marché. Ces coûts comprennent la rémunération des services ci-dessus et la redevance ou droits de place prélevés par le gestionnaire du marché.

2.4.2.1 Les droits de place

On observe deux modes de paiement pour l’occupation d’un emplacement sur les marchés: la location mensuelle et le paiement journalier.

La location mensuelle

Sur tous les marchés, la location mensuelle concerne d’abord les commerçants installés dans une boutique, qu’il s’agisse d’une installation construite à leurs frais ou non. Les tarifs ont une progression plus ou moins corrélée avec la surface occupée. On s’aperçoit que l’échelle adoptée avantage en général presque toujours les grandes installations, sauf lorsqu’il existe un recensement systématique des surfaces, ce qui est très rare.

En principe, l’autorisation d’occupation d’un emplacement sur le domaine privé de l’Etat ou de la commune donne droit, une fois les différentes taxes payées, à la délivrance d’une carte de commerçant et à l’attribution d’un numéro apposé sur la boutique ou sur le hangar. La carte de commerçant est surtout utilisée pour l’établissement des patentes et de l’impôt sur les Bénéfices industriels commerciaux (BIC). Les commerçants s’acquittant mensuellement de la location font toujours l’objet d’un recensement. Les documents existants contiennent rarement des informations sur l’identité du commerçant, ses activités, les surfaces occupées, etc. De plus, n’étant pas régulièrement mis à jour, ils ne permettent pas de suivre l’évolution de la situation des marchés (notamment la détermination des retardataires redevables).

Le droit de place journalier

Le paiement journalier s’effectue contre remise d’un ticket. Les tarifs pratiquent généralement une différence selon les catégories de vendeurs: entre ambulants et sédentaires (tous les marchés), commerçants de vivriers et manufacturés, «grosses» revendeuses et petites détaillantes de vivriers, manufacturé «riche» ou «pauvre» (fripier) (Mont-Bouët, Dantokpa), selon le type d’installation: précaire, table ou barnum (Antananarivo), et selon la surface et le type de marchandises au sol, matériaux de construction ou bassines (N’Djamena), etc.

Des critères aussi raffinés de différenciation des vendeurs non sédentaires étant forcément difficiles à appliquer, la multiplicité des tarifs ouvre la porte à tous les procédés arbitraires au gré des rapports de force entre collecteurs et vendeurs. La situation la plus courante observée sur de nombreux marchés est bien évidemment celle du paiement du droit de place journalier sans que le collecteur ne remette le ticket en contrepartie, le vendeur ne pouvant pas le lui réclamer.

La mise en place d’une nouvelle équipe de collecteurs honnêtes est la première des revendications des commerçants lorsque, à l’occasion d’un change-ment de régime, il leur est possible de se faire entendre du gestionnaire des marchés.

A Cotonou, ce fut, avec la réduction des tarifs exorbitants de la période Kérékou, l’une des raisons majeures de la marche des commerçantes sur le Palais présidentiel en 1991.

2.4.2.2 Le récapitulatif des coûts par marché

Le tableau 8 récapitule les coûts que doivent supporter les vendeurs pour exercer leurs activités sur les marchés. On a choisi deux catégories de détaillants: les vendeuses de produits vivriers et les commerçants de produits manufacturés. Les données chiffrées retenues correspondent à des chiffres d’affaires moyens (voir le chapitre ci-dessus).

Les détaillants de produits manufacturés

On a retenu une marge d’environ 25 pour cent en Afrique de l’Ouest et de 30 pour cent pour Libreville. Cette marge est très variable selon les sources d’approvisionnement: l’exemple du commerce des pièces détachées à Korhogo montre que, dans les circuits de la contrebande, la marge varie de 21 pour cent si les vendeurs du grand marché passent par les grossistes de la place, à 33 pour cent s’ils se risquent eux-mêmes à s’approvisionner directement au Mali; leur marge, en revanche, n’est que de 10 pour cent s’ils achètent les pièces dans le circuit officiel (LABAZEE, 1993). On rappellera que l’essentiel des produits manufacturés arrivant sur les marchés proviennent des circuits d’échanges transfrontaliers non contrôlés.

Les détaillantes de produits vivriers

On a retenu une marge d’environ 20 à 25 pour cent du chiffre d’affaires pour les petites détaillantes de produits vivriers, sur la base des résultats des enquêtes menées auprès de ces commerçantes et de leurs principaux fournisseurs (grossistes et semi-grossistes des marchés).

Dans tous les cas, il s’agit de la marge brute, les coûts d’acheminement (portage ou pousse-pousse) sur le marché même n’étant pas déduits. La toute petite détaillante assure elle-même le portage de sa marchandise, depuis les zones de déchargement ou de stockage des grossistes jusqu’à son emplacement sur le marché, mais dès qu’il s’agit d’un achat entre 50 et une centaine de kg, le recours à une main-d’oeuvre est indispensable. La rénumération d’un porteur sur les marchés d’Afrique de l’Ouest est de FCFA 25 à 100 le trajet et le poids de la marchandise de FCFA 50 à 100, s’il s’agit d’un pousse-pousse. A Libreville, l’acheminement des produits vivriers se fait exclusivement en brouette: les tarifs du «brouettier» sont de FCFA 100 à 200 le trajet, selon le poids des marchandises.

Les coûts de portage ne concernent pas seulement l’acheminement des marchandises depuis le lieu d’achat jusqu’à l’emplacement de vente. Ils représentent aussi un des postes de dépenses des systèmes de stockage à façon auxquels ont largement recours les vendeurs des marchés (voir ci-dessus). Le budget «stockage à façon» peut être, en définitive, supérieur à celui de l’emploi d’un gardien en groupe.

Le dernier point à souligner concerne la marge brute avant impôt (patente, BIC). Sur les marchés étudiés, les commerçants de produits manufacturés et une partie des artisans (tailleurs, menuisiers) paient assez fréquemment la patente. Pour les vendeuses de produits vivriers, c’est très variable selon les produits et surtout les pays. Le paiement de la patente semble généralisé pour les commerçantes de vivriers à Libreville, assez fréquent à Cotonou et à Antananarivo. Sur les marchés soudano-sahéliens, c’est très rare. Les coûts retenus nous paraissent pour ces différentes raisons un strict minimum.

Tableau 8. Coût de l’exercice d’activités sur les marchés (FCFA)


BOBO-DIOULASSO

N’DJAMENA

COTONOU

LIBREVILLE

Marché central

Marché central

Dantokpa

Mont-Bouët

V

M

V

M

V

M

V

M

Postes de charge









Gardien

25

100

50

140

25

100

100

166

Eau

25

25

25

25

25

25

100

100

Latrines

38

38



38

50

100

200

Nettoyage

25



25

25


50


Droit de place

25

67

25

120

25

93

500

1000

Sous-location


200

50

250



666


Total charges

138

430

150

560

138

268

1516

1466

Chiffre d’affaires

3000

15000

2200

20000

3800

15000

20000

4000

Marge brute

750

3750

652

5600

950

3750

5000

11200

Charges/marge brute

18%

11%

23%

10%

15%

7%

30%

13%

Charges/marge brute (hors sous-location)

18%

6%

15%

6%

15%

7%

17%

13%


Les charges rapportées à la marge brute représentent, selon les pays, sept à 15 pour cent pour les vendeurs de produits manufacturés et 15 à 30 pour cent pour les produits vivriers.

Un des facteurs importants de renchérissement des coûts est la sous-location. Comme on l’a vu, elle est en général largement supérieure au droit de place payé par les commerçants. On comprend pourquoi les vendeuses de vivriers, sous-locataires de stands à Mont-Bouët (Libreville), ont choisi de «sortir» du marché, la crise ayant laminé leurs marges.

On remarquera que le droit de place n’est pas le poste de dépenses le plus élevé, excepté pour Libreville où ces droits de place correspondent manifestement à la période faste durant laquelle les marges des commerçants étaient beaucoup plus élevées.

On notera encore, qu’au titre des dépenses quotidiennes pour l’exercice de l’activité sur le marché, les vendeurs donnent spontanément leurs dépenses de nourriture et/ou celles de l’aide revendeur. Le prix du «plat» s’élève entre FCFA 100 et 200 dans les villes bon marché (Bobo-Dioulasso et Cotonou), autour de FCFA 500 à N’Djamena et entre FCFA 500 et 1000 à Libreville.

2.4.3 La dynamique d’occupation spatiale


2.4.3.1 La division entre commerces riches et pauvres commande à l’organisation spatiale des marchés
2.4.3.2 Le refoulement des activités de gros de produits vivriers

2.4.3.1 La division entre commerces riches et pauvres commande à l’organisation spatiale des marchés

C’est une situation générale sur tous les marchés.

Cette dynamique qui consiste en «l’expulsion progressive» des vendeurs de produits vivriers par les vendeurs de produits manufacturés est présente sur tous les marchés observés. Elle a entraîné de profondes mutations ces dix dernières années dans la physionomie et le fonctionnement des marchés.

Le mouvement d’occupation par les commerces de produits manufacturés se réalise en plusieurs étapes.

Dans un premier temps, les commerces de produits manufacturés occupent les installations fermées de type boutique, le vivrier - «le marché des femmes» - occupant les secteurs peu ou pas du tout équipés (au mieux quelques hangars, le plus souvent un espace nu). On observe une première transformation des secteurs vivriers par l’édification ici et là d’installations fermées. Cette transformation s’effectue par le jeu de cessions d’emplacements, plus rarement de sous-locations entre vendeuses de vivriers et commerçants de marchandises générales dont les moyens financiers sont nettement supérieurs.

Les produits vivriers sont alors progressivement refoulés dans les allées de circulation et repoussés dans les secteurs généralement les moins fréquentés du marché. Les problèmes de circulation, d’accessibilité et d’achalandage dont souffrent ces zones entraînent ces mouvements de navettes entre l’extérieur et l’intérieur que l’on observe de la part de nombreuses détaillantes de vivriers; cette turbulence est elle-même propice au grignotage de ces derniers emplacements par les commerces de produits manufacturés.

Lorsqu’il s’agit des rapports entre vendeurs de produits manufacturés et vendeuses de vivriers, la faiblesse des secondes est évidente. Souvent femmes de producteurs maraîchers ou petites commerçantes, leurs besoins de trésorerie les ont conduites à revendre leur emplacement aux vendeurs de produits manufacturés. D’autres encore, plutôt que de subir la concurrence des vendeuses à la sauvette installées sur les pourtours des marchés, ont préféré monnayer leur départ.

La situation doit être analysée à la lumière des rapports de force qui se jouent, non seulement au sein des marchés centraux entre différentes catégories de vendeurs selon les produits, mais aussi entre des commerçants dont les relations avec les appareils d’Etat et les stratégies sociales avec les classes au pouvoir fondent les différences et les alliances selon les périodes politiques. Il s’agit d’un conflit entre une dynamique de capital, de réseaux d’alliances et de crédits personnalisés.

Ces rapports de pouvoir marquent aussi les positions respectives sur les marchés des «nouveaux riches» (les commerçants de denrées alimentaires de première nécessité) et des tenants des anciens réseaux d’approvisionnement des capitales (grossistes de vivriers).

Dans les deux cas, les détaillantes comme les grossistes de vivriers voient leur espace se réduire de plus en plus.

On observe de ce fait une très nette coupure entre la zone des produits manufacturés et celle des produits vivriers.

Les secteurs à forte valeur ajoutée

Ce sont les secteurs des commerces de produits manufacturés riches et des commerces de denrées alimentaires (riz, farine et sucre).

Sur tous les marchés, certains secteurs réunissent les commerces à valeur ajoutée élevée ou à forte rotation des stocks, à savoir les commerces riches. On y relève les chiffres d’affaires les plus élevés.

Ces secteurs présentent, du point de vue du bâti, un aspect très caractéristique: boutiques soignées, allées entretenues, marchandises souvent de qualité et très grande propreté des parcours. Tous ces éléments en font une zone d’activités qui s’inscrit logiquement dans un centre urbain commercial et tertiaire «moderne». Ils bénéficient des meilleures conditions d’accès et attirent de ce fait le maximum de clients. Mais les abords de ces secteurs cumulent aussi embouteillage, prolifération de vendeurs ambulants et de commerces à la sauvette, ce qui ajoute encore à l’impression de dynamisme économique. Ils bénéficient de l’effet d’entraînement créé par le développement à proximité de zones de stockage et d’entreposage des grands produits de nécessité ou des produits manufacturés importés.

L’importance des affaires qui s’y traitent font bien de cette partie le coeur économique et financier de tout le quartier marché.

Les secteurs marginalisés spatialement et économiquement, les commerces à faible valeur ajoutée

Ce sont les zones des produits vivriers, des artisans, de certains services, des vendeurs de produits manufacturés de faible valeur comme l’équipement domestique: tous commerces dits «pauvres».

Ce sont les zones où les chiffres d’affaires sont les plus faibles, où les conditions d’exercice des activités sont les plus médiocres. Elles cristallisent la plupart des problèmes de fonctionnement du marché central: mauvaise accessibilité, conditions physiques dégradées, conditions sanitaires très médiocres, état du bâti vétuste.

Dans ces zones excentrées s’étaient autrefois repliés, vers le milieu des années 80, les grossistes de produits vivriers, parfois de bois et charbon, etc. Premiers occupants, ils disposaient de suffisamment d’espace (N’Djamena, Dantokpa). Dès la fin 80, ils ont été à leur tour progressivement envahis par les petits détaillants refoulés par les produits «riches».

En conclusion, aujourd’hui, les produits manufacturés occupent partout la plus grande partie de l’emprise des marchés, l’alimentaire étant réduit à la portion congrue. Le véritable marché alimentaire aujourd’hui en Afrique s’exerce dehors, dans les rues autour du marché.

2.4.3.2 Le refoulement des activités de gros de produits vivriers

L’expulsion des grossistes de produits vivriers ou leur refoulement dans les secteurs les plus excentrés a plusieurs causes.

Fonctionnelles, certes, compte tenu du développement des volumes commercialisés des grands produits vivriers traditionnels et du développement de nouvelles filières (légumes et fruits notamment); les grossistes ont été logiquement conduits à chercher des emplacements ayant un accès plus direct aux voies de circulation, à s’installer là où la place existait encore (zones excentrées) ou tout simplement à s’organiser sur la voirie parce qu’aucun emplacement n’avait jamais été prévu pour eux (les grossistes collectrices de légumes).

Lorsque le gros subsiste sur le marché, c’est «coincé» sur une étroite bande de terrain, comme dans le cas du Marché au mil, ou relégué dans les zones insalubres, comme sur le marché Dantokpa à Cotonou ou Anosibe à Antananarivo, ou plus caricatural encore, totalement enclavé dans un secteur prévu et équipé en conséquence pour des petites détaillantes, comme à Libreville sur le marché Mont-Bouët, obligeant les grossistes à des acrobaties pour faire tenir des piles de sacs sur des étals en ciment!

Dans certains cas, les grossistes ont demandé eux-mêmes directement aux Autorités de leur trouver un emplacement plus adéquat. C’est le cas des grossistes de fruits et tubercules anciennement installés sur le Marché central à Bobo-Dioulasso ou des gros-sistes de légumes exerçant sur la chaussée à côté de ce marché.

Le résultat est significatif de l’importance qui est accordée à cette profession: les grossistes ont été installés sur un vaste emplacement destiné, au départ, exclusivement au marché de gros de fruits et tubercules. Cinq ans après leur déplacement, la construction de la nouvelle gare routière voyageurs de Bobo-Dioulasso absorbait la quasi-totalité du terrain du marché, repoussant les grossistes à son extrémité et les contraignant à opérer en grande partie sur la voie publique. Quant aux femmes petits grossistes de légumes, le terrain qui leur avait été proposé était si loin du centre-ville (bien plus loin que le marché de gros des tubercules) qu’elles décidèrent de rester dans la rue à côté du Marché central et d’engager l’épreuve de force avec les Autorités municipales.

L’expulsion progressive des grossistes de vivriers des marchés, d’une part, mais aussi le peu d’intérêt que suscite la question de l’amélioration de leurs conditions de travail, d’autre part (en dehors de la solution toujours évoquée de leur délocalisation à l’extérieur de la ville, traitée au chapitre suivant), traduisent très clairement leur peu de «poids» dans les rapports de pouvoir actuels en Afrique.

2.5 Les souhaits des vendeurs des marchés

Les souhaits des commerçants, en matière de services et d’équipements, ont été systématiquement recueillis au cour des différentes études socio-économiques, préalables au réaménagement des marchés, menées sur différents grands marchés d’Afrique et de Madagascar13. Ils concernaient un ensemble varié de thèmes: équipements, services, installations souhaitées, regroupements préférentiels des produits, tarification, localisation pendant les travaux, etc. Ces souhaits étaient, bien entendu, fonction de la situation spécifique du marché et du projet envisagé.

Il apparaît qu’au-delà de la diversité des situations étudiées, certaines grandes préoccupations communes aux usagers des marchés émergent avec force et demandent à être soulignées.

Les souhaits sont apparemment très simples, le premier étant de pouvoir avoir une place sur le marché.

Mais ceci est loin d’être acquis pour toutes sortes de vendeurs, selon leur statut et leur catégorie d’activité, leur ethnie, leur nationalité et leur situation dans le secteur informel.

Les facteurs d’exclusion sont innombrables et jouent à plein dans la situation d’un réaménagement de marché.

S’ils obtiennent une place, le second souhait des commerçants est de pouvoir payer la redevance, ce qui est loin d’être acquis pour les commerces les plus pauvres et les artisans.

Si, aujourd’hui, la plupart de ces marchés sont des marchés polyvalents où chacun a malgré tout une chance d’entrer, il est clair qu’un réaménagement, qui a toujours pour conséquence d’augmenter les droits de place, risquerait d’entraîner l’exclusion de ces commerces pauvres pour les rejeter vraisemblablement à la périphérie immédiate du marché, voire, comme dans le cas des artisans, à la périphérie de la ville. De nombreux acteurs de ces marchés sont bien conscients de ce problème.

Leur troisième souhait est de disposer des trois services suivants:

Leur quatrième souhait est celui d’être dans un marché couvert.

La protection contre la pluie et le soleil passe avant toute autre considération relative aux équipements de vente.

Quant aux besoins prioritaires exprimés par les grossistes de produits vivriers, ils sont de deux types:

Aux revendications mentionnées ci-dessus s’ajoute le souhait général de disposer de structures simples, qu’ils sont en général disposés à aménager et à financer eux-mêmes selon un cahier des charges précis. Le site d’implantation du marché de gros est enfin une question qui demande à être concertée avec ces opérateurs.

Enfin, une information plus large et plus régulière sur les objectifs et le contenu du projet de réaménagement du marché est la demande constamment émise par tous les vendeurs. Cette demande d’informations concerne notamment des points tels que:

Il faut souligner, pour finir, que les vendeurs des marchés demandent toujours à être étroitement associés à l’organisation interne et à la gestion de leur marché.


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