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2. Le contexte urbain africain actuel et les défis pour les SADA


2.1 - Importance de l’urbanisation et ses conséquences
2.2 - Pauvreté et conditions de vie
2.3 - Instabilité socio-économique et politique

2.1 - Importance de l’urbanisation et ses conséquences


2.1.1 - Un nouveau consommateur urbain?
2.1.2 - Des réseaux de distribution élargis

En Afrique de l’ouest, la population urbaine qui était de 14 pour cent en 1960, est actuellement de 40 pour cent du total de la population et serait de 63 pour cent en 2020. La différenciation est cependant importante entre les pays: le Mali, le Niger et le Tchad se situaient en 1990 à environ 15-20 pour cent de populations urbaines, alors que le Sénégal ou le Nigeria étaient déjà à 50 pour cent. Mais quel que soit le pays, la progression serait forte: de l’ordre de 4 à 6 pour cent par an d’ici l’an 2020.

La croissance des villes est un facteur puissant de développement, mais la croissance urbaine trop rapide est un facteur d’instabilité. A partir d’un certain seuil de progression, le fait urbain finit par générer l’exclusion et des poches de pauvreté de plus en plus résistantes. Ces poches, à la longue quasi irréductibles, sont des ferments d’insécurité et de coûts sociaux considérables, qui sont parfois de nature à remettre en cause les acquis urbains. Comment les villes peuvent-elles raisonnablement absorber un tel afflux de population tout en leur assurant un emploi? Il paraît raisonnable de tenter de freiner la migration des campagnes qui ne fait qu’accentuer la gravité du problème urbain. On ne peut le faire qu’au prix de politiques de développement agricoles novatrices. La pauvreté urbaine se nourrit de la pauvreté rurale; de la même façon, le progrès urbain se nourrit du progrès rural.

Cinq stratégies ont été suivies dans différents pays d’Afrique pour endiguer ce flux migratoire: le contrôle strict ou l’interdiction pure et simple de l’immigration dans les villes (République Sud-Africaine); le retour forcé dans les régions rurales (Mozambique); l’urbanisation dispersée (Nigeria); la décentralisation par la promotion des villes moyennes et le développement des régions (Zambie, Algérie); la création de nouvelles capitales (Nigeria, Tanzanie). Mais aucun de ces scénarios n’a été réellement probant. L’une des solutions les plus efficaces et les plus durables serait de redonner vie et goût de vivre à la campagne. Avec la revalorisation du travail agricole, l’exode se tarirait quelque peu.

Les causes de cette urbanisation accélérée sont multiples (Pérennes, 1994):

Le plus souvent, ces croissances urbaines ne sont pas maîtrisées; elles se sont faites de manière anarchique et illégale. Les principales conséquences en sont l’insalubrité, la pollution de l’air et de l’eau, l’accumulation des déchets, l’insécurité et la délinquance. L’Etat éprouve des difficultés à jouer son rôle dans ces conditions. Cette image négative de la ville dans les pays en développement fait oublier qu’en Occident la ville a joué un rôle moteur majeur car elle favorise le commerce, permet le recueil et la diffusion de l’information, elle est un lieu d’accumulation du capital et des richesses et a eu un effet dynamisant sur les campagnes. En Afrique, la ville semble jouer un rôle inverse: elle puise les énergies des campagnes. La main-d’oeuvre rurale la plus jeune et la plus qualifiée va vers la ville. Mais cette marée humaine sous-employée et peu productive nécessite des aménagements urbains à coûts élevés, peu gérés et vite dégradés. L’aménagement urbain se fait au détriment des infrastructures dans les campagnes, préalables à tout essor économique.

L’accroissement des populations urbaines a entraîné le développement de villes ou de quartiers satellites (Pikine, Grand Yoff au Sénégal), de plus en plus distants du centre-ville et des grands marchés traditionnels. Ceci entraîne l’apparition spontanée de marchés locaux avec son cortège de problèmes. Par ailleurs, l’éloignement des zones d’habitat par rapport à celles du travail et les difficultés de transport en commun, ont considérablement renforcé le problème de l’alimentation en milieu de journée pour la majorité des travailleurs salariés et non salariés.

Le phénomène urbain ne comporte pas que des désavantages; son accélération est source d’inquiétude car il faut rapidement drainer des flux croissants de marchandises vers ces points de concentration et organiser la distribution interne aux villes. Toutefois, ce phénomène est une chance pour la dynamique de l’agriculture et du commerce car il assure un marché stable. La demande autrefois rurale, diffuse, fluctuante n’était pas structurante. Aujourd’hui, il y a garantie de débouchés pour des quantités et des qualités stables, voire croissantes. Sans marché, il ne peut pas y avoir dynamisation du système.

2.1.1 - Un nouveau consommateur urbain?

Le consommateur urbain est relativement statique dans son comportement alimentaire. L’une des raisons essentielles est la trop rapide urbanisation. Les urbains actuels sont seulement de première ou de deuxième génération. Or, les changements sociaux et culturels sont lents en matière d’alimentation. Il a pu être constaté que dans certaines villes africaines, plusieurs modèles socioculturels coexistent (BRICAS, 1996):

La population urbaine n’est pas segmentée entre ces différents modèles. Chacun des individus les incorpore et les active tour à tour selon les moments de la journée ou de la semaine.

Les constats et les avis sont partagés quant au poids relatif d’aliments d’importation dans la ration alimentaire. Selon certains, dans les régions urbaines, la consommation et la distribution d’aliments et boissons traditionnels vont en diminuant. Toutefois, la composition de l’alimentation continue de ressembler partiellement à celle des zones rurales. L’urbanisation est liée au développement d’habitudes alimentaires basées sur des produits importés (pain, biscuits, confiseries, viande et poisson en conserve, lait condensé sucré, cubes d’extrait de viande, sauce tomate en conserve, bière et boissons non alcoolisées). La plupart de ces aliments sont maintenant produits sur place, toutefois, les matières premières nécessaires proviennent en grande partie d’importations étrangères. Pourquoi le citadin a-t-il besoin d’aliments importés? Le consommateur urbain souhaite des aliments faciles à préparer en vue d’économiser du temps et du combustible. Les citadins pauvres réclament une nourriture bon marché. Les politiques d’alimentation urbaine ont été basées sur des produits d’importation souvent moins chers que les produits locaux ainsi que sur l’aide alimentaire. Enfin, les communautés expatriées et une classe moyenne naissante ont créé une demande de produits élaborés. D’autres constatent que les produits vivriers locaux sont importants dans la ration alimentaire, les produits importés sont faibles (notamment à Cotonou). Les produits transformés locaux sont fréquemment adaptés au mode de vie urbain ( BRICAS et THUILLER-CERDAN, 1996).

L’alimentation industrielle a trouvé une place au sein de la nourriture traditionnelle parmi les citadins aux revenus moyens et élevés. A Ouagadougou par exemple, les dépenses alimentaires occupent une place prédominante (40 pour cent en moyenne) dans les dépenses monétaires (SAVANE, 1992). Les dépenses en produits alimentaires industriels représentent 16 pour cent des dépenses alimentaires, ce qui n’est pas négligeable. Les dépenses de transformation alimentaire sont importantes, compte tenu des coûts pour l’acquisition du combustible et de l’eau: elles seraient de 18 pour cent des dépenses alimentaires. Les achats de produits pour les sauces (viande, poisson, légumes, épices) sont élevés en zone urbaine. Le pain est devenu partie intégrante des aliments quotidiens des ménages citadins. Mais la différence de pénétration du pain dans l’alimentation est très liée aux écarts de revenus.

L’alimentation à l’extérieur du foyer est typiquement liée à la situation urbaine. Ce sont les ménages à faible revenu qui y ont le plus recours car ils n’ont pas les moyens de préparer trois repas à domicile. La consommation hors domicile concerne aussi bien les repas pris à l’extérieur que le grignotage entre les repas dans la rue.

L’une des caractéristiques de la demande alimentaire urbaine est qu’elle s’appuie pour une grande part sur des approvisionnements non-marchands. Il semblerait que plus de 20 pour cent de l’alimentation urbaine transite par ces circuits populaires (Bricas et Thuiller-Cerdan, 1996; Egal, 1997) qui trouvent leur origine dans les pratiques de redistribution à l’intérieur de la ville grâce à l’agriculture urbaine et dans le maintien des liens entre résidents urbains et leur famille restée en milieu rural.

Le consommateur des zones urbaines et périurbaines est dépendant des aliments préparés localement qu’il peut acheter sur les stands ou dans la rue. Mais on peut se poser la question de la qualité nutritionnelle et hygiénique de ces aliments.

L’accès physique aux produits est possible à peu près partout, à l’exception de quelques zones marginalisées en raison d’un défaut d’infrastructures (nord et est du Burkina) ou en période pluvieuse (nord de la Côte-d’Ivoire). Les enquêtes réalisées à Dakar, Abidjan, ou Ouagadougou (SAVANE, 1992) ont montré une relative abondance de produits animaux et végétaux présentés sur les marchés. Cela souligne combien les circuits d’approvisionnement fonctionnent correctement. Les approvisionnements sont plus réguliers en milieu urbain qu’en milieu rural, surtout pour les céréales. Les variations saisonnières sont plus fortes pour les fruits et légumes et pour les produits animaux.

C’est l’accès monétaire aux produits qui constitue le principal obstacle à la sécurité alimentaire actuellement car la libéralisation des prix a entraîné une flambée (qui s’amenuise quelque peu ces derniers mois). La récente dévaluation du franc CFArend les produits importés très onéreux; aussi observe-t-on un retour vers la consommation de produits traditionnels locaux (attiéké, plantains, maïs, légumes-feuilles) au détriment de produits importés élaborés ou non (riz, blé, produits industriels, viande surgelée). Le développement nécessaire du pouvoir d’achat passe certes par le développement économique global, mais une mesure efficace serait le contrôle des fuites des flux financiers vers les pays développés ou à haut rendement de capital. Enfin, aucune politique de pouvoir d’achat n’étant prévue dans les plans d’ajustement structurels, le seul moyen de garantir une alimentation suffisante à tous est d’offrir des produits à prix raisonnables par la rationalisation de la chaîne alimentaire.

L’une des caractéristiques du consommateur africain c’est aussi son manque de conscience de son état ou de son statut de consommateur. Seule semblerait compter la sensation de satiété; ses droits, l’éducation nutritionnelle et les règles d’hygiène alimentaire lui sont souvent étrangers. Des associations de consommateurs commencent à se développer mais elles sont davantage bâties sur des composantes politiques ou sur le désir de faire des scoop, que sur des équipes spécialisées et compétentes dans leur domaine. Elles touchent encore très peu de consommateurs du fait de l’illétrisme et de la non-représentation des préoccupations du consommateur. Au Burkina, il existe deux organisations des consommateurs: la «Ligue des consommateurs» et «l’Association Burkina des consommateurs». Une tentative se dessine en Côte-d’Ivoire.

Pour le consommateur, l’aspect social de l’achat alimentaire semble plus important que l’aspect qualité (nutritionnelle, hygiénique, pratique, et économique). Une éducation du consommateur est nécessaire et pourrait se faire notamment dans les écoles. La meilleure sanction du marché serait en effet le non-achat de certaines denrées alimentaires par le consommateur. Toutefois, cette éducation réclame des financements qui ne sont pas disponibles à l’heure actuelle.

La qualité de l’alimentation urbaine est telle que les modalités d’utilisation et de consommation sont «des bombes à retardement» pour la santé des individus. Contaminations et intoxications sont un lieu commun. Ce problème de santé publique n’est pas inscrit dans les priorités des ministères de la santé qui mènent une politique curative plus que préventive et qui ne sont pas sensibilisés à la nutrition et ses relations avec l’état de santé.

Plutôt qu’une répression en bout de chaîne alimentaire pour les produits non consommables, il serait plus utile de créer une culture du consommateur qui connaîtrait ses droits et un minimum d’éducation sanitaire.

2.1.2 - Des réseaux de distribution élargis

La croissance démographique urbaine a de multiples impacts sur les systèmes alimentaires:

2.2 - Pauvreté et conditions de vie


2.2.1 - Etendue, profondeur et caractéristiques de la nouvelle pauvreté
2.2.2 - Groupes à risque, localisation
2.2.3 - Les conditions de vie des populations urbaines africaines sous PAS

Les conditions de vie sont globalement défavorables dans les pays de l’Afrique subsaharienne par rapport aux autres pays économiquement moins développés. Les indicateurs démographiques en témoignent.

Tableau 1
Indicateurs démographiques en Afrique subsaharienne


Monde

PMED

Afrique subsaharienne

Taux de croissance annuel population (%)




1960-1990

1,8

2,3

2,8

1990-2020

1,7

2,0

3,2

Population urbanisée




1960

34

22

15

1990

45

37

31

Taux de natalité




1990

24


24

Taux de mortalité




1990

10

9,5

15,1

Espérance de vie 1990

65,5

62,8

51,8

Source: Rapport sur le développement, PNUD, 1996

2.2.1 - Etendue, profondeur et caractéristiques de la nouvelle pauvreté

Les informations sur les populations démunies en milieu urbain sont très limitées et fragmentaires, aussi est-il hasardeux de vouloir évaluer l’étendue et la profondeur de la pauvreté. Tout au plus, nous savons que la nature de la pauvreté a changé, ainsi que le type de personnes touchées. Dans les années 60 et suivantes, la pauvreté urbaine se nourrissait essentiellement de la pauvreté rurale. Ce sont les migrations rurales engendrées par la pauvreté qui entretenaient le flux humain dans les villes, plutôt que le résultat d’une demande de main-d’oeuvre urbaine liée au développement économique des villes (EGAL, 1997). Depuis les années 80, avec la mise en place des plans d’ajustement structurels puis avec la dévaluation du franc CFA, on assiste à une paupérisation qui affecte toutes les catégories socio-économiques, car il existe une forte pression familiale sur les ménages solvables. Cette paupérisation est le résultat d’une contraction des pouvoirs d’achat qui a conduit à une régression des dépenses alimentaires: -30 pour cent entre 1980 et 1985, -30 pour cent entre 1986 et 1995 (EGAL, 1997). Les classes moyennes seraient les plus touchées dans la mesure où elles sont tributaires de l’économie de marché. Actuellement, le PNUD évalue à un tiers la population urbaine située en dessous des seuils de pauvreté dans les pays d’Afrique subsaharienne (PNUD, 1996).

2.2.2 - Groupes à risque, localisation

Certains ménages sont plus vulnérables et se trouvent en insécurité alimentaire. Ce sont:

Ces populations à risque se concentrent le plus souvent dans des zones périurbaines non reconnues par les autorités locales, où les infrastructures font défaut et à forte concentration de population dans des habitations provisoires ou précaires. Ce n’est que lorsque la densification est très forte que les autorités se voient contraintes d’installer quelques commodités, quand elles le peuvent (électricité, eau, voirie, évacuation des eaux usées puis des déchets dans l’ordre hiérarchique).

2.2.3 - Les conditions de vie des populations urbaines africaines sous PAS

Les ménages à faible revenu et à revenu moyen consacrent la quasi-totalité de leurs revenus à l’alimentation (les 3/4 environ). Les ménages à revenus élevés ou moyens ne sont pas dans une situation aisée dans la mesure où la population à charge va grandissante: la poursuite des flux migratoires en provenance des zones rurales dans un contexte où les nouveaux arrivants parviennent de plus en plus difficilement à subvenir à leurs propres besoins, contribue à aggraver la charge qui pèse sur les revenus des ménages déjà installés. La taille des ménages urbains augmente à cause de la présence d’un plus grand nombre d’adultes par ménage. Mais souvent, les systèmes d’entraide familiale se désagrègent. Compte tenu du niveau des prix des biens et des services en zone urbaine, les seuls revenus ne suffisent pas à assurer les dépenses alimentaires de base. Dans ces conditions, les revenus des femmes doivent assurer une part croissante des charges familiales; ils sont un élément déterminant de l’équilibre alimentaire en zone urbaine.

Les stratégies des ménages urbains visent à préserver le niveau de vie et en particulier le niveau de consommation alimentaire. Elles peuvent être énoncées comme suit, sur la base d’analyses au Burkina, en Côte-d’Ivoire, au Sénégal, sans que l’on puisse établir une quelconque hiérarchie parmi ces comportements:

Les ménages démunis utilisent des structures d’approvisionnement alimentaires bien spécifiques; parmi celles-ci, les petits marchés locaux et l’alimentation de rue sont les plus fréquemment utilisés. C’est donc au travers de ces structures des SADA que l’on pourra atteindre ces populations vulnérables ou déjà en insécurité alimentaire.

2.3 - Instabilité socio-économique et politique

La tendance défavorable que connaît l’Afrique tropicale sahélienne ou soudano-sahélienne peut, certes, s’expliquer par une évolution insuffisante des techniques, la faible efficacité des services à l’agriculture et le mauvais fonctionnement des marchés, mais la principale raison tient à l’instabilité politique et sociale. Sur les 34 pays dont la situation des disponibilités alimentaires s’est aggravée depuis 1970, 20 ont connu une guerre civile. L’inquiétude que l’on peut avoir sur l’alimentation des africains devrait donc se porter avant tout sur le terrain politique (GRIFFON, 1996).


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